4.
Alors que la fête battait son plein sur la Grand-Place, Moira arriva devant le temple, prête à découvrir sa nouvelle vie. Elle n'avait jamais imaginé une seule seconde devenir apprentie, et elle ne savait pas du tout à quoi s'attendre. Un grand secret entourait la formation des magiciens et un plus grand secret encore entourait leur mort. Personne ne savait exactement ce qui était arrivé aux précédents apprentis.
Moira ravala une larme. Qu'adviendrait-il de son fiancé ? Il finirait probablement sa vie, enchaîné dans un cachot. Ou pire. Peut-être aurait-elle le droit de le revoir, ne serait-ce qu'une seule fois ?
Comme tous les édifices d'Uruk, le temple des deux lunes avait été creusé à même la roche. Quatre colossales colonnes soutenaient le fronton, décoré d'une pleine lune encadrée de deux croissants. Moira ne savait plus où poser son regard, tant il était attiré dans toutes les directions par la splendeur des lieux.
Une fois passée la lourde porte en bois, haute de sept mètres, la jeune apprentie découvrit l'intérieur du temple, éclairé par un puits de lumière. À cette heure tardive, les rayons de lune caressaient les statues des dieux anciens. Moira se demanda si les hommes qui avaient sculpté ces statues ressemblaient à leurs dieux.
La première avait le nez droit, la barbe bouclée, et la bouche ourlée. Une couronne ornait sa tête. L'homme était grand, les épaules larges, vêtu d'une longue tunique. Juste à côté, un autre homme, beaucoup plus petit, avait une lance à la main et une cotte de maille sur le dos. Les sourcils proéminents, il avait une longue moustache en fer à cheval et une sorte de chapeau pointu sur la tête.
Au bout de la rangée, Moira observa une statue de femme aux lèvres pleines, le visage ovale, une couronne de pièces était posée sur ses cheveux longs et ondulés. Les hanches larges et la poitrine généreuse, elle était vêtue d'une simple toge. La différence de tenue entre les hommes et la femme la fit sourire.
Asmoth avait fait aménager deux étages à l'intérieur du temple. Pour y accéder, il fallait traverser une grande pièce dortoir qui accueillait les gardes. Au premier étage vivaient les officiers. Un long couloir distribuait les chambres de chacun et menait au dernier étage.
Depuis qu'ils avaient quitté la Grand-Place, personne n'avait accordé le moindre regard, ni même le moindre mot à Moira. Arrivés au dernier étage, Élanor entra dans sa suite, Azi suivit Kali dans la sienne, et l'apprentie se retrouva seule avec Asmoth devant une porte ovale.
Celle-ci s'ouvrit toute seule devant lui et Moira se demanda si elle devait lui emboîter le pas. Elle décida que oui, lorsque la porte se referma brusquement devant elle. Elle l'entendit lui dire :
— Ta chambre, c'est la porte d'à côté. À demain.
Avant même qu'elle n'ait pu se demander de quoi il parlait, une ouverture apparut dans le mur, sur sa droite. Elle entra et découvrit une pièce éclairée de plusieurs bougies, posées sur une table en bois. Un lit et une armoire. Rien de superflu.
Moira s'assit devant la table pour attraper l'un de livres qui y trônaient. Elle le feuilleta rapidement puis le lança à travers la pièce et se jeta sur le lit. Un torrent de larmes incontrôlables se déversa sur son oreiller.
***
Dans sa chambre, Élanor faisait les cent pas. La soirée ne s'était pas du tout passée comme prévu. Sa fille aurait dû faire partie des apprentis. C'était écrit. On le lui avait promis, il y a longtemps. Visiblement, on s'était trompé. Tout ça pour ça, pensa-t-elle. Elle apposa deux doigts sur sa tempe droite et prit une grande inspiration.*
***
De la fenêtre de sa chambre, Kali avait vue sur la Grand-Place au loin. Les échos des rires et la musique lui arrivaient comme un bourdonnement sourd. Elle poussa un long soupir. Son père devait avoir honte d'elle. Pouvait-il continuer à aimer une incapable ? Allait-il reporter son affection sur la nouvelle apprentie ?
Elle n'avait pas imaginé une seule seconde ne pas relever le défi de l'Épreuve. Son père était le leader. Le grand magicien de la cité d'Uruk. Celui qui devait mener leur peuple vers la liberté. Et elle, sa fille, devait être à ses côtés. Au lieu de ça, elle l'avait ridiculisé. Elle s'était ridiculisée.
Azi lui donna un coup de coude.
— À quoi tu penses ?
— Tu sais très bien à quoi je pense...répondit-elle en se laissant tomber sur le divan.
— Écoute, ce n'est pas si grave que ça...
— Facile à dire quand on a réussi sa propre Épreuve !
Azi s'assit à côté d'elle.
— Si tu crois que...
— Quand je pense que cette...gueuse a réussi, coupa Kali. Et pas moi ! Je ne comprends pas...Peut-être que la potion n'était pas bonne ou que...
— Vous avez tous bu dans la même coupe, dit Azi. Ne cherche pas d'explication, c'est comme ça, c'est tout. Crois-moi, ce n'est pas plus mal que tu n'aies pas été détectée.
Elle le fusilla du regard.
— Tu devrais partir, j'ai besoin d'être seule, dit-elle en se mordillant l'intérieur des joues, les bras croisés sur la poitrine.
— Allez, arrête de te mettre dans tous tes états. Je vais te changer les idées.
— Laisse-moi. Tu n'as qu'à aller changer les idées de Moira.
— De qui ?
— Moira, la nouvelle apprentie. Je suis étonnée, que tu n'aies pas retenu son nom. Elle est pourtant plutôt jolie. Je suis sûre qu'un peu de réconfort ne lui ferait pas de mal après avoir dû quitter sa famille et vu son fiancé être emmené aux cachots.
— Tu as raison, je vais de ce pas voir comment elle se porte.
— Entre magiciens, vous serez bien, railla Kali.
Azi leva les yeux au ciel. Il effectua une révérence grotesque et partit en évitant de justesse le coussin lancé dans sa direction.
Allongé sur son lit, Asmoth se sentait vide. Il n'avait pas eu le courage de s'occuper de la nouvelle apprentie. Sa propre fille n'avait pas réussi l'Épreuve. En regardant le plafond de sa chambre, il imagina un ciel empli d'étoiles. Mars, Saturne et Vénus étaient visibles. La lune éclairait de ses doux rayons une plage déserte. Dans ses oreilles, le roulement des vagues qui viennent mourir sur le sable. L'odeur iodée des embruns. Le goût du sel sur ses lèvres. La chaleur diffuse du sable sous ses doigts. Il soupira et se releva.
Sur le chemin des oubliettes, Asmoth se demanda ce qu'il allait bien pouvoir faire du jeune homme qui avait attenté à sa vie. Lorsqu'il arriva devant sa cellule, celui-ci était assis sur le sol, le visage tuméfié. Il ouvrit un œil, l'autre étant trop abîmé.
— Vous êtes venu terminer le travail ?
Le jeune homme se redressa difficilement et lui cracha au visage à travers les barreaux. Asmoth ne réagit pas immédiatement. D'une lenteur extrême, il essuya son visage puis lécha ses doigts. Il baissa les yeux et vit que sa chemise était sale. Il fronça les sourcils, agacé.
D'un mouvement rapide du bras, la gorge du jeune homme se retrouva entre ses doigts, son visage aplati contre les barreaux. Une seule pression et son souffle s'échapperait pour toujours. Une seule pression et la vie s'éteindrait dans ses yeux.
Mais cela aurait été trop rapide. Asmoth ne voulait pas gâcher son plaisir. Il relâcha son étreinte et lut du soulagement sur le visage de sa future victime.
— Que vais-je bien pouvoir faire de toi ?
***
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