Chapitre 9


    Avec la compagnie de Sidon, Link se rendit à la citadelle afin de trouver l'anneau indispensable à ses prochaines fiançailles. Il misait sur la simplicité du bijou car il savait que cela plairait à Zelda. À vrai dire, le jeune homme n'avait aucune espèce d'idée de la manière de choisir la bague. Il s'était imaginé que ce serait simple, mais en fin de compte, il craignait avoir bien du mal à faire son choix. Marchant à travers les rues hyliennes, les deux amis se dirigèrent vers la partie ouest de la citadelle bien que Sidon ne connût pas avec exactitude les motifs de cette sortie. Cependant, il avait noté une certaine nervosité de la part du prodige hylien ; en effet, ce dernier marchait en se tenant si droit que l'on pourrait penser à un automate. Suite à cette pensée exagérée, le prince esquissa un sourire puis croisa les bras. Autour de lui, les habitants devaient lever la tête pour l'observer tant il était grand.

- Link, je crois que tu me dois quelques explications, non ? l'apostropha Sidon dont l'air sérieux vint remplacer son sourire. Tu pars toujours seul dans la citadelle, d'habitude.

     Le blond frissonna tandis que son allure ralentissait puis il déglutit, signe d'embarras.

- En fait... commença-t-il avec hésitation. J'aimerais offrir une bague à quelqu'un et...

- À une femme.

- Oui.

- Et tu ne sais pas comment t'y prendre ?

   Link rit nerveusement et passa une main sur son épaule en levant les yeux vers le premier étage d'une maison. Son silence fut une réponse indirecte pour le Zora qui sourit à nouveau. Il se demandait qui pouvait bien être cette femme, Link ne parlait que très peu de lui et ne se présentait que rarement avec une demoiselle à ses côtés.

- Sans vouloir paraître indiscret, comment est cette jeune personne ?

   Le chevalier ressentit de plus fortes palpitations lorsque le visage de Zelda apparut dans son esprit.

- À mes yeux, elle est la femme la plus exceptionnelle que je connaisse, affirma Link d'une voix posée. Pas un seul jour ne passe sans qu'elle ne me surprenne et me fasse découvrir une nouvelle facette de la vie.

   Il se frotta la joue et riva son regard sur le sol de pavés.

- Alors que je pensais l'inverse, j'ai pris conscience d'une chose, avoua-t-il en se replongeant dans ses souvenirs. De tous ces moments passés ensemble, c'est elle qui m'a sauvé.

    Les yeux de Sidon s'agrandirent et papillonnèrent quelques secondes pour témoigner de son étonnement. Il avait une vague idée de l'identité de cette femme mais les propos de Link le laissaient perplexe. Alors là, le Héros n'était pas simplement amouraché : il éprouvait des sentiments infiniment plus forts.

- Tu comprends, Sidon, j'ai bien du mal à trouver un quelconque présent à sa hauteur... Je lui ai déjà offert un bijou mais aujourd'hui, c'est différent.

   Le Zora hocha la tête et se pinça le menton pour réfléchir à la meilleure manière de l'aider. Pendant sa réflexion, ils s'engouffrèrent au sein d'une des multiples rues marchandes où se tenait justement une bijouterie. Les Hyruliens s'écartaient par respect à leur passage bien qu'ils n'attendaient aucun remerciement de la part des deux combattants. Après avoir franchi le peu de distance qui les séparait du commerce, ils y entrèrent et saluèrent la vendeuse gerudo qui s'était installée à la citadelle.

- Je pense que tu as raison, lui assura Sidon en s'approchant des bagues. La simplicité sera parfaite pour une jeune femme aussi complexe que tu l'as décrite !

   Le chevalier se plaça à ses côtés afin d'examiner les différents bijoux présentés. Il y avait de multiples bagues comportant des joyaux ou aux formes délicates. Le travail d'orfèvrerie de la Gerudo était remarquable.

- Que dis-tu de celui-ci ? lui pointa le prince.

   À la première rangée, un anneau étincelant pouvait très bien faire affaire. Cependant, son diamant laissa Link hésitant. En vérité, le prix ne l'effrayait pas le moins du monde, lui qui s'était enrichi grâce à sa longue quête pour vaincre Ganon.

- Je peux graver un mot ou une phrase sur la bague, intervint la joaillère qui les rejoignit. C'est toujours très apprécié, croyez-moi.

   Le jeune homme observa longuement l'anneau. La pierre précieuse n'était pas si imposante que ça... Durant un court instant, il imagina Zelda le porter à son annulaire et cela lui donna l'impression de rougir bien qu'aucune teinte rosée ne vint apparaître sur ses joues. En effet, cette bague pourrait très bien lui seoir. Link se tourna vers la Gerudo afin de lui demander le prix.

- Combien voulez-vous pour la bague ?

- Elle coûte sept cents rubis. Mais quand on aime, on ne compte pas. N'est-ce pas ?

    Sidon fut tant outré par cette remarque qu'il ricana en regardant ailleurs. Cette femme n'avait pas froid aux yeux pour dire une telle chose au Héros, celui qui avait sauvé le royaume ! Link ne fit aucun commentaire et se contenta seulement d'ouvrir sa bourse.

- Conclu, je vous la prends avec une gravure dessus.

   Un grand sourire se dessina sur les lèvres de la bijoutière.

- Parfait ! Que dois-je inscrire dessus ? demanda-t-elle en prenant la bague.

   Le blond n'eut pas longtemps à réfléchir.

- « Link » énonça-t-il en la suivant du regard.

- C'est noté !

    L'instant d'après, la Gerudo avait disparu derrière sa table de travail où elle s'attela à sa tâche. Ce travail minutieux et d'une grande précision lui demanda une grande concentration et donc un silence total que Link et son ami respectèrent. Au prix de la bague, la bijoutière avait plutôt intérêt de satisfaire son client. De son côté, le rythme cardiaque du chevalier avait légèrement accéléré, comme s'il prenait enfin conscience de la portée de son achat. Se fiancer avec Zelda lui ouvrirait une nouvelle voie pour l'avenir, il n'en doutait pas une seule seconde. Link s'en réjouissait bien même s'il se jetait droit dans l'inconnu. Encore une fois, il devenait plus adulte.

- J'ai fini, annonça la Gerudo en revenant.

- Merci.

    Link la paya grassement puis quitta les lieux en tenant un petit boîtier qui protégeait l'anneau. Il le plaça dans sa poche et émit un soupir de soulagement. Voilà une bonne chose accomplie... Maintenant, le jeune homme devait acheter ses habits manquants pour la fête des fiançailles. Oh, on ne lui demandait pas de porter un costume de prince, loin de là ! Ce qu'il voulait se rapprochait de la tenue hylienne classique. Avec son grand compagnon, ils quittèrent le petit commerce et retrouvèrent l'air chaud de la saison. Link inspira profondément puis évacua tout son stress dans un souffle long et bruyant.

- Eh bien ! se moqua gentiment Sidon en lui tapotant l'épaule. On dirait que tu viens de fournir un effort hors du commun.

- Je n'ai jamais été aussi stressé depuis mon combat contre Ganon... Pourtant, cela n'a rien à voir, je ne comprends pas.

   Le prince zora haussa les épaules d'un air amusé.

- Là-dessus, chacun est différent. Et si nous rentrions ?

    Link l'approuva et l'instant suivant, ils furent en route pour le château où fourmillaient encore des dizaines d'ouvriers. Apparemment, les travaux seraient finis d'ici trois à quatre mois. Cette nouvelle avait particulièrement réjoui la princesse qui espérait revoir la beauté d'antan de la citadelle. Sur leur chemin, les deux compagnons parlèrent des territoires limitrophes ainsi que de leurs commerces florissants avec Hyrule. Oui, une ère de paix s'installait réellement, au plus grand soulagement de tous. Certains étrangers venaient même s'installer dans les différents villages hyruliens et repeuplaient de ce fait le royaume.

    Les deux jeunes gens entrèrent dans le grand hall du château et se dirigèrent vers de larges escaliers qui menaient à l'étage. Alors qu'ils montaient les marches, une silhouette apparut devant eux et les arrêter net. Lorsque Link reconnut la robe bleue nuit que portait la princesse en personne, ses yeux s'écarquillèrent et son cœur se mit à marteler la poitrine de plus belle tandis qu'il cachait son présent derrière son dos.

- Ah, vous êtes là ! s'enthousiasma Zelda qui leur offrit un sourire discret. Je vous cherchais afin d'avoir un avis sur la formation des troupes d'Akka... Link, tout va bien ?

   Son ton inquiet tira le jeune homme de ses pensées, il sentit ses muscles se crisper et l'inconfort le gagner. Zelda ne devait pas se douter de ce qu'il cachait...

- Je... Veuillez m'excuser, Votre Altesse. Il y a une affaire urgente que je dois régler de ce pas.

   Il s'empressa de la dépasser et de s'éloigner vers le premier étage sans oser attendre la réaction de son amante. Prise de court, Zelda leva une main vers lui mais se ravisa bien vite en la laissant presque aussitôt retomber. Le comportement des deux élus plongea Sidon dans une profonde perplexité et dans un raisonnement qui ne demandait pas d'être poussé. Oh, mais... Cette bague... Ne serait-elle pas pour elle ? furent les pensées du prince.

- Sidon, où est parti Link ? lui demanda soudainement la princesse en reportant son attention sur lui. Il n'avait pas l'air si pressé quelques instants plus tôt.

- Pour être honnête, je ne le sais pas non plus. Peut-être vient-il de se souvenir que quelqu'un l'attendait ?

    Le prince zora devait trouver une excuse pour protéger les véritables intentions de son ami. Et visiblement, Zelda ne se montra pas sceptique mais plutôt compréhensive. Il lui arrivait aussi d'oublier un rendez-vous et de s'en souvenir au dernier moment. Après tout, elle avait eu tant de choses à faire ces derniers temps qu'elle manquait parfois certaines rencontres.

- Peu importe, j'irai le voir tout à l'heure. Sidon, je voulais ton avis concernant les troupes d'Akkala en cours de formation.

   Toujours au centre de l'escalier, ils ne firent même plus attention au passage des quelques domestiques ou gardes qui les dépassaient. Des éclats de voix s'élevaient parfois vers le plafond et masquaient ce qu'ils se disaient.

- J'ai eu vent de multiples assassinats depuis quelques temps et je dois avouer que cela m'inquiète de plus en plus. Je ne souhaite que la sécurité de mon peuple, je l'ai promise et je dois agir en conséquence.

   Sidon croisa les bras.

- Vous aimeriez savoir si les nouveaux soldats seraient en mesure d'enquêter et d'arrêter le meurtrier ?

   Le regard de la jeune femme s'assombrit et elle baissa la tête.

- J'entends bien que ma question soit naïve venant de ma part. Je ne sais pas comment maîtriser une telle situation, j'ai peur de ne pas être la hauteur.

- Ne vous inquiétez pas ! Un roi ou une reine ne cesse d'apprendre tout au long de sa vie, vous savez. Il est normal que vous ne sachiez pas vous y prendre pour le moment. Le tout est de s'entourer de personnes de confiance et qui ont des connaissances en la matière. N'est-ce pas pour ça que vous êtes venue nous trouver ?

   Zelda leva la tête vers lui, les sourcils légèrement haussés, puis esquissa un sourire empli de soulagement.

- Tout à fait, affirma-t-elle avec sérénité. Alors, que pensez-vous de cette histoire ?

- Non, ce serait plutôt à moi de vous poser la question en premier.

   Les lèvres de l'Hylienne se pincèrent. Quelle était donc cette attitude de la part de Sidon ? Elle venait de lui poser une question, ce n'est pas pour y répondre d'elle-même ! À moins qu'il voulait s'assurer qu'elle avait un semblant de stratégie ? Zelda comprit la réplique du prince zora et émit un faible soupir.

- D'après les premiers constats, le ou les meurtriers s'attaqueraient à des hommes blonds jeunes. Mais ce n'est pas tout... prononça-t-elle avec amertume. Ils ont l'air de manipuler des pauvres gens pour obtenir des informations avant de les tuer.

- Les victimes civiles ont-elles des caractéristiques communes ?

- Pas vraiment, ce sont des femmes comme des hommes, tout âge confondu. J'ai l'impression... que les personnes derrière tout ça ne parviennent pas à obtenir les informations qu'elles souhaitent.

   Zelda s'attrapa le menton pour réfléchir. Les meurtres étaient espacés de plusieurs jours.

- Après chaque interrogatoire et assassinat d'une victime, il doit y avoir une phase de recherches dont la durée varie toujours, poursuivit-elle. Et quand elle ne mène à rien, les meurtriers s'en prennent à une nouvelle victime, un simple Hylien.

   Sidon se mit à taper du pied pendant qu'il réfléchissait, lui aussi. Ce peu d'indices ne rendait pas la tâche aisée.

- Ils doivent agir la nuit, supposa le prince en fronçant les sourcils. Les Hyliens n'aiment pas sortir dans l'obscurité, c'est l'occasion parfaite pour ces truands d'entrer en douce chez quelqu'un sans être vus.

- Oui, cela me paraît plausible.

   Sidon plongea son regard dans le sien et y vit toute la détermination de la future reine. Il n'y avait pas à dire : Zelda tenait à cœur à son rôle de princesse.

- Plutôt que d'engager des soldats d'Akkala, engageons plutôt des Sheikahs, suggéra Sidon dont un sourire se dessina sur son visage. Ils sont réputés pour leur discrétion et leurs techniques de combat particulièrement efficaces quand il s'agit d'attaquer par surprise. L'accoutrement des soldats hyliens est bien trop lourd et encombrant pour ce genre de mission. Sans compter le bruit de la cotte de mailles quand ils marchent.

- C'est vrai. Je pense que cette solution sera la meilleure. Je vais en parler avec Pahya dans les plus brefs délais.

   La jeune femme prit les mains de Sidon et les serra doucement en signe de reconnaissance.

- Merci, Sidon. L'aide de ses alliés est bien plus que précieuse dans ce genre de situation.

   L'après-midi même, la princesse envoya une missive au village Cocorico et dont la requête n'était que plus claire : retrouver le ou les auteurs des meurtres qui avaient lieu autour de la citadelle. La plus grande discrétion était une nécessité et les coupables devaient être capturés vivants afin de paraître devant Zelda.

oOo

   Link ne cessait de tourner en rond dans sa chambre. Tant d'idées, tant de pensées se bousculaient dans son esprit qu'il se sentait perdu et à la merci de ses émotions. Sur son lit, deux sacs étaient prêts et n'attendaient plus que d'être attachés à la selle de son cheval. Le blond finit par s'immobiliser et inspirer profondément. Comment pouvait-il être dans un tel état alors qu'il parvenait toujours à se maîtriser d'habitude ?

- Capitaine ! s'exclama Iris qui ouvrit tout à coup la porte, ce qui le fit sursauter.

- Qu'y a-t-il ?! s'affola le jeune homme dont le visage avait blêmi.

   Face à son étrange réaction, la châtaine arqua un sourcil et sa bouche s'entrouvrit légèrement en signe d'incompréhension. Pourquoi son supérieur se montrait-il si anxieux ? Il n'y avait pas le feu, quand même.

- Capitaine, quelque chose ne va pas ?

   Link passa une main dans ses cheveux et afficha un sourire mal assuré pour dissimuler son stress.

- Tu m'as surpris en entrant si vite, éluda-t-il en redevenant sérieux. Que se passe-t-il ?

   La châtaine resta un long instant muette, méfiante vis-à-vis de son explication, mais finit par hausser les épaules et dire :

- C'est l'heure de partir, Capitaine. Vous aviez dit qu'on devait quitter le château à onze heures et nous nous en approchons.

- Oui, c'est vrai. Va rejoindre les autres, j'arrive dans un instant.

   Iris fit le salut militaire puis s'en alla en courant rejoindre ses deux camarades qui les attendaient aux écuries. Le chevalier s'empressa de prendre ses sacs, il vérifia une dernière fois qu'il n'avait rien oublié, - surtout la bague -, puis il opta pour une marche soutenue après avoir quitté sa chambre. Ce n'était pas le moment de se dégonfler. Après tout, il allait seulement se fiancer avec Zelda, une continuation de leur relation. En somme, ce que n'importe quel couple vivrait en temps normal. Ce n'était pas une épreuve insurmontable ! Link s'arrêta au beau milieu du couloir et laissa son épaule s'accoler au mur de pierre. Il avait le front en sueur et les mains moites. Bon sang... Perdre ainsi ses moyens, cela ne lui ressemblait pas.

Regardez le petit Héros qui a plus peur de demander sa bien-aimée en fiançailles plutôt que d'affronter Ganon... Comme c'est dérisoire !

   C'était sans doute ce que lui aurait dit Revali s'il était toujours de ce monde. Link tiqua puis reprit son chemin avec bien plus d'entrain. N'était-ce pas normal de s'angoisser face à un tel évènement ? Dire non s'avèrerait être un mensonge. L'impatience trépidante commençait peu à peu à se mêler à l'appréhension. Ce petit séjour à Elimith deviendrait l'un des plus beaux et agréables moments de sa vie, il en avait conscience. Link avait déjà envoyé une lettre à son chef actuel pour l'informer de ses fiançailles et de sa volonté de les fêter selon les coutumes. Cependant, le nom de l'heureuse élue n'avait pas été cité une seule fois pour laisser la surprise et ne pas avertir le reste de la population. En effet, les autres Hyruliens auraient vent de cette union une fois la fête passée. Link voulait d'abord s'assurer que les fiançailles soient bien accueillies par les villageois d'Elimith pour avoir un avant-goût de ce qui pourrait l'attendre par la suite.

   Quelques minutes plus tard, il arriva devant les écuries et aperçut cinq chevaux ainsi que ses trois élèves et la princesse. Celle-ci le salua discrètement de la main et l'invita à se joindre à eux, ce qu'il ne tarda pas à faire. En quelques gestes, le chevalier attacha ses deux sacoches de part et d'autre de la selle de son cheval puis il monta sur son dos, rapidement imité par ses quatre autres compagnons de route. Les trois apprentis ne connaissaient pas encore la véritable raison de leur départ pour Elimith. Dans leur esprit, il s'agissait d'escorter la princesse puisqu'elle était parmi eux.

- Nous devrions arriver en plein milieu de l'après-midi si tout se passe bien, annonça Zelda qui plaça sa jument en face des quatre autres équidés. Nous ferons quelques pauses pour les chevaux et nous nous arrêterons pour manger quand nous aurons atteint le Plateau du Prélude. Cela vous convient-il ?

- Oui, Votre Altesse, dirent-ils à l'unisson, ce qui la fit sourire.

- Bien, entamons de ce pas notre voyage.

   Ils ordonnèrent à leur monture d'avancer au pas puis ils entrèrent dans la citadelle. Les trois apprentis portaient leur arme respective et se tenaient dignement derrière la princesse hylienne qui menait la marche. Quant à Link, il offrait par moments quelques sourires aux passants qui venaient les saluer avec chaleur. Oui, il était loin, le temps où il ne leur prêtait pas attention à cause de ses devoirs. Dorénavant, il avait changé en s'ouvrant davantage au monde qui l'entourait. Tout lui semblait moins obscur qu'à l'époque passée. Même si la vie demeurait encore dure pour les Hyruliens à cause de la reconstruction du royaume, ils se donnaient à cœur joie dans leurs tâches quotidiennes et éprouvaient un respect sans limite pour ceux qui avaient vaincu la Calamité, Ganon.

   Les cavaliers quittèrent l'enceinte de la citadelle et empruntèrent le chemin qui traversait la plaine d'Hyrule. En ce temps où la chaleur n'était pas étouffante, sortir devenait un petit plaisir qui ravivait la gaité dans les cœurs. Léon et Iris en profitaient pour discuter à propos des animaux sauvages qu'ils apercevaient parfois au loin, camouflés par les herbes hautes ondulant au gré de la brise saisonnière. Quelle belle journée, pensait Link dont la poitrine s'allégeait enfin. D'après les dires de Teba, il devrait y avoir le beau temps le restant de la semaine.

- Capitaine, dit soudainement Thomas en s'avançant à côté de lui. Si la mission devenait dangereuse, quelle formation devons-nous opter pour protéger au mieux la princesse ?

   Les deux élus se regardèrent avec surprise, ils se demandaient en silence si le jeune archer plaisantait mais au vu de son expression faciale, cela n'avait pas l'air d'être le cas.

- Nous sommes en mission ? demanda Zelda au chevalier.

- Pas le moins du monde, répondit Link.

   Il ne fallut qu'une fraction de seconde pour qu'il comprenne la raison de l'interrogation du brun. Il est vrai qu'avoir pris les trois apprentis avec eux pouvait mener à confusion, surtout en présence de la princesse. En vérité, ils assuraient certes la sécurité mais Link leur accordait indirectement une permission à Elimith le temps des festivités. En parlant d'elles... Il fallait peut-être les informer.

- Link ne vous a rien dit ? Nous allons nous fiancer demain à Elimith, le devança Zelda qui ne semblait pas gênée par cette révélation.

    Derrière eux, Iris et Léon cessèrent aussitôt de parler, les yeux écarquillés, tandis que Thomas se figea de stupéfaction. Le héros hylien et la princesse... allaient se fiancer ? Pourtant, aucune rumeur à ce sujet n'avait circulé dernièrement. Cela signifiait qu'ils avaient tout fait pour le cacher. Quant à leurs raisons, elles restaient sans aucun doute personnelles.

- Vraiment ? se réjouit Léon en se mettant à son tour à leur hauteur. Pour une surprise... Je ne sais même pas quoi vous dire. Capitaine, Votre Altesse, je ne peux que me réjouir avec vous !

- Merci Léon. Je comptais vous le dire moi-même mais la princesse a pris les devants. Comme d'habitude, murmura-t-il pour lui-même.

   Zelda afficha un semblant de moue et lui donna un faible coup de coude pour lui remettre les idées en place.

- Si tu leur avais dit plus tôt, je n'aurais pas eu à l'annoncer, répliqua-t-elle avec un ton de faux reproche. Tu craignais que tout le château soit mis au courant ?

   Il hocha simplement la tête en guise de réponse, ce qui la fit soupirer.

- Link, tu devrais tout de même accorder plus de confiance à tes apprentis. Je doute qu'ils répètent tout ce qu'ils entendent. N'est-ce pas ?

   Les trois jeunes gens opinèrent avec vivacité. À vrai dire, ils ne savaient pas comment réagir ni que dire. Du moins, jusqu'à ce que Thomas sorte de sa torpeur et demande :

- Vous fêterez vos fiançailles selon les traditions d'Elimith ?

- Oui, tout à fait, lui répondit Link en souriant. C'était l'un de mes souhaits.

   Les yeux du brun se mirent à pétiller d'impatience. Il aimait les fêtes de son village natal, elles avaient une âme, tout le monde s'amusait et vivait un moment de partage. De plus, Thomas pourrait revoir sa mère et lui rendre visite avant les festivités. Il essaierait de lui présenter ses deux camarades.

- Mais avant, nous devons parcourir les nombreuses lieues qui nous séparent du village, rappela Zelda qui empoigna mieux les rênes de son cheval. Il est trop tôt pour commencer les célébrations.

- Et si nous faisions une course ? proposa Link pour passer le temps. Le premier ou la première qui arrive à ce gros chêne, là-bas...

   Il pointa l'arbre en question.

- Ne remportera rien mais pourra fièrement porter le titre de vainqueur, finit le chevalier en les regardant, tour à tour.

- Pour fatiguer les chevaux dès le début du trajet ? Tu as des idées bien enfantines parfois, le sermonna Zelda dont les yeux se plissaient. C'est pourquoi...

   La princesse poussa une exclamation et lança son cheval au galop, prenant tout le monde de court.

- Tu vas perdre ! le nargua-t-elle tandis que les autres apprentis s'élançaient à leur tour en se plaignant de cette triche effrontée.

   Link se mit à rire et ordonna à sa monture d'aller au triple galop jusqu'à ce fameux chêne, droit devant. Puisque c'était le Héros, celui qui avait battu Ganon et qui avait ramené la paix, il allait gagner !

Link termina dernier de la course.

oOo

   Ce fut vers dix-sept heures, le soleil descendant vers l'horizon, que le petit groupe de cavaliers arriva aux abords du village d'Elimith. Le ciel se teintait d'un orange chaleureux et la température diminuait bien qu'elle restait tout à fait agréable. Les gardes avaient allumé deux torches sous l'arche en pierre qui servait d'entrée, ils zieutaient les alentours pour surveiller le moindre mouvement. À l'approche des cinq jeunes gens, tous deux furent comme réveillés ; ils plissèrent les yeux et reconnurent avec facilité le Héros ainsi que la princesse hylienne qui s'avançaient.

- Par les déesses, voilà Link ! s'exclama l'un des gardes avec une joie non dissimulée. Eh, gamin !

   Un enfant qui passait par-là s'arrêta et lui jeta un regard interrogateur.

- Va prévenir le chef que les futurs fiancés sont là ! Nous devons les accueillir comme il se doit.

   Le petit Hylien grimaça puis s'en alla en ronchonnant tandis que les cavaliers se trouvaient presque devant les gardes. Ceux-ci s'approchèrent et saluèrent les nouveaux venus qui mirent pied à terre quelques instants plus tard.

- Votre Altesse, Link, quelle joie de vous voir ! les salua le plus âgé des deux villageois. Venez, Mervin vous attend.

   Les élus des déesses leur adressèrent leurs salutations, imités par les trois apprentis, puis ils entrèrent dans le village où quelques Hyliens les hélaient pour leur souhaiter une bonne arrivée. Rapidement, les chevaux furent emmenés dans l'unique écurie du lieu pendant qu'une bonne trentaine de personnes se réunissaient autour du petit groupe. Une fillette rousse sortit de la foule et vint voir, les yeux pétillant d'excitation, le prodige hylien qui saluait de la main ceux qui l'entouraient.

- Link, c'est elle ta fiancée ? demanda l'enfant en pointant Iris du doigt.

    La jeune fille se crispa et le feu lui monta aux joues quand tous les regards se tournèrent vers elle. Bien sûr... Personne n'oserait imaginer une seule seconde qu'il s'agissait en fait de la princesse en personne.

- N-Non ! Il y a erreur... se défendit la châtaine en secouant ses mains devant elle.

    Un lourd silence s'installa dans la petite assemblée. Link déglutit lorsque l'attention se reporta sur Zelda, derrière lui. Pour une fois, il allait prendre les devants et assumer pleinement au lieu de toujours laisser Zelda faire le premier pas. Avec un air déterminé, il prit la main de la princesse et la tira doucement pour qu'elle vienne se placer à ses côtés. Ce geste fit particulièrement plaisir à l'Hylienne dont le cœur se gonfla d'une certaine fierté non déplaisante.

- Avec la princesse Zelda Hyrule, nous avons décidé de nous fiancer, annonça-t-il clairement pour que toutes les personnes présentes l'entendent. Ayant été anobli il y a peu, une telle alliance est possible dans le respect des plus anciennes traditions de la noblesse hylienne. Cependant, si une personne se trouvant parmi vous s'oppose à nos fiançailles, et par conséquent à notre mariage, qu'elle se manifeste sans délai et nous énonce les raisons.

    Son regard perçant glissa le long du cercle humain qui les entourait, son cœur battait la chamade en attendant la moindre réponse. Certains se regardaient en chuchotant, d'autres semblaient à peine assimiler les informations dites plus tôt. Pourtant, personne n'eut d'objection. Au contraire, un vieillard émit une exclamation joyeuse qui eut pour premier effet d'atténuer la tension des deux amoureux.

- Pourquoi nous opposerions-nous à l'alliance de deux êtres qui s'aiment ? lui demanda une Hylienne dont le sérieux retranscrivait tout le respect qu'elle leur devait. Tout le monde, ici présent, vous donnera sa bénédiction.

- C'est bien vrai, renchérit une autre femme. C'est un honneur de pouvoir célébrer les fiançailles de la princesse !

    Zelda ressentit une vague de chaleur se propager dans son ventre. Elle serra plus fortement la main de Link pour se retenir de le prendre dans ses bras et exulter. Mervin, le chef d'Elimith, se présenta à eux et vint les saluer avec humilité avant de prendre la parole :

- Conformément à votre demande dans la lettre, nous avons déjà préparé les festivités. Si vous le voulez bien, elles commenceront demain en début d'après-midi et se poursuivront dans la nuit.

- C'est parfait, lui assura le chevalier qui affichait un grand sourire. Voici pour vous.

    Mervin reçut trois cents rubis et en remercia le Héros qui se devait tout de même de payer ses fiançailles. Le brun mena ses hôtes jusqu'à chez lui pour les désaltérer tandis que les trois apprentis restaient au beau milieu du chemin, l'air un peu hagard.

- Et nous ? demanda Léon en tapant du pied. On ne va quand même pas passer la nuit dehors...

- Il y a une auberge juste là, lui fit remarquer Iris qui fit glisser la bretelle de sa sacoche jusqu'à ce qu'elle soit sur son avant-bras. Nous ne pouvons pas toujours dépendre du capitaine.

   Thomas plissa les yeux et attrapa le bras de sa camarade :

- Tu ne vas pas retrouver ta famille ? Je pensais que ton père et ta mère habitaient aussi à Elimith.

    Les lèvres de la châtaine se pincèrent tandis que les deux garçons attendaient une réponse de sa part.

- Ma sœur est actuellement formée à Akkala. Quant à l'homme et la femme qui m'ont donné la vie, je ne suis pas sûre de vouloir les appeler « père et mère » sachant que ce ne sont même pas eux qui m'ont élevée.

    Iris s'arracha à sa prise puis se dirigea seule vers l'auberge avant d'y entrer sans prendre la peine de les attendre. Muets, ses camarades restèrent un long instant sans voix, le regard posé sur le bâtiment.

- Bon, je vais retrouver ma mère de mon côté, dit le jeune brun en tournant les talons. On se retrouve demain.

- Euh... Oui. Bonne nuit, Thom's !

   L'archer s'éloigna et grommela dans sa barbe :

- Je t'ai déjà dit de ne pas m'appeler comme ça.

    Léon ricana puis se dirigea vers l'auberge afin d'y passer lui aussi la nuit.

oOo

    Le lendemain, une partie du village était en effervescence pour préparer la fête. Les enfants plaçaient quelques guirlandes fleuries entre les arbres, les adultes installaient une estrade au niveau de la place principale ainsi qu'un buffet artisanal. Tout le monde voulait que les fiançailles de la princesse soient à la hauteur de sa personne, bien que Zelda n'en demandait pas autant. Avec Link, ils prirent leur repas de midi un peu plus tôt qu'à l'accoutumé afin de pouvoir s'accoutrer pour la suite de la journée. Du côté des trois apprentis, ils avaient rapidement arpenté les lieux avant de revenir vers la maison du chef.

- Si vous voulez, je peux vous présenter ma maison, leur proposa Thomas pour s'occuper. Elle est plus haute dans le village.

- J'aurais bien aimé mais Son Altesse va bientôt me quérir pour l'aider à s'habiller... s'excusa Iris.

    Le brun jeta un coup d'œil à Léon.

- Je n'ai rien à faire alors je veux bien venir, dit ce dernier en hochant la tête.

    Les deux garçons se mirent en route et prirent le chemin qui monta vers la colline. Cependant, un grand gaillard s'interposa devant eux, toisa de longues secondes Léon, puis lui offrit un grand sourire.

- Tu m'as l'air plutôt robuste, toi ! s'exclama l'homme. J'ai besoin de gros bras pour m'aider à déplacer deux poutres. Tu voudrais bien me donner un coup de main ?

    Léon regarda brièvement Thomas qui semblait déconcerté.

- Mon ami ne peut pas aider, lui aussi ? voulut savoir Léon pour ne pas le laisser de côté.

- Gringalet comme il est, il se ferait écraser. Mais si tu veux quand même participer, libre à toi ! Ce ne sera pas de tout repos et installer la structure risque de prendre un certain temps.

     Le brun accepta, à contrecœur certes, mais au moins il se rendrait utile.

    Un peu plus tard, Zelda se trouvait dans une pièce à part de la maison de Mervin, accompagnée par Iris et la femme du chef qui l'aidaient à finaliser sa tenue en effectuant les tâches que la princesse ne pouvait faire. La jeune lancière s'attelait à serrer les ficelles dans le dos du demi-bustier en cuir terne que portait Zelda par-dessus une robe vert clair dont les manches étaient légèrement ouvertes du côté proximal, pour laisser voir une partie de ses épaules. Une partie de ses bras, ainsi que tous ses avant-bras, n'était pas couverte de tissu, ce qui rendait sa tenue légère et agréable à porter en cette fin d'été. Avant de choisir cette robe, l'Hylienne avait voulu savoir ce que Link aurait préféré qu'elle porte pour leurs fiançailles.

- Peu importe. Tant que tu es à l'aise, cela me convient, lui avait-il donné comme réponse.

     Zelda avait opté pour une robe en la mémoire de sa défunte mère qui en avait porté une semblable lorsqu'elle s'était fiancée. À côté d'elle, la femme du chef se plaisait à placer quelques petites fleurs dans les cheveux blonds de la future fiancée. Sa tresse habituelle formait un arc autour de sa tête, telle une couronne, et laissa retomber en arrière le reste de cheveux qui n'avait pas été tressé.

- Dois-je vous mettre la princesse de la sérénité cueillie ce matin-même ? lui demanda l'Hylienne en s'écartant un peu.

- Oui, s'il vous plaît, la pria Zelda qui n'osait pas bouger.

    Dans son dos, Iris avait fini de resserrer le bustier et observait en silence la finalisation de la coiffure. Zelda s'était apprêtée avec simplicité car cela lui allait bien ainsi, elle se sentait à l'aise et sûre d'elle. D'ici un quart d'heure, elle rejoindrait Link sur la place principale du village ; elle n'avait aucune idée de ce qui l'attendait puisqu'elle ne connaissait pas les coutumes du village. Pour cela, la jeune femme demanda quelques explications à l'épouse du chef, nommée Gudrid.

- Je ne vais pas tout vous dévoiler ! rit cette dernière après avoir convenablement accroché la fleur à côté de son oreille. Toutefois, je me dois de vous dire ce qu'il va se passer en premier.

    La villageoise se plaça devant la princesse et tapota sur ses hanches pour défaire quelques plis.

- La première tradition est bien simple : l'un des futurs fiancés attend dehors, les yeux bandés, et cinq jeunes personnes du sexe opposé lui sont présentées. Parmi elles, il faut essayer de reconnaître son ou sa promise au simple contact de sa main. Souvent, au vu de la complexité de cette petite épreuve, on ne trouve pas et cela ajoute une touche de bonne humeur pour commencer la fête !

    Gudrid croisa les bras puis soupira un court instant.

- Pour ma part, Mervin m'avait confondue avec sa vieille mère. Je n'avais pas les mains ridées pourtant...

    La princesse rit avec réserve pour ne pas la blesser bien que la villageoise ne le prît point mal. Iris se contentait de sourire et d'écouter.

- Tenez, une autre fois, nous avions mis un homme parmi les femmes, et le futur fiancé l'avait désigné ! Ah, je n'ai jamais autant ri de toute mon existence...

    Gudrid posa une main sur sa tête pendant qu'elle marmonnait des phrases pour elle-même, sans doute par exaspération. Par la suite, elle préféra raconter quelques anecdotes pour abaisser le stress de la princesse dont les doigts ne cessaient de s'entremêler, posés sur ses cuisses. Oui, elle était nerveuse. Qui ne le serait pas dans la même situation ? La bague qu'elle offrirait à Link se trouvait dans une petite bourse de cuir qu'elle gardait accrochée à la taille le temps que le grand moment arrive. À travers la fenêtre ouverte, elle entendait déjà les rebecs et les lyres jouer ensemble pour installer une ambiance de joie et de fête. Il fut bientôt temps pour elle de sortir. Gudrid, qui était partie quelques instants pour se renseigner sur le déroulement des événements, rentra bien vite et accourut vers l'Hylienne dont le cœur martelait l'intérieur de sa poitrine.

- Ses yeux ont été bandés, il faut que vous veniez.

    Zelda hocha la tête puis la suivit à l'extérieur sans rien dire, observée par tous les villageois rassemblés pour l'occasion. Elle régula sa respiration pour calmer son rythme cardiaque pendant qu'elle avançait vers le centre du cercle formé par les Hyliens. Elle y vit Link qui portait la tenue traditionnelle hylienne de couleur rouge et comportant des motifs cousus avec des fils blanc et bleu nuit. Il n'avait pas l'air si différent que d'habitude et dans un sens, Zelda en fut soulagée. Quatre autres femmes allant d'une quinzaine à une quarantaine d'années la saluèrent et lui firent comprendre qu'elles participeraient à l'épreuve. Silencieusement, afin de ne pas donner de quelconques indices à Link, toutes se placèrent en ligne devant lui tandis que les autres villageois poussaient des exclamations et encourageaient le jeune homme.

    La princesse, placée en quatrième position, regarda Link qu'on guidait jusqu'à la première villageoise puis il prit sa main un instant avant de la lâcher en souriant. Aux yeux des observateurs, il voulait sans doute garder le suspens jusqu'à la fin et annoncer où se trouvait sa promise. Link prit la main de la deuxième femme puis de la troisième jusqu'à arriver devant Zelda. Elle lui donna la sienne et retint son souffle sans le lâcher des yeux. L'Hylien s'immobilisa, la bouche entrouverte, puis esquissa un sourire serein en inclinant très légèrement la tête.

- Comment pourrais-je oublier la douceur de tes mains ? prononça-t-il au beau milieu du soudain silence de la foule.

    De sa main libre, il souleva le bandeau au-dessus d'un œil et put lire le trouble qu'éprouvait Zelda. Elle émit un discret soupir puis lui sourit à son tour.

- Toi alors... Je ne peux rien te cacher !

    Les villageois se mirent à applaudir et féliciter Link d'avoir réussi cette tradition si appréciée depuis des générations. Il retira entièrement le bandeau puis le rendit à un homme avant de se tourner vers Mervin qui approchait à grands pas.

- Bien ! Il est l'heure de passer à la danse, jeune gens !

- Comment ? souffla Zelda, abasourdie. Mais... N'est-ce pas un peu trop tôt ?

    Le chef du village passa un bras autour des épaules de Link et le colla à lui avant de lui frotter vigoureusement les cheveux.

- Comment ça « trop tôt » ? s'exclama le brun de sa grosse voix. Nous n'allons pas commencer à danser que ce soir, si ?

    Zelda resta sans voix. Les bagues... Quand devaient-ils les échanger ? La princesse sentit plusieurs mains la soulever dans les airs, ce qui lui arracha une exclamation de stupéfaction. On la mena jusqu'à la l'estrade entourée de guirlande de fleurs, tout comme Link qui subissait le même traitement en se joignant aux éclats de voix des siens. Parmi les musiciens, deux tambours furent amenés pour apporter une touche de rythme, ainsi qu'une flûte taillée à même un roseau. Zelda fut déposée sur les planches surélevées et jeta un regard interrogateur à son compagnon qui venait tout juste de la rejoindre. Une fois de plus, il lui tendit la main, son visage exprimait la bienveillance qu'elle lui connaissait tant.

- Nous ouvrons le bal, lui annonça Link avec un certain amusement dans la voix. Tu ne déclinerais pas l'invitation de ton partenaire, tout de même ?

     Elle lui prit la main et s'approcha de lui en plissant malicieusement les yeux.

- Nous en rediscuterons plus tard, Messire.

    Une musique entraînante commença à être jouée, les villageois ne demandaient qu'à danser eux aussi.

- Je mène la danse, lui dit-il à voix basse. J'espère que tu parviendras à suivre.

- Très bien, j'accepte le défi ! Tu apprendras à tes dépens qu'il ne vaut mieux pas se confronter à une princesse.

    Link rit de bon cœur et la fit tournoyer, marquant le début de longues heures de fête où l'on danserait, boirait, mangerait et rirait. La danse traditionnelle d'Elimith était caractérisée par ses nombreux mouvements des pieds et des jambes qui demandaient une certaine endurance. Link avait eu l'occasion d'apprendre à danser après son réveil dans le Sanctuaire de la Renaissance. Quelques mois plus tard, alors qu'il était en plein dans sa quête pour sauver le royaume, il avait acheté sa maison actuelle à Elimith et il avait commencé à apprendre lors d'un jour de fête. Bien plus tard, à force de répéter pour un jour semblable à celui de ses fiançailles, il avait fini par maîtriser la danse. Quant à Zelda, inutile de préciser qu'elle n'en connaissait pas vraiment les pas...

    Ils collèrent l'un de leurs avant-bras l'un contre l'autre puis se mirent à tourner autour d'un point imaginaire, alternant de côté et de sens au gré du tempo et des claquements de mains de ceux qui ne dansaient pas. Sans se lâcher des yeux, les deux partenaires effectuaient de petits sauts, leur propre main libre sur la hanche. Quand Link élança sa jambe vers l'avant, la jeune femme l'imita et ne put s'empêcher de sourire quand l'allégresse la gagna. Il finit par la lâcher, Zelda s'immobilisa en posant ses mains sur sa taille pendant que son compagnon faisait claquer les talons de ses bottes. Alternativement, il plaçait son pied gauche devant puis le droit, et ce à plusieurs reprises jusqu'à ce que toutes les danseuses reprennent les mêmes mouvements qu'eux. La blonde les simplifia au mieux pour suivre correctement la musique puis elle prit la main que Link lui tendait. La danse dura ainsi quelques minutes de plus et se montra éprouvante pour l'ouverture des festivités.

    Zelda put néanmoins dévisager son partenaire ; son cœur se serra face à son regard pétillant et à la joie que retranscrivait son visage avec exactitude. Certes, elle était vraiment heureuse de le voir ainsi et de partager un tel moment qui annonçait un futur des plus joyeux pour eux. Mais elle savait que cette expression, Link ne pourrait la garder s'il restait au château et qu'il devenait roi. Que voulait-elle ? Choisir de dédier entièrement sa vie à son peuple relèverait de l'altruisme alors que l'offrir à Link serait de l'égoïsme ? Elle y vit une forme d'injustice. Les autres Hyruliens n'avaient pas un tel choix. Personne ne venait leur dire qu'ils étaient égoïstes d'épouser quelqu'un et de ne plus mener la même vie qu'avant. Zelda se le redemanda : que voulait-elle réellement ? Voir cette flamme dans les yeux de son compagnon. Cette vivacité, cette joie de vivre, cette curiosité. Tout ce qu'elle désirait était qu'il puisse s'épanouir de la même manière qu'elle-même s'épanouirait. Était-ce trop demander ?

- Tout va bien ? finit par s'inquiéter Link en voyant son expression peinée.

     La musique venait de prendre fin, la première danse d'ouverture s'était conclue par une poussée d'exclamations de la part des villageois. Zelda papillonna des yeux un bref instant pour chasser ses questionnements.

- Excuse-moi, j'étais absorbée par mes pensées.

- Je ne peux l'accepter, sourit Link bien que cela surprit sa partenaire. C'est un jour de fête, mettons de côté les soucis.

    Ses commissures de lèvres s'étirèrent à leur tour, Zelda se sermonna intérieurement d'avoir presque gâché ce moment festif. Pour se rattraper, elle attrapa la main de Link et le tira en dehors de l'estrade. Celui-ci émit une exclamation de surprise mais se mit bientôt à rire face à la détermination de Zelda qui voulait dorénavant danser au milieu de tous les autres villageois. Léon avait ainsi Iris comme cavalière pour le moment tandis que Thomas préférait goûter au cidre proposé par l'un des paysans possédant un verger.

    Les heures qui suivirent se résumèrent à la danse, aux chants, à la dégustation des victuailles mises à disposition mais aussi à discuter avec quelques Hyliens. Certains furent évidemment ravis de pouvoir parler avec la princesse en personne et ainsi apprendre à mieux la connaître. Ils purent constater qu'elle n'était pas un être aussi inaccessible qu'on le disait, au contraire. Au final, elle se mêlait parfaitement au peuple. Tant et si bien qu'elle ressemblait presque à une Hyrulienne des plus communes. Quand une mère de famille vint le lui dire, Zelda en resta sans voix de longues secondes, méditant sérieusement sur ces mots. Elle regarda tout le monde, la future fiancée ressentit une vague de chaleur qui gagna son cœur. Quel sentiment étrange... Cela n'avait rien à voir avec les fois où elle étreignait Link ou l'embrassait ; ici, c'était tout autre. Cet environnement faisait écho en elle et la confortait dans son idée de poursuivre une existence simple.

      Petit à petit, le soleil disparaissait derrière l'horizon tandis que le ciel prenait une douce teinte orangée appréciée de tous. Les habitants d'Elimith sortirent de nombreuses torches qu'ils plantèrent le long des chemins en plus des habituels feux bleus utiles à la technologie sheikah. Une odeur d'huile flottait à certains endroits mais elle rendait l'ambiance d'autant plus conviviale et calme. Il fut l'heure de procéder à la phase finale des fiançailles. Link pria sa compagne de le suivre, il s'empara d'une torche puis la guida vers les hauteurs d'Elimith. Il faisait certes de plus en plus sombre mais la nature restait encore visible. Plus ils montaient, plus les torches disposées dans tout le village ressortaient et offraient un tableau lumineux des plus agréables.

    Pour l'échange des anneaux, la tradition voulait que les deux futurs fiancés se rendent sous l'un des arbres les plus vieux de la région, se trouvant derrière la colline d'Elimith et face à la mer. Selon les vieilles histoires du village, cet arbre fut planté après une décennie de mauvaises récoltes. À force de prier les déesses avec ferveur, celles-ci leur avaient enfin permis d'obtenir des plants pour se nourrir et payer les impôts. Un hêtre avait été planté en guise d'offrande et de remerciement. Il devait avoir plus de deux cents ans et depuis, il était dit qu'il bénirait tous ceux qui voulaient marquer leur union devant les déesses. Voilà l'une des raisons pour laquelle seuls les futurs fiancés ou mariés devaient s'y présenter. Les autres villageois n'avaient pas l'autorisation de les rejoindre.

    Link guida la princesse vers l'arbre en question qui mesurait une bonne trentaine de mètres de haut. Sur les nombreuses branches robustes étaient suspendus des morceaux de bois où se lisaient des prières voire des remerciements. Ils s'entrechoquaient doucement au gré de vent, ce qui créait une mélodie singulière et propre au lieu. Au pied du large tronc se tenaient deux petits récipients en terre cuite dont le contenu était dissimulé par une fine membrane beige. Zelda adressa un regard interrogateur à Link qui la pria de le rejoindre et de s'asseoir sous les épais branchages. Elle s'exécuta et s'assit, les jambes pliées du même côté à cause de sa robe. Le jeune homme planta sa torche à un mètre de lui puis afficha un sourire réservé.

- Voici une autre coutume assez peu commune à Hyrule. Dans l'un de ces pots se trouve une peinture soit rouge soit bleue. Comme tu le sais, notre teinturerie est l'âme du village, alors il fallait bien qu'on en ait un souvenir.

    Cette explication amusa Zelda qui se montrait très intéressée et attentive. Son compagnon continua :

- Nous devons choisir au hasard un des pots puis planter un morceau de bois dedans. Si tu le retires et qu'il porte la couleur rouge, alors c'est toi qui devras me passer la bague en premier. Ou inversement.

- Seulement dans le cas où tu aurais choisi aléatoirement le rouge.

    Il opina et l'incita à entamer la tradition. L'Hylienne observa attentivement les deux récipients, les yeux légèrement plissés, puis elle prit celui sur sa droite en plus d'une tige en bois juste à côté. Link prit donc ce qu'il restait puis, à l'unisson, ils plantèrent le bâtonnet dans le pot avant de se dévisager.

- À toi l'honneur, sourit Link qui se sentait de nouveau nerveux.

- Non, je t'en prie. C'est à ton tour, le pria-t-elle malgré son impatience.

    Un semblant d'embarras se lut sur son visage puis il tira la tige. La lumière de la torche dévoila le bout de couleur rouge qui luisait sous son éclat lumineux. Link souffla en fermant un court instant les yeux tandis que sa compagne regardait à son tour la couleur bleue de son propre bâtonnet.

- Il semblerait que le hasard ait choisi, le taquina la jeune femme en reposant le récipient sur l'herbe.

- Qu'il en soit ainsi...

    D'une main tremblante et avec maladresse, il ouvrit la petite bourse accrochée à sa ceinture puis en tira le fameux anneau où était gravé son nom. Link n'eut même pas à demander la main de Zelda car elle la lui tendit presque aussitôt, non sans confusion. Il la prit avec délicatesse puis passa la bague à son annulaire gauche. À travers ce geste, une multitude de souvenirs leur revint, retraçant leur relation. Celle-ci avait pourtant très mal commencé, comme si tous les deux n'avaient jamais été fait pour s'entendre. Et pourtant, comme le disait Urbosa, ils se ressemblaient. La première fois où Link avait sauvé la vie à la princesse avait marqué un tournant. Zelda le vit comme son chevalier servant, comme un compagnon, puis comme un ami. Et au final, il devint celui pour qui elle éprouvait des sentiments. Le temps passé ensemble les avait indéniablement rapprochés, leurs voyages, les différentes tentatives d'assassinat contre eux, les discussions poignantes, les questionnements... À l'époque où Ganon était toujours attendu, jamais tous les deux n'auraient pensé une seule seconde en arriver à se passer un anneau autour du doigt.

    Quand Zelda lui plaça la bague qu'elle avait achetée, le rythme cardiaque du blond se calma aussitôt, comme si ce simple bijou avait suffi pour le mettre à l'aise. Il avait apporté un sentiment de sécurité et d'apaisement intérieur. Ils persistèrent à se tenir les mains.

- Maintenant, nous formons une famille, souffla Zelda vraisemblablement émue.

- Oui, répondit-il sur le même ton. Je t'aurais bien embrassé mais il est strictement interdit de le faire sous l'Arbre de la Reconnaissance...

      La jeune femme en fut surprise et lui demanda quelques explications. Gêné, Link détourna le regard et montra quelques signes de rougeurs.

- Disons... qu'une cinquantaine d'années avant ma naissance, les fiançailles d'un jeune couple ont un peu dérapé et... le chef de l'époque s'est mis dans une colère noire puisqu'ils avaient profané ce lieu. Tout témoignage d'affection est interdit depuis.

- Je...Je vois, bafouilla-t-elle à son tour.

    Il reporta son attention sur sa fiancée puis osa sourire de nouveau. À vrai dire, ce n'était pas encore fini. Link attrapa son récipient, plongea son pouce dedans puis vint étaler un trait rouge et horizontal sur le front de Zelda. Cette dernière se figea, prise au dépourvu, et le laissa ainsi faire.

- C'est une forme de bénédiction, lui apprit le jeune homme avec gaité. Les autres villageois sauront que tu as reçu la bague en premier.

- Puis-je t'en mettre aussi ?

    Il le lui accorda, ne cachant pas que cela lui ferait particulièrement plaisir. Avec deux doigts, Zelda traçais deux lignes bleues verticales sur chacune de ses joues, ce qui lui donna un vague air de guerrier. Elle ne put s'empêcher de rire après avoir contemplé son œuvre. Finalement, ils revinrent au village et reçurent les félicitations des nombreux villageois.

oOo

    Bien plus tard dans la soirée, alors que la musique était toujours jouée dans le village, que les Hyliens poursuivaient les festivités et que les criquets partageaient leurs mélodies, Link et Zelda avaient préféré se rendre près d'un champ pour profiter d'un dernier moment rien qu'à eux. Ils observaient Elimith dont la cinquantaine de torches scintillait au sein la nuit. Quels ambiance et paysage inoubliables... La douce chaleur les confortait dans ce sentiment de bien-être qui les berçait. Zelda passa une main dans ses cheveux et en décrocha la princesse de la sérénité qui s'y trouvait. Elle la regarda en souriant puis la planta dans la chevelure de son compagnon qui se laissait faire.

- Elle est pour toi, prononça Zelda à mi-voix. D'habitude, ce sont plutôt les hommes qui offrent les fleurs mais je voulais inverser la tendance.

    Grâce à la faible luminosité, ils se dévisagèrent avec émotion.

- Après tout, la symbolique reste la même, n'est-ce pas ? renchérit la jeune femme dont le regard semblait pétiller de joie.

     Le cœur de Link se serra en la voyant ainsi. D'une part, recevoir une fleur le touchait bien que ce ne soit pas un présent d'une grande valeur marchande. Cependant, sa valeur sentimentale dépassait bien trop son prix matériel. D'autre part, il y voyait là une continuité de sa relation avec la princesse. Doucement, il posa sa main sur la joue de Zelda puis la caressa avec son pouce, procurant quelques frissons à l'Hylienne qui ferma les yeux et laissa reposer sa tête au creux de la main. Link avança son visage, hésita un instant en se figeant, puis embrassa sa fiancée pour clore ce moment d'attente. C'était toujours pareil... À chaque fois qu'il percevait ses lèvres contre les siennes, il avait l'impression que des milliers de canons tiraient de l'intérieur de son ventre. Comment redéfinir ce sentiment à part en évoquant cette multitude d'explosions de sensations ?

    Zelda bascula vers l'arrière et entraîna avec elle le jeune homme jusqu'à ce que ses épaules touchent le sol. Ils s'emportèrent dans un baiser passionné, transportés par la fougue de la jeunesse et le zèle des émois. Ils ne percevaient plus rien de l'environnement qui les entourait, il n'y avait qu'eux et uniquement eux. Zelda passa une main dans la chevelure blonde du chevalier et s'y agrippa sans lui faire mal. Ils commencèrent à avoir chaud assez rapidement et ils durent rompre le contact pour calmer à la fois leur rythme cardiaque mais aussi leur respiration. Malgré l'obscurité, ils ancrèrent leurs yeux dans ceux de l'autre et se sourirent mutuellement.

- Tu ne peux savoir à quel point je suis fier d'être à tes côtés, articula Link presque dans un chuchotement. Parfois, j'ai l'impression que je ne peux pas mériter d'être si heureux...

- Après tout ce que tu as vécu, tu en as largement le droit, Link. Bientôt, tu pourras mener la vie que tu as toujours souhaitée.

     Dans la pénombre, les yeux du jeune homme s'écarquillèrent quand il pensa avoir compris le sens de ses propos.

- Zelda...

- J'ai pris ma décision, le coupa-t-elle en posant trois doigts sur sa bouche pour qu'il se taise et l'écoute. Je vais renoncer à mon titre et partager ta vie comme n'importe quel Hyrulien. Je ne me préoccupe plus de ce que peuvent penser certains. Je sais que, sans moi, Hyrule continuera sur sa voie et redeviendra aussi puissante et prospère qu'il y a un siècle.

    Elle retira ses doigts, passa ses bras derrière le dos de Link et l'attira à elle pour l'étreindre, toujours allongés. Le chevalier en resta sans voix, en proie à ses émotions et à l'intégration de ce qu'elle venait de dire.

- Ne reste pas silencieux, s'il te plaît... Ai-je dit quelque chose de mal ?

    Sans brusquerie, il hocha négativement sa tête au creux de son cou. Il se mit à tressaillir à intervalles irréguliers jusqu'à ce que sa fiancée perçoive des larmes chaudes couler sur sa peau. Touchée de le voir ainsi, elle reposa une main sur sa tête et ne put empêcher ses lèvres de s'étirer.

- Merci... dit Link dans un souffle.

- Pas maintenant, le prévint-elle avec bienveillance. Tu me remercieras quand nous serons de vieux Hyliens.

    Le rire qu'eut le blond ressembla à un hoquet mais lui permit au moins de se reprendre et se s'allonger à côté d'elle après lui avoir pris la main. Il posa sa tête contre la sienne et ferma les yeux pour profiter du bruit de la nature et de la musique provenant du village.

- Nous avons tant de choses à accomplir avant d'en arriver là, souligna-t-il. J'aimerais découvrir quelles terres se cachent par-delà les mers, rencontrer d'autres peuples, visiter des ruines...

- Parcourir le monde, résuma Zelda qui se laissait emporter par ses paroles. Mais avant ça, nous devons résoudre le cercle de réincarnation.

- Nous y parviendrons, j'en suis certain. Dès que Pahya sera en mesure de nous aider, nous nous lancerons dans cette nouvelle quête.

     La blonde hocha la tête. Une fois cette mission accomplie, elle deviendrait une Hylienne des plus ordinaires, sans le poids de sa nature sur les épaules.

oOo

    Du côté d'Iris, elle évitait d'aller voir ses parents qui ne paraissaient même pas lui prêter attention. Cela blessait profondément la jeune fille qui préférait fixer le sol. Elle avait déjà accordé une danse à chacun de ses camardes ou discuté avec quelques villageois, mais la présence de sa mère, notamment, la perturbait. Enfin, sa « mère »... Ce n'était pas elle qui lui avait appris à parler, ni même à marcher. Pas une fois elle n'était venue à Écaraille. C'était toujours Iris qui devait se déplacer si elle voulait la voir, elle et son père. Au final, toutes deux n'avaient tissé aucun lien mère-fille, et cela attristait la châtaine. Elle repensa d'ailleurs à la famille de Thomas qui habitait ici. Où était donc sa génitrice ? Impossible de la reconnaître parmi toutes ces femmes puisqu'elle ne l'avait jamais vue. Quand elle la trouverait, Iris lui poserait des questions sur son fils pour apprendre à mieux le comprendre et le connaître. Peut-être pourrait-elle même lui révéler les dons que cachait son fils ? Iris alla donc trouver l'une des doyennes du village pour lui poser la question.

- Excusez-moi, pourriez-vous me dire où se trouve la mère de Thomas ?

- Thomas ? répéta la vieille dame aux cheveux gris.

- Oui, Thomas Freyson. Il habite plus haut dans le village.

    La doyenne prit un long instant pour réfléchir, le regard dans le vide, mais finit par hausser les sourcils.

- Mademoiselle, aucune famille ne porte le nom de Freyson, ici.

    Les yeux d'Iris s'agrandirent sous l'incompréhension. Cette femme devait se tromper, la vieillesse lui faisait défaut. Thomas avait dormi chez sa mère la nuit dernière.

- Quoi qu'il en soit, cette personne n'existe pas au village, termina la doyenne qui finit par s'éloigner pour assouvir sa soif.

    Le sang de la jeune fille se glaça, elle sentit un frisson lui parcourir l'échine et la pétrifier jusqu'aux pieds. Cette personne n'existe pas. Lentement, elle porta son regard effaré vers son camarade qui discutait de vive voix avec Léon, du moins cela semblait une énième dispute entre eux. Aucune famille ne porte le nom de Freyson ici. Iris revit le tableau de Kangis lorsqu'elle était au village Cocorico, le rumy sur la toile... Les créatures créées par Thomas. Cette espèce de bouclier vert et vitreux... Son étrange réaction pendant leur repas à La Taverne de Telma. Ses mains se mirent à trembler. Était-ce... vraiment Thomas ? Ce garçon n'avait rien de normal. Et s'il lui mentait depuis le début ? Par les déesses, qu'est-ce que tout cela signifiait ?!

    Iris prit sa tête entre ses mains et regarda une pierre enfoncée dans le sol terreux. Elle fut prise de vertiges à cause de toutes ces pièces qui ne parvenaient pas à s'assembler dans son esprit. Quelque chose n'allait pas. Cette affaire de meurtres répétés près du château... Et si... Et si Thomas avait un lien dans tout ça ?

- Bon sang, reprends-toi ! s'exclama-t-elle pour elle-même en serrant les poings. Je n'arrive même plus à avoir les idées claires...

    Son regard croisa alors celui de Thomas et elle sentit ses poils se hérisser sur tout son corps. La brusque accélération de son cœur n'avait rien de romantique, il traduisait la soudaine peur qui la paralysait. Car pour la première fois, à travers ses yeux...

Elle voyait la mort.




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