Chapitre 25 :

Mes poings se durcissent, tressaillent. Je sais à quoi m'en tenir, maintenant. Je n'étais pas son amie, mais je le respectais assez pour ne pas y croire. Que j'y crois ou pas est futile, maintenant. Je le vois.

Les Hamus des vingt-et-un Clans se tiennent debout devant les commandants russes sans broncher. Les mâchoires sont serrées, les regards sont durs. Une tension à couper au couteau émane d'autant de personnes aussi puissantes réunis en un seul groupe.

Liban est le premier à se tourner vers moi, puis tout le groupe suit aussitôt. J'ai l'impression de marcher au ralenti, l'impression de marcher vers ma mort, d'être un tigre blanc devant des braconneurs. Je n'ai jamais haï autant le prix de ma fourrure. Des frissons me traversent la peau, pourtant le vent fouettant ne résonne même plus à mes oreilles. Je suis incapable de dériver mon regard de Liban. Rien de bon ne sortira de cette réunion pour moi. Je le vois dans chacun des regards des Hamus. Je suis condamné à leurs yeux. Dans ceux de Liban. Ils ont pris une décision ensemble. Je commence à m'agiter, mon cœur à accélérer, je commence à comprendre. Mes narines se dilatent. Non !

Le Hamu Chamois s'arrête et se tourne avec un tel mépris envers les commandants des Services Secrets Russes que rien qu'en posant le regard sur eux, c'est comme s'il s'abaissait à regarder un tas de merde fumante.

- Votre race est misérable, tout comme vous. Je ne serais pas surpris si dans un siècle, vous vous serez tous entre-tués.

- Ah ah, gardons le suspens jusqu'au bout ! Rigole un des leurs, reconnaissable à son visage partiellement masqué, en face d'eux. Vous êtes un joueur, dites moi !

- Kallol, le coupe la femme à sa droite, tu confirmes que c'est bien elle ?

Kallol tourne les yeux et me fixe. Je le dévore vivant du regard. Mes tripes bouillonnent. Il n'a même pas la gêne de détourner les yeux ! Quelque chose d'alerte, de vif derrière ses yeux ne me trompe plus maintenant : c'est un militaire. C'était un militaire depuis le début. C'est pour cela qu'il avait les capacités physiques pour intégrer les Rafales. Il n'a jamais grandi parmi nous. Il était infiltré. Pourquoi ? Qu'est-ce que le gouvernement russe voulait voir à Braçalia ?

- ... oui.

- Bien, déclare sa collègue en se tournant fermement vers les Namus. Nous avons un pacte ?

Les Hamus serrent les dents. La haine émane de leur peau comme de la vapeur d'un volcan. Un pacte qui me paraît plus que jamais clair comme de l'air. Les commandants me veulent pour une raison qui m'échappe. Malgré moi, je commence à m'agiter, mon cœur à accélérer. Il n'y a pas d'issue. Mes narines se dilatent. Je pourrais tout aussi bien essayer de m'échapper, mais je ne fais pas le poids face aux vingt-et-un Hamus qui me rattraperait aussitôt. S'ils ont accepté, cela veut dire qu'il y a une contrepartie. Je la devine aussi facilement que si je l'avais proposé moi-même : les autres. Tous les autres.

- Vous nous donnez Shari et nous nous retirons tous, sans poursuite, sans dispositif de piège posé au préalable. Tout s'arrête aussitôt. Plus de blessés, plus de sang versé. Les enfants seront en sécurité. Tout ça contre une seule personne. Une seule. L'offre ne peut pas être déclinée. Appuie la femme.

Ma respiration courte agite mes poumons. Nous gagnerons si nous continuons. Tout le monde ici le sait. les Hamus n'auraient pas accepté en cette position. Sans doute, ont-ils des renforts prêts à décoller... peut-être même certains qui sont à quelques minutes de notre position. Guéparde ou pas, dernière descendante d'une Lignée perdue ou pas. Ils ont déjà fait leur choix. J'essaye de croiser le regard de Liban, mais il ne prend pas le risque de tourner la tête vers moi. Je suis déjà perdue.

- En guerre, il n'y a pas d'offre, seulement des stratégies. Quelle est la vôtre, sergent ? Crache le Hamu Lynx.

- Vous qui connaissez si bien la guerre, vous ne pensez pas réellement que je vais vous le confier ? S'amuse le sergent à côté de Kallol.

Ma taille me fait souffrir, mais je cherche à engranger un maximum d'informations sur ces gens. Dès que je partirai avec eux, mes chances de m'échapper se réduiront drastiquement. Je n'aurais plus aucun allié sur qui compter. Mais je suis obligé d'attendre qu'ils aient retiré toutes leurs troupes comme garantie de leur parole. Je ne vois pas beaucoup de fenêtres de tir. Mon débarquement. Mais tous les yeux seront braqués sur moi. Non. Dans ce cas-là, après ?

- Kallol, je gronde. À quoi tu joues ? Tu as peut-être réussi à tromper tout le monde, mais je sais que tu joues un double-jeu. Je sais que tu lui es loyal.

Les pupilles de Kallol se rétrécissent, mais il ne cille pas. Il leur cache quelque chose. Mais si les commandants de la SVR me jettent un regard, ils ne relèvent pas. J'ai créé une fissure dans le verre opaque du service secret, mais ils ne l'élargiront pas sous nos yeux.

- Concluons maintenant, lance sèchement la commandante. Nous ne nous attarderons pas.

Les regards convergent vers moi. La terreur me donne l'impression que je vais gerber, à leurs pieds. Cela me donnerait une satisfaction certaine, si bien que j'hésite. Le Hamu Chamois se retourne vers moi, mais je ne lui laisse pas le temps de me mettre les fers ou quoi que ce soit et je traverse l'espace chargé de haine entre les deux clans. En passant devant Kallol, je lui crache au visage. Il se raidit, mais détourne les yeux et se contente de s'essuyer le visage. Je ricane intérieurement. Bien sûr qu'il ne peut pas se permettre de répliquer. Leur petit spectacle m'a au moins permis de noter plusieurs choses. La première, c'est que j'ai de la valeur. Il ne peut pas se permettre de m'attaquer devant ses supérieurs. La deuxième est qu'aucune personne ici ne tire les ficelles. Ils suivent des ordres précis. Il est aisé de comprendre lesquels. Ce qui veut dire qu'ils ont un seul but : moi.

La troisième est qu'ils vont me ramener directement à leur chef pour lui montrer le résultat de la mission.

Je suis aussitôt encadré par une garde de six personnes tellement proche de moi que je ne vois plus rien. Je me secoue pour me débarrasser de la peur qui s'accroche à ma poitrine. Au moins, rassembler le courage d'y aller de moi-même a permis de l'étouffer pour un moment. Enfin, le canon des armes pointées sur mes épaules et mon ventre ne sont pas vraiment un coup de pouce.

Les mots que s'échangent alors les Hamus et les hommes masqués deviennent flous. Il n'y a plus que moi, le vent dans mes cheveux et ce froid. Où je vais ? Qu'est-ce que je vais faire, là-bas ? Qu'est-ce qu'ils vont me demander de faire ? Enfin, je ne suis pas sûr du choix du verbe.

Un vide se creuse en moi, profond, vertigineux. À quoi bon avoir survécu dans la savane, à quoi bon avoir grandi en apprenant à me battre, à quoi bon avoir traversé les montagnes, si c'est pour finir dans les mailles du filet de la Russie ? Quel avenir se présente à moi ? Une cellule ? Des électrodes ? Je n'ai aucune illusion sur l'utilité que je pourrais avoir pour une agence de service secret. Je suis une marionnette. Un test. Un moyen de découvrir ce que nous sommes, d'où viennent nos aptitudes, créer des humains pareils, savoir si nous pourrions leur être utile.

Le cou tendu vers le ciel, les yeux perdus dans les nuages, je me demande même à quoi cela sert de le savoir. Ça ne va rien changer à ce qu'eux ont prévu pour moi. La Lignée Guéparde va définitivement s'éteindre plus tôt que prévu. J'ai suivi un entraînement de résistance à la torture psychologique et physique, oui. Mais pendant une semaine. Je ne sais pas combien de temps, je tiendrai, mais je suis sûr que je vais bientôt le savoir.

Je devrais avoir de l'espoir, mais étrangement, je me sens seule. J'entends vaguement la voix de Liban dans mon dos, alors que nous faisons demi-tour avec toute la joyeuse équipe. Je suis poussée dans un hélicoptère et nous décollons. Décidée à accumuler le plus de sommeil possible avant d'arriver, je me colle contre la paroi et me force à fermer les yeux. Je n'avais pas pensé à la présence des armes pointées sur ma tête, néanmoins, alors j'essaye juste de me reposer le plus possible.

Dès que je sors, on me met un sac sur la tête et je marche à l'aveuglette en essayant de repérer le haut du bas grâce au bruit des semelles des soldats sur le sol. Le bruit de grésillements, de voix sèches, de frottement de tissu, de portes qui claquent... c'est l'unique chose que je perçois de mon nouvel environnement, ainsi que le froid, un froid qui transperce mes habits et fait serrer mes dents. Nous sommes-nous rapprochés des pôles ou la température est-elle baissée exprès pour baisser notre résistance ? Je ferme très fort les yeux et souffle fort et vite comme je le faisais pendant la traversée des sommets glacés des montagnes pour augmenter ma température corporelle, mais avec un sac sur la tête, l'atmosphère devient très vite saturée.

"Clic."

Je me tends et brusquement, un éclair de lumière m'aveugle. Je ferme aussitôt les yeux avant de me forcer à les ouvrir grand ouvert pour ne rien manquer. Je me retourne brusquement. Kallol m'observe en silence. Je prends une inspiration rapide et regarde rapidement autour de nous. Personne. Une petite pièce. Une ampoule à nue. Des murs gris. Une porte en métal. Fermé. Pas d'autre issue. Mon regard revient brusquement sur la personne en face de moi. Qui n'a toujours pas dit un mot. Pourquoi lui et moi dans une même pièce ? Y a-t-il des micros cachés ? Sans doute. Il va essayer de me déstabiliser. De me soutirer des informations.

- Désolé.

Je cligne des paupières. Quoi ? Il ferme les yeux et s'assied par terre.

- Tu dois probablement penser qu'on va t'emmener en cellule. Te faire passer des tests. En fait, tu es juste là pour qu'on parle.

Le froid des montagnes lui aurait-il grillé une partie de ses neurones ?

- Pour parler ? Je répète. Vous nous avez attaqués avec cinq hélicoptères, des dizaines de centaines de parachutistes et des drones, pour parler ?

- Nous devions vous surprendre et vous faire paniquer, mais il était prévu depuis le début que nous allions stopper rapidement les combats. Tu es trop protégée pour qu'on puisse proposer un échange sans avoir mis de pression au préalable. Tu le sais aussi bien que moi, on ne bat pas un adversaire d'un seul coup.

Il essaye de m'emmener là où il veut aller. Croit-il que je vais le suivre aussi facilement que cela ? Je reste silencieuse. Il va finir par me dire ce que je veux, qu'il le veuille ou non. Je ne vais pas le laisser me tirer des informations de la bouche et les utiliser contre moi pour en apprendre encore plus. Au bout d'une minute de silence, Kallol reprend la parole.

- Nous ne sommes pas les méchants, Shari, il soupire. Honnêtement, si c'était le cas, crois-tu que tu serais debout libre de tous tes mouvements devant moi dans cette pièce ? Tu ne vois qu'un côté du mur, tu n'es jamais passé de l'autre côté.

Il essaye de me convaincre, pourtant depuis le début de la conversation il n'a dit que ce qu'ils n'étaient pas. "Cellule, tests, pression, battre, méchants", il ne s'en rend même pas compte, mais tous les mots qui lui viennent spontanément à l'esprit sont négatifs. Il sait pertinemment qu'il n'y a rien de bien dans cette organisation, mais je n'arrive toujours pas à comprendre l'importance de me prouver le contraire. Voyant que je ne réponds pas, il commence à s'impatienter. Je plisse les yeux. C'est un soldat. On a dû lui donner une limite de temps pour me parler et il n'a toujours pas de résultat. Il cherche une solution, il commence à s'agiter. Sa tête se baisse et il sourit. Impressionnant. Il a repris son sang-froid très vite. Une compétence qui lui vient d'ici, sans doute.

Kallol détourne les yeux.

- Nous ne sommes pas tout immaculés, bien sûr, je dis simplement qu'ils ne le sont pas non plus. En tant que services secrets, notre organisation est spécialisée dans la fin, pas les moyens, je l'admets. Mais sais-tu en quoi consiste les missions des Agents ? Sais-tu pourquoi les Hamus ont tellement détesté devoir te livrer à nous ?

Mon nez se plisse. Mes oreilles captent des centaines de choses. Mes pensées partent dans tous les sens. Les services secrets russes savent sur les missions, ils savent aussi sur les Agents. Et sur les Hamus. Comment ont-ils eu toutes ces informations ? Qui les a fournis ? Depuis combien de temps les détiennent-ils ? Savent-ils autre chose ? Et il sait déjà ce qu'il veut me faire dire. Veut-il en avoir un enregistrement ? Pour que cela soit une source officielle ? Je me mords les lèvres.

- Je le sais, je dis lentement. Comment pourrais-tu le savoir, toi ?

Kallol secoue la tête.

- Tu ne le sais qu'à moitié. Pas besoin d'être prudente, il n'y a aucun enregistrement vocal ou visuel. Tu penses que c'est parce que tu es la dernière Guéparde (Je me tends. Il sait même cela !). Tu as raison. (Ses yeux s'assombrissent.) Si tu meurs, la Lignée meurt avec toi. Pourtant... ne t'es-tu pas demandé pourquoi ils réagissaient comme ça, alors qu'ils savent qu'un jour, tu vas fatalement mourir.

Tous mes sens se focalisent soudain sur lui. Il sait quelque chose que je ne sais pas. Je le sens sur sa peau. Il détient dans son cerveau quelque chose d'important. Et il l'utilise contre moi. Pourtant, je choisis de tomber dans son piège.

- Qu'est-ce que tu essayes de dire ?

Mon cœur semble être suspendu pour un instant. Ses yeux se relèvent lentement sur moi.

- Ils n'ont pas peur que tu meures en emportant la Lignée avec toi... pourquoi, à ton avis ?

La porte s'ouvre et deux gardes nous saluent et me fait signe de m'approcher. Je plisse les yeux, mais les suis dehors. Alors que je pensais que Kallol viendrait, nous partons seuls dans un autre couloir. J'essaye de ne pas penser à la phrase de Kallol, mais c'est comme si elle était gravée en flamme devant mes yeux.

Pourquoi, à ton avis ?

Le nombre de soldats augmentent dans les couloirs et nous pénétrons dans une grande salle. Je me redresse, tourne la tête et observe les lieux. Il n'y a pas pièce plus spartiate que dans celle où je suis. Seulement des murs, blancs, et une ampoule au plafond. Les personnes à l'intérieur, par contre, sont plus intéressants. Je n'ai besoin d'aucune présentation pour comprendre que la femme en chemise et en pantalon militaire devant moi est la plus haut gradé. L'autorité et l'assurance se dégagent d'elle avec tant de puissance que les soldats autour semblent courber les épaules comme sous un poids écrasant. Ils sont tous soumis à cette femme, qui n'a pas décroché un mot depuis que je suis arrivé. Elle s'approche et je la fixe avec attention. Ces prochains instants vont être décisifs, je le sens.

Sans que je ne la voie venir, elle m'enfonce son genou dans le ventre. Je me plie en deux en essayant de reprendre ma respiration et elle se contente de hocher la tête.

- Solide. Ça le fera. Aaron Rawbridge. Voulez-vous le voir ?

Mes yeux s'agrandissent brusquement.

- Quoi ? Je halète.

Mon cœur accélère d'un coup. Il est là ? Ils l'ont attrapé ? Que lui ont-ils fait ?

- Aaron Rawbridge, répète la femme. Je crois que vous le connaissez, puisque vous venez de la même ville. Je peux vous emmener jusqu'à lui.

- Comment savez-vous si je viens de là-bas ?

- Réponds juste, elle soupire.

Pourtant, quand j'y pense, c'est la CIA qui les a secourus, ce sont eux qui les ont replacés dans les refuges. Les informations circulent-elles d'un service secret à un autre ? Il n'y a qu'elle qui peut m'emmener jusqu'ici. L'opportunité ne se présentera pas deux fois. Pourquoi le fait-elle ? C'est un piège ? Mais pourquoi ? Ils peuvent déjà faire tout ce qu'ils veulent de moi ! À quoi cela sert de me tendre un piège ? Ils ont forcément un intérêt dedans. M'affaiblir émotionnellement ? Je dois le mettre en garde. Lui dire où se situe le danger. Je relève la tête.

- Oui.

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