La fête reprit et l'incident était sur toutes les lèvres. Chacun y allait de son avis, même si la plupart des gens pensaient que le jeune homme avait été bien sot.

— Quelle idée de s'en prendre à Asmoth ! disait untel.

— Lui qui fait tout ce qui est en son pouvoir pour nous aider, disait un autre.

— Il mérite bien de finir dans les cachots celui-là...

Eeva ne souhaitait pas prendre part à la conversation. Elle-même ne savait pas comment elle aurait réagi à la place du jeune homme ou bien à la place de Moira. Elle trouva bien triste en tous cas, que la cérémonie se terminât de cette façon.

Arrivée devant le buffet, elle se servit un gâteau de lune. C'était son dessert favori. Un croissant de pâte feuilletée, fourré d'une crème dorée, onctueuse et sucrée à souhait. Les yeux fermés, elle savoura une bouchée.

En temps normal, il n'y avait pas grand-chose à manger. Les premières années, les habitants d'Uruk n'avaient pas pu s'empêcher de consommer toutes leurs provisions, pensant que la situation ne durerait pas, qu'ils trouveraient un moyen de retrouver leurs terres. Des dizaines d'années plus tard, ils étaient toujours là, à survivre comme ils pouvaient.

Mais, lors de la Débauche, Asmoth utilisait un peu de sa magie pour changer l'eau en vin et leur offrir des mets délicieux : des piles de tourtes salées à la pâte bien cuite, des petits pains farcis, des pyramides de macarons multicolores et plein d'autres douceurs encore. C'était sa façon de les remercier pour leur confiance et leur dur travail pour faire vivre la communauté.

Eeva sentit une main lui taper sur l'épaule. Un jeune homme bien bâti lui souriait : yeux vert pâle, fossette au menton et une forêt de boucles blondes.

— Salut beauté ! dit Jonah.

La bouche encore pleine, Eeva lui fit un signe du menton.

— Allez viens, arrête de t'empiffrer, on va danser.

Il la prit par la main et ils rejoignirent la foule. Quatre musiciens jouaient un air entraînant. Du coin de l'œil, Eeva et Jonah détaillaient les tenues et comportements de chacun.

— Non mais regarde Lisbeth. J'hallucine.

— Moi, il me plait bien son décolleté plongeant, répondit Jonah, taquin.

— Évidemment ! Tous les mecs, vous êtes là à baver comme des larves.

— Hé, je ne dis rien moi quand tu restes bloquée à chaque fois que Azi passe devant toi...

— Tu dis n'importe quoi ! Je...

Le reste de sa phrase se perdit au son des rondes qui s'enchainaient. Tous oubliaient le temps d'une soirée, la dureté de leur existence.

Au petit matin, Jonah raccompagna Eeva chez elle. Une fois devant sa porte, il déposa un rapide baiser sur sa joue. Une mèche s'était échappée de son chignon. Il la glissa lentement derrière son oreille, ce qui la fit sourire. Puis inspiré par le vin, il prit son courage à deux mains et planta un baiser langoureux sur ses lèvres. Eeva se laissa porter par le moment. Demain serait un autre jour. Quand elle se coucha, Eeva eut l'impression que la pièce était sans dessus-dessous et ses pensées dansaient une ronde infinie.

***

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