6. Le Combat (ou comment frôler la mort à cause d'un poulet)

Mardi 5 juillet

Cher Kyle,

Avec ces histoires de créatures mythologiques, j'ai l'impression que mes lettres deviennent plus palpitantes pour toi !

Aujourd'hui, officiellement, nous avons tous fait une superbe balade en vélo dans les Highlands.
Ensuite, Mark et moi nous sommes éclipsés pour visiter un fort en ruines pendant que Morgane et Dylan continuaient la balade.

Officieusement, l'après-midi ne s'est pas tout à fait déroulée ainsi, tu t'en doutes.
Nous sommes bien allés faire une balade en vélo.
Seulement, Mark et moi sommes ensuite retournés au Loch Ness en servant une excuse bidon à nos amis.
Ils avaient l'air plutôt ravis qu'on les laisse seuls, soit dit en passant.

Arrivés au Loch, nous nous assîmes sur des rochers.
Et, j'eus peu à peu l'impression d'être devenue complètement folle.

J'attendais, avec un garçon que je connaissais à peine, qu'une femme-oiseau atterrisse au bord du Loch Ness.
Mais, qu'avais-je fais de ma vie ?
Au bout d'une dizaine de minutes, agitée par ses pensées, j'étais vraiment persuadée d'être cinglée.

- Et si on remontait le fleuve pour voir si l'on ne peut pas retrouver ce phoque plutôt ? proposai-je à Mark.

- Pourquoi pas, répondit-il.

Au moment où je me relevais, une ombre noire fondit sur moi.

Ça commençait à devenir une habitude, ma parole.

Je n'eus pas le temps de réagir, ni même de crier.
Je fus aussitôt emportée dans les airs.

Je vis Mark courir après moi.
Il avait l'air assez ridicule avec son air paniqué. Je regrette qu'il n'ait pas pu se voir comme ça, son arrogance en aurait pris un coup.

Je fendai les airs avec une rapidité incroyable. Mark était de plus en plus loin.
Je relevai la tête.

Des serres m'agrippaient le torse.
Je pouvais voir les pattes et le ventre du monstre volant.
Son plumage était noir comme la nuit. Ses ailes étaient gigantesques.
Toutefois, il possédait une tête d'homme. Et, il était d'une beauté époustouflante.
Il avait des cheveux noirs mi-longs et des yeux gris perçants.
Il dégageait une aura qui m'hypnotisait, tout comme la femme-oiseau que j'avais précédemment rencontré.

Cependant, la femelle, grise, n'avait fait que dialoguer avec moi.
Cette créature aux plumes noires, en revanche, était certainement celle qui avait tenté de me tuer.

J'allais me débattre, quand je pris conscience de l'altitude à laquelle nous nous trouvions.
Hum, mauvaise idée.
Je ne voyais même plus ni Mark ni la terre ferme.

Le vol ne dura que quelques secondes.
Le monstre m'emporta en direction d'un pic rocheux très abrupt.

Arrivé au niveau de la falaise, il me balança de toutes ses forces à l'intérieur d'une grotte obscure, et je me cognai violemment contre la paroi.
Je retombai sur le sol glacé, étalée comme une poupée de chiffon.
Tout devint flou autour de moi.
Mes oreilles se mirent à bourdonner sourdement. J'avais l'impression de plonger sous l'eau et de me laisser couler dans les profondeurs. Mon corps entier était faible, il ne semblait plus pouvoir me porter.
Le monde se fit de plus en plus sombre et je perdis connaissance.

Bien sûr, je ne me souviens pas de ce qui s'est passé lorsque j'étais évanouie.

Cependant, je me réveillai avec une atroce douleur au crâne.
Mark se tenait alors debout devant moi.

- Qu'est-ce... m'écrirai-je.

- Chut !

Il plaqua solidement sa main contre mes lèvres et murmura.

- Ferme-là ! Je viens d'escalader ce putain de caillou, ce n'est pas le moment de se faire repérer... C'est bon, tu ne vas pas hurler ? demanda-t-il.

Je hochai la tête, ce qui m'arracha une grimace.

- Ok, dit-il en retirant sa main, la grotte est assez haute, j'espère que tu es douée en escalade.

- Je vais me débrouiller, murmurai-je.

Je me levai et je vis la grotte tourner lentement autour de moi.
Ma confiance retomba quelque peu.

Un liquide poisseux me gênait dans la nuque. Je passai machinalement ma main à cet endroit.
Quand je la ramenai devant moi, je découvris qu'elle était couverte de sang.

Génial, j'allais sûrement clamser, ici et maintenant, tout ça parce qu'un gros piaf m'avait cloué contre un mur.

Je suivis néanmoins Mark sans broncher.
Mes pas étaient hésitants, mais j'arrivai à avancer.
Une fois au bord de la falaise, je compris que, dans mon état, je ne pourrais jamais descendre ces rochers.

Soudain, un cri perçant retentit.

Bon, si le monstre nous dévorait avant, je n'allais peut-être même pas être obligée d'essayer l'escalade.

L'homme-oiseau nous avait repéré et se tenait à présent juste devant nous, nous bloquant le passage.

Je ne sais pas quel était le plan de Mark à l'origine, mais il avait de toute évidence échoué.

Je me sentais faible, un filet de sang partait de ma tempe gauche et s'écoulait dans mon dos, entre mes omoplates.
Mes cheveux s'étaient rassemblés en mèches visqueuses et, lorsque j'essayais d'y passer mes doigts, je pouvais sentir des paillettes de sang séché qui partaient de mon cuir chevelu.
Pour ne rien arranger, je ressentais de nouveau ce mauvais pressentiment que j'avais déjà eu en présence de ces monstres.
J'aurai pu vomir dans l'instant sur Mark ou sur le poulet.
Ça peut-être une stratégie défensive comme une autre, après tout.

- Mélodie, tu ne vas pas partir si vite, susurra le poulet en question.

Décidément, j'étais une star chez ces têtes plumés.

- Ne me dis rien, tu veux que je te rendes un truc qui commence par Vu ? articulai-je avec peine.

- Non. Moi, je veux te voir souffrir et, ensuite, je veux te tuer de mes propres serres, répondis-t-il calmement.

- Super programme, soupirai-je à bout de souffle.

J'allais peut-être sauter de la falaise maintenant.
J'échapperai à l'escalade, au rapace noir assoiffé de sang et même aux blagues douteuses de Mark.
Cette option était vraiment tentante.

Mark interrompit soudainement mes pensées suicidaires.
Il jeta un gros caillou en direction du monstre. Il m'attrapa ensuite un bras, sans ménagement, et me tira en arrière.
Il courut aussi vite qu'il put et essaya de m'entraîner avec lui.
Je fis de mon mieux pour le suivre, mais je me prenais sans cesse les pieds dans les rochers.

Je trébuchai. Mark parvint tout de même à me maintenir debout par je ne sais quel miracle.

Derrière nous, la sirène déploya tranquillement ses ailes, décolla dans les airs et, sans effort apparent, se planta à nouveau sur notre chemin.

- Les enfants, les enfants... Ne partez pas si vite, je n'aime pas jouer avec la nourriture, déclara le monstre.

Mark regardait dans toutes les directions autour de lui.
Il cherchait de toute évidence une issue favorable à cet affrontement.
Je n'en voyais aucune.

Nous aurions beau fuir, nous n'irions pas bien loin.
La falaise, constituée de gros blocs rocheux, stopperait rapidement notre course.
Si le précipice ne nous suffisait pas, le poulet noir se chargerait également de nous arrêter.
Il était rapide, plus que nous ne l'étions.
Il était aussi fort et imposant. Il devait peser bien plus lourd que moi et Mark réunis.

Perdu dans ces réflexions, je reliai ses informations et je vis une idée germer dans mon esprit.

J'allai provoquer un éboulement.

Si nous restions sur cette falaise ou si nous courions bêtement, nous allions mourir. C'était une certitude.
Cependant, l'homme-oiseau était lourd et la falaise cassante.
Mon idée allait probablement nous tuer aussi, mais cela restait une hypothèse.

Poussée par l'adrénaline, je mis aussitôt mon plan à exécution.

- Hé, le poulet ! criai-je.

Le monstre regarda dans ma direction, interloqué.

- Oui, toi ! La grosse dinde ! Ça joue les caïds ? Tu te crois fort, l'emplumé ?

Je hurlai les premières insultes qui me passaient par la tête, tout en me dirigeant vers un rocher situé au bord du précipice et strié de larges fissures.
Je n'avais aucune idée de ce que je faisais réellement.
Je voulais attirer la bête vers une portion de falaise plus friable et, surtout, je voulais l'éloigner de Mark.
Mais, même avec une grosse bosse sur la tête, j'avais conscience que mon plan était très bancal.

- T'es qu'une poule mouillée, petite tête ! lançai-je alors que j'arrivais sur le rocher.

- Qu'est-ce que tu essaies de faire, petite humaine ? persiffla le monstre en riant.

- Oui, Mel', qu'est-ce que t'essaies de faire ? renchérit Mark.

Il était essoufflé et déconcerté par mon attitude.
Je lui fis un clin d'œil et sortit ma botte secrète.

- Hé, le poulet, je comprend que tu sois énervé comme ça ! T'as la tête d'un humain, mais pour le reste, t'as l'anatomie d'un piaf. T'es sûr d'avoir quelque chose entre les jambes au moins ?

Le monstre fronça les sourcils et je sus, à cet instant, que j'avais fait mouche.
C'était incroyable.
Questionner la virilité d'un homme restait une méthode infaillible pour l'énerver, même s'il s'agissait d'une créature mythologique.

Ladite créature fonça aussitôt vers moi et se posa à mes côtés sur le rocher.

- Tu vas regretter tes paroles, sale vermine, cracha le monstre.

Oups.
J'avais sous-estimé la résistance de la falaise.
Les fissures s'étaient légèrement agrandies au moment où la sirène s'était posée, mais les blocs rocheux semblaient avoir trouvé un nouvel équilibre.
La pierre tenait bon.

J'allais devoir improviser.
Je rassemblai mes dernières forces et je couru droit vers la bête.
Juste avant de le percuter en pleine tête, je me baissai et je me glissai entre ses pattes.
Une fois de l'autre côté, je sautai sur son dos.

Mon plan avait légèrement dérapé.
Je faisais maintenant un rodéo de sirène.

Le monstre, déjà irrité par mes vociférations, bouillait à présent de rage.
Il ne semblait plus vouloir faire durer le plaisir de la chasse.
Il se débattait, sautait, virevoltait comme un fou.
Je m'agrippai de toute mes forces à ses plumes et à son cou.
Je n'allai pas pouvoir tenir bien plus longtemps.

Soudain, j'entendis un craquement.
Avec toute cette agitation, le rocher commençait finalement à céder.

Je regardai vers Mark qui était à quelques pas de nous.
J'espérais qu'il serait suffisamment loin lorsque la falaise s'écroulerait.

Il me regarda à son tour.
Il semblait avoir compris mes intentions.

Il hurla.

- Mélodie !

J'entendis un nouveau craquement.
La sirène tourna sa tête vers moi.
Je vis son œil gris, affolé.
Le monstre avait compris lui-aussi.

- T'as vraiment une cervelle de piaf, déclarai-je.

Et, le rocher s'écroula sous notre poids.

Dans les films, lorsqu'un événement pareil se produit, le héros perd souvent connaissance et reprend conscience un peu plus tard, dans un lieu sécurisé, entouré de ses proches, inquiets pour sa santé.

Ce ne fût, bien sûr, pas mon cas.

Je ne tombai pas un seul instant dans les pommes, à mon grand regret.

Perchée sur le dos de l'homme-oiseau, je dévalai la falaise à toute vitesse.
Par chance, le monstre amorti, en grande partie, ma chute.
Sans lui, je ne serais probablement plus là pour t'écrire des lettres, Kyle.
J'imagine que je lui dois au moins ça.

Mon corps fût, malgré tout, projeté contre le sol de nombreuses fois.
Un rocher tomba sur mon flanc.
Je poussai un hurlement. Du moins, j'essayai. La douleur était insupportable.
Ma vision était trouble et mon corps entier était en feu.

Enfin, l'éboulement cessa et mon calvaire prit fin.

Je n'avais plus de forces. Par contre, j'avais sûrement plusieurs os cassés.
Je n'envisageais absolument pas de me relever de toute manière.
La sirène, sous moi, ne bougeait plus. Elle ne produisait plus aucun son. Elle était peut-être morte.
J'allai probablement la rejoindre.
Je sentais un liquide autour de moi. Il aurait pu s'agir de mon sang, ou bien de celui du monstre. Je n'en avais aucune idée.

J'entendais vaguement des hurlements au loin, et des pas qui se rapprochaient.
J'essayai de tourner la tête, j'en hurlai de douleur.
Avoir poussé ce cri m'avait aussi fait mal. J'abandonnai alors l'idée de faire le moindre mouvement.

Quelques minutes s'écoulèrent.

Un Mark tout essoufflé apparut enfin dans mon champ de vision.
Il était rouge comme une tomate.

J'ouvris la bouche pour me moquer de lui.
C'est alors qu'un filet de sang coula sur mon menton.
Ce n'était pas bon signe ça, je crois.

Je fermai les yeux, les garder ouverts me demandait trop d'effort.

Je sentis qu'on me soulevait, mais étonnamment ça ne me faisait plus mal.
Ça aussi, je me dis que ce n'était pas de bonne augure.

Et, c'est à ce moment-là que je perdis connaissance.

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