15 septembre 2018
— Je croyais avoir été clair la dernière fois. Ma cliente est fatiguée. La presse ne cesse de harceler sa famille, il me semble qu'elle mérite qu'on la laisse tranquille !
L'avocat de Sophie-Augusta Tremelling s'apprêtait à refermer la porte de la demeure de la veuve de Hugh mais Nathan l'en empêcha en la bloquant avec sa jambe :
— Maître...comme je viens de vous le dire, Madame Tremelling n'est pas suspectée de la mort de son mari. Nous avons quelques pistes à explorer et nous souhaitons lui poser quelques questions. Nous pensons qu'elle pourrait avoir connaissance de certains faits sans pour autant en avoir conscience. J'imagine que vous souhaitez voir l'assassin de Hugh Tremelling traduit en justice, n'est-ce pas ? Et vous n'aimeriez pas que certains indices soient laissés de côté ?
Josh approuva en silence. Il travaillait depuis suffisamment de temps avec son équipier pour savoir que ce dernier pouvait se montrer très persuasif. Il sut que Nathan avant remporté la partie lorsque les épaules de l'avocat s'affaissèrent. D'un geste, il les invita à entrer dans la luxueuse demeure que possédait Hugh Tremelling à Mayfair. Il les conduisit dans un salon richement décoré.
Sophie-Augusta ne prit pas la peine de se lever pour les saluer. Elle leur désigna de la main le canapé qui se trouvait face à elle. Josh et Nathan obéirent à son injonction silencieuse sans jamais la quitter du regard. La veuve espérait sans doute les impressionner mais ils avaient connu bien pire dans leur carrière. Cette fois, contrairement à leur première entrevue, ils disposaient de renseignements intéressants. Et ils espéraient que Sophie-Augusta se montre plus loquace.
— Je croyais avoir répondu à toutes vos questions, messieurs, déclara la veuve d'un ton glacial.
— Nous avons obtenu de nouveaux éléments qu'il nous semble important de parcourir avec vous, madame, répondit Josh.
— Je ne suis donc plus considérée comme suspecte ?
— Cela n'a jamais été le cas.
Josh se tourna vers Nathan. Dans leur duo, c'était lui le plus modéré. Il menait généralement les entretiens avec les familles des victimes avec un tact que son collègue ne possédait pas.
Sophie-Augusta Tremelling intercepta leur échange silencieux :
— Eh bien ? Quels sont ces éléments ? s'impatienta-t-elle.
— Je suis au regret de vous annoncer que votre mari faisait appel aux services d'un club d'escorts-girls. Nous savons à présent qu'il a passé la soirée en compagnie d'une jeune femme avant d'être agressé à Whitechapel.
— C'est totalement grotesque ! Mon mari était un homme bien ! protesta la veuve.
— Je regrette, madame. Nous possédons des documents qui le confirment. Cette découverte nous a amené à nous poser plusieurs questions et nous en avons conclus que le meurtrier de votre mari souhaitait le punir. De ses infidélités envers vous ou pour d'autres faits dont nous n'avons pas encore connaissance. Avant toute chose, nous savons que vos enfants peuvent être mis hors de cause. Nous savons qu'ils n'étaient pas à Londres ce jour-là et qu'il était strictement impossible qu'ils puissent revenir à l'heure où votre mari a été agressé. Mais nous sommes convaincus que, sans doute, sans que vous en soyez consciente, vous possédez des informations qui pourraient nous aider. Lors de notre premier entretien, vous nous avez indiqué que votre époux travaillait souvent tard le soir. Et qu'il lui arrivait de se rendre à son bureau en fin de soirée pour des réunions ?
— C'est exact. Il avait des clients en Asie, au Canada, aux États-Unis. Il n'avait donc pas le choix avec le décalage horaire, répondit Sophie-Augusta.
— Et vous n'avez jamais soupçonné quoi que ce soit ? insista Josh.
— Hugh était un homme prévenant. Il n'a jamais levé la main sur moi, il ne m'a jamais insultée. Nous nous entendions très bien ! Comment aurais-je pu croire...vous êtes certain de ce que vous avancez ?
— Oui, madame. Je regrette. Et, tout laisse penser que votre mari entretenait une liaison suivie avec une escort girl. Depuis au moins trois ans.
— Trois ans !
Le visage de Sophie-Augusta se décomposa. Elle se tourna vers son avocat, comme pour chercher son soutien. Ce dernier s'avança vers les deux policiers :
— Je crois que cela suffira. Ma cliente est bouleversée par vos insinuations.
— Sauf votre respect, maître, nous commençons à peine. Nous avons un meurtrier qui se balade toujours dans la nature et nous ne partirons pas tant que nous n'avons pas obtenus les réponses à nos questions, répliqua Nathan.
Josh posa brièvement la main sur le bras de son collègue. Puis il se tourna vers la veuve de Hugh Tremelling :
— Madame, nous avons un service à vous demander. Pourriez-vous nous remettre l'ordinateur de votre mari ? Nous sommes convaincus que nous pourrions y retrouver des informations cruciales.
— Son téléphone ne vous a servi à rien ?
— Non. A la lumière des nouveaux éléments que nous possédons, nous pensons qu'il possédait un second smartphone dont vous n'aviez pas connaissance. Et, pour une raison que nous ne nous expliquons pas pour l'instant, il ne l'avait pas sur lui le soir de sa mort.
— Hugh rangeait toujours son ordinateur dans son coffre-fort. Je n'en connais pas la combinaison. Mais si cela peut aider à trouver le coupable, je vous donne l'autorisation d'ouvrir ce coffre et d'y prendre tout ce qui pourrait vous aider pour votre enquête.
— Merci beaucoup, madame. Pourrions-nous également inspecter le bureau et la chambre de votre époux ? Il ne s'agit pas de scènes de crime mais...
Sophie-Augusta leva la main pour interrompre Josh :
— Faites ce que bon vous semble. Hugh dormait dans une chambre à part. Il ne voulait pas me déranger avec ses sorties incessantes. Je commence à comprendre pourquoi. Pour votre information, je n'ai jamais mis les pieds ni dans son bureau ni dans sa chambre. je respectais sa vie privée. Vous ne voyez aucun inconvénient à ce que mon avocat vous accompagne ?
Cinq minutes plus tard, Nathan et Josh pénétrèrent dans la chambre de Hugh Tremelling. Les deux policiers revêtirent des gants pour ne pas prendre le risque de compromettre d'éventuels indices. Ils inspectèrent le vaste dressing de l'homme d'affaires. Habitués à ce type de fouilles, Nathan chercha immédiatement après un panneau dissimulant une éventuelle cachette. Mais il ne trouva rien. Il se mit alors à palper avec attention les vestes de Hugh Tremelling, sans plus de succès.
Tandis que Josh continuait d'inspecter les penderies sous l'œil attentif de l'avocat des Tremelling, Nathan s'agenouilla devant l'une des tables de chevet. Méthodique, il ouvrit le tiroir et se mit à en tapoter le fond.
— Josh ! s'exclama-t-il lorsqu'il entendit un son creux.
L'autre policier se précipita vers lui :
— Tu as trouvé quelque chose ? s'exclama-t-il.
— Possible. Ecoute.
Josh et Nathan examinèrent avec attention le fond du tiroir jusqu'à découvrir une minuscule encoche dans un coin. Le premier prit dans la mallette qu'ils avaient emporté avec eux une petite pince qu'il introduisit dans le minuscule trou. Avec précaution, il souleva la planche de bois et émit un petit sifflement :
— Tiens donc...
Nathan découvrit à son tour le contenu de la cachette : plusieurs liasses de billets, un bloc-notes et un petit smartphone. Il prit une photo avant de transférer chaque élément dans un sachet transparent qu'il étiqueta avec soin.
Les deux enquêteurs examinèrent ensuite la seconde table de chevet. Ils y découvrir une nouvelle cachette contenant d'autres liasses de billets ainsi que ce qui ressemblait à une carte de visite. Avec précaution, Nathan s'en saisit. Un nom et un prénom y étaient inscrits ainsi qu'une série de chiffres. A l'arrière du document, une signature semblait avoir été griffonnée à la hâte.
— C'est quoi ce truc à ton avis ? Tu as déjà entendu parlé de Thomas More ?
— Non, ça ne me dit rien, répondit Josh.
— Et là ? Attends, on dirait une liste de noms avec des chiffres. C'est quoi ce machin ? Thomas Cromwell, Thomas Wolsey, John Seymour, Thomas Boleyn, Edmund Howard, Thomas Parr, Charles Brandon...
— Charles Brandon ? répéta Josh, éberlué.
— Ça te parle ?
— Ce sont...attends. Brandon, Seymour, Wolsey...oui...j'ai déjà entendu ces noms quelque part. Oh !
— Quoi ? s'impatienta Nathan.
— Ce sont des noms d'hommes qui ont vécu à l'époque du roi Henri VIII.
— Tu te fous de ma gueule ?
— Non, non ! Kate regardait il y a quelques mois une série sur les Tudors parce qu'il y avait Henry Cavill, son acteur favori. Et Cavill joue le rôle de Charles Brandon. C'est pour ça que ce nom me disait quelque chose. On dirait qu'ils sont notés par ordre d'importance. Tu vois ? Thomas Cromwell a le chiffre 1 derrière son nom. Thomas Wolsey, le 2.
— Ce serait quoi, une liste de contacts en cas d'urgence ? s'interrogea Nathan.
— Possible. Moi, ça me fait penser à un groupe d'espions qui voudrait communiquer de manière sécurisée.
— Et qui confirme que Hugh Tremelling avait bien des choses à cacher. J'imagine que Thomas More était son nom de code.
Les deux enquêteurs se dévisagèrent en silence. S'ils ne comprenaient pas encore les informations trouvées, elles étaient de nouveaux éléments importants à ajouter à leur dossier. Il ne leur restait qu'à espérer trouver la même chose chez Bernie Winckworth.
Ils terminèrent la fouille de la chambre sans plus rien trouver. Le serrurier appelé pour ouvrir le coffre-fort, qui se trouvait dans la penderie, arriva quelques instants plus tard.
Ebahis, Josh et Nathan y découvrirent non seulement l'ordinateur de Hugh Tremelling mais également de nombreuses autres liasses de billets, deux pochettes contenant des diamants et plusieurs bracelets pour femme en argent.
Nathan se tourna vers l'avocat de la famille Tremelling :
— Que ce soir bien clair : vous ne parlerez pas de ce que vous avez vu ici. Puisque votre cliente nous a aimablement autorisé à fouiller les lieux, nous allons brièvement évoquer le résultat. Mais, en dehors de vous deux, personne ne doit savoir ce que nous avons trouvé. Il en va du bon déroulement de l'enquête.
— Et je tiens par-dessus tout à ce que justice soit faite. N'ayez crainte, personne, pas même les enfants de monsieur Tremelling ne seront mis au courant.
— Parfait.
Josh exposa rapidement à Sophie-Augusta ce qu'ils avaient trouvé dans la chambre de son époux. Les deux enquêteurs s'attaquèrent ensuite au bureau mais ils ne découvrirent rien de compromettant et aucune nouvelle cachette secrète.
Ils quittèrent Mayfair pour se rendre à Westminster. Lorsqu'ils se présentèrent au domicile de Bernie Winckworth, ils y reçurent le même accueil que chez les Tremelling. Une nouvelle fois, Josh parvint à convaincre l'avocat de la famille de les laisser discuter avec la veuve de l'homme d'affaires. Cette dernière, contrairement à Sophie-Augusta, ne manifesta aucune surprise lorsque l'infidélité de son mari lui fut révélée.
Elle demanda par contre à être présente pendant la fouille de la chambre de son défunt époux. Nathan ne fut même pas étonné de constater que les Winckworth, tout comme les Tremelling, faisaient chambre à part. Cette fois, ce ne sont pas les tiroirs des tables de chevet qui contenaient des objets compromettants mais bien la doublure de deux imposants sacs de golf entreposés au fond du dressing de l'homme d'affaires.
Dans son coffre-fort, les policiers trouvèrent également d'importantes sommes d'argent ainsi que des bijoux de prix. Et c'est en dessous d'une semelle de l'un des mocassins de Bernie Winckworth que Josh découvrit une liste similaire à celle trouvée chez Hugh Tremelling. Les mêmes noms, dans le même ordre, y étaient inscrits. Dans la seconde chaussure, Nathan trouva une carte de visite au nom de William Carey. Il en déduisit qu'il s'agissait du nom de code de Winckworth.
Nathan posa quelques questions à la veuve de Bernie au sujet de ses enfants. Il put en conclure qu'ils avaient des alibis en béton mais, pour la forme, demanda à ce que des preuves leur soient transmises.
Les deux policiers quittèrent ensuite la maison, satisfaits de leur matinée mais conscients que leur enquête n'en restait pas moins bien complexe.
Dans leur bureau, avec une canette de soda à la main et deux club sandwichs à moitié entamés devant eux, Josh et Nathan récapitulèrent ce qu'ils savaient :
— Nous avons un groupe qui utilise l'identité d'hommes ayant vécu à l'époque d'Henry VIII. Nous pouvons supposer qu'il s'agit de notre liste de clients de The Blue Angels of UK et qu'ils ont tous un lien avec Marcus Godward, débuta le premier.
— Deux des membres du groupe ont été assassinés selon le modus operandi de Jack l'Eventreur. Et si le meurtrier s'en tient à ce schéma, nous aurons deux autres morts le 30 septembre. Vraisemblablement deux hommes fréquentant les escorts de The Blue Angel, compléta Nathan.
Tout à coup, Josh se mit à fouiller dans le dossier. Il en sortit la copie des clients de l'agence, ceux qui fréquentaient des filles vivant à Whitechapel.
Nathan l'observa, étonné :
— Quoi ?
— En fait, on connait déjà les futures victimes, s'exclama Josh, fébrile.
— Ah bon ? Depuis quand tu as des dons de voyance toi ?
— Regarde, crétin. Grâce aux infos que nous a fourni l'agence, nous savons que tous nos hommes se rendent chez leur escort des jours bien précis. Oh, merde !
— Quoi encore ? s'énerva Nathan.
Josh secoua la tête et lui tendit une feuille de papier :
— J'avais oublié. Deux escorts vivent à Henriques Street et deux autres à Mitre Street. Sauf que le 30 septembre, Jack l'Eventreur a assassiné deux filles. Pas quatre. Et bien entendu, comme si l'affaire n'était déjà pas assez compliquée, le dimanche, elles reçoivent toutes un mec de notre liste. Donc nous avons quatre victimes potentielles. On doit les prévenir, Nathan.
L'autre enquêteur secoua la tête :
— Ils vont nous rire au nez. Déjà, tu peux me croire, ça ne va pas leur plaire qu'on sache ce qu'ils font de leurs soirées et de leurs weekends. Et puis, quelles preuves pouvons-nous leur présenter ? Aucune.
— Mais quoi ? D'accord, ces hommes ont des comportements écœurants. Sauf qu'avec ce que nous avons découvert, notre devoir est de les protéger. J'appelle le boss, déclara Josh.
— Quoi ? Non, attends. Il va nous demander notre plan pour empêcher le massacre. Tu en as un toi ? Non. Et moi non plus. Ecoute, réfléchis un peu à tout ça. Je vais me rendre chez le journaliste pour qu'il active un peu ses recherches.
Josh dévisage son collègue, étonné. Il toussota plusieurs fois avant de l'interpeller :
— Euh...tu es sûr ? Tu ne vas pas le massacrer quand même ? Ce pauvre garçon ne t'a rien fait !
— Tout de suite les grands mots. Non rassure-toi. Je ne toucherai pas à un cheveu de ce petit prétentieux qui a décidé de se prendre pour le Sherlock Holmes des temps modernes.
— Tu as vraiment une dent contre lui, c'est effrayant.
— Josh, putain ! Si je ne l'avais pas chopé lors de cette soirée, il allait foutre en l'air notre enquête ! Bon, j'y vais. Et toi, pense à ne pas rentrer trop tard. Je te rappelle que, grâce à ce connard qui a décidé de foutre la merde à Whitechapel, nous devrons bosser demain...
Tout en se dirigeant vers la station de Charing Cross, Nathan Cromford envoya un message à Henry Ruardean pour le prévenir de sa visite.
Dépité, l'enquêteur reçut moins de deux minutes plus tard la réponse négative du journaliste.
Epuisé par les heures supplémentaires qu'il effectuait depuis le 31 août, Nathan prévint son collègue qu'il rentrait chez lui pour aller se reposer. Il lui conseilla de faire la même chose.
Après vingt-cinq minutes de trajet en métro, le policier s'effondra sur son lit. Il ne prit même pas la peine de retirer ses chaussures et sombra dans un sommeil agité.
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La petite anecdote : je suis fan d'Henry Cavill et je l'ai bcp apprécié dans son rôle de Charles Brandon dans les Tudors. Du coup j'ai glissé ce petit clin d'oeil dans le texte ;-)
Et sinon, ça vous inspire quoi ces noms de code empruntés à l'époque de Henri VIII ?
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