18. Le Règlement de Comptes (ou la convivialité d'un bon feu de camp)

Comme prévu, nous sommes arrivés au camp avant le coucher du soleil.

L'exigence de Ryder avait aussi ses avantages. Je n'aurais pas aimé me retrouver coincée dans cette jungle, une fois la nuit tombée.

Notre campement était situé à la lisière de la forêt, sous les derniers cocotiers, au début de la plage.
À l'abri sur le sable, les seuls animaux sauvages susceptibles de croiser notre chemin devraient être les tortues Luth qui venaient pondre leurs œufs chaque année.

À peine arrivée, je me dirigeai vers ma tente, je balançai mon sac à dos sur ma couchette, et je ressortis aussi sec.
J'allai ensuite vers l'amoncellement d'affaires au centre du camp.

Je cherchais de l'antiseptique, ou n'importe quoi d'autre pour désinfecter mes mains écorchées.

Après avoir retourné tout notre bric à brac de sacs, de nourriture, de bouteilles d'eau, de plans, et de boussoles en tout genre, j'abandonnai la fouille.
Je m'assis sur une caisse, épuisée.

- On n'a plus de trousse de secours, me lança Mark en sortant de sa tente. Il n'y avait pratiquement rien dedans, et on a tout utilisé le premier jour pour enlever une sangsue du cou de Dylan.

Merde, j'avais les mains en sang, et rien pour me soigner.
Je reconnus au moins que la trousse avait servi pour une bonne cause.

- J'ai besoin d'un désinfectant, soupirai-je.

Mark regarda autour de lui.
Ses yeux se posèrent finalement sur la petite bouteille de rhum qu'il avait à la main.
Il me la tendit.

- Je vois, dis-je laconiquement.

Je la pris malgré tout, et j'en versai une bonne rasade sur chacune de mes mains.
Je réfrénai un cri en me mordant les lèvres jusqu'au sang.

Pendant quelques instants, la douleur me fit voir une myriade de petits points lumineux un peu partout.
Mais, heureusement, elle se calma aussi rapidement qu'elle était venue.

Mes blessures à vif étaient maintenant imbibées d'alcool.

Lasse, je portai ensuite le goulot à mes lèvres, et je descendis une bonne lampée.
Au point où j'en étais, ça ne pouvait pas me faire de mal.

Mark reprit sa bouteille.

- Tu me critiquais, hier soir, parce que j'avais un peu trop bu, mais on dirait que tu t'y mets aussi, remarqua-t-il.

Je le regardai avec une forte envie de lui rabattre son caquet.

- Mark, je n'ai pas pris de vraie douche depuis deux jours. C'était déjà l'horreur entre la chaleur, les insectes et l'humidité. Mais, cet après-midi, il a fallu que je m'embourbe jusqu'au cou. Je me sens sale, tu comprends ? assenai-je. Si je ne bois pas maintenant, je ne boirai jamais.

- Tu es très sexy quand tu es énervée, tu sais.

Je l'observai quelques instants.
De toute évidence, il n'avait pas écouté un mot de ce que j'avais dit.

Et, il n'avait pas dû me regarder d'assez près non plus, parce que j'avais sûrement l'air d'un épouvantail avec mes cheveux en bataille et mes vêtements tachés de boue.

Ses yeux brillaient d'une drôle de manière.
À mon avis, il devait avoir déjà bien attaqué la bouteille avant mon arrivée.

Mark n'avait plus essayé de m'approcher, depuis qu'il avait déclaré à table qu'il avait perdu notre pari.
Admettre cette défaite, c'était aussi admettre qu'il était intéressé par une relation avec moi.

Sauf que je l'avais laissé sur une sorte de refus, en lui laissant croire que je n'étais pas prête pour sortir avec quelqu'un après toi, Kyle.
Son ego blessé m'avait donné pas mal de répit, puisqu'après ça, il s'était contenté de m'éviter et de me faire la tête.

J'imagine que ce soir l'alcool lui avait rendu un peu de son courage.

Entre temps, tu le sais, je me suis rendue compte que je pouvais être prête pour une nouvelle relation.
Et, Mark m'attirait, c'est sûr.

Mais au final, je n'avais pas vraiment envie de lui expliquer mon changement de position.

Je n'étais pas sûre de vouloir sortir avec lui.
Je ne le connaissais pas encore si bien que ça, notre relation avait été trop rapide, et, pour le moment, il ne m'avait pas fait que des bonnes impressions.

Alors, je préférais le laisser sur ma dernière version, celle où j'étais encore traumatisée.
Ça semblait plus facile de lui faire croire que je n'étais pas prête pour une nouvelle histoire, plutôt que de lui dire que n'étais pas prête pour une histoire avec lui.

- Calme toi, Dom Juan, lui dis-je finalement.

- Oh, mais tu ne veux pas réellement que je me calme, tu adores m'envoyer promener, acheva-t-il en reprenant une gorgée du liquide ambré.

Je ne relevai pas.
Il semblait en bonne voie pour se saouler.
J'étais donc pratiquement sûre que la conversation n'aboutirai à rien de bon.

Je décidai qu'il était temps pour moi de m'éclipser.
Je fis mine de me diriger vers ma tente, mais je n'avais pas fait trois pas que j'entendis Mark rentrer dans la sienne.

Parfait, je pouvais être seule.

Je m'assis tranquillement devant le feu de camp.
Je me détendis en écoutant le crépitement des braises.
J'observais les flammes rougeoyantes qui ondoyaient dans un rythme lent et régulier.

Je me demandai s'il ne fallait pas rajouter du bois, lorsque Morgane sortit de la tente de Dylan et vint s'asseoir à côté de moi.

- Alors, c'est vrai que tu l'envoies promener ? demanda-t-elle franchement.

- Tu m'espionnes ? répliquai-je.

- Mel', je ne sais pas si tu as remarqué mais nos chambres n'ont pas de murs, ici.

- Mets des boules Quies, suggérai-je.

- Mel' ! insista-t-elle.

- Quoi ? Tu veux me caser avec lui maintenant ? demandai-je sèchement.

- Je ne veux pas te caser avec lui... soupira-t-elle. Mais, j'ai déjà eu du mal à accepter votre relation surprise, j'aimerai bien que ça débouche sur quelque chose, au moins.

Je lui lançai un regard noir.

- Bon, excuse-moi, reprit-elle. Je veux juste que vous alliez bien, toi et lui, ensemble ou séparément. Et, surtout, je veux juste que tu me parles, insista-t-elle.

Je sentis une sincérité dans sa voix qui brisa, un peu, mon mauvais caractère.

- D'accord, je te parle, commençai-je. Je ne crois pas que ça collerait entre nous, c'est tout.

- Pourquoi ? demanda-t-elle étonnée.

- Je ne sais pas, il me plaît ...

Elle se raidit légèrement.
Je sentais qu'elle avait quand même du mal avec ce genre de déclaration à propos de son cousin, mais je poursuivis malgré tout.

- Et, il a l'air d'avoir un bon fond. Mais, il est aussi arrogant, et il a eu des réactions agressives parfois.

- C'est vrai que tu es un vrai cadeau, toi, intervint Morgane.

- Je n'ai jamais prétendu le contraire. Je te dis juste que je suis attirée par son physique, d'accord, mais je ne suis pas sûre d'être aussi attirée par sa personnalité. On se dispute sans arrêt. En plus, je n'ai pas franchement la tête à me mettre en couple en ce moment. Je suis bien comme je suis.

Elle me regarda, sceptique.

- Je te jure ! lui assurai-je. Je ne suis ni une veuve dépressive ni une célibataire en détresse. Vraiment. Je suis juste au Costa Rica en train de chasser un monstre, et n'ayant pas franchement envie de me lancer dans une relation compliquée. Parce que, quoi que tu en dises, le fait qu'il soit ton cousin compliquera forcément la situation. Je ne veux pas t'obliger à choisir entre nous deux dès la première embrouille.

- Tu te prends beaucoup la tête pour quelqu'un qui n'est pas intéressé, remarqua-t-elle. De toute façon, je m'en doutais. C'est un type bien et ça n'a jamais été ton truc, ajouta-t-elle avec un ton un peu trop condescendant à mon goût.

Je la regardai sans comprendre.

- Comment ça ? demandai-je.

Elle prit un ton volontairement évasif.

- Ben, tu sais bien... répondit-elle.

- Non, je ne sais pas, déclarai-je sur la défensive.

- Enfin, Mel', ne me force pas à le dire. Tu sais très bien de quoi je parle.

Je restai muette.

- Kyle était loin d'être un ange, dit-elle finalement.

- Et, c'est reparti... soupirai-je.

- Mel' ! Il traitait les filles comme des mouchoirs. Reconnais-le. La seule avec qui il a été à peu près correct, c'était toi. Et encore, c'est parce que vous étiez seulement amis, et après... Tu sais bien comment ça se serait fini...

Je marquai un temps d'arrêt, j'avais besoin d'un moment pour assimiler ce qu'elle sous-entendait.

- Vas-y Mo', explique-moi pourquoi mon petit-copain ne m'a pas trompé uniquement parce qu'il est mort avant de n'avoir eu le temps de le faire, lui dis-je violemment en espérant que ça mettrait fin à la conversation.

- Mel', tu sais pertinemment qu'il aurait fini par craquer. Il était comme ça.

- Je n'arrive pas à croire que tu continues à me dire des choses pareilles. Il est mort, tu pourrais peut-être arrêter maintenant ! lançai-je au bord de la crise de nerfs.

- Tu as toujours été trop indulgente avec lui, me répondît-elle malgré tout. Je n'ai jamais compris, tu étais transformée.
Mel', enfin ! D'habitude, tu es la plus fonceuse, tu n'as peur de rien. Tu peux aborder n'importe quel mec. Et avec Kyle, tu as attendu qu'il devine tes sentiments, tu n'as jamais été capable de lui dire. Et, tu refusais d'admettre qu'il s'était tapé toutes les filles du lycée.

Je me levai, et je commençai à faire les cent pas devant elle.
Je bouillais.

Déjà, à l'époque, elle critiquait constamment ma relation avec Kyle. Elle essayait toujours de nous séparer.
Mais, je n'en revenais pas qu'elle soit encore capable de me rabâcher ce discours après sa mort.

Je repris momentanément mes esprits pour lui dire ce que je pensais.

- Tu as toujours été jalouse de ma relation avec lui, voilà le vrai problème, assenai-je sèchement.
Tu n'as jamais aimé quelqu'un comme j'ai pu aimer Kyle, et ça te tue. Mais, la vérité c'est que tu ne sais pas qui il était et tu ne le sauras jamais.

- Peut-être, avoua-t-elle. Mais alors, j'aimerais bien que tu m'expliques comment il s'est retrouvé dans cette cabine ce soir là.

Elle n'avait pas osé.

- Mo', commençai-je la gorge nouée.

- Pendant la sortie scolaire en bateau, le premier soir, il s'est faufilé dans une cabine. Ce n'était pas la sienne.
Ils s'étaient tous donné rendez-vous à minuit. Ils étaient cinq, dont trois filles, récita-t-elle. Ils ont bu, et ils se sont drogués.
Ils ont fini la fête sur le pont. Ils n'avaient pas le droit de faire tout ça, bien sûr, mais ils se prenaient pour des rebelles.
Ah, ils s'amusaient bien. Sauf que Kyle est passé par dessus le bord. Il savait nager.
Mais, il s'est quand-même noyé. On a jamais retrouvé le corps, débita-t-elle impitoyable.

Les larmes me montèrent aux yeux.

- Je suis désolée, Mel', je ne veux pas que tu souffres, mais tu refuses toujours d'en parler. Tu n'a jamais voulu croire à cette version.
Et pourtant, comment expliquer qu'un bon nageur se noie aussi vite s'il n'était pas sous l'emprise de la drogue ?
Je sais que tu refuses de l'entendre, mais je me dois de te le rappeler.
Tu ne veux plus sortir avec aucun garçon, tu n'arrives plus à te confier à moi, et maintenant qu'il t'arrive ces événements incroyables, j'ai peur que tu ne tiennes pas le choc.
Mais, tu peux oublier Kyle. Il ne te méritait pas. Il savait nager, répéta-t-elle, mais il était trop défoncé pour le faire.

- C'est faux, articulai-je dans un sanglot.

- C'est la vérité. S'il n'était pas mort ce soir là, vous ne seriez plus ensemble depuis longtemps, et tu aurais repris le cours de ta vie. Je sais que c'était ton ami depuis des années, et que tu l'aimais.
Mais, il avait beau être populaire et charismatique, il avait d'énormes défauts.
Tu dois arrêter de te focaliser sur sa mort, il était le seul responsable de ses actes.

Mes larmes roulaient franchement sur mes joues.
Elles commençaient à goûter le long de mon menton.

- Je suis désolée Mel', je ne veux plus que tu te tortures, c'est tout, ajouta-t-elle plus doucement.
J'essaie de te ménager depuis trop longtemps. Mais, tu dois accepter la vérité. Je veux que tu te ressaisisses, que tu redeviennes ma meilleure amie.
Je sais que la personne audacieuse et casse-cou que je connaissais est encore quelque part en toi.

J'étais sidérée.

Elle était allée beaucoup trop loin.

Elle ne savait pas du tout de quoi elle parlait. Elle n'avait aucune idée de ce qui s'était réellement passé sur ce bateau.

Elle n'y était pas. Moi si.

Je repris progressivement le contrôle de ma respiration.
Lorsqu'elle se fit enfin plus régulière, j'arrêtai de pleurer.

Je plantai mon regard sombre dans ses yeux noisettes.

- Bien sûr, Morgane. Tu dis ça uniquement pour moi... dis-je d'un ton amer.
Tu me sors tes belles déclarations. Redevenons meilleures amies ?
Je te signale que je ne t'ai presque pas vu des vacances.
En grande partie à cause de toutes ces conneries de sirènes, mais aussi parce que tu étais toujours collée à ton Dylan chéri.
Tu me reproches de ne pas me livrer assez à toi ? Je ne t'ai pas entendu me parler de Dylan non plus. Tu ne te confies pas plus que moi sur ta vie, et je ne t'accuses pas d'être traumatisée pour autant.
Tu te prends pour ma meilleure amie tout à coup, mais tu ne restais jamais avec moi.
Tu préférais traîner avec ce mec insignifiant que tu plaqueras sûrement à la fin de l'été.
On ne se parle jamais et, maintenant, tu débarques et tu te permets de faire ta psy. Alors que je vais enfin mieux, tu me sors des trucs pareils. Tu sais quoi, Mo' ?
Moi et mon connard de petit-ami mort, on t'emmerde.

Je m'arrêtai pour reprendre mon souffle.

Je vis Dylan sortir de sa tente.

Je regardai autour de moi.
Je ne les avais pas remarqué plus tôt mais Mark, Ryder et Wendy se tenaient tous derrière moi.

Je ne savais pas depuis combien de temps ils étaient là, mais certainement trop longtemps.

Morgane me lança un regard mauvais.

- Très bien, je crois qu'on s'est tout dit. Reste seule, qu'est-ce que ça peut me faire ? cracha-t-elle en se levant.

Elle tourna les talons, et rentra dans la tente de Dylan.

Les autres étaient plantés autour de moi, leurs yeux braqués sur mon visage encore couvert de larmes.

Je décidai qu'il manquait définitivement du bois à ce feu, et me levai pour aller en chercher dans la forêt.

Je marchai quelques instants.

Une fois à l'abri du regard des autres, cachée par la végétation, j'essuyai du revers de ma manche mes joues encore mouillées.

Je repris mon chemin.

J'avais à peine fait quelques pas que j'entendis un craquement derrière moi.
Quelqu'un m'avait suivi.

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