Chapitre 13 :
- Àlfars ! Que ce nouveau Printemps commence ! Tonne une voix sortie de nulle part.
- Ça va être à votre tour d'entrer sur scène, me chuchote Keylan avec un regard appuyé en m'entraînant à l'écart. Où est Ash ?
Je ricane. Analya nous rejoint, suivit d'un Ash aux yeux étincelants et aux cheveux désordonnés. Eh bien, dès qu'il retourne à la civilisation, il ne perd pas de temps. J'essaye d'apercevoir le Cygne en jetant un coup d'œil par-dessus mon épaule, mais les Àlfars sont bien trop nombreux. Je leur tourne le dos et m'avance d'un pas décidé derrière Keylan, qui s'éloigne de la foule pour emprunter un chemin que je n'avais pas remarqué. J'essaye d'apercevoir le Cygne en jetant un coup d'œil par-dessus mon épaule, mais les Àlfars sont bien trop nombreux. Une veine noire pulse dans mon cœur, rempli d'une bile pleine de poison.
Je ferme les yeux et me concentre sur ce qui va se passer. On trace au milieu des bois en silence jusqu'à arriver devant une majestueuse statue en onyx qui frôle en hauteur la cime des arbres, détonnant parmi tous les arbres autour. Posée sur un socle, elle représente un Elfe à moitié nu qui bande la corde de son arc, souplement accroupit sur une branche.
Je me rapproche lentement. Des mots en Lilith sont gravés sur le socle, mais le traducteur dans mes oreilles ne peut pas encore me traduire des mots écrire. Je touche la pierre froide du bout des doigts, si noire qu'elle semble absorber toute l'obscurité des bois. Malgré la posture puissante et majestueuse de l'archer, elle m'inspire la mort et le chagrin, comme s'il était entouré d'ennemis.
- « Cherba de gerba , han ha deana sinister ». « Pour vivre, il faut savoir survivre ». C'est la devise de notre peuple. C'est un monument aux morts... il célèbre tous les Elfes massacrés par les hommes. Prosternez-vous.
Keylan et Analya baissent la tête et embrassent deux de leur doigt puis les posent sur la poitrine. Je m'exécute en imitant le plus précisément possible leur geste. Analya met alors un genou à terre et dégaine un couteau de sa botte. Elle plante la pointe dans sa paume sans ciller et toujours tête baissée, elle semble réciter une phrase entendue maintes fois :
- Et pour survivre, il faut savoir tuer.
Des gouttes de sang tombent sur le socle de la statue. Keylan se met à son tour à genoux en silence et nous nous exécutons également.
- Qu'Ils puissent nous bénir et nous accompagner dans notre Mission, il murmure sans lever les yeux.
- Qu'Ils puissent nous bénir et nous accompagner dans notre Mission, nous répétons.
Un "swoosh" et un coup de vent fait s'envoler mes cheveux. Toutes les torches s'éteignent d'un coup. Je jette un regard autour, mais malgré le fait que nous sommes en pleine journée, l'obscurité de la statue semble assombrir les alentours. Je crois devenir folle quand j'entends des murmures mystiques dans le vent.
Une entrée souterraine apparaît soudain devant nous, comme si elle était là depuis tout ce temps, mais qu'on ne pouvait pas la voir.
Nous nous redressons et pénétrons dans l'escalier en colimaçon.
- C'est qui « Ils » ? Chuchote Ash, les yeux mi-clos fixés sur eux.
- Nos ancêtres Elfes. Ils veillent sur nous et nous aident à protéger nos Clans.
Je descends pensivement les marches, si vieilles qu'un creux a été creusées par les milliers de pas qui se sont posés sur la roche au centre des marches. C'est pour cela que je n'ai vu aucun signe religieux. Ils sont athées. Ou plutôt, croyant, mais non pas en une religion... mais en la présence de leurs ancêtres pour les protéger.
Trente minutes plus tard, nous débouchons sur un large balcon surplombant une gigantesque salle souterraine remplie de gradins. Je m'avance prudemment sur le balcon et renifle l'air. Six fauteuils rouges matelassés qui semblent dégager la chaleur de deux bras humains trônent sur le balcon. Il y règne une odeur de passage des siècles et des générations. Le silence qui règne est si inhumain, si pur qu'il me parait presque vénéré. Le poids des âges semble peser sur ma tête alors que je m'approche de la barrière constituée de branches épaisses sur lesquels courent des lianes.
Un rayon lumineux précède l'apparition des premiers Àlfars à pénétrer dans la salle. Remplie de milliers de fauteuils, elle est divisée en deux pans de gradins qui se font face, séparée par une scène en bois.
Nous nous asseyons sur les fauteuils pendant que les Àlfars entrent et s'installent en bas dans un murmure respectueux des lieux. Des sourcils blancs et des canines aiguisées côtoient des peaux écailleuses, des yeux argentés ou encore des cheveux noir striés de blancs.
Tous, sont Àlfars. Tous, se cachent des hommes depuis leur naissance. Tous, sont traqués par les services secrets. Aucun n'a relâché sa garde depuis leur arrivé. Un réflexe de survie, acquis par des années d'attaques, de menace, de danger.
Est-ce que j'ai vraiment envie de faire partie de ce peuple ? De vivre cette vie ? Mes mains se serrent sur la barre. Est-ce que j'ai vraiment le choix ? Liban ne me laissera jamais repartir avec autant d'informations sur eux, ni aucun des Hamus d'ailleurs. Le risque que les services secrets me retracent et m'extorquent des informations est trop grand. Dalym me l'avait bien prévenu : s'exiler des Àlfars dans l'espoir de vivre une vie normale et sécuritaire est une illusion qui peut très vite se transformer en cauchemar. La règle des deux ans, voilà pourquoi presque personne ne prends ce risque.
À partir du moment où nous sommes entrés en contact avec eux, on ne pouvait plus s'échapper sans dommages. Pourtant, plus que jamais dans cet amphithéâtre à ciel couvert, j'ai envie de fuir. Fuir ces visages marqués de cicatrices, fuir ces yeux qui ont vu trop de choses, fuir ces visages dont presque aucun n'ont des rides.
Je pense à Kaïcha et Laaja et à cette culpabilité qui me ronge de les avoir mêlées à tout cela. Je dois les éloigner le plus vite possible de nous. Je ne veux pas les mêler plus. Elles ne doivent rien savoir pour être en sécurité. Et elles le seront, je le jure. Je veux les voir intégrer les hommes. Vivre leur vie, s'adapter dans ce monde. Ne plus jamais être mêlé aux Àlfars.
Mon regard balaye ce peuple qui s'étend sous mes pieds. Ce peuple caché. Ce peuple maudit. De mort et de sang. Tout ça parce que l'homme n'aime pas la différence. Mes mains se resserrent sur la barre. Des bébés tués, des enfants torturés, des femmes enceintes brûlés, des parents décapités. Parce que l'homme n'aime pas la différence. Parce que l'homme à peur. Cette peur qui finira par le tuer. Qui tuent des milliers d'Àlfars tous les ans.
Mon peuple, que je le veuille ou non.
Tous sont si différents, pourtant, ils sont unis par un seul nœud, un seul lien, plus puissant que tous les autres, une essence, un mot : la protection. Le danger constant qui les menace les unit plus que par le sang. Ils sont unis par la perte, le deuil, la peur. Cela les a soudés plus que de l'acier fondu. Et même s'ils sont là ensemble, leurs regards ne sont pas détendus comme des personnes à une fête, ils portent un fond de vivacité et de méfiance qui ne disparaît jamais, caché derrière la joie des retrouvailles.
Ils sont là parce qu'ils sont en vie. Et qu'ils savent que peut-être, ils ne le seront plus au prochain Printemps. Soudain, le plafond de la cave cède. Je bondis en arrière, mais je me rends compte soudain qu'il ne s'effondre pas, il coulisse pour s'ouvrir sur l'extérieur. Un rai de soleil enrobe la scène d'une lueur chatoyante et éclaire les lieux. Les parois sont couvertes de racines, de lierres et de plantes pendantes. J'entrevois quelques fleurs apparaitre même par ci par-là.
Le silence se fait petit à petit parmi les Àlfars. L'éclat des lames brille sous la lueur ténue du soleil. Les quitter serait comme se baigner dans une mare remplie de piranha : un arrêt de mort, bien que je mettrai ma main à couper que sous les gradins est dissimulé des explosifs, des armes à feu et des fumigènes.
Une femme svelte aux cheveux, pupilles et sourcils blancs à gauche d'un côté et noir de l'autre monte sur scène, une pince à l'éclat un peu trop familier pour que ce ne soit qu'un simple bijou retient son chignon. Elle s'avance sur les planches vêtues d'une longue robe rouge fendue sur le côté révélant un fourreau avec des coutelas glissés à l'intérieur et une ceinture qui semble être faite d'un étrange alliage de tissu et de métaux. Une Antilope, vu son visage bicolore. Elle doit avoir un micro, car je l'entends clairement malgré notre hauteur :
- Àlfars ! Levez-vous !
Des cris et des sifflets enflent dans l'air alors que tous les Àlfars se lèvent de leur siège et l'acclament. Cela semble être une habituée de cette scène. Elle sourit et fait le tour de l'amphithéâtre des yeux.
- C'est Angela Blackwell, Hamu de la Lignée Antilope, souffle Keylan.
Le Clan des Antilopes sont les Àlfars des chiffres, ils s'occupent de la sécurité informatique des Pavillons et ce sont eux qui ont créé un système sécurisé propre aux Àlfars pour communiquer sans être tracé ou écouté. Ils sont si doués avec les chiffres qu'ils peuvent calculer en un dixième de seconde les probabilités d'évolution de chaque situation avant qu'elle ne se produise, ce qui en font des stratèges hors pair. C'est notamment grâce à leurs hackers que les hautes sphères du pouvoir Àlfiques récoltent des informations sur les services secrets et peuvent anticiper et bloquer leurs mouvements.
J'essaye d'apercevoir des Àlfars aux airs de famille et aux yeux dorés, mais ils sont trop loin pour que je voie véritablement quelque chose. Comme j'aurais aimé avoir la vue des Lynx à ce moment ! Ash s'approche lui aussi de la barrière, la tête baissée, les sourcils froncés, les cheveux tombés sur le front, le regard concentré. Il cherche lui aussi sa famille.
La Hamu Antilope lève un bras et s'exclame :
- Àlfars de tous les clans, finit la Hamu Antilope, descendants des Elfes, frères et sœurs, que le Cent-Trente-Troisième Printemps commence !
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