SAGESSE 5 : FAIRE LE PREMIER PAS
SAGESSE 5 : FAIRE LE PREMIER PAS
Après des semaines passées à ne pas sortir et gratter le plancher chez moi pour trouver la force de réviser et assouvir les besoins de dîners en famille, je parviens enfin à trouver du temps un samedi soir pour prendre un verre et partir avec la bande en soirée. « La routine » les gens diront. Mais ça, c'est seulement parce qu'on a Tristan dans notre cercle d'amis. Et michto notre meilleur ami n'est pas puni par la loi. Ce soir, c'est soirée chez un pote d'Estelle. Pas ouf, mais c'est déjà ça.
— Arrêtez tout. L'eau pétillante c'est surcoté à mort. Team eau plate, lancé-je pour prendre part au débat.
Estelle lève les yeux au ciel et marmonne :
— Milo, on en a déjà parlé, ici y a que toi qui n'aime pas les bulles ici.
Sa remarque sonne cinglante. Ou alors c'est moi qui imagine qu'elle est cinglante tant la présence d'Estelle m'horripile. Elle se la joue plus cool que moi, plus intelligente que moi, plus fascinante que moi. J'avoue que les histoires qu'elle raconte peuvent titiller l'intérêt de tous. Mais de là à poursuivre son plan « conquérir la place de Milo » non merci.
— De toute façon la team non bulles c'est les vrais, vous êtes que des faux avec vos badoit et compagnie.
Tristan me fait un clin d'œil et tend un bras pour que je me réconforte dans ses bras. Je l'envoie bouler en posant ma tête sur l'épaule de Camille. Le blond réagit à peine, trop habitué à ce que la tension sexuelle dans ce groupe soit aussi omniprésent.
— Alors comme ça t'es sur Renée ? souffle Estelle en voulant me taper la discut'.
Gêne assurée.
— Bah non, je suis en couple avec Ovide.
À force de le répéter, l'information fausse paraîtra vraie à ses oreilles. Et puis Ovide ressemble tellement à une plante ces derniers temps qu'il n'écoute même plus ce que je dis en groupe, trop dans son monde.
— Sans déconner.
— Hihi on est couple goal.
Mon « hihi » légendaire crée une moue boudeuse chez elle. Elle comprend vite que je me fous entièrement et complètement de sa gueule.
— T'as pas besoin d'être désagréable, se plaint-elle tout bas, assez fort pour que je l'entende.
J'aimerais répliquer quelque chose mais l'heure tourne. Tristan se relève et annonce que c'est le moment de passer aux choses sérieuses. Le brun qui n'est pas un exemple de vertu, veut clairement se fumer de gros joints ce soir. Dans la bande, hormis Camille qui ne fume pas, personne ne sait vraiment rouler sauf moi. Sauf que bien sûr il a fallu qu'Estelle roule mieux que moi. Et c'est vrai que la fille aux cheveux bleus roule comme une déesse. On dirait des mini-tuyaux parfaitement régulier à chaque fois. Et dieu sait comme rouler, c'est compliqué.
— Milo, va payer, ordonne Tristan.
Vu que je suis l'esclave à tout faire, je passe mon fric à Camille, qui est souvent trop gentil pour dire non. Jackpot, il se lève et paye au comptoir. On michto pas la gentillesse de Camillou nous.
Sur le trajet, Estelle parle avec Ovide. Ils s'entendent bien. Je marche un peu derrière, à côté de Camille qui se rapproche bizarrement plus de moi en cette période de l'année. On rentre en mai et l'idée même de se dire que dans quelques mois rien ne serait plus pareil me fiche la trouille.
— Je suis team Ice Tea. Même si j'aime les bulles, avoue-t-il avec un sourire.
Il a dit ça d'une manière tellement insouciante et réconfortante que je me suis rappelé à quel point Camille était un mec précieux. Tout le monde mérite un Camille.
— T'es un vrai, bébé.
Le blond rit.
— Mon dieu Milo tu vas me manquer.
Et là, le gros bad. J'ai l'impression d'avoir gâché des années-lumière d'amitié. Dans la bande d'amis, j'ai toujours été très proche d'Ovide et Tristan. Camille a toujours été le moins proche de moi, même si nous avions pas mal de liens qui nous reliaient et de potes communs. Ça arrive souvent qu'on découvre un peu trop tard qu'un ami ou une amie dans votre bande soit en réalité un ami putain de précieux et cher. Bah là c'est le cas. Et ça me soûle parce que je le réalise vachement tard. C'est comme si je voulais rattraper du temps perdu inutilement.
— T'as envoyé un message à Renée ?
— Non. Grosse flemme.
La vérité, c'est que je suis resté deux heures cloué devant mon portable à me demander si je devais la demander en amie. Finalement, c'est elle qui l'a fait une semaine plus tard. Mais je n'ai même pas lancé la discussion. « Salut ça va ? » Non merci. Je n'ai pas envie de venir lui parler sur le net alors que j'ose à peine lui adresser un mot en face. Ça ne servirait à rien.
— Elle est à la soirée de Barnabé tu sais ?
— Hein ?
— Quoi hein ?
— Barnabé ? C'est quoi ce prénom de chien de dessin animé ?
Nous éclatons de rire de nouveau. C'est vrai que je suis drôle. Je l'oublie par moment.
— Milo c'est pas mieux hein, réplique Camille.
— Tu parles, mon prénom il est dans les top prénom ces derniers temps.
Nouveaux rires. Ça fait du bien. Finalement, nous arrivons tranquillement en marchant jusqu'à une résidence pavillonnaire qui fourmille de bruit. C'est « chez Barnabé » comme on dit.
— Bon, mon pote de pote de pote Barnabé, il est un peu déprimé ces derniers temps...
Et blablabla, je m'en contrefous. On est des incrust' en or. Je toque à la porte sans écouter les recommandations d'Estelle. À l'intérieur, les gens ont l'air d'être totalement défoncé. Je n'aime pas trop mais on fera avec. La soirée se déroule sans encombre, je papote avec des mecs, des meufs sympas et attend une seconde avant de me rendre compte que Renée est là, toujours dans un coin, en train de manger des bonbons avec des amies.
Ce soir, j'ai un peu bu et me sens invincible à cette soirée pourrie. Alors j'ai décidé de prendre les choses en main en lançant une discussion.
— Salut !
Elle se tourne, surprise.
— ... Hey !
Renée me sourit, toujours aussi étonnée. Je la trouve encore plus mignonne de près. Son maquillage fait que ses yeux brillent. J'adore. Elle ressemble à une petite étoile qui illumine l'univers de cette piste de danse vide.
— Ça va ?
Elle acquiesce. Et là, gros blanc. Le bide total. Pire qu'en message. Elle n'aide pas non plus à ne pas me lancer le « et toi ? ».
Quelques blancs plus tard, elle lance :
— Tu veux des infos sur Estelle ?
— Hein ?
— Bah je sais pas, quand on vient me voir, c'est souvent pour me demander le num d'Estelle... ou un truc qu'elle aimerait pour son anniversaire.
Oh.
— Moi aussi, quand on vient me voir c'est souvent pour avoir le num de Tristan ou d'un de mes potes bégé. C'est épuisant les nanas et mecs qui sont en kiffe sur eux.
— En même temps, ils sont pas dégueus.
— Je reste le plus beau, affirmé-je en espérant que ça ne bide pas.
Elle émet un léger rire et l'idée que j'ai pu faire rire une fille qui me plaît me booste à continuer sur cette voie.
— Je m'appelle Renée. Mais je sais que tu le sais grâce à Facebook.
— Et moi Milo, pareil pour toi avec Facebook.
On se sourit et je me dis que c'est le moment parfait pour complimenter ses yeux. Mais l'idée de jouer le dom juan me rend mal à l'aise. Alors je profite de cet instant un peu moins gênant pour parler du lycée. Elle n'est pas dans mon lycée mais pas grave, c'est toujours un bon sujet de discussion en temps normal.
— T'es dans quelle filière toi ? demandé-je.
— S.
— Pareil. Je suis pas du tout prêt pour le BAC dans un mois.
— Qui est prêt à affronter un BAC sérieux ? interroge-t-elle dans un soupir.
Elle a l'air d'un coup plus déprimée. L'idée de parler des cours est une mauvaise idée. Mauvaise légende nulle. Je me dis alors que c'est à son tour de me parler. Bizarrement, onn' a pas envie de ne pas se parler, on reste ensemble, près du buffet à chercher des mots. C'est dingue quand même que je sais toujours quoi dire avec tout le monde sauf avec les filles qui me plaisent. Mon côté extraverti est rouillé à mort.
— Désolée de pas savoir quoi dire. C'est juste que... j'ai pas l'habitude de beaucoup parler.
Renée s'excuse.
— Oh non te sens pas désolée !
— Tu fais le premier pas, tu viens me parler et tu lances des discussions. Je me sens bête à perdre mes mots.
Et là boum, grosse patate dans la gueule : cette nana a tout pour me plaire.
— Tu veux danser ? proposé-je en essayant de la faire penser à autre chose.
Elle décline mon idée.
— Je suis pas trop à l'aise devant les gens.
Je lui ai proposé une clope à partager. Elle m'a avoué qu'elle ne fumait pas et qu'elle n'aimait pas boire. Son self-control est impressionnant.
— Et ça t'a jamais donné envie ?
— De quoi ?
J'aurais aimé placer une blague de cul, mais je me suis abstenu.
— De boire, de fumer et tout.
— J'ai déjà essayé et ça ne me plaisait pas. Alors j'ai pas vraiment envie de réessayer.
Nous avons continué notre discussion jusqu'à très tard dans la nuit. J'ai passé ma soirée avec elle et en rentrant, je me suis senti bien. Camille m'a taquiné à ce sujet. Ovide est resté avec Estelle à parler de sujets philosophiques. Moi, j'ai porté Tristan sur mon dos. Dans la rue, on avait l'air de sacrés cons.
— Je vais tomber amoureux les gars ! annoncé-je heureux.
Ovide fait comme s'il est jaloux. Camille me fait un clin d'œil. Tristan marmonne un « super » sans énergie. Je leur souris.
Pour une fois, et soyons-en fiers, j'ai fait un premier pas réussi.
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