Chapitre 16 :
La Juge se tourne vers moi et le regard de la Renarde me transperce. Je m'immobilise. J'ai l'impression qu'une aiguille s'enfonce dans mes yeux. L'aura de puissance et de charisme qui irradie de la Juge me donne l'impression de regarder une reine qui peut à tout moment abattre son épée sur moi.
- Montre-nous ton tatouage.
Je me demande si sa façon directe de dire les choses n'est pas pour me déstabiliser. Parce que ça marche très bien. Après tout, c'est une Renarde. Comme l'a dit Liban, elle sait jouer sur les mots pour nous faire dire ce qu'elle veut savoir. Je ne dois pas me précipiter. Je dois prendre le temps de réfléchir. Garder les deux pieds ancrés au sol.
- Je n'en ai pas.
Mentir ne servirait à rien. J'affronte un soudain mur invisible entre moi et la foule. La température de la salle chute brusquement. L'animosité soudaine que je perçois gèle l'air dans mes poumons. Un nœud se serre dans mon estomac. Que se passera-t-il s'ils ne me reconnaissent pas ? Un grondement bas secoue les Àlfars. Clémence semble déstabilisée pendant une fraction de seconde, puis j'aperçois un durcissement dans sa posture.
- C'est... surprenant, lâche-t-elle en plissant les yeux.
Je ricane intérieurement, mais ses yeux en amande fixée comme ceux d'un serpent sur moi me donne tout sauf envie de rire. Elle ne dit rien de plus et je sens alors qu'elle voudrait que je développe, que je m'emmêle dans mes pinceaux et qu'elle sache alors que je ne suis pas qui je prétends être. Alors je ne dis rien et la fixe que dire de plus de toute façon ? Je n'ai aucune idée de qui je suis, en réalité. Je n'ai aucune idée d'où je sors.
Devant mon silence, elle maintient le contact visuel et lentement, je vois ses pupilles se réduire en une fente. J'essuie mes paumes sur mon pantalon. Elle sort le grand jeu et elle veut que je le sache.
La Juge ne dévie pas d'un centimètre de mon regard et sa voix est enrobée d'une douce menace quand elle prononce trop calmement :
- À quelle Lignée prétends-tu ?
- Ce n'est pas la procédure ! S'exclame soudain une Àlfar avec un turban en se levant brusquement.
- Elle ne devrait pas être ici ! Lance une autre voix.
Les voix s'élèvent de partout, maintenant.
- Elle l'a elle-même avouée !
- C'est une espionne !
- Faites-la sortir !
- TAISEZ-VOUS !! Siffle une voix rocailleuse, celle de la Juge Serpent.
Furieuse, ses yeux jettent des étincelles partout et les récalcitrants clouent leurs becs. Petit à petit, le silence revient, et les Àlfars se rassoient. Agacée, j'envisage la possibilité de me dessiner une tête de guépards sur le dos pour les calmer. Keylan émet un rire étouffé derrière moi.
- Tu provoques de fortes réactions !
Analya lui donne un coup de coude, mais elle-même a du mal à retenir un petit sourire. Je leur jette un regard. Merci du soutien...
- Selon nos lois, il est possible qu'un Àlfar ne soit pas tatoué dans des circonstances exceptionnelles, annonce Clémence avec sévérité en balayant la foule du regard. Maintenant, la candidate est en cours d'examination, je vais donc poursuivre SANS INTERRUPTION.
La Juge se tourne vers moi.
- À quelle Lignée prétends-tu ? Répète-t-elle.
Même si elle parait moins forte et autoritaire que la Juge Serpent, c'est de loin la plus dangereuse des deux. Elle est trop intelligente pour être trompée et trop clairvoyante pour ne pas tirer ses propres déductions de mes réponses. Je dois faire très attention à ce que je vais dire. Laisser filtrer le moins possible.
- Le Clan des Guépards.
Les yeux de Clémence s'agrandissent brusquement. Les Àlfars se lèvent d'un coup et des cris choqués et incrédules remplissent la pièce. Je sens la gêne s'imprégner en moi comme de la sève remonterait dans une plante. Quelque chose ne va pas. Je regarde partout, mais je ne vois pas le Clan Guépard s'annoncer pour me tester. Le malaise remonte dans ma gorge comme un liquide chaud et sirupeux. Je ne sais plus où poser mes yeux tellement la foule s'agite et crie. J'entends ma propre respiration rapide comme de l'extérieur.
- C'est une blague ?
- Blasphème !
- Descendez-la !
Le froid sous-terrain me fait soudain frissonner. Je recule, la poitrine, brusquement oppressée par tous les hurlements et les gestes. Certains Àlfars ont l'air si hors d'eux qu'ils dégainent leurs armes, suivis de centaines d'autres. Mes mains se posent automatiquement sur mes dagues et je recule, déconcertée, perdue, vigilante. Quelle est cette colère ? Pourquoi sont-ils si furieux ? Pensent-ils que je ne suis pas Guéparde ? Que je les trompe ?
Ulcérée, la Juge rétablit le silence encore plus vite que la dernière fois, menaçant tous ceux qui « ouvrent leur délicate bouche et produisent le moindre son », de se faire jeter dehors. Elle se tourne alors brusquement vers le Clan des Cerfs.
- Liban, comment oses-tu ?! Siffle-t-elle d'une voix qui m'auraient pétrifiée si elle s'adressait à moi.
Mes yeux passent de Clémence à Liban. Namak qui ne voulait pas dévoiler mon identité à la Mangouste, Dalym qui n'a pas vu de Guépards... mon estomac cristallise lentement. Des petits pics glacés s'enfoncent dans mon ventre. Il y a quelque chose avec les Guépards que je ne comprends pas, mais qui est foncièrement mauvaise. Je devrais partir. Mon instinct me hurle de fuir. Mais je ne peux pas. Liban se lève, pas le moins du monde déstabilisé et incline la tête.
- Analya ?
Un courant d'air passe sur ma peau. Une lame s'appuie sur ma gorge. Je me fige. Ma propre dague.
- Je suis désolée, me chuchote une voix familière.
Si l'odeur m'avait déjà mis sur la piste, mon ouïe me confirme ce que je savais déjà. Analya ? La brûlure de la trahison ouvre une plaie autre que celle de la dague sur ma gorge. Je halète, les sens en ébullition. Comment me sortir de ce piège ? Ils vont me tuer ! Analya va me tuer. La lame froide écorche ma peau, ravive ma colère, l'amplifie, et brusquement, c'est moi qui tiens ma dague contre la gorge d'Analya. Elle s'immobilise, les yeux encore fixés sur là où j'étais l'instant d'avant. Si des murmures ont retenti lorsque Analya a glissé son couteau sous ma gorge, c'est des cris, maintenant.
Je recule avec Analya en otage.
- Ne bouge pas ou tu le regretteras, je crache à Keylan.
Pourtant, il ne fait même pas l'effort de bouger. Pire, il sourit. Stupéfaite, je vois dans son regard un mélange d'inquiétude et de satisfaction. Je fais un effort surhumain pour essayer de comprendre la situation. Les Cerfs se retournent contre les Cerfs ? Ash hoche la tête d'un air d'approuver, mais ne semble pas non plus inquiet pour autant. Ils se sont ligués contre Analya ? Pourquoi ? Et... je me fige. J'aperçois Analya esquisser un sourire dans le reflet de ma lame.
Oh. Oh !
- Vous voyez ? Déclare Liban d'un air satisfait. C'est bien la légendaire vitesse des Guépards !
La gorge sèche, j'écarte brusquement ma dague. Je m'écarte d'Analya, qui se retourne. Je croise son regard et j'y vois ma confirmation. Interdite, aucun mot ne franchit mes lèvres. J'ai tenu ma dague sous le cou d'Analya. Je l'ai prise en otage. J'allais la... elle se jette à mon cou.
- On a réussi !
Je referme mes bras autour d'elle, et le soulagement coule en une seconde dans mes veines. Une simple démonstration. C'était une simple démonstration. Pour laquelle j'ai failli la...
- Putain Analya, tu aurais dû me prévenir !
- Au contraire ! Dit-elle en se reculant avec un grand sourire. Regarde, maintenant ! Personne ne conteste plus ton Clan, tatouage ou pas !
Les Àlfars se sont presque tous relevés avec des exclamations d'une émotion que je ne saurais décrire, une sorte d'admiration et d'émerveillement qui n'a aucun sens à mes yeux. Le brouhaha envahit aussitôt la salle comme des vagues qui s'abattent sur un bateau. Je comprends ce qui se dit globalement grâce au traducteur, mais cela ne fait qu'empirer mon mauvais pressentiment. La rumeur grossit. Partout, les Àlfars hurlent "Ils sont de retour ! Ils sont de retour !".
Je fronce les sourcils, me tourne vers Anlaya et plante mon regard dans le sien.
- Analya. Qui est de retour ? Et pourquoi personne ne me croyait ?
Les yeux d'Ash se rétrécissent, et un éclair passe soudain dans ses pupilles. Son visage se ferme d'un coup et il fusille Keylan et Analya du regard.
Il me prend le poignet et me fait signe de la tête de le suivre.
- Shari, vient. Je dois te dire quelque chose.
Je passe de son regard à celui d'Anlya et celui de Keylan. Ma respiration siffle dans mes poumons. Je me sens pressé de tous les côtés. Observés de partout. Compressé. Je me dégage.
- Qu'est-ce qu'il y a ? (Je recule d'un pas. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, étouffe toutes mes pensées dans ma tête.) Pourquoi vous me regardez tous comme ça ? Quoi ?
Le regard d'Analya vacille et Keylan baisse la tête. Ash essaye à nouveau de m'entraîner, mais je me dégage plus violemment.
- Qu'est-ce qu'il se passe ?!
- Enfin, c'est impossible physiquement ! Rugis le Hamu Lion. Les Guépards ont été tués lors de la guerre du Congo ! Leur Lignée est éteinte, ÉTEINTE !
Un frisson me prend soudain. Je me tourne vers la foule.
Les lumières s'éteignent autour de moi.
Q... quoi ?
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Éteinte....
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