3. Des réponses attendues

<<Tu es sure que ça va?>>

J'hoche la tête bien que Lucas ne puisse pas me voir à travers le téléphone et reprend en soupirant.

__ Je vais bien.

Il ne réponds rien pendant un moment créant un silence que je comble rapidement.

__ Je vais vraiment bien.

<< T'es sûre ? Après la note qu'on a vu tu étais toute pâle...>>

__ Oui j'étais assez surprise. Mais ne t'en fais pas. Je vais bien.

<< D'accord. Mais tu sais que ça ne voulait probablement rien dire. C'était sûrement une note écrite juste comme ça>>

Je pourrais le corriger en lui rappelant que ça aurait peu de sens, et ajouter que j'ai la preuve que ce n'était pas rien mais connaissant Lucas il trouverait les mots pour me faire penser à autre chose. Et ce n'est pas ce que je veux pour l'instant. Tout ce que je veux c'est continuer à penser et trouver le fin mot de l'histoire.

Des petits coups à la porte brisent soudain le silence qui régnait jusque là. C'est étrange, la chambre de Kylie résonne bien plus que la mienne. D'ici on entend pratiquement tous les bruits de couloirs. Elle a dû en entendre des disputes.

Je dis aurevoir à Lucas et raccroche.

La porte s'ouvre légèrement et la tête de ma mère s'y glisse, un mouchoir blanc devant son visage.
Une tentative de réconciliation en tout point, mais je ne vais pas baisser ma garde pour autant.

__ Je peux entrer?

__ Tu l'as déjà fait.

Elle évite de justesse de marcher sur un livre et quelques bricoles et jette un regard sur la pièce.

__ Tu as mis la chambre de ta sœur en bazar.

Ça n'importe qui ayant des yeux le remarquerait, mais évidemment elle n'a fait aucun commentaire sur les bibelots astrologiques de Kylie. Elle va juste faire comme si elle ne savait pas. Comme d'habitude.
Je ne sais pas si c'est ça qui me frustre le plus ou simplement le fait que je n'ai pas encore digéré notre dispute.

Dans ces moments là je suis vraiment une gamine.

Elle s'approche et s'assied sur le lit à côté de moi.

__ Tu m'en veux ?

J'hausse les épaules. Elle soupire et pose sa main sur mon genou .

__ Qu'est-ce que tu lis?

Je remonte mes jambes faisant glisser sa main et garde le cahier contre mon ventre, en espérant qu'elle ne cherche pas à en savoir plus. J'aurais bien du mal à lui avouer que c'est le journal intime de Kylie. Et surtout pourquoi je l'ai.
Je ne peux pas non plus lui dire que ce malaise que je ressentais tout ce temps avait bel et bien sa cause et surtout à quel point je donnerais tout pour avoir eu tord. Que Kylie n'ai pas tant souffert.

__ Je ne cherche pas à me disputer Haley.

__ Tant mieux pour toi.

__ Je suis désolée pour hier. J'ai dit des choses que je n'aurais pas dû sous l'effet de la colère.

Elle pose sa main sur la mienne et me regarde avec attention.
Je sais ce qu'elle attend mais je ne vois pas pourquoi je m'excuserais. Alors je retire ma main et remonte simplement une mèche rebelle tombée de mon chignon.

__ Merci ma chérie. Je te pardonne aussi !

Son ton sarcastique et ses mimiques réussissent à m'arracher un petit sourire. Elle sourit à son tour et me sert dans ses bras. Je ne résiste pas mais ne réponds pas non plus à son étreinte. Je frissonne quand elle pose ses lèvres sur mon front.

__ Devine quoi ? J'ai une incroyable nouvelle pour toi!

__ Kylie s'est réveillée ?

Son sourire perd de l'ampleur et elle secoue négativement la tête.
Je savais bien que ce n'était pas ça mais sincèrement je ne vois pas ce qu'il y a de mieux en ce moment que le possible réveil de ma sœur.
Au bout d'un moment de silence elle se racle la gorge et tape dans ses mains.

__ Tu vas intégrer le lycée le plus huppé de Nouvelle-Zélande!

__ Par là tu veux dire le même endroit où Kylie est allée ?

__ Euh... oui je suis suppose?

__ Et par le plus huppé tu veux dire Carlston high le même lycée où elle allait et d'où elle a sauté ?

Son sourire disparaît cette fois totalement pour laisser place à une expression gênée.

__ Ils m'ont appelé. Enfin je les ai appelé. Mon bébé a sauté là-bas, alors je devais me plaindre ! Je leur ai dit que je porterais plainte et que c'était de leur faute, j'ai parlé de moi, de notre famille qui se meurt, de toi qui déprimait et d'un coup Bam ils m'ont proposé de parrainer mon autre fille. Tu te rends compte !?

Je reste coite tout au long de son discours, à la fois parce que que je ne trouve rien à redire et aussi parce qu'elle parle beaucoup trop vite.

__ Je sais à quoi tu penses. Mais réfléchis. C'est une opportunité rare. Après l'année que tu as passé à la maison, trouver une aussi bonne école relève du miracle.

À l'entendre, je me suis retrouvée dans cette histoire toute seule. Dès le début elle a aussi joué son rôle. Mais je suppose qu'elle n'a pas totalement tord.

Seulement si je résume, ma mère qui a sa fille dans le coma après être allée à cette école veut que moi son autre fille rejoigne cette même école. Après tout ce qu'on a vécu ces derniers mois, c'est une proposition à la limite de l'agacement. 
C'est tellement stupide que je ne trouve rien à répondre en premier lieu mais après un coup d'œil sur le livre contre mes cuisses, une idée me vient en tête. Quelque chose qui pourrait contenter tout le monde et résoudre toutes les questions que je me pose.
Mais je dois faire quelque chose d'abord.

Je me lève, attrape un sac et y met le cahier sous les yeux surpris de ma mère.

__ Où est-ce que tu vas ?

__ Voir Kylie.

__ Tout à coup? Et ce dont je t'ai parlé ?

Je m'arrête devant la porte.

__ Plus tard !

Je descends ensuite les escaliers à toute vitesse et quitte la maison en courant. L'adrénaline et le sentiment que les choses s'éclairent est tellement forte que j'arrive à courir jusqu'à trois pâté de maison. Un an à rester à la maison ça porte ses séquelles.
Je reprends mon souffle et me resoud à marcher.

J'arrive finalement à l'hôpital et heureusement sans aucune infirmière pour m'empêcher de voir Kylie. Rien n'a changé à hier, elle est toujours endormie dans des draps blancs et une couverture recouvrant le haut de sa poitrine.
Je m'assieds à côté d'elle sur le lit et soupire.

__ Salut Sœurette.

Évidemment je ne reçois aucune réponse mais ça ne m'empêche pas de continuer.

__ Maman veut que j'aille à Carlston.

Je dégage un mèche de cheveux de son visage.

__ Tu ne vas rien dire Alors que tu détestais cet endroit ? Je sors le journal.

Cher journal.

Les cours sont devenus un enfer. J'ai peur de traverser les couloirs et la rencontrer par hasard. Je n'ose même plus aller aux toilettes de peur de la voir.
Je me retrouve à présent à la bibliothèque où je peux me cacher dans un coin, soigner mes blessures.
Surtout celle à la main. Je doute même être capable de passer l'examen tellement mes doigts me font souffrir.
Je veux rentrer. Je veux m'en aller. Je déteste tellement cette école.

__  Tu te faisais harceler et t'as rien dit?

Je lui prends la main. Elle est chaude bien que sa propriétaire ait l'air si peu en vie. Comme si elle allait s'écrouler à tout moment. Je n'ai pas envie de la lâcher.

__ C'est à cause de ça que tu te mutilais aussi pas vrai? Et c'est aussi pour ça que tu as sauté. Tout est la faute de tes harceleurs.

Je regarde attentivement sa main où l'ongle de son auriculaire est arraché et des cicatrices recouvrent sa paume. Comme si elle était tombée, ou qu'on lui avait marché sur les pieds.
Cette pensée m'arrache une injure.

__ Combien ils étaient ? Pourquoi tu n'a écrit qu'un seul nom?

La porte s'ouvre soudain me faisant sursauter. Une infirmière arborant un grand sourire entre un plateau entre les mains.

__ Bonsoir. Je lâche la main de Kylie et lui laisse la place. Vous êtes de la famille ?

Une voix guillerette, un timbre légèrement aigu mais attentionné et son allure donne l'impression qu'elle doit avoir dans la vingtaine tout au plus. Une chaîne de perles lui ornent le cou. Sûrement un cadeau vu comme elle le met en évidence.

__ Un cadeau ?

__ Quoi?

Je lui montre le collier du doigt. Elle sourit et hoche la tête avant de se placer devant Kylie.

__ Ça fait deux ans déjà avec mon mari. C'est adorable n'est-ce pas ?

Les chatons sont adorables. Les chiots sont adorables. Mais ce genre d'attention ne l'est certainement pas.
Un collier de perles à une fille de son âge qui s'occupe peu de ses cheveux sans vouloir être méchante, je fais pire. Soit une rentrée inattendue d'argent ou de la culpabilité.

__ Contente pour vous. 

__ Vous êtes une amie de la patiente ?

__ Sa sœur.

__ Oh. Je vois. Je ne vous ai pas dérangé n'est-ce pas ? J'ai fini de toute façon.

Elle reprend le plateau et quitte la chambre. Dommage une partie de moi aurait voulu savoir si j'avais raison.
Je prends à nouveau place à côté de Kylie et lui pince légèrement la joue. Aucune réaction.

__ Brooke MacCarson. Je vais trouver cette fille et donner à chacun ce qu'il mérite.

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