Malgré un mal de tête carabiné, Eeva esquissa un sourire. Gawain l'attendait assis sur le pas de sa porte. Elle passait souvent lui dire bonjour sur le chemin de la mine.

— Joyeux anniversaire Eeva ! Cela doit être un signe, j'ai rêvé de toi la nuit dernière, lui dit l'Ancien d'un air sérieux.

Intriguée, Eeva leva un sourcil et l'Ancien poursuivit.

— Écoute bien : à travers un miroir, tu te dirigeais vers un brasier incandescent. Une étoile tombait du ciel et tu la ramassais.

Eeva attendit la suite, mais le vieil homme s'était tu.

— C'est tout ? demanda-t-elle déçue.

Il hésita et répondit que oui.

— Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? demanda-t-elle.

Il haussa les épaules en riant. C'était le propre de Gawain, toujours à parler en devinettes. Eeva ne traîna pas plus, elle n'était déjà pas en avance.

Le puits central descendait sur plusieurs centaines de mètres dans la roche, desservant plusieurs galeries horizontales, dans lesquelles s'affairaient les mineurs. Au fil des ans, les nouvelles galeries s'étalaient de plus en plus profondément dans les entrailles de la Terre. Et plus on s'enfonçait, plus la température augmentait. Les conditions de travail devenaient alors de plus en plus difficiles.

Lorsqu'Eeva arriva dans sa galerie, il n'y avait encore personne, à croire que la soirée avait été bien trop arrosée pour beaucoup de monde. Elle commença à gratter la terre à la main pour dégager quelques améthystes qui affleuraient. Une fois les pierres libérées, elle continua à la pioche, au marteau et au burin à la recherche de nouvelles poches.

Asmoth pensait qu'en exploitant les propriétés de suffisamment de cristaux, il serait capable de booster ses pouvoirs. Alors la plupart des habitants travaillaient à la mine pour déterrer le plus de gemmes possibles.

Bien que son travail soit éreintant, Eeva trouvait de la satisfaction dans le fait de découvrir un joli cristal. À chaque fois, elle avait l'impression que Mère Nature lui offrait un cadeau.

La journée défila dans une chaleur écrasante. Régulièrement les hommes de la garde d'Asmoth passaient surveiller les galeries. À la fin de la journée, les mineurs devaient déposer dans un grand coffre les gemmes trouvées. Elles étaient ensuite taillées et stockées, en attendant de pouvoir être utilisées.

La cloche sonna, signant la fin d'une nouvelle journée de labeur. Eeva s'apprêtait à ranger son matériel lorsqu'elle vit un scintillement dans la roche. Elle s'approcha pour dégager le cristal. Pioche en main, elle déblaya délicatement la terre qui retenait la gemme.

Ce n'était pas une améthyste. C'était une pierre inconnue, iridescente, multicolore. L'opale n'était pas brute, mais taillée en forme d'étoile. Elle brillait de mille feux, même dans la pénombre environnante.

Eeva regarda autour d'elle, tout le monde était déjà parti. Elle pensa à son anniversaire et glissa la pierre dans sa poche. En remontant le puits principal, Eeva commença à peser le pour et le contre. Elle n'avait jamais rien volé de sa vie. Ce n'est pas vraiment du vol. Toutes ces pierres déjà amassées, qui ne servent à rien. Une de plus ou une de moins, cela ne nous fera pas sortir d'Uruk demain...

Une fois sortie du puits, Eeva déposa les améthystes qu'elle avait ramassées dans la journée puis continua son chemin comme si de rien n'était. Les gardes n'y avaient vu que du feu.

Hâtant le pas, elle était presque sortie du dédale de souterrains rejoignant la Grand Place lorsque Kali se dressa devant elle. Aucune issue n'était possible.

— Comment t'appelles-tu ?

— Eeva, répondit-elle avec un sourire narquois. Que puis-je pour Votre Altesse ?

Kali se renfrogna. Personne n'aurait osé lui répondre sur ce ton avant qu'elle ne rate son Épreuve.

— Tu te crois maligne, hein. Tu penses que je n'ai rien remarqué ?

Eeva ne répondit rien. Elle réfléchissait à toute allure. Comment allait-elle se sortir de cette situation ? Son anniversaire ne serait pas une excuse suffisante pour échapper à une condamnation, et le vol était sévèrement puni. Elle pouvait probablement dire adieu à l'une de ses mains.

Comme la mineuse ne répondait pas, Kali se pencha pour lui prendre le bras et voir ce qu'elle manigançait. Au moment même où elle la toucha, une déflagration projeta les deux jeunes filles dans des directions opposées. La pierre tomba au sol entre elles.

Le souffle coupé, elles restèrent allongées quelques instants, sonnées. Puis l'opale se mit à briller comme un soleil. Des filaments de lumière jaillirent de la pierre, qui se mit en lévitation. L'un d'entre eux s'était étiré jusqu'à Kali. Comme hypnotisée, elle avança sa main vers la source lumineuse. Au même moment, Eeva fit le même geste. La lumière de la pierre les connecta et elles sentirent comme une décharge parcourir leur corps. La pierre s'éteignit et retomba aussitôt à terre.

— Que s'est-il passé ? demanda Kali.

— Je... je ne sais pas, répondit Eeva en se penchant pour ramasser la pierre.

Elle était tiède au toucher.

— J'ai eu un flash lorsque j'ai touché la lumière, dit Kali.

— Une sorte de vision ? demanda Eeva.

— Je me regardais dans un miroir et à la place de mon reflet, c'est toi que je voyais.

Encore cette histoire de miroir, pensa Eeva. La partie sur l'étoile qui tombait du ciel avait pris sens : il s'agissait de l'opale. Cependant, le miroir restait un mystère. Il était très étrange que la vision de Kali fût aussi proche du rêve de l'Ancien. Eeva partagea cette similitude avec la fille d'Asmoth.

— Je n'ai que faire des sornettes de ce vieillard. Donne-moi la pierre !

Eeva mit sa main derrière son dos.

— Pas question, répondit-elle.

Kali voulut lui arracher des mains, mais elles furent de nouveau projetées au sol. Elles se relevèrent aussitôt. C'était à n'y rien comprendre. Eeva se frotta l'arrière du crâne, là où sa tête avait touché le sol. Kali dégaina son épée.

— Comment fais-tu cela ? Tu n'as pourtant pas été détectée lors de l'Épreuve...

Eeva ne savait pas comment lui prouver qu'elle n'y était pour rien dans cette situation étrange. Kali s'était avancée vers elle et avait pointé son épée sous son menton. Je ne comprends pas, pensa Eeva, c'est cette pierre qui doit avoir des pouvoirs...

— Tais-toi et avance ! dit Kali d'un ton menaçant. Je t'emmène voir mon père.

— Mais je n'ai même pas ouvert la bouche ! Et je n'irai nulle part, je n'ai rien fait.

Kali dévisagea Eeva et se demanda ce qu'elle allait faire d'elle.

— Comment ça, ce que vous allez faire de moi ? Je vous dis que je n'ai rien fait !

Kali ouvrit alors de grands yeux.

— Tu peux entendre mes pensées ? demanda Kali dans sa tête.

Ce fut Eeva qui écarquilla à son tour les yeux.

— Sans rire ? Vous entendez aussi ce que je pense ?

— Il semble que ce soit le cas, répondit Kali en fronçant les sourcils.

— C'est forcément lié à la pierre, ça ne m'était jamais arrivé avant. Et vous ?

Kali fit signe que non. Alors qu'Eeva semblait trouver cela fabuleux de pouvoir lire dans les pensées de quelqu'un, cela mettait Kali mal à l'aise.

— Vous pensez que ça marche avec d'autres personnes ? demanda Eeva. Qu'on pourra entendre les pensées de tout le monde ?

— J'espère bien que non, répondit Kali sèchement.

Elle réfléchit un instant. Cette pierre était importante sans aucun doute, peut-être même la clé de tous leurs problèmes. L'apporter à son père serait un bon moyen de revenir dans ses bonnes grâces.

— Donne-moi la pierre ou je te coupe la main sur le champ, voleuse. Je doute que mon père te fasse une offre aussi généreuse. Tu pourrais bien perdre ta tête, si tu prends la mauvaise décision. Donne-la-moi et on oublie cet incident. Tu rentres tranquillement chez toi, tu n'en parles à personne, et on en reste là.

Ne voyant pas comment refuser, Eeva obtempéra. De retour chez elle, la jeune fille se demanda ce qui allait advenir de la pierre. Avait-elle trouvé la gemme qui allait leur permettre de quitter Uruk ? Kali allait-elle mentionner son nom ou bien dirait-elle à son père que la découverte était sienne ? Gawain a peut-être des informations sur les pierres de pouvoir, pensa Eeva. Elle claqua la porte derrière elle, et se rendit chez l'Ancien. 

***

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