6.


À deux doigts de frapper à la porte de son père, Kali se ravisa. Et si elle se rendait ridicule ? Si son père jugeait que la pierre n'était pas si intéressante que ça ?

— Vas-tu te décider à entrer ? Tu perturbes notre leçon...

Kali sursauta au son de la voix de son père. Poussant la porte, elle découvrit Moira, vêtue de la robe violette des apprentis. Rien ne transparut sur son visage, mais Kali sentit la jalousie lui tordre les intestins.

— Une urgence ? s'enquit Asmoth sans même tourner la tête.

La fille du dirigeant remarqua que plusieurs cristaux étaient disposés devant Moira. Elle devait être en train d'apprendre à les distinguer ou peut-être sa magie était-elle déjà si puissante qu'elle apprenait à exploiter leurs pouvoirs. Hors de question de partager sa découverte avec celle qui lui avait volé son destin. Alors Kali mentit.

— Non, Père. Tout va bien. Je voulais simplement vous souhaiter une bonne soirée. Je pensais que votre leçon serait terminée. Veuillez m'excuser.

Asmoth se tourna vers sa fille, l'air suspicieux. Elle imagina alors un épais mur de pierre autour d'elle, haut comme trois hommes. La respiration calme, elle soutint le regard de son père. Moira se permit de la dévisager, ce que Kali n'apprécia pas le moins du monde.

— Si c'est tout, alors laisse-nous, dit enfin Asmoth. Nous avons encore des choses importantes à voir.

D'un geste de la main, il ouvrit la porte derrière Kali, lui intimant de se retirer.

Que faire maintenant ? Vers qui se tourner ? Fallait-il laisser tomber cette histoire de pierre ? Kali remarqua qu'elle n'avait pas entendu les pensées de son père, ni celles de Moira. Il fallait retrouver la mineuse.


Eeva frappa à la porte de Gawain. En dépit de l'heure tardive, le vieil homme répondit promptement. Il la fit entrer, regarda tout autour et referma la porte derrière eux. Eeva n'avait jamais vu l'intérieur de sa maison, il l'avait toujours reçue sur le pas de sa porte. S'attendant à trouver un bric-à-brac d'objets divers, Eeva fut surprise. La pièce était minimaliste : un lit, une petite table et un tabouret. Le vieil homme s'assit et l'observa, prêt à l'écouter. Eeva le vit plisser les yeux et tendre l'oreille, mais elle n'entendit rien.

Alors qu'elle s'apprêtait à lui parler de l'opale, l'Ancien leva la main et se tourna vers l'entrée.

— Tu peux entrer, tu sais, dit-il. Ce n'est pas bien d'écouter aux portes.

— Tu as l'ouïe fine, vieillard, dit Kali en s'avançant.

— Je suis ravi de faire enfin officiellement ta connaissance, dit-il. Tu pardonneras ma familiarité. Le privilège de l'âge...

— Qu'est-ce que vous faites ici ? demanda Eeva en fronçant les sourcils.

— Je pourrais te retourner la question. Je t'avais dit de tenir ta langue. Je crois que je vais devoir te la couper...

Gawain tendit la main, comme s'il savait déjà ce que Kali allait y déposer.

— Ah oui, bien sûr, dit-il.

— Vous savez ce que c'est ? demanda Eeva.

Gawain leva à peine un œil vers elle.

— Évidemment, dit-il.

Il prit la pierre dans ses mains, mais rien ne se passa. Après l'avoir étudiée sous toutes les coutures, il la rendit à Kali.

— Asseyez-vous, dit-il.

Un banc était apparu derrière elles. Ou peut-être était-il déjà là et elles n'y avaient pas fait attention.

— Ce que je vais vous dire maintenant, personne ne l'a entendu depuis longtemps.

Kali croisa les bras sur sa poitrine. Plissant les yeux, l'Ancien l'observa un instant et reprit :

— Bien avant que nous nous retrouvions coincés ici, Zamani, un grand mage fit une Prophétie. Deux... deux personnes nées le même jour auraient le pouvoir de ramener la paix sur Terre et de nous libérer du joug des démons. Il est dit qu'une pierre d'étoile leur montrerait le chemin.

— Et ? demanda Kali.

— C'est tout, répondit Gawain avec un air malicieux. Vous êtes nées le même jour, vous avez trouvé la pierre. Cela marque le début de la réalisation de la Prophétie. Pour le reste, c'est votre problème. Tenez, prenez ceci.

Il leur tendit une vieille boîte en métal, que Kali se dépêcha d'attraper.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda Eeva.

Gawain lui fit un clin d'œil mais ne répondit pas.

— Mon père est-il au courant de cette « prophétie » ?

— Je n'en ai aucune idée, dit-il en se levant. Lui et moi n'avons pas grand-chose à nous dire. Il est tard, vous devriez rentrer.

L'Ancien ouvrit la porte pour clore la discussion. La nuit était tombée.


— Pfff, quel temps perdu ! dit Kali. Ce vieil illuminé ne nous a strictement rien appris sur la pierre.

— Ne parlez pas de lui comme ça ! rétorqua Eeva.

Kali la fusilla du regard. Avant qu'elle n'ouvre la bouche, Eeva poursuivit :

— Et la Prophétie, alors ? Et la boite ?

— Un ramassis de...il n'y a probablement rien d'intéressant dans cette vieillerie !

Toute cette histoire c'est n'importe quoi, pensa Kali.

— On a peut-être enfin une chance de sortir d'ici ! Tu ne préfèrerais pas que ce soit toi, qui mènes notre peuple vers la liberté, plutôt que Moira ?

— Tu sembles oublier à qui tu t'adresses. Tu n'es qu'une petite voleuse, une moins que rien, gronda Kali.

La mineuse avait cependant touché une corde sensible : Kali estimait que Moira ne méritait pas d'être celle qui les libérerait de leur prison souterraine.

— J'interromps quelque chose ? demanda une voix derrière Eeva.

Azi, qui revenait d'une ronde, était sur le dos de son valraven. Son corps râblé au pelage noir était monté sur des pattes d'oiseau aux serres acérées. Doté d'un bec puissant et d'ailes ébène aux légers reflets violine, ses yeux d'ambre brillaient dans l'obscurité.

— Cette jeune fille s'est...égarée, répondit Kali après un temps. J'étais sur le point de la raccompagner.

L'animal était à présent face à Eeva. Azi maintenait la bête d'une main ferme et experte. La jeune fille n'osa pas lever les yeux vers lui. Il tendit la main à Kali, qui monta derrière lui.

— Allez, avance vermine. Tu connais le chemin, dit-elle. Et si tu parles de quoi que soit à qui que ce soit, tu auras affaire à moi.

Bien, Votre Altesse, répondit silencieusement Eeva.


Une fois dans sa chambre, Kali se décida à ouvrir le coffret en métal, cabossé par le temps. Elle fronça les sourcils en découvrant un vieux carnet à la couverture en cuir marron, gravé d'une étoile. Le papier était velouté sous ses doigts : toutes les pages étaient vierges. Elle referma le carnet et le posa sur le lit à côté de la pierre. Elle vit alors que la forme d'étoile sur la couverture semblait correspondre à celle de l'opale. Cela ne pouvait pas être une coïncidence.

Elle fit glisser la pierre sur le carnet. A l'instant même où l'alignement fut parfait, l'opale scintilla et les pages se mirent à dégager une lumière aveuglante. Les mains devant les yeux, Kali grimaça. La lumière s'éteignit tout aussi brusquement qu'elle était apparue.

Ouvrant un œil puis l'autre, Kali vit que le carnet s'était ouvert. Quelle ne fut pas sa surprise d'y découvrir des textes et des illustrations. Plus une seule page n'était vide, certaines écrites dans des langues inconnues. Cercles, étoiles à cinq branches, lunes et soleils côtoyaient créatures occultes et démons. Certaines pages étaient ornées de fleurs et de plantes diverses. Kali tourna frénétiquement les pages. Tant de choses à découvrir, à apprendre.

Elle s'étonna que l'une d'entre elles fût arrachée. L'intitulé du rituel, les sept sceaux, était accompagné de symboles inscrits dans des cercles. Pourquoi avoir fait disparaitre les instructions quant à la mise en œuvre de ce sortilège ? Tout cela était bien mystérieux.

Arrivée à la dernière page, elle découvrit une liste de noms. Qui avaient été ces personnes ?

Chang Liang

Haru Akira

Adélaïde de la Barthe

Amelia Samson

Mohinder Kumar

Hiawatha

Et à la dernière ligne, un nomqu'elle reconnut enfin : Badru Zamani.


***

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