Chapitre 22 :
Je m'approche des rangs ordonnés d'Alfars. Le parfum caractéristique de métal et d'encre plane dans l'air, la seule chose qui n'ait pas changé chez lui depuis qu'on est parti. Je l'observe de derrière. On a rendu ses pommettes si saillantes qu'elles paraissent tranchantes comme la lame de mes dagues et ses yeux sont cerclés d'un trait de khôl qui approfondit son regard. Son expression paraît profonde. Plongé dans ses pensées. Mais c'est peut-être juste le maquillage qui rend son visage mystérieux.
Cela me met mal à l'aise. Ce n'est pas le Ash que je connais. C'est un homme distant et insondable qui se tient devant moi. Il est stable sur ses pieds, il a passé ces derniers jours avec son Clan et je crois qu'il s'intègre bien. N'importe qui le verrait en ce moment penserait qu'il est dans le Clan Lion depuis toujours. Cela fait plusieurs jours que nous ne nous sommes pas vus. Comment une telle transformation a-t-elle pu arriver aussi vite ? Le lien des membres d'un même Clan envers les autres est-il si puissant que cela ?
- Tu voulais me voir.
Ash relève ses cheveux d'une main en levant le regard sur moi d'un air surpris. Comme tout le monde, il est réuni dans la plaine pour la cérémonie des vœux des aspirants Agents. Je m'approche et le détaille du regard. Il porte une paire de bottes courte noir en cuir et une tunique étroite et sombre avec un col en V dont il a remonté les manches, dévoilant un fin bracelet élégant en cuir qui fait plusieurs tours autour de son poignet.
Un cadeau des Lions, je devine. Je me demande si moi aussi mon Clan m'aurait offert quelque chose, avant d'écarter cette pensée de mon esprit. Ça ne sert à rien de se poser ce genre de question. Je relève les yeux sur lui, mais ses pupilles ne me lâchent plus. Ses yeux semblent plus impénétrables que jamais.
Je me rends compte soudain de la lourdeur de l'air entre nous. Je lui fais un signe de tête et nous nous éloignons des Àlfars. Lorsque nous sommes assez loin, je détourne la tête.
- Tu as des informations sur Kallol ?
Il me fixe. Des fines mèches de ses cheveux tombent devant ses yeux et se reflètent sous la lumière du soleil, créant un contraste avec le khol de ses yeux.
- J'ai parlé avec des Antilopes proches de ta Théodora. L'une d'entre elle connaissait quelqu'un qui travaillait dans l'unité qui surveillait les secours pour Braçalia. Elles ne savaient pas que Liban ne nous dit rien sur l'opération, alors je me suis fait un plaisir de lui tirer un maximum d'informations. Tous les bunkers ont été évacués. Les morts ont été enterrés dans un cimetière sur mesure et les survivants ont été transférés dans un des refuges mis à disposition par la SVR. Je suppose qu'ils veulent leur tirer des informations sur la ville détruite et ses leaders avant de les intégrer à la vie humaine.
Je retiens ma colère. Liban s'est fait un plaisir de passer ça sous silence, au bungalow. Pourquoi n'a-t-il rien dit ?
"Les Guépards sont réputés pour avoir des réactions incontrôlables. Nous ne pouvions pas savoir ce que tu allais faire..."
Je plisse les yeux.
- Comment savais-tu que les Antilopes étaient impliqués là-dedans ?
Il renifle.
- Tu crois que mes journées passées avec les Lions étaient du pur divertissement ?
Je hoche la tête. S'il arrive à se rapprocher des grosses têtes du Clan de l'Éther, il pourra prendre pour couvert son ignorance afin de glaner quelques informations utiles.
- Bien. Tu as gagné leur confiance ?
- Ça ne se fait pas en trois jours, il rétorque. Mais j'ai l'avantage de la nouveauté, ils viennent à moi sans que j'ai à venir vers eux. J'ai pu parler avec plusieurs des lieutenants.
Je le fixe.
- Et ton Hamu ?
Il soulève un sourcil.
- Ne sois pas si impatiente... il faut franchir certaines étapes avant de pouvoir parler avec lui sans que j'ai de requêtes précises. Nous sommes au Printemps et c'est le Hamu, même ses lieutenants ne le voient pas beaucoup, il est très sollicité.
Je me penche vers lui.
- Il faut que tu arrives à l'approcher rapidement tant que nous sommes dans les projecteurs, sinon tu risques de prendre beaucoup plus de temps avant de pouvoir proprement lui parler. Et le Cygne, tu l'as revu ?
Cette fois, il semble perplexe. Ses yeux se plissent sans arrêter de me dévisager.
- Et que veux-tu que je fasse, exactement, avec le Cygne ?
Je lève les yeux au ciel.
- Comme tu l'as fait la dernière fois ! Tu t'es rapproché d'elle, non ? Elle a bien dû te dire une ou deux choses...
Ses yeux ne dévient pas des miens. Il incline la tête sur le côté, tout humour effacé de son visage.
- En effet, elle m'a bien dit une ou deux choses... plus que ça même... (Son regard redouble d'insistance.) Est-ce que c'est ça que tu veux entendre, Shari ?
Je me détourne avec agacement.
- Ne joue pas à ça ! Tu sais très bien ce que je te demande.
Son visage se penche en avant.
- Vraiment ? Parce que j'aurais cru que tu aurais tout entendu. Tu avais l'air très impliqué dans ton rôle... d'espionne.
- Je ne vous ai pas... ah ! Arrête !
Je recule et le fusille du regard en croisant les bras. Il masque un sourire.
- Tu ne lui as vraiment rien soutiré ? Je grogne.
Il se penche en arrière et fait la moue.
- Non, je n'avais pas ça en tête à ce moment.
Je souffle, excédée, et tourne les talons.
- Quelle utilité ! Et moi qui croyais que ça porterait ses fruits. À quoi ça a servi ?
Il me dévisage et se relève.
- Tout ne doit pas forcément servir tes intérêts.
Quoi ?
- Mes intérêts ? Tu es là-dedans autant que moi !
- Est-ce si difficile pour toi d'y penser, ma chère amie ? Il lance. Ou peut-être, tu préfères ne pas y penser du tout ? Je me demande bien pourquoi, Shari ! (Son visage se rapproche du mien et il ne me lâche pas du regard.) Serais-tu par hasard... jalouse ?
Je plisse les lèvres et le repousse.
- C'est moi qui t'ai dit qu'on devait arrêter notre relation, n'inverse pas la situation !
Il me rattrape les mains et me retourne contre lui.
- Ah vraiment... il souffle, ses yeux plantés dans les miens, sa bouche contre mon oreille, tu penses que j'inverse... la situation ?
Mes poumons ratent une respiration. Un impact brûlant frappe ma poitrine. Ses yeux clairs comme du caramel, ses cils abaissés sur moi, ses pommettes saillantes. Mes bras frémissent. Son regard est si soutenu que je crains de ne pas pouvoir le soutenir longtemps.
- Tu es toute pâle, il murmure.
Je sens ses muscles bouger contre moi. Son souffle effleure mon cou. Je le repousse, le regard noir.
- Arrête !
Il secoue la tête d'un air exaspéré.
Soudain, un silence glacé tombe sur la plaine. Je m'immobilise. Tous les oiseaux se sont tus. Je me retourne et trois trilles d'alarmes résonnent dans l'air. Un bourdonnement sourd résonne de plus en plus fort dans l'air. Je tourne brusquement la tête. Des formes floues apparaissent au loin dans le ciel. Mes yeux se plissent.
- La forêt ! Hurle le Hamu Zèbre en raflant deux petits garçons sur le dos de sa monture. Enfants, âgés et Soigneurs, au bunker ! Agents, en formations !
Les agents sortent de partout des armes cachées sous leurs vêtements et arrachent leurs habits pour révéler des tenues de combat grises et marrons en se déployant autour de nous.
J'attrape Ash par le bras et le pousse en avant et nous sommes fauchés dans la masse d'Alfar en fuite. Mon souffle s'accélère.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? Je crie.
- Vous n'avez pas entendu les trilles ? Grogne un Blaireau à ma droite. Nous sommes attaqués !
Une rumeur grossit dans la foule.
- Ce sont des hélicoptères russes ! Crache un jeune Lynx en raflant dans ses bras son petit frère. Comment nous ont-ils trouvés ?
Nous nous précipitons vers la forêt, le seul endroit où nous seront protégé par le couvert des arbres, mais les hélicoptères se rapprochent à une vitesse effroyable. Une main gelée me serre les tripes. Nous n'arriverons pas à temps ! Les ordres des Hamus fusent de partout :
- Mangoustes, prenez les tunnels !
- Serpents, couvrez les ouvertures !
- Coyotes ! Protection Aérienne !
Des files d'Àlfars mettent un genou à terre en dégainant des fusils. Les poumons en feu, je jette un rapide coup d'œil derrière moi. Mes yeux s'agrandissent et mon cœur s'emballe. Ils s'approchent trop vite ! Les armes des Agents se lèvent d'un mouvement synchronisé.
- Feu !
Les balles fusent, mais les hélicoptères sont maintenant presque sur nous et ils ont leurs propres armes pour riposter contre nos tireurs. Et leur canon n'est pas de la même taille.
« Chtac, chtac, chtac, chtac ! ».
La peur prend un autre niveau dans ma poitrine. Je bondis sur le côté. Mes yeux sautent d'un côté à un autre pour les esquiver. Les balles des canons pleuvent comme une averse meurtrière. Elles éclatent en taches rouge autour de nous et des femmes et des hommes s'écroulent tout autour de nous. Des parents hurlent le nom de leurs enfants, des pleurs de bébés résonnent dans l'air. C'est un massacre ! Je jette un rapide coup d'œil en arrière et distingue des dizaines de centaines de parachutes qui chutent des hélicoptères.
- Ash ! Je hurle, on doit vraiment accélérer !
Je bondis en avant et la balle frappe la terre juste à côté de moi. Je tire Ash en avant, mais il est plus lent que ce que je pourrais l'être. Mes mâchoires se serrent de frustration. Tout mon corps, toute mon âme me hurle d'accélérer. Si je sprintais, je serais en sécurité. Je me mords les lèvres. Il ouvre la bouche, mais un sifflement aigu me frappe les oreilles et je bondis sur le côté. La balle heurte le sol en soulevant une gerbe de terre à mes pieds. Les hurlements des enfants fauchés à côté de moi me tranchent l'esprit. Mon esprit vibre, luttant pour rester en alerte au milieu de tant de désespoir.
Devant moi, une petite fille est touchée dans le dos et s'écroule lourdement au sol. Un homme hurle et se précipite vers elle, mais il se prend une balle dans la nuque et sa tête part en arrière. Je saute in extrémis par-dessus le tas de chair. Je tourne brusquement la tête à droite et à gauche. Mon sang hurle. C'est la terreur, partout. J'ai perdu Ash. L'odeur de la peur et du sang me brouille les narines. Le bruit incessant des balles me rend folle. Je dois trouver Ash !
J'entends soudain son souffle familier juste à côté de moi et je tourne brusquement la tête.
- A !... sh.
La peur me donne un coup de fouet. Il tient péniblement son bras pour endiguer le sang qui coule entre ses doigts. Blessé, il est une proie vulnérable aux mitraillettes des hélicoptères. Nos regards se croisent.
- Vas-y ! Il grogne.
- Non !
Mes yeux passent rapidement de lui à son bras. Mon cerveau tourne à toute vitesse. Que faire ? Que faire ?
- Vas-y, je te dis ! Il crie.
- Ferme-la !
Il se prend une deuxième balle au pied et trébuche. Je le rattrape de justesse et il continue à courir en serrant les dents, mais on perd drastiquement de la vitesse. On va se faire tuer ! Je plonge au sol pour éviter une balle, me relève et recommence a courir à ses côtés, mais son pied blessé le ralentit. Je serre les dents.
- Tiens bien ton bras ! Je crie par-dessus le boucan.
Je soulève Ash dans mes bras d'un mouvement rapide et accélère. Les contours de mon champ visuel deviennent flous. Mes réflexes me permettent tout juste de bondir in extrémis par-dessus les formes des personnes qui surgissent devant moi. Brinquebalé comme un sac, il étouffe ses gémissements, mais il doit tenir jusqu'à la forêt.
- Formation Cercle ! Première salve ! Ordonne le Hamu Lion en réunissant ses deux mains en coupe.
Ses Lions s'accroupissent tous en bordure de la forêt et font aussitôt le même signe. Brusquement, les balles des mitraillettes ennemies se suspendent en l'air au-dessus de nos têtes. Je décélère, bondis par-dessus un buisson et m'enfonce dans les sous-bois, où sont réunis tous les rescapés. Des centaines d'autres nous rejoignent à chaque seconde. Les soigneurs se sont divisés en escouade qui entraîne chaque nouvelle vague dans la forêt au Bunker pour évacuer les réfugiés et amener le plus vite possible les blessés là où ils seront pris en charge.
Je plonge vers l'escouade qui s'apprête à partir et passe Ash dans les bras des Chamois qui le mettent aussitôt dans un brancard. Il grogne des protestations, mais les Chamois l'ont attachés pour être sûr qu'il ne tombe pas et il perd trop de sang pour les repousser.
Je me retourne. Les Lions retiennent les balles en l'air en unissant tous ensemble leur chape pour former un bouclier d'énergie assez épais pour arrêter les balles en plein vol, mais l'effort est conséquent étant donné la vitesse des balles. Je ne sais pas combien de temps ils arriveront à faire tenir un bouclier de cette taille. Il y a forcément un moment où ils devront lâcher.
Avec un bruit brutal, la pale d'un hélicoptère est soudain arrachée en plein air. Le véhicule chute en spirale et s'écrase au sol dans une explosion de lumière et de chaleur qui balaye le champ de bataille. Je lève un bras pour me protéger de la vague de chaleur et me crispe. Je tousse et tourne la tête en plissant les yeux sous la poussière soulevée du sol. Qu'est-ce que c'était que cela ?
Là ! En retrait, les Yacks s'activent autour d'un canon de trois fois ma taille qu'ils avaient dû cacher dans la forêt en cas de ce genre d'incident. L'œil précis des Coyotes aux commandes de leurs manettes fait feu sans relâche sur les hélicoptères, guidé par les analyses rapides des Antilopes sur leurs probabilités de trajectoire. Cela empêche leurs pilotes de tirer et permet aux Lions de relâcher leur chape au sol pour la projeter sur les parachutistes et les faire dévier vers l'hélicoptère en feu au sol pendant que les Serpents tirent sur l'hélicoptère en feu au sol. Je fronce les sourcils. Toutes les personnes dans l'hélicoptère sont déjà mortes ! Qui visent-ils ?
Les premiers parachutistes manœuvrent pour éviter le plus possible le feu malgré la chape, roulent au sol et se défont de leurs parachutes. Une ligne étroite d'Agents se forme à la lisière de la forêt pour en protéger l'accès. Pourtant, les parachutistes qui ont atterri ... sont tous en train de tomber au sol en grognant, les uns après les autres. Je fronce les sourcils. Les Serpents ne leur ont jamais tiré dessus.
Je plisse les yeux. Du poison... ils ne tiraient pas des balles, mais des capsules de poison. C'est pour ça, le masque qu'ont soudain mis certains Agents, sans doute des Pupilles ! Les autres parachutistes comprirent immédiatement et tous s'empressèrent d'enfiler un masque avant d'atterrir. Des vagues de parachutistes par centaines s'abattent maintenant sur le sol.
Tous les Agents à terre se redressent alors en rangeant leurs armes de tir dans leur fourreau et ils dégainent leurs armes blanches en fondant sur l'ennemi.
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