13. La Distribution (ou s'engager dans des études imprévues)
Mardi 19 juillet
Cher Kyle,
Ce matin, je suis restée un moment à traîner dans mon lit.
Allongée sur le dos, en fixant le plafond, je me demandai comment j'avais réussi à me mettre tous mes amis à dos.
Je tournai la tête vers le petit lit une place accolé au mien. Le lit destiné à Morgane.
Il était vide.
Lorsque Thomas avait révélé mon petit secret à table la veille, Morgane et Dylan étaient restés stupéfaits un moment.
Quand Morgane a finalement repris ses esprits, elle m'a simplement demandé si Thomas disait la vérité.
Je n'ai eu d'autre choix que de lui répondre oui.
Elle s'est alors levée calmement et elle est partie.
Dylan m'a regardé quelques instants, désemparé.
Puis, il a suivi sa petite amie.
Je me suis retrouvée seule à la table avec un Thomas affreusement gêné à qui j'avais envie de mettre une bonne paire de baffes.
Je me suis donc bien évidemment levée aussi.
Je ne savais pas où j'allais.
Je ne me voyais pas retourner à la chambre pour affronter Mo' ou Mark.
De toute façon, je n'aurai pas su retrouver la porte de notre suite toute seule.
Je continuai à marcher un moment.
Je reconnus finalement l'aile Est.
Je m'adossai au mur blanc et me laissai glisser par terre.
Mon projet était d'attendre là pour une durée indéterminée que tous mes amis se calment et, lorsque tout le monde se serait endormi, de me faufiler ensuite dans ma chambre pour dormir comme une souche.
Ravie de cette perspective, j'attendis ainsi quelques temps, assise dans le couloir.
Au bout d'un moment, des jeunes commençaient à affluer dans le passage.
Ils rentraient dans leur chambre.
Les yeux fermés, je les entendais passer.
Je sentis qu'on me touchait l'épaule.
Surprise, je rouvris immédiatement les paupières.
Je mis un moment à distinguer la personne qui s'était accroupie devant moi.
J'étais un peu aveuglée par la lumière du couloir.
J'avais du rester les yeux clos un peu plus longtemps que je ne le pensais.
Quand ma vision se fit nette, je vis une jeune fille à l'air inquiet penchée vers moi, une main posée sur mon épaule.
- Hey, dit-elle doucement, tu vas bien ?
Décidément, cette question m'agaçait au plus au point.
- Bien sûr que ça va, lui répondis-je en refermant les yeux.
J'espérais qu'elle comprendrait le message.
- Tu n'en as pas l'air, insista-t-elle. Il y a des endroits plus confortables que le sol, tu sais.
- Ah bon ? Je n'étais pas courant, dis-je sèchement.
Je n'étais vraiment pas d'humeur bavarde.
- Je m'appelle Wendy, me dit-elle en ignorant ma remarque. Et toi ?
Je ne lui répondis pas, gardant les yeux résolument clos.
Ça ne sembla pas la décourager puisqu'elle s'assit à côté de moi.
- Moi non plus je n'aime pas trop parler quand j'ai passé une mauvaise journée, me dit-elle.
Je rouvris les yeux.
Cette fille me surprenait.
Elle avait l'air gentille. Elle avait remarqué que je n'étais pas bien et, entre tous les étudiants, elle était la seule à s'être arrêtée.
Je la regardai un peu plus en détail.
Elle avait l'air menue et très petite.
Elle avait une masse impressionnante de cheveux châtains et bouclés, et des yeux marrons. Elle aurait pu paraître banale, mais ce qui frappait tout de suite chez elle, c'était son sourire.
Il était sincère et avenant.
- Désolé, dis-je finalement, je m'appelle Mélodie, mais tout le monde m'appelle Mel'. Et, je n'ai pas eu une très bonne journée, en effet.
- Tu veux me raconter ? demanda-t-elle.
- Hé bien, pour faire court, je me suis embrouillée avec mes amis et, maintenant, je me cache dans les couloirs.
- C'est une manière comme une autre de gérer les disputes, répondit-elle amusée. Qu'est-ce qui s'est passé ?
Je la regardai longuement, je sentais que je pouvais me confier à elle.
- Disons que j'ai embrassé le cousin de ma meilleure amie et qu'elle ne l'a pas très bien pris, résumai-je.
- D'accord, mais, pourquoi ? dit-elle un peu perdue.
- Pourquoi quoi ? répétai-je.
- Ben, pourquoi elle t'en veut ? C'est seulement son cousin, si j'ai bien compris. Il peut sortir avec qui il veut.
- Avec qui il veut, mais pas avec sa meilleure pote, ça non. C'est vrai, ce n'est pas son copain. Mais, Morgane, c'est son prénom, est très proche de lui. C'est un peu comme si je lui volais son frère, tu vois ? lui expliquai-je. Enfin, je pense qu'elle ne prendrait pas bien le fait que je sorte avec lui.
Wendy sembla réfléchir un instant.
- Tu lui as demandé si ça la gênait ? finit-elle par dire.
- Heu... Non, me rendis-je finalement compte. Mais, ça me semblait évident. Et puis, quand elle l'a appris, elle est partie sans un mot.
- Ce n'est pas si évident. Peut-être qu'elle est simplement fâchée que tu ne lui en aies pas parlé avant, observa Wendy.
Je réfléchis un instant.
Je connaissais Mo', elle était très possessive envers les personnes qu'elle aimait.
Et, quand j'avais dit à Mark que sa cousine n'aimerait sûrement pas nous savoir ensemble, il ne m'avait pas contredit.
D'un autre côté, Wendy n'avait pas tort.
Peut-être que Mo' avait surtout mal pris le fait que je lui cache un secret aussi important.
C'était ma meilleure amie, on se racontait tout, particulièrement lorsqu'il s'agissait de garçons.
En plus, Morgane avait déjà été contrariée par mon manque d'honnêteté au sujet des sirènes et de l'éboulement.
Ça faisait beaucoup de cachoteries, en effet.
Le couloir était vide à présent.
Il se faisait tard et tous les élèves étaient rentrés dormir.
Je décidai moi-aussi de rentrer.
De toute façon, j'allai bien être obligée de reparler à Mo' et à Mark un jour ou l'autre.
Wendy m'indiqua ma suite.
Il allait me falloir un moment pour me repérer dans ce Palais toute seule.
Je me glissai dans la chambre et m'effondrai aussitôt sur le lit.
Les explications attendraient le lendemain.
Alors, voilà, le lendemain était arrivé et j'étais seule dans la pièce.
Le lit de Morgane n'avait pas été défait.
Elle n'avait pas dormi là ce qui signifiait qu'elle était assez remontée contre moi.
Emmitouflée dans les draps, je n'avais aucune envie d'en sortir.
J'entendis quelqu'un toquer à la porte.
Encore.
Et, encore.
De toute évidence, personne dans cette suite n'avait l'intention d'aller ouvrir.
Je me levai, de mauvaise grâce.
Je jetai un coup d'œil sur l'horloge murale de ma chambre.
Il était six heures du matin.
En passant dans le salon, je vis Morgane installée sur le canapé, une couverture sur elle.
Bon, je savais au moins où elle avait passé la nuit.
- Alors, tu ouvres ? grogna-t-elle le visage enfouie dans son oreiller.
J'ouvris la porte.
Thomas, frais comme un gardon, entra vivement dans la pièce.
- Allez, levez-vous ! Je n'arrive pas à croire que vous dormez encore ! Une longue journée nous attend, dit-il d'un air beaucoup trop enthousiaste.
Je n'allais cependant pas le contredire.
La journée allait sûrement être interminable.
- Il faut que vous vous prépariez, dit-il en rougissant en voyant que mon pyjama était seulement composé de mon débardeur et de ma culotte.
- Ton sang afflue beaucoup trop souvent dans tes joues, Thomas. Tu devrais consulter, affirmai-je laconiquement.
Il ouvrit de grand yeux et rougit encore davantage.
Je me sentis aussitôt coupable de ma remarque.
- Désolé, Thomas, je suis d'une humeur de chien ce matin, m'excusais-je.
- Seulement ce matin ? marmonna Morgane.
Je décidai d'ignorer sa remarque.
- Quelqu'un devrait prévenir les garçons, remarquai-je.
- Je vais m'en occuper, railla Morgane.
Je filai dans ma chambre.
Je me demandai ce que je pourrais bien porter. J'avais dormi avec mes habits de la veille et toutes mes affaires étaient restées dans ma chambre d'hôte.
Je remarquai alors que la penderie était pleine à craquer.
Il y avait des jeans, plus ou moins près du corps.
Je vis aussi des t-shirts, noirs, avec ce que je supposais être le blason de l'académie cousu au niveau du cœur.
Je passai la main sur la broderie colorée.
Elle était constituée d'un écusson séparé en quatre parties.
Les deux parties inférieures contenaient respectivement deux poignards entrecroisés et un petit phoque.
Les parties supérieures comportaient, quant à elles, un petit dessin du palais et un cœur.
Une magnifique couronne royale sertie d'un saphir s'étendait au dessus du blason.
J'aperçus aussi une étagère de sous-vêtement propres et une boîte qui contenait deux paires de baskets noires.
Après vérification, je compris que tous les vêtements étaient en double, un exemplaire à ma taille et un à celle de Morgane, légèrement plus grande que moi.
Tout en haut de la penderie, une étagère était remplie de hauts fabriqués dans un tissu de combinaison de plongée.
J'avais vu ce vêtement porté par Avela et les autres selkies.
D'ailleurs, maintenant que j'y réfléchissais, l'uniforme mis à ma disposition était aussi celui que les autres étudiants portaient à mon arrivée.
J'attrapai alors rapidement quelques vêtements.
Je m'habillai, me coiffai et me mis une couche d'un mascara fraîchement déniché d'un tiroir.
Je ressortis une dizaine de minutes plus tard.
Une fois tout le monde apprêté, nous nous installâmes autour de la table du salon, sur la demande de Thomas qui n'avait rien perdu de sa bonne humeur.
Notre délégué étala une dizaine de feuille devant nous.
- Alors, j'ai été chargé de vous accompagner pour votre première journée. Vous avez pu constater que des vêtements ont été mis à votre disposition. Sachez que nous allons également envoyer quelqu'un pour récupérer vos bagages à votre hôtel.
J'ai ici quelques papiers importants, nous dit-il en nous montrant le paquet de feuilles.
D'abord, vous avez un formulaire à remplir pour votre inscription à l'académie. Vous devrez aussi signer le règlement de l'établissement.
Au royaume selkie, l'éducation est gratuite et accessible à tous. Vos vêtements, votre nourriture, votre ménage et vos cours vous sont offerts par la couronne. Si vous n'habitez pas en Écosse, l'internat est aussi gratuit. Une fois des selkies accomplis, quelque soit votre métier, vous devrez un impôt pour rembourser vos frais de scolarité.
Les selkies sont peu nombreux et, hum, ils vivent rarement très longtemps, ça explique aussi pourquoi la couronne peut se permettre de choyer ses sujets.
- Nous avons une faible espérance de vie ? demandai-je inquiète.
- En théorie, non. Mais, sous nos formes de phoques, nous sommes souvent chassés par des humains ou menacés par la pollution. L'année dernière, un pétrolier s'est échoué non loin des côtes et une de nos recrues est morte piégée dans la marée noire. Nous devons aussi prendre garde aux pirates et aux sirènes.
Mais, revenons à ce qui nous intéresse, s'il-vous-plaît.
Je commençai à étudier les papiers qu'il nous avait distribué tandis qu'il continuait ses explications.
- Vos parents recevrons tous une lettre pour leur expliquer votre nouvelle condition et ses exigences, déclara-t-il.
- Alors là, je vous souhaite bonne chance pour faire avaler ça à mes parents ! s'exclama Morgane.
- Hum... Je continue, dit Thomas. En ce qui concerne les cours, ils sont identiques à ceux du monde des humains. Nous avons un lycée pour les plus jeunes et de nombreuses universités pour les plus âgés. La rentrée est en septembre. Il y a toutefois quelques petites différences.
Vous avez cours le matin avec les matières habituelles: sciences, littérature, économie, selon votre cursus et votre niveau. L'après-midi cependant est réservée aux entraînements.
- Des entraînements ? demanda Dylan soudain intéressé.
- En tant que selkie, vous devez impérativement compléter votre formation par au moins six autres matières. Quatre sont obligatoires et vous devrez en choisir deux autres parmi les matières facultatives. Bien sûr, si vous le souhaitez, vous pouvez en prendre encore davantage en option. Je vous laisse la liste.
Thomas me tendit le formulaire.
ENSEIGNEMENT SELKIE
-
PREMIER CYCLE
MATIÈRES OBLIGATOIRES
Histoire du Monde Mythique
Natation
Navigation
Maîtrise de la magie
MATIÈRES FACULTATIVES
(Merci d'en cocher un minimum de deux)
Politique et économie du Monde Mythique
Faune et flore marine
Littérature Selkie
Art Selkie
Architecture Selkie
Musique Selkie
Les selkies me paraissaient étonnamment pragmatiques.
On aurait pu croire qu'un peuple marin mythique serait un peu plus aventureux. Mais apparement, même dans une sorte de monde magique, on n'échappe pas à la paperasse.
Les matières me semblaient assez logiques finalement.
De la natation, de la navigation...
Je repensais néanmoins à la tapisserie que j'avais entraperçu dans la salle du trône.
- Vous n'avez pas de matières de combat ? demandai-je.
Thomas sembla un peu embarrassé par la question. Mais bon, il semblait s'embarrasser de tout.
- En théorie, les selkies sont un peuple pacifique, nous n'avons pas officiellement de matières de combat dans notre enseignement. Cependant, notre peuple a toujours connu une cohabitation difficile avec les sirènes et les humains. D'ailleurs, les tensions se sont un peu accentuées ces derniers temps...
Bref, là n'est pas le sujet.
Donc, pas de combat dans le programme officiel, mais nous avons beaucoup d'associations et de clubs.
Et, il y en a quelques-uns qui sont tournés vers la défense, la stratégie et la guerre. On recrute parmi les anciens membres de ces club pour constituer une armée de réserve, même si on espère toujours que cette armée ne serve jamais...
Ce qui me permet de vous parler de notre dernier sujet à aborder: nos associations. Je ne vous ai pas amené les papiers à ce sujet, vous aurez tout le loisir de vous faire aborder par les différents présidents des clubs. Je ne vais pas leur priver le plaisir de vous bombarder de prospectus. Ce n'est pas obligatoire de rejoindre un club, mais quand on est nouveau ça ne peut jamais faire de mal.
Nous avons beaucoup de compétition et de rivalité entre les associations. Personnellement, j'adore m'impliquer dans la vie étudiante, regardez où j'en suis maintenant !
- Oh, je regarde... soupira Mark.
Morgane le fusilla du regard et s'adressa à Thomas.
- Bon, c'est super tout ça, on a les emplois du temps, les plans des bâtiments et tout le tintouin. Mais, qu'est-ce que vous allez faire de nous ? Mark et moi, je veux dire. On est là par erreur parce que vous vouliez nos potes, on est bien d'accord ? Donc, je sais pas, tu avais parlé d'un serment. Est-ce qu'on peut aller jurer de ne rien répéter à l'humanité et rentrer chez nous ?
J'étais un peu blessée par la manière dont Morgane se désolidarisait de mon cas. Thomas, lui, n'avait pas l'air de se laisser démonter.
- C'est vrai. Si vous faites le serment, vous serez libre de partir et vous serez incapable de reparler de ce que vous savez à qui que ce soit qui ne serait pas déjà au courant. Cependant... ajouta-t-il l'œil malicieux.
Il est courant qu'un selkie tisse des liens avec un humain avant d'arriver ici. Les selkies sont libres de révéler à leur famille ou à leurs anciens amis leur véritable nature.
Ces humains, une fois le serment effectué, peuvent poursuivre leur vie, mais parfois ils peuvent décider de vivre avec nous soit parce qu'ils sont émerveillés par ce qu'ils ont découvert, soit parce qu'ils refusent de vivre loin du selkie qu'ils connaissent.
On appelle ces humains des aidants.
Tout simplement parce qu'ils vont suivre une formation comme les selkies, ils vont être initiés aux coutumes de notre monde et à sa magie.
Ils sont très utiles dans notre société, un peu comme des sages qui nous apportent des conseils. Ils nous aident aussi à maintenir un lien avec le monde des humains et à protéger notre communauté et notre anonymat. Ils peuvent aussi s'unir à des selkies et aider à perpétuer l'espèce.
Certains peuvent même apprendre à manipuler des objets renfermant de la magie selkie.
Une cloche tinta soudainement dans tout le bâtiment.
- Oh non... soupira Thomas.
Nous le regardâmes avec circonspection.
- Le petit déjeuner est fini. Bon tant pis, il faut absolument aller en cours ! acheva-t-il d'un air résolu.
Tout le petit monde s'engagea dans le couloir, mais je décidai de rester quelques minutes seule pour réfléchir.
Tant pis si je devais arriver en retard à mon premier jour. Je n'avais pas non plus prévu de reprendre les cours si tôt.
J'étais très préoccupée par cette affaire avec Mark et Morgane.
Je ne voulais pas me fâcher avec Mo' pour si peu, surtout qu'après réflexion je ne connaissais même pas ce Mark. Tout était allé beaucoup trop vite, je m'en rendais bien compte.
À ma décharge, l'atmosphère des vacances et des événements traumatisants devaient y être pour beaucoup. Peut-être aussi le physique de Mark, hum.
Ah, ça y est, dès que je pensais à lui de cette façon, j'avais l'impression de trahir Mo'.
Mais après tout, ce n'est que son cousin, pas son petit ami ! Et, Kyle, j'ai bien le droit de tourner la page, non ?
Je ferais mieux d'arrêter tout simplement de tisser des liens avec des êtres humains, j'arrêterais alors de me sentir responsable de tout ce beau monde.
Voilà la solution, devenir seulement amie avec des cochon d'Inde.
Les conversations seront sûrement plus pauvres, mais les responsabilités aussi.
Bon, ce plan n'étant peut-être pas réalisable dans l'immédiat, j'imagine que la solution serait de m'excuser auprès de Mo', au moins pour n'avoir pas été complètement honnête avec elle.
Un peu honteuse d'être davantage préoccupée par ces enfantillages plutôt que par ce nouveau monde mystico-magique, je m'engageais finalement dans le couloir, en retard comme de coutûme.
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