SAGESSE 12 : BOIRE DU CHAMPAGNE
SAGESSE 12 : BOIRE DU CHAMPAGNE
— T'as vraiment pas de vie bouffon, lance Océane énervée.
Aujourd'hui sonne le glas temporaire de notre bonne relation frère-sœur. Nous nous disputons toujours un peu de temps en temps, pour notre bien-être mutuel. Cette fois-ci, c'est parce que j'ai fini ses brownies et qu'elle m'a piqué une veste. Et comme d'habitude, on finit par crier l'un sur l'autre nos quatre vérités.
— Bah vas-y développe, parle-moi de ma vie inexistante, la défié-je d'un ton méprisant.
— Tu vis à travers tes potes et tu t'étonnes que...
Elle sort toujours l'argument des potes, alors je lui lance un roman dans la face. Océane explose.
— Connard !
— Crevarde !
Et on se regarde, vingt secondes, le temps pour se calmer et éclater nerveusement de rire. C'est toujours pareil avec elle de toute façon.
— Oh putain ça m'a fait du bien, avoue-t-elle.
J'acquiesce. Moi aussi. Pousser un coup de gueule nul, c'est vachement libérateur.
— Demande pour ma veste quand tu la piques et je ne prendrai plus tes gâteaux, déclaré-je sûr de moi.
Océane me sourit, l'air d'accord. Elle s'en va comme si de rien était. De l'autre côté de la porte, satisfaite de voir qu'il n'y a plus de querelle, ma mère entre dans ma chambre.
— Milo ? demande-t-elle hésitante.
Je me tourne vers ma maman, habillée en survêtements, sûrement revenue de son jogging du dimanche.
— Mouais ?
— Y a des voisins qui organisent une fête pour leur emménagement cet après-midi, avec papa on y va. Océane veut faire ses devoirs. Tu veux venir ?
— Y aura du champagne ? demandé-je du tac au tac.
— Sûrement. Et du comté, comme t'aimes.
— Je peux inviter des amis ?
— Ceux dans le quartier, oui.
Je suis content. Une fête un dimanche pour se remplir le bide, parfait. Je propose la fête à la bande, même s'ils ne sont pas tous du quartier. Sur le portable, je m'arrête devant le nom de contact d'Estelle. Peut-être qu'elle ira à la fête. Après tout, on habite pas si loin l'un de l'autre.
« Tu viens à la crémaillère ? »
Je lui envoie tout de même le message, pour être sûr. En ce moment, Estelle vient nous chercher moins souvent et dès qu'elle est là, on se tolère plus ou moins. Je passe mon temps à discuter avec les gars pendant qu'elle prend des nouvelles de chacun. Chacun sauf moi, parce qu'on reste un peu carrément distant l'un près de l'autre.
« Oui, on m'a dit qu'il y avait du champagne !!!!!! »
J'ai souri devant mon écran. Puis gêné par mon sourire, je me suis rendu compte qu'elle commençait à me plaire d'une manière imprévue et qu'il fallait taire mes ardeurs désenchantés d'adolescent.
***
Des cheveux bleus, ça se repère vite. Et Estelle est déjà vers les buffets, où les gens discutent en savourant des morceaux de fromage apéricubes. Ovide bosse, Camille habite trop loin et Tristan jardine avec son père. Bref, je vais passer la fête avec elle et les gosses qui l'entourent. Oui parce que des tonnes d'enfants lui complimentent ses cheveux.
— Y a un monsieur bizarre qui te regarde, avertit une petite fille en me pointant du doigt.
Estelle se retourne et son regard traverse le salon rempli d'adultes jusqu'à s'arrêter sur moi. Elle me sourit, et me montre les verres de champagnes dans ses mains. Je m'avance vers les gosses insupportables. Une petite fille se réfugie derrière Estelle.
— Il est grand. Il fait peur.
Estelle rassure la petite fille et me passe mon verre.
— Il est moche en plus, remarque une autre petite blonde en montrant mon nez.
Je soupire, exténué. Je ne suis pas si moche que ça, j'ai un 11 en beauté pour ma défense.
— T'as des fans, remarqué-je.
— Les enfants ont adoré mes cheveux, réplique-t-elle en me souriant.
Elle s'écarte des gosses et leur annonce qu'elle revient dans deux minutes. Estelle m'ordonne alors de faire vite et de la suivre. J'obéis. Nous arrivons sur la terrasse où ma mère est en train de papoter avec les nouveaux voisins. Le couple est jeune et a un chien. C'est cool, bénéf. On se pose un peu plus loin, sur la pelouse.
— Ça va ? demande-t-elle simplement.
— Yep.
Silence. Peut-être que je devrais lui lancer un « Et toi ? » mais un autre blanc arriverait.
— On trinque ? propose-t-elle en montrant son verre.
J'acquiesce. Les « tchin-tchin » gênants passés, je bois le champagne d'une traite. Ça pétille. J'en veux à nouveau.
— Pas trop stressé par le BAC ? interroge Estelle intelligemment.
Parler d'un point commun de lycéen. Le BAC de fin d'année, bonne idée.
— Bah je suis dans le déni, encore.
Elle me sourit.
— Moi, Platon me bouffe l'esprit.
Je compatis.
— Quoi de neuf ? tenté-je de rebondir.
Puis Estelle rit. D'un coup, légèrement, en essayant de se contenir.
— À chaque fois qu'on se parle depuis la fois devant mon lycée, c'est super gênant. Fin j'sais pas, j'ai jamais été aussi gêné avec quelqu'un, avoue-t-elle sincèrement.
Et c'est là que j'ai réalisé qu'Estelle me plaisait un peu. Beaucoup. Elle m'irrite encore, je me méfie toujours. Mais bizarrement, lui parler enlève un petit poids en moi. Elle m'occupe l'esprit. Elle me sort de ma zone de confort. C'est super bizarre et j'aime bien. Et je commence à la trouver jolie une fois sur deux, ce qui reste assez troublant.
— Bah je sais pas, j'ai l'impression qu'on connaît tout des autres mais rien sur l'autre, remarqué-je honnêtement.
— Imaginons qu'on se rencontre pour la première fois là, à cette fête d'emménagement. Je me présente : Estelle.
— C'est sûr que c'est mieux que « t'aurais pas le num de ton pote Tristan ? » en soirée, je réponds sarcastiquement.
Elle lève les yeux au ciel et se moque :
— Ha ha, grosse barre. Xptdr.
— Tu veux apprendre à connaître le sage mortel Milo ? proposé-je en essayant de paraître le plus décontracté possible alors que je me pisse littéralement dessus.
Je ne sais pas flirter avec les filles.
— On se pose deux trois questions ? Pas de joker, propose-t-elle.
— Chaud.
— Je commence alors... Est-ce que t'es encore sur ma pote Renée ?
OK, elle ne perd pas son temps, direct.
— Non. Fin j'ai été sur elle une semaine au max, j'avoue.
— Oh.
— À moi : Pourquoi t'es venue me demander le numéro de Tristan ? En te fréquentant, j'ai clairement compris que t'es capable d'aller le voir directement...
Ma question la surprend à peine.
— T'avais l'air drôle à essayer de t'occuper d'Ovide. Je pensais que le num de Tristan pouvait être un bon prétexte pour t'aborder. Mais je suis tombée sur un mec grognon.
— T'as quand même fini par pécho Tristan et faire partie de la bande.
— T'avais pas l'air de m'accepter pourtant, rappelle-t-elle ironiquement.
À mon tour de lever les yeux au ciel.
— T'es amoureux d'Ovide ? demande-t-elle soudainement.
— Hein ?
— Bah Renée m'a dit que tu voulais pas coucher avec elle et que bah... elle pensait que t'étais gay. Donc, ouais, t'es amoureux d'Ovide ?
J'éclate de rire.
— Ouais carrément, on a déjà des jumeaux. Notre mariage est prévu pour juin.
— Sérieusement, insiste-t-elle.
— Ça fait deux questions sur mes ressentis, je vais finir par croire que tu stalkes ma vie amoureuse déserte.
Elle réfléchit deux secondes.
— Bon bah Renée avait raison. T'es gay.
— Tu penses que j'aime amoureusement les garçons ?
Elle fait une grimace.
— Je ne te connais pas assez pour te répondre, répond-elle simplement.
J'admets ma défaite et décide lui poser une question tout en répondant à la sienne :
— Je suis pas intéressé par les garçons. Sauf si Josh Hutcherson me contacte pour une pipe des familles.... Et toi t'es sur Tristan ?
Estelle soupire avec un sourire collé au visage.
— Une semaine au max, répète-elle sans me lâcher du regard.
Je suis resté muet un instant, surpris de voir à quel point Estelle peut être différente quand elle se comporte sympathiquement. Ou alors c'est moi qui réalise véritablement que je me suis comporté comme un ennemi numéro 1 et que tous ses mots, même sympas, sonnaient irritants.
— Tu me détestes encore ? pose-t-elle soudainement.
Je fais mine de réfléchir, la faisant perdre patience.
— Non, tu m'as passé du champagne, je réponds cette fois.
Alors Estelle me sourit, d'un sourire super frais et pétillant. Et j'ai presque envie d'avancer mon visage pour l'embrasser. Mais vu que j'ai pas assez de couilles, je reste là à la regarder, perturbé.
— Tu sais quoi ?
Elle lève la tête.
— Hm ? lâche-t-elle méfiante.
Je vais le faire. Sortir la bombe atomique. Et de toute façon, j'ai plus rien à perdre. Je sais déjà à quoi ça ressemble quand on se déteste à fond.
— Tu me plais.
Elle est restée estomaquée deux secondes. C'est vrai que la transition a été rapide.
— C'est le moment de répondre « pas moi » ou « désolée Milo », ajouté-je pour ne pas bouleverser complètement l'atmosphère déjà confuse.
Estelle est toujours aussi muette.
— Tu veux que je répète ou... ?
Elle me coupe d'un seul coup :
— C'est vrai ?
J'éclate de rire.
— Pourquoi ça serait faux ?
— Je vais te plaire une semaine au max ? interroge-t-elle en prenant un peu de distance sur la situation.
— Ça dépend de toi, avoué-je.
J'ai jamais été aussi courageux de ma vie. Bah dis donc, putain, ça paie de sortir de sa zone de confort. J'ai envie de sauter d'un toit sinon.
Estelle me sourit et affirme finalement :
— Tu me plais aussi.
Ah OK, je crois que je rougis. Mes parents me font signe de partir. Estelle le remarque aussi. Je me relève, en soupirant.
— Donc on se plaît une semaine au max ? répète-t-elle les oreilles sûrement rouges.
— Minimum, assuré-je en ébouriffant ses cheveux bleus.
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