17. Les Sables Mouvants (ou une sombre histoire de bâton)
Mardi 2 août
Cher Kyle,
Je ne sais pas si tu as déjà été pris au piège dans des sables mouvants.
Moi oui, et je peux t'assurer que c'est une sensation très désagréable.
J'étais perdue au milieu d'une jungle, dont le seul but était de me tuer de toutes les façons possibles, lorsque mon pied droit se retrouva embourbé dans une espèce de terre gluante.
Rien de bien alarmant jusque-là, je te l'accorde.
Sauf que, lorsque je soulevai mon talon pour continuer ma marche, il ne réagit pas exactement comme je l'aurais voulu.
Comme retenu par un élastique, il s'enfonça encore davantage dans le sol.
J'eus alors la très bonne idée de transférer tout mon poids sur mon autre jambe.
Je pensais en faire un appui solide pour retenter la sortie de mon autre pied.
Évidemment, je réussis seulement à m'enliser davantage, et des deux côtés cette fois.
Ce n'est que quelques minutes plus tard, après m'être agitée comme une forcenée, lorsque le mélange d'argile et d'eau m'arriva au genou, que je compris enfin le problème.
J'étais coincée dans des sables mouvants.
Au moment où la lumière se fit dans mon esprit, j'eus une réaction très bizarre.
J'étais presque contente.
J'avais souvent entendu parler de sables mouvants dans des reportages à la télévision, mais je n'en avais jamais vu en vrai.
Certes, je n'avais jamais été en Amérique Centrale non plus.
Et, je n'avais pas non plus marché pendant des heures dans une jungle luxuriante, puis dans un marais plus que douteux, comme je venais de le faire cet après-midi là.
Mais, je ne sais pas pourquoi, les sables mouvants revêtaient un aspect mystique qui me fascinait.
Ma joie de découvrir ce phénomène naturel pour la première fois fut cependant rapidement remplacée par des considérations, disons, plus terre à terre.
Je m'enlisais à vue d'œil.
Je décidai alors de ne plus bouger.
Je n'étais pas sûre que cette technique soit très efficace, mais j'avais entendu dire que c'était la chose à faire.
Foutu reportage télé, parce que je continuai tout de même à m'enfoncer à bon train.
La mixture m'arriva bientôt aux hanches.
Je ne voulais pas penser aux myriades de bactéries qui devaient se pourlécher les babines en me voyant couler ainsi dans leur milieu naturel.
Si tant est qu'elle aient des babines.
D'accord, finalement j'y pensais.
- Wendy ! hurlai-je à plein poumon.
Putain, je vais mourir, et après je vais la tuer... dis-je pour moi-même.
Wendy, Dylan, Morgane, Mark, un autre type qui s'appelait Ryder, et moi-même faisions partie de la même équipe de recherche.
Ryder était notre agent de liaison.
À l'académie, il faisait partie du club « Élite ». C'est une des associations qui entraînent les jeunes au combat.
Il était donc aussi membre de l'armée de réserve du royaume dont nous avait parlé Thomas.
Pour retrouver la sirène perdue, il avait été décidé que chaque escouade serait composée de six étudiants, parmi lesquels au moins un selkie formé aux techniques de combat.
Ça assurait un minimum de sécurité au groupe.
Et, par la même occasion, ce selkie serait chargé d'envoyer des rapports réguliers sur l'avancée des investigations, d'où l'appellation « agent de liaison ».
Mes amis et moi-même nous étions inscrits ensemble, et on nous avait assigné Ryder.
Les différentes équipes avaient ainsi été dispersées un peu partout dans le monde.
La nôtre avait atterri au Costa Rica.
Un pays superbe si l'on se contentait de faire du tourisme et de se prélasser à la plage, mais qui devenait beaucoup moins accueillant lorsqu'on était à la recherche d'une créature cannibale tel qu'une sirène.
On nous avait assigné le Costa Rica à cause d'un signalement suspect.
Des pêcheurs prétendaient avoir aperçu un monstre volant gigantesque au dessus de leur voilier.
Personnellement, ça ne m'étonnerait pas beaucoup si cette apparition était survenue après quelques verres bien tassés.
Mais, nous avions tout de même pris l'avion pour ratisser sans délai les recoins les plus sauvages de la région.
Chaque équipe avait été envoyée sur une piste du même acabit.
On était tous déployé sur la base de témoignages de populations autochtones.
La moindre ombre suspecte devait être étudiée.
Avec ce plan, dans le meilleur des cas, on retrouverait la sirène kidnappée par des personnes suffisamment folles et dangereuses pour être capables de maîtriser un tel monstre. Dans le pire des cas, à force de chercher partout une créature mangeuse d'homme, on finirait par tomber sur toutes sortes de bestioles voraces.
Toujours est-il que nous n'étions parvenus à aucun résultat après bientôt deux jours entiers à patauger dans les marécages et autres mangroves.
Pour augmenter notre périmètre de fouille, nous nous étions séparés par équipe de deux: Dylan et Morgane, Mark et Ryder, et Wendy et moi, chaque binôme partant de son côté.
Je ne comprend toujours pas pourquoi c'est Mark qui a eu le droit à la protection de Ryder, ça ne me paressait pas très logique comme choix.
Mark était grand, plutôt athlétique, et, surtout, il n'avait pas l'air de rechigner à donner des coups.
Dylan avait l'air d'avoir à peu près la même corpulence que lui, mais avec une attitude beaucoup plus pacifique.
Ryder, lui, était tout aussi grand, mais charpenté comme un taureau.
Avec ses larges épaules, il ressemblait assez à l'idée que je me faisais d'un militaire. Ses cheveux noirs étaient coupés très courts, ses yeux encore plus noirs lançaient des éclairs à quiconque ouvrait la bouche, et sa démarche au pas était si guindée qu'elle aurait fait pâlir d'envie un métronome.
J'aurai trouvé ça beaucoup plus logique de mettre Ryder avec Wendy qui, elle, était petite et menue comme une brindille, et ensuite de mettre les deux autres garçons avec Mo' et moi. Nous n'étions pas bien plus grandes que Wendy, mais nous étions peut-être un poil plus en forme.
Mais, lorsque Ryder a composé les équipes, devant son air autoritaire, je n'ai pas osé protester.
En fait, maintenant que j'y pense, je ne l'ai jamais vu avec un air différent.
Il ne parle quasiment jamais, si ce n'est pour lâcher un ordre de temps à autre.
Il ne semble s'entendre avec personne, sauf peut-être avec Mark, qui a l'air tout aussi taciturne que lui ces derniers temps.
Je les vois très bien devenir amis pour s'échanger seulement quelques bribes de mots par jour et se composer des mines sombres ensemble.
Wendy, elle, est l'exact opposée de Ryder.
Elle est enjouée, pleine d'entrain, et surtout elle est toujours très positive.
Je crois que Ryder ne la supporte pas à cause de cette attitude. J'avoue que, même-moi, elle me hérisse parfois le poil avec sa bonne humeur à toute épreuve.
J'avais donc largement le temps de réfléchir à mes nouveaux compagnons de voyage, tandis que la tourbe gagnait paisiblement mon nombril.
Wendy était partie en quête d'un bâton lorsque le niveau ne m'arrivait encore qu'à mi-cuisse.
Je l'aimais bien, mais je doutais sérieusement de ses capacités à, déjà, trouver un bâton, ensuite à le ramener à temps, et surtout à me sortir de là avec.
Je recommençai à hurler.
- Wendyyy ! Bordel !
Ce n'était pas très élégant, mais le liquide dans lequel je baignais non plus.
J'imaginais que mourir étouffée, avalant et crachant de l'argile humide, devait être très lent et douloureux.
À cette perspective, ma gorge se serra.
- Wendy ! criai-je de toutes mes forces.
Un oiseau s'envola brusquement au-dessus de moi.
- Surtout, tu le dis, si je te dérange, marmonnai-je.
Non, mais je rêve, qu'est-ce qu'elle fabriquait ?
Des larmes commençaient à me monter aux yeux, je sentais que je n'allais pas tarder à paniquer pour de bon.
- On t'entend à l'autre bout du pays ! Comment tu fais pour crier aussi fort ? demanda Ryder qui venait de surgir d'un buisson.
Miracle.
- Excuse-moi de perturber ta petite randonnée, mais je suis en train de me faire aspirer là ! m'écrirai-je hystérique.
Mark, Mo', Dylan et Wendy accoururent à leur tour.
- Wahou, là, on est mal... laissa échapper Dylan en me voyant empêtrée dans la vase.
- Mais, non... On a un bâton, déclara Ryder fier de lui.
- Ah bah super ! Je suis rassurée ! Vous avez un bâton. Tu n'auras plus qu'à te le mettre où je pense quand je serai morte enterrée vivante, maugréai-je.
Mark réprima un sourire.
- Il n'y arrivera pas, il n'y a plus de place à cause du balais qu'il y a déjà dedans, ajouta Wendy.
Mark et Morgane rirent de bon cœur, cette fois-ci.
- Si vous ne voulez pas de mon aide, je peux toujours laisser Mel dans la boue, répondit Ryder sur le même ton.
- Mais non, elles plaisantent, intervint Mark. Et puis, Mélodie adore ton bâton, pas vrai Mel' ?
Je le regardai, circonspecte.
- Ça va marcher, ajouta-t-il confiant.
J'étais plus que sceptique, mais la tourbe commençait à chatouiller mes omoplates.
Je devais garder les bras levés au dessus de ma tête, et je commençais à fatiguer.
Ryder me tendit le bâton que j'agrippai aussitôt, le plus fermement possible, et il se mit à tirer.
Je ne bougeai pas d'un millimètre.
Mark attrapa le bâton derrière Ryder et tira également.
Toujours aucun mouvement de mon côté.
- Bah, faut faire un régime, ma vieille, grogna Mark en plein effort.
Je lui décochai un regard noir.
- Les éboulements, les sables mouvants, les moustiques... énumérai-je. Si je m'en sors, plus jamais on ne me verra mettre un pied dans la nature. Plus jamais.
Finalement, ils se mirent tous à tirer sur le bâton.
Mes mains glissaient, centimètre par centimètre, elles étaient en feu.
J'ignorai la douleur, je serrai les dents, et je continuai de m'accrocher à cette branche, coûte que coûte.
C'était une vraie torture.
Mais, je sentais que je commençais à m'extirper peu à peu de l'emprise des sables.
L'opération leur prit encore un moment. Cependant, une fois tout le haut de mon corps à l'air libre, mes jambes suivirent d'elles-mêmes, comme par un effet de ventouse.
Mes amis tirèrent une dernière fois, et d'un coup d'un seul, je fus complètement sortie.
Je m'attendais presque à entendre un « plop ».
Je me retrouvai enfin hors de ce piège de boue. J'étais allongée, sur la terre ferme, en nage, et les mains en sang.
- Ok, merci, haletai-je. Et, désolé Ryder. Pour ton bâton.
- Ouais. Bon, il faut retourner au camp avant la nuit. Allez, on se dépêche.
Wendy fit le signe de mettre un pistolet sur sa tempe avec sa main.
Je me relevai lentement en souriant.
On n'avait jamais aucun répit avec lui.
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