10 septembre 2018
— Tu peux dire ce que tu veux, Josh, mais y a un cinglé qui a décidé de se prendre pour Jack l'Eventreur. Et si on ne le chope pas rapidement, tu sais comme moi qu'il y aura deux meurtres le dimanche 30. Soit dans vingt jours. Comme je tiens à ma place, tu as intérêt à te bouger le cul pour m'aider à résoudre cette saloperie de dossier.
Le dénommé Josh observa son collègue d'un œil vexé :
— Je n'ai jamais prétendu que je te laisserai en plan ! Quant à l'Eventreur...
— Mais putain qu'est-ce qu'il te faut ? Nous avons découvert Hugh Tremelling à l'endroit exact où Mary Ann Nichols a été assassinée. A la même date et à la même heure. Samedi, nous retrouvons Bernie Winckworth devant le 29 Hanbury Street à six heures du matin. Tous les deux ont subis les mêmes mutilations et ils ont été tués de la même manière. Je ne sais pas ce qu'il te faut.
— Ok, mais il y a une différence notoire entre les victimes de Jack l'Eventreur et celles-ci. Pour commencer, ce sont des hommes. Et des hommes d'affaires. On est vachement loin des prostituées de Whitechapel. D'ailleurs, aucun des deux ne résidait dans ce quartier, Nathan.
— N'empêche que les similitudes sont trop grandes pour ne pas y prêter attention. Je pense que notre meurtrier veut faire passer un message.
— On en a déjà parlé et nous n'avons rien trouvé de compromettant. Si Hugh Tremelling et Bernie Winckworth faisaient appel à des call girls nous n'avons trouvé aucune preuve.
— Eh bien, continuons de chercher !
Nathan Cromford soupira. Depuis son engagement comme détective à Scotland Yard, c'était la première fois qu'il faisait face à des meurtres aussi crapuleux. Évidemment, chaque fois qu'un crime était commis à Whitechapel, tout le monde évoquait Jack l'Eventreur. Mais cette fois, il en était certain, quelqu'un reproduisait à la lettre les assassinats commis par le Tablier de cuir.
Son coéquipier depuis six ans, Josh Sharnbrook, l'agaçait. Pourtant c'était un excellent agent. Mais un peu trop terre à terre parfois. Pourquoi refusait-il d'admettre que, cette fois, ils étaient bien face à un véritable imitateur de celui qui terrorisait les rues de la capitale au dix-neuvième siècle ?
L'instinct de Nathan le trompait rarement. Depuis plusieurs jours, tout son être hurlait qu'ils allaient au-devant de l'une des pires enquêtes de leur carrière. Et pourtant, Josh refusait d'admettre l'évidence. Bien décidé à secouer son collègue, l'enquêteur l'interpella :
— Tu as peur de t'attaquer aux Tremelling et aux Winckworth ?
— Absolument pas ! s'emporta son collègue.
— Alors explique-moi pourquoi tu refuses toujours d'admettre la vérité ? insista Nathan.
— D'accord. Tu as certainement raison. C'est juste que...eh bien je t'avoue que cette histoire me fait peur. Des cinglés, on en a déjà croisé mais là...si effectivement nous avons un tueur qui a décidé de reproduire les meurtres de Jack l'Eventreur...
— C'est pas ton genre d'avoir la trouille ? coupa Nathan.
— Ouais, désolé, je suis ridicule. Tu vois c'est le fait que ce sont des hommes les victimes qui me dérangent. Je veux dire...et si notre meurtrier décidait de faire quelques écarts et de s'en prendre aussi à la police ? Si c'était une sorte d'avertissement à notre égard ?
— Là tu vas chercher un peu loin, je trouve.
— Je n'aurais pas dû lire les articles dans la presse ce matin... murmura Josh.
Nathan soupira :
— Tu connais ces rapaces de journalistes, toujours à la recherche de sensationnalisme ! Ils fichent déjà assez de bordel dans notre enquête. Si en plus tu laisses impressionner par leurs conneries....
— Kate est enceinte.
— Quoi ?
— Tu as bien entendu. Et...hum...elle est arrêtée alors qu'elle n'est qu'à quinze semaines. Alors...ouais...euh...je suis un peu sur les nerfs.
— Tu veux prendre quelques jours de congé ?
— Non, j'ai besoin de bosser pour me changer les idées, rétorqua Josh.
— Demande un changement temporaire d'affectation si tu préfères ne pas aller sur le terrain.
— C'est gentil mais...ouais, ça ira. Il faut juste que...ouais ça ira.
—Certain ? s'inquiéta Nathan
Josh acquiesça de la tête puis il désigna le mince dossier sur le bureau de son coéquipier :
— Pourquoi s'en prendre à des hommes à ton avis ?
— Pour brouiller les pistes ? Que dit la presse à ce sujet ?
— Seulement que ce vieux porc de Bernie Winckworth a eu ce qu'il méritait.
— Oh ! Et sa femme n'a pas encore porté plainte ?
— C'est paru ce matin. Donc j'imagine que la famille va consulter ses avocats pour réagir. Bon,, si on reprenait nos notes sur les deux victimes. J'ai l'impression qu'on a loupé quelque chose.
Nathan approuva d'un geste de la main. Il invita son collègue à s'assoir avant de prendre les documents devant lui. Les deux hommes assassinés n'avaient aucun lien de parenté, ils ne travaillaient pas pour la même société et n'étaient pas amis. Leur seul point commun était d'avoir participé à six réceptions l'année précédente. Rien de bien étonnant, il s'agissait d'évènements incontournables pour les riches hommes d'affaires londoniens. Ne pas y assister relevait du suicide professionnel.
S'il y avait eu des rumeurs d'infidélité concernant Bernie Winckworth, la presse, et en particuliers les tabloïds à scandale, n'avaient jamais accusé Hugh Tremelling de conduite inconvenante. Bien sûr, tout le monde savait que son mariage n'était qu'un arrangement lucratif avec l'une des familles les plus fortunées du Royaume-Uni. Et le scandale ne faisait pas partie du vocabulaire des Tremelling.
Nathan examina la dernière photo de Hugh avec sa femme et ses quatre enfants. Un ménage parfait à la vie parfaite. En apparence.
Son épouse, Sophie-Augusta, était détestée de tous. Rigide, intransigeante sur les règles de l'étiquette et de la bienveillance, elle se comportait comme une duchesse de l'époque victorienne.
Du côté de Bernie Winckworth, les choses étaient différentes. Il avait également épousé une riche héritière mais américaine. Si Sophie-Augusta Tremelling faisait étalage de sa richesse avec grâce, Mildred Winckworth était souvent moquée pour son manque de classe et ses crises de colère à répétition. Les rumeurs d'infidélité avaient débuté dès l'annonce de leurs fiançailles. Les deux époux avaient toujours sèchement démenti via leurs avocats.
Nathan laissa tomber le dossier :
— Je ne vois toujours pas ce qui relie Hugh et Bernie, soupira-t-il.
— Et aucun n'a dans son entourage des médecins ou des chirurgiens. Tu es d'accord que celui qui a fait ça, a des connaissances poussées en médecine ? demanda Josh.
— Oui, c'est évident. C'est quelqu'un qui a fait des études dans ce domaine. Il n'y avait aucune trace d'hésitation sur les deux cadavres. Et ce n'est pas en regardant quelques tutos sur internet ou les séries policières à la mode que tu peux parvenir à un tel résultat.
—Attends, quoi ? Il y a des vidéos pour apprendre à massacrer un corps ? s'exclama Josh.
— Mais non. Enfin, pas que je sache. C'était une manière de présenter les choses.
Ce fut au tour de Josh de consulter le dossier en silence. Nathan l'observa faire sans le distraire. Il le voyait, son coéquipier se torturait l'esprit pour découvrir un indice. Au bout de dix longues minutes, Josh tapa du poing sur le bureau :
— Bordel mais qu'est-ce qu'on a loupé ? Il y a forcément un lien entre ces deux-là !
— Si on partait du principe que notre tueur veuille punir ses victimes. Si on s'en réfère aux meurtres de Jack l'éventreur, on pourrait imaginer que nos deux hommes étaient infidèles et avaient des aventures avec, pourquoi pas, des prostituées ?
— Comment le prouver ? Ce genre d'homme ne va pas crier sous tous les toits qu'il s'envoie en l'air avec une autre femme que son épouse, rétorqua Josh.
— Non, c'est certain. Est-ce qu'il y a des bars mal famés non loin des lieux du crime ?
— Pas que je sache. Enfin, si tu sous-entends des bordels comme au dix-neuvième, je n'ai rien trouvé. Et je ne vois pas Hugh Tremelling se balader le soir dans Whitechapel pour se dégoter une fille pour la nuit. Il serait plutôt du genre à faire appel à une agence spécialisée, tu vois ?
— Hum...oui, effectivement. J'aimerais réinterroger Sophie-Augusta et Mildred. Même si elles ont prétendu ne pas savoir pourquoi leur mari était sorti la nuit, je pense que nous devrions évoquer ces possibles infidélités de leur part. Sans détour. C'est la seule piste que nous avons pour le moment. Et tant pis si leurs avocats nous menacent. Nous avons deux meurtres à élucider et un coupable qui est toujours dans la nature, déclara Nathan.
— On ferait bien de préparer nos arguments dans ce cas ! Quoi, qu'est-ce qu'il y ? demanda Josh en voyant le visage perplexe de son coéquipier.
Nathan ouvrit une page internet en grommelant.
— Nathan ? insista Josh.
— Les agences. J'aimerais qu'on cherche un peu de ce côté-là avant de retourner chez nos deux veuves éplorées.
— Je doute qu'ils nous donnent accès au listing de leurs clients. Nous aurons besoin d'un mandat. Et je ne sais même pas si nous l'aurons.
— Dans ce cas, nous n'avons pas le choix...
Josh se leva d'un bond, faisant tomber le dossier sur le sol. Il dévisagea son collègue, interdit. Nathan lui fit signe de se rassoir avant de reprendre la parole :
— Avant que tu ne te mettes à hurler ou à paniquer, non je n'ai pas l'intention de t'obliger à devenir client d'une agence d'escorts. Je viens de regarder rapidement : à Londres, parmi celles qui ont les tarifs les plus élevées, une seule propose des soirées où il est possible de rencontrer les femmes qu'elles emploient. Moyennant le port d'un masque pour dissimuler l'identité de tout le monde. Et quand je vois les prix pratiqués, cela ne peut être accessible qu'à des gens comme Hugh et Bernie. Si réellement ils ont sollicité une escort, je les vois bien se rendre à une telle soirée pour s'assurer que les filles sont réglos ou ce genre de chose.
— Et donc ?
— La prochaine soirée a lieu ce soir et il reste des places. Je vais m'y rendre puisque je ne risque pas de succomber au charme d'une escort, déclara Nathan, un sourire malicieux sur le visage.
Josh leva les yeux au ciel. Il s'approcha ensuite de son collègue pour regarder le site web de l'agence :
— Tu es sûr qu'ils n'ont que des femmes ? Ah oui, effectivement.
— Qu'est-ce que tu crois ? Je n'ai pas l'intention de me payer du bon temps aux frais du bureau ! Bon, tu en penses quoi ?
— C'est une option comme une autre. Par contre, tu ne devrais pas y aller ainsi. Je veux dire, tu devrais porter une perruque au moins. Et des lunettes.
— Aurais-tu oublié que ce n'est pas la première fois que je vais bosser sous couverture ? Ton manque de confiance en moi est déprimant ! Oh rigole hein, je te taquine !
— Tu es vraiment infernal en ce moment. Le célibat prolongé ne te va pas du tout, rétorqua Josh.
— En même temps, je te rappelle que je n'ai pas choisi...
— Ouais, hum...désolé, ma remarque était déplacée. Hum...alors tu penses que Hugh et Bernie auraient pu faire appel à des escorts girls ?
— Oui. Depuis le début, c'est mon intuition. Je reste convaincu que les meurtres sont liés à leur infidélité. Et cette agence est manifestement la plus réputée de Londres. La plus chère aussi. Leurs tarifs sont trente pourcents plus élevés que la seconde agence dans la liste. Des hommes comme Hugh et Bernie devaient se montrer prudents. Tu remarqueras que le site ne mentionne aucun nom de fille et ne publie aucune photo.
— Cela entretient le mystère et en même temps montre que question discrétion, ils ne laissent rien au hasard.
— Exactement. C'est donc celle-là qu'il auront forcément choisi. Et cela reste notre meilleure piste, conclut Nathan.
Les deux enquêteurs se concertèrent ensuite sur l'organisation de la soirée. Josh rentra ensuite chez lui pour se reposer un peu. Il avait convenu de retrouver son collègue au bureau vers deux heures du matin, lorsque la soirée de l'agence serait terminée.
Nathan ne s'attarda pas non plus. Il préférait le calme et le confort de son appartement au cœur du quartier d'Earl's Court. Le jeune homme sourit en arrivant devant son immeuble aux briques rouges, une architecture typique de ce district situé dans le borough royal de Kensington et Chelsea. Il aimait son quartier et son charme « so british ».
Cinq ans plus tôt, il avait bénéficié d'un véritable coup de chance. Une riche propriétaire quittait la capitale anglaise pour le Canada et elle voulait vendre son appartement le plus rapidement possible. De six cent cinquante mille livres, elle était passée à trois cent mille. Une aubaine que Nathan n'aurait voulu manquer pour rien au monde. Certes, l'emprunt contracté l'obligeait à rembourser sur plus de vingt ans mais il ne le regrettait pas.
L'enquêteur s'installa dans son salon et prit le carnet spécial qu'il utilisait pour ses missions d'infiltration.
Pendant trois bonnes heures, il ratura, griffonna, réfléchit à la meilleure manière d'agir. Il n'avait pas droit à l'erreur.
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Bien bien bien. Nous avons donc deux morts charcutés (il n'en reste donc plus que trois). Nos enquêteurs pensent creuser du côté des agences d'escorts et supposent que le meurtrier est potentiellement qqun qui cherche à punir les hommes infidèles.
Vous en pensez quoi ?
Vos théories après ce premier chapitre ?
Vous aussi vous allez prendre un carnet pour noter vos hypothèses ? Promis, ça sera plus simple que Royal complot. Enfin, plus simple, à vous de voir haha.
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