Chapitre 24 :

Mon cœur cogne douloureusement dans ma poitrine. Je cligne des yeux et essaye de m'asseoir. Je suis pris d'un vertige et m'immobilise. Je sens un tissu frais contre ma peau. Et une sensation d'acide en dessous.

Je bouge en ravalant une grimace. Allongée sur les coudes, je baisse la tête et découvre un bandage autour de mon flanc. Je grogne et baisse les yeux. Mon talon aussi est bandé. Je relève la tête et détecte une odeur de sang frais et de sueur dans l'air. Oh. Je suis allongée sur des draps dans le champ de soin. On s'est occupé de moi ? Je fronce les sourcils et regarde autour de moi. Les soigneurs s'activent frénétiquement autour des blessés, les mains trempées de sang et le front de transpiration. Certaines blessures en train d'être opérées sont si profondes que je perçois l'intérieur de l'anatomie humaine en direct. Je n'ai jamais été une excellente élève en biologie, mais je mettrai ma main à couper que ça, c'est un poumon droit.

- Comment tu te sens ?

Je ne réagis pas tout d'abord.

- Comment tu te sens ? Demande la voix d'Ash.

Je me retourne brusquement, mais mon regard tombe sur un garçon un peu plus âgé que moi avec des traits fins, des yeux marron presque noir et des longs cheveux noir attachés en queue-de-cheval. Vu le nombre de taches de rousseur qui parsèment son visage... c'est un Coyote. Je plisse les yeux, pourquoi me fixe-t-il ? Je détourne les yeux et tourne la tête à droite et à gauche. Et où est Ash ? Je l'ai entendu, il y a même pas trois secondes ! Est-ce que la douleur me fait délirer ?

- Aurais-tu vu Ash ? Je demande au garçon qui ne me lâche pas du regard.

- Il n'est pas là, j'ai imité sa voix pour capter ton attention.

Je me tourne brusquement vers lui. Mes yeux se plissent. Je regarde par-dessus son épaule, mais je vois rien. Je regarde à nouveau de tous les côtés, cette fois plus lentement, mais pas d'Ash. Un homme, ça ne peut pas disparaître en une seconde. Je repose mes yeux sur lui. C'est un Coyote, il fait partie d'un Clan de tireurs d'élites à la précision mortelle. Y a-t-il autre chose que je devrais savoir sur cette Lignée ?

- Refais-le.

Il s'exécute. Je sursaute. C'était vraiment la voix d'Ash, mais ce sont bien ses lèvres qui ont bougé !

Je secoue la tête, incrédule. Quand Namak nous avait dits qu'ils étaient formés pour se mettre dans la peau de leurs cibles... cela incluait également imiter leurs voix ? Je me demande s'il serait capable de se faire passer pour moi et range cette question dans un coin de ma tête. Je plisse les lèvres.

- Comment tu fais ça ?

Il m'observe pensivement.

- Des cordes vocales longuement entraînées. Je répète ma question : comment tu te sens ?

J'imagine qu'ils sont capables de prendre la voix de toutes les personnes qu'ils ont déjà entendu parler. Et Ash a eu plus que son temps de parole dans le Cœur... tout comme moi. Devrais-je m'inquiéter qu'un Clan tout entier peut se faire passer pour moi à n'importe quel moment s'ils le veulent ? J'avale avec mauvaise humeur.

- Comme quelqu'un qui s'est pris deux balles. Qui es-tu ?

- Sahan, des Coyotes. Mais je pense que tu l'avais déjà compris.

- Effectivement.

Je l'observe de la tête aux pieds. Il n'a pas l'air blessé. Qu'est-ce qu'il fiche ici ?

- Tu n'étais pas là-bas ?

L'amertume au fond de ses yeux fait surface en un flash. Ses mâchoires se serrent.

- Les Àlfars qui ne sont pas encore Agents doivent rester en sécurité à l'arrière. J'aide les soigneurs, mais je n'ai pas le droit d'aller sur le champ de bataille... c'est moi qui t'ai récupéré.

Soudain, l'image de ma main éclaboussée de sang s'impose dans mon esprit. Je fronce les sourcils. Et brusquement, je me rappelle ce qu'il s'est passé. Je revois le soldat allongé au sol, son pouls inexistant, sa peau froide. Ma dague rouge dans ma main. Je me fige. Je lève lentement ma main et m'aperçois qu'elle est recouverte de sang séché. Ma gorge s'assèche.

- Ça va ?

Je baisse la main rapidement. Je fais un effort important pour me reconcentrer sur le garçon qui me dévisage d'un air inquiet. Je creuse dans ma mémoire pour changer de sujet.

- Tu n'es pas membre ? (Il me semble pourtant aussi âgé que moi.) Tu as quel âge ?

Il presse ses lèvres ensemble.

- J'aurai seize ans dans quelques semaines.

Je le reconsidère. Je n'aurais jamais pensé qu'il soit plus petit que moi. Il est grand et svelte, du genre puissant et agile, mais ses traits durs et anguleux sont déjà ceux d'un homme prêt à prendre des décisions difficiles. J'avais déjà noté la maturité avancée et le sang-froid stupéfiant des enfants Àlfars, mais celui-là me parait encore plus maître de lui-même que les autres.

Le bruit d'une explosion et d'un choc au loin me fait pivoter. Les combats ne sont pas encore terminés. J'essaye de me relever et serre les dents alors que la douleur me transperce le flanc et le talon. Je repousse l'épaule que m'offre Sahan et plisse les yeux en scrutant l'horizon. Deux points sombres volettent dans le ciel. Deux hélicoptères qui font des loopings dans le ciel pour éviter les balles des Yacks. Il n'en reste plus que deux ?

Soudain, un cri résonne dans l'air :

- Détection humaine ! Quatre escouades !

- Ils viennent du Nord-Ouest ! Grogne un Blaireau qui apparaît comme par magie, les mains plaquées à terre.

Une centaine d'Àlfars se matérialisent soudain dans ma vision, debout, accroupie, ou perchés sur des arbres entourant le champ de soins. Je n'ai pas le temps d'être surpris qu'ils bondissent dans l'ombre des sous-bois et disparaissent.

- Qui sont-ils ? Je demande en fronçant les sourcils. Pourquoi n'étaient-ils pas à la bataille ?

Le Coyote me coule un regard de côté.

- Ce sont les Quatre Lignées Sensitives : les Blaireaux, nous les Coyotes, les Ours et les Renards. Ils patrouillent en toute furtivité autour du bunker pour détecter si des intrus sont envoyés au bunker par-derrière.

Je me tourne vers lui.

- Tu veux dire qu'il y a une possibilité que les blessés et les soigneurs soient attaqués ?

Il garde les yeux rivés au loin, le menton légèrement levé, l'air de penser à toute vitesse.

- Il y a toujours une possibilité. C'est pour cela que seuls les Quatre Lignées Sensitives composent la défense du bunker, explique Sahan. Nous sommes les meilleurs nez, yeux, doigts et ouïe des Àlfars. Notre mission n'est pas sur le champ de bataille, mais aux côtés des cibles vulnérables pour détecter des éventuels intrus.

- Et si ceux qui sont partis n'arrivent pas à s'en débarrasser ? Je demande. Il n'y aura plus aucune défense pour les blessés.

- Seule la moitié des effectifs est partie. L'autre moitié est encore tapie dans l'ombre, c'est pour cela que tu ne peut pas les voir. En plus, nous avons des informations précises sur leur nombre, leur direction, leur rythme et leur matériel. Eux ne savent rien sur les unités qui s'avancent vers eux. C'est l'avantage d'être une organisation secrète, ils n'ont que peu de données sur nous et nos manières d'agir. Ils n'ont que des tiers d'informations, c'est d'ailleurs pour cela qu'ils ont mené cette opération. Pour récolter des informations.

Je tourne la tête vers lui, les sourcils froncés.

- Tu penses que ceux qui se battent sur-le-champs de bataille ne sont qu'une simple diversion ? Tu n'as pas vu le carnage là-bas ! Ils ne sacrifieraient pas autant de soldats si c'était juste une diversion...

Il regarde longuement l'horizon en silence, puis ferme souplement les yeux. Il a beau avoir un an de moins que moi à ce moment, quand il soupire, j'ai l'impression qu'il en a dix de plus que moi. Ses paupières se soulèvent lentement et ses pupilles se posent sur moi en silence.

- Tu es nouvelle dans ce monde. Assimile bien ce que je vais te dire. Les informations qu'ils pourraient récupérer sur nous avec ce coup de poker sont assez précieuses pour eux pour qu'ils sacrifient des soldats. Les services secrets commencent de plus en plus à entrevoir qui nous sommes vraiment. Même s'ils ont toujours le doute d'organisation terroriste, ils ont assez d'informations sur nous maintenant pour savoir que c'est plus que ça. Ils se doutent que nous ne sommes pas humains. Et ce genre d'infos, ça vaut des pépettes. Tu n'as pas idée de ce qu'un seul d'entre nous vaut pour eux.

Mes mâchoires se crispent. Il parle de la mort de centaine de soldats comme si ce n'était rien !

- Comment tu peux dire que le carnage qui est en train de se passer vaut le coup pour eux ? Juste pour une diversion ? Des centaines de morts ! Je siffle. Des milliers !

Il me jette un regard noir.

- Tu crois que c'est moi qui leur aie dit que ça valait le coup ? Bien sûr que je ne suis pas d'accord, mais il est temps que tu acceptes la mort comme ton compagnon de voyage. Tu le verras partout. Je sais que tu as été élevée ailleurs, mais tu ferais mieux d'intégrer cette règle rapidement. Tu devrais tirer des leçons de comment à fini ta propre lignée. Tout le monde y passe un jour. Ma mère est morte lors d'une de mission. C'est le lot de beaucoup d'entre nous, nous mourrons jeunes. La plupart des enfants sont comme moi, orphelins. Il plante son regard dans le mien. La mort nous entoure. Elle est dans notre chair, dans nos os. C'est notre réalité. Notre ADN. Et c'est aussi la tienne.

Son regard se plante dans le mien, mais je refuse de baisser les yeux. Je fronce les sourcils. Des blessés se forcent à se relever, certains s'appuient sur des camarades et bientôt, tout le monde est debout. Une rumeur grossit et tous les regards se tournent derrière moi. Je tourne la tête, mais je n'aperçois aucun individu. Seulement la forêt et la lumière qui tombe du sol. Je fronce les sourcils, me retourne et m'immobilise soudain. C'est moi qu'ils fixent tous.

Un homme mince de grande taille se détache des autres et avance vers moi. Mes mains se crispent sur le drap en dessous de moi. Le Hamu Chamois. Il s'arrête devant moi. Que veut-il ?

- Shari. Suis-moi.

Je le fixe, sur le qui-vif. Qu'est-ce qu'il se passe ? Où veut-il m'emmener ? Pourquoi ? Et pourquoi cela intéresse-t-il tous les Àlfars ici présents ?

- Obéis, murmure Sahan à ma droite.

Je lui jette un rapide coup d'œil. Il me lance un bref regard.

- Tu veux que je vienne ? Il murmure.

Je me lève en me forçant à ne pas grimacer.

- Non.

Je suis blessée, mais je ne suis pas à terre pour autant. Or la lueur dans le regard du Hamu a l'air un peu trop arrêté à mon goût. Comme s'il avait déjà fait un choix qui ne me plaira pas. Quel choix ? Ça ne serait pas aussi important si c'était juste que j'étais allée au front sans y être autorisé. Non. Ce ne serait pas aussi « touristique ».

Lentement, je m'avance jusqu'à lui. La peur me tord les boyaux.

Il se retourne et six Chamois m'encadrent aussitôt, comme une sorte de prisonnière escortée à sa peine de mort. Sauf que les Chamois ont plus l'air de me protéger qu'autre chose. Le chemin m'est familier. On se dirige vers les combats. Combats qui ont fait une pause, apparemment. Les bruits ne me parviennent plus aux oreilles. Les questions me brûlent les lèvres, mais je sais que les gardes n'ont pas le droit de me répondre et vu le regard fermé du Hamu, il ne me dira rien. J'ai chaud, soudain, très chaud. Une piqure d'insecte derrière l'oreille me gratte de plus en plus. Ma respiration se fait plus rapide.

Lorsque nous arrivons, je découvre les combattants des deux clans se regardant en chiens de faïence, immobiles, comme séparés par une barrière invisible qu'ils ne peuvent casser. La plupart, grièvement blessés, se tiennent le bras, la jambe ou le ventre, essayant de comprimer leurs blessures, comme s'ils ne pouvaient faire que ça en attendant... en attendant quoi ? Les corps et les visages se relèvent quand nous apparaissons et sans que le Hamu ait fait un geste, hommes et Àlfars confondus s'écartent pour nous laisser passer.

La terre sous mes bottes est retournée et arrachée de partout, l'herbe arrosée par-ci par-là de rose-rouge, parfois aplatis par des corps à jamais froids. J'aime de moins en moins ça. Pourquoi j'ai l'impression d'être une brebis qu'on mène à l'autel ? La panique souffle dans mes poumons. J'essaye de capter des regards familiers pour deviner ce qu'il se passe, mais il y a bien trop d'Àlfars autour de nous.

J'aperçois enfin notre but quand je vois deux groupes face à face, à une centaine de mètres des combats. Mon cœur s'arrête.

Kallol !


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Yep, mesdames et messieurs, le retour de notre cher couillon de service !  Alors, quels pronostics ? Un K-O ? Pouahaha je suis trop drôle moi ça devrait être illégal ! Et on en parle, de Shari qui se fait trouer de partout ? A ce rythme, c'est plus un humain mais un gruyère... bon, en tout cas, ça fait du bien, un gros coup de baston, vous ne trouvez pas ? Je suis sûre que cela vous a dérouillé aussi !

Ah, qu'est-ce que je ferais pas pour vous !

*On se calme tout de suite, je te vois venir @Otarine !

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