Chapitre 34
Face à la masse de corruption qui représentait son maître, Caï avait posé un genou à terre et baissait la tête en signe de soumission. La honte lui pesait sur les épaules, tant et si bien que poser les yeux sur son seigneur serait un affront selon elle.
- Maître, je ne sais comment assumer cet échec de ma part. Je suis prête à recevoir une sanction à la hauteur...
Dans un premier temps, Ganondorf ne dit rien. Sa silhouette restait statique face à l'androïde, comme si l'esprit du malin ne l'habitait pas. Cependant, il finit par émettre un soupir d'agacement qui n'annonçait rien de bon.
- Comment une incapable telle que toi peut être général de mon armée ? cracha-t-il avec amertume. Tu mériterais d'être envoyée au plus profond du néant pour l'éternité et consumée par les ténèbres.
La guerrière planta profondément ses ongles dans la paume de ses mains pour contenir la colère qu'elle éprouvait envers elle-même. Elle n'aurait jamais dû faillir à sa mission, Altaïr avait montré des signes de désavantage certains durant le combat mais ce sale Héros était intervenu à cause de l'incompétence de ses subalternes.
- Je t'ai acceptée dans mon armée uniquement car tes capacités surpassaient celle d'un simple soldat du néant, poursuivit-il sans la ménager. Tu es une arme redoutable dont je devrais plutôt me servir comme marionnette, car je constate que tu es une idiote incapable de réfléchir par elle-même.
Ses mots blessèrent Caï car, de son vivant, elle était l'un des généraux les plus prestigieux d'Aurean. Elle avait mis au point de multiples tactiques pour venir à bout d'ennemis ou même pour tuer un dragon. Nombreux furent ceux à prêter des vertus magiques à cette bête majestueuse, mais ces rumeurs n'étaient pas fondées.
- Maître, permettez-moi de m'expliquer, le conjura-t-elle du plus profond de son être. Si le Héros n'était pas intervenu en faveur d'Altaïr, je serais déjà en possession de la pierre d'énergie. Mais il se trouve que les simples soldats n'ont pu tenir face à l'élu d'Hylia...
Elle serra d'autant plus les poings.
- Si de véritables Héros m'avaient accompagnée, nous aurions triomphé, affirma Caï dont la nuque se courbait davantage.
- Ceux qu'il me reste combattent déjà sur un autre front, trancha-t-il aussitôt. Et ils sont bien plus efficaces que toi. Maintenant, oublie cette stupide pierre d'énergie, tu as perdu trop de temps inutilement !
L'éclat puissant de sa voix la fit sursauter.
- La princesse d'Hyrule est en train de monter une armée pour quitter Delteha. Voici donc ta chance de te racheter : rassemble les Soneaux qui ont autrefois trahi Hylia et rends-toi là où se trouvait le château d'Hyrule. De nouveaux soldats du néant t'y attendront puisque cette damnée descendante n'a d'autres choix que de sortir par là.
- Maître, et si le Héros est avec elle ?
Depuis sa salle de trône, Ganondorf esquissa un sourire satisfait. Il s'adossa au fond de son siège illustre puis s'accouda dessus comme il en avait l'habitude. Pour le Héros, il n'y avait rien à craindre. Quelqu'un, ou plutôt un larbin, s'en débarrasserait pour lui.
- Ne te soucie pas de ce déchet, déclara-t-il sur un ton moins agressif. Le mérite de sa mort ne te reviendra pas. Contente-toi de suivre mes ordres. Si tu mènes ta mission à bien, je t'offrirai bien mieux qu'une pauvre pierre d'énergie pour ta subsistance.
Les yeux de l'androïde s'agrandirent de stupeur. Elle releva d'un coup la tête, touchée par une telle attention de sa part. Caï se remit debout et posa une main sur son cœur.
- Ô grand maître, vous êtes trop bon... Soyez assuré que je ne faillirai pas une fois de plus.
Sur ce, la masse de corruption s'effondra sur elle-même, signe que le seigneur du Mal n'était plus là. La guerrière fit ensuite face aux deux Corrompus qui l'assistaient, ces mêmes qui avaient laissé s'échapper le Héros. À la place de leur maître, elle les aurait envoyés au néant sans délai. Mais puisque ce n'était guère le cas, elle devait accepter le jugement de Ganondorf et se servir d'eux encore un peu. D'un simple mouvement de la tête, l'épéiste leur intima l'ordre de la suivre à travers ce labyrinthe qu'étaient les souterrains. Durant ces dix mille ans passés, elle avait eu largement le temps de visiter et de connaître cet endroit sombre et peu agréable. En vérité, elle détestait Delteha. C'était plus fort qu'elle, si Caï pouvait tuer tous les êtres vivants qui la peuplaient, si elle pouvait effacer toute cette crasse du monde, elle le ferait. Ses capacités le lui permettraient, mais depuis qu'elle servait Ganondorf, ce genre de décision lui revenait en tant que seigneur.
La guerrière se souvenait de ses premières années après sa renaissance. Elle n'était plus la même femme, désormais. Avant, son cœur était trop bon, trop généreux, trop empathique pour ce monde empreint de perversité et de perfidie. Malgré son caractère fort et sa détermination à toute épreuve, elle avait été manipulée par une femme qui n'était autre que la reine d'Aurean. Cette dernière lui avait promis monts et merveilles, mais au final, elle avait trahi Caï car cette dernière gagnait en influence et en renommée, ce qui mettait la souveraine dans son ombre. Le pouvoir change l'Homme, disait-on. Qui ne serait pas prêt à tout pour le conserver ? C'était ainsi que la célèbre générale d'Aurean fut assassinée durant un banquet qui lui était dédié : empoisonnée par un stupide vin. Et cette enflure d'Orion, tout aussi corrompu et félon que la reine d'Aurean, avait décidé de se servir d'elle pour la transformer en machine. Mais il ne put jamais prédire la rage immense qu'abritait la guerrière ainsi que toute sa rancœur. Sa volonté de vengeance surpassa le programme principal qui lui retirait sa volonté propre et elle se libéra de l'emprise du Soneau.
Dans un nouveau corps, sous cette enveloppe que personne ne connaissait, Caï put retourner à Aurean et massacrer tous ceux qui s'opposaient à elle alors qu'elle s'approchait de la salle du trône. Et avec une facilité presque décevante, l'androïde avait ôté la vie de sa meurtrière. Ce jour de catastrophe entra dans les mémoires du royaume et hanta l'esprit de nombreuses personnes, épouvantées à l'idée qu'un être maléfique viendrait pour tous les tuer. Cependant, Caï quitta son pays natal et erra durant de longs mois. Les premières semaines, pas un jour ne passait sans qu'elle maudisse son destin et sa nouvelle « vie ». Certes, elle avait obtenu vengeance, mais... elle n'était plus elle-même. Pour une raison que l'épéiste ignorait, elle n'avait pas la volonté de mettre fin à ses jours. Toutes les fois où elle songeait une seule seconde à se jeter d'une falaise, l'envie passait brusquement, comme effacée par quelque chose. Il lui fallut deux ans avant de savoir pourquoi.
Après ces deux années d'errance à travers plusieurs territoires, elle avait décidé de revenir à Hyrule et d'obliger ses créateurs à la détruire. Mais à son retour, le royaume n'était plus le même, la guerre s'était achevée et le peuple soneau avait disparu. Génocide ? Non, plusieurs Hyliens lui avaient dit que les Soneaux s'étaient réfugiés à Delteha, ces souterrains anciennement dédiés aux criminels et à ceux qui avaient enfreint les lois d'une quelconque manière. En résumé, dix mille ans plus tard, ses habitants étaient soit les descendants de ces Hyliens condamnés, soit des Soneaux, soit métisses. Caï était, par la suite, parvenue à entrer dans ce royaume sous terre grâce au temple oublié, l'une des trois entrées dont le temple de Firone et le château d'Hyrule lui-même. Mais dix ans après la défaite du clan soneau, les voies du château et du temple oublié furent bouchées pour condamner le peuple traître à des millénaires de souffrance, voire à une extinction complète. Seul le temple de Firone fut épargné : le corps de Ganondorf devait être accessible pour les prochains élus car le sceau gardien finirait par se briser et ils se devaient de le réimplanter grâce au futur enfant gardien. Hélas, la réalité fut toute autre puisque plus aucun soran ne vit le jour.
Après des semaines de recherche, Caï avait enfin retrouvé le village des réfugiés de Calehun. Ou du moins, ce qu'il en restait puisqu'une maladie avait emporté grand nombre des leurs, dont Orion. Ce furent eux qui lui parlèrent d'Altaïr. Peu avant la mort de leur chef, ce dernier leur avait dévoilé la vraie nature de l'androïde ainsi que les raisons de sa fabrication. En plus de détruire les Gardiens, il devait détruire le Prototype. Altaïr serait même plus puissant que lui. Caï apprit alors que l'un des programmes du cœur antique de ce second robot évitait l'autodestruction. C'était donc pour cela qu'elle ne pouvait pas mettre elle-même un terme à cette nouvelle existence. Elle apprit aussi que la pierre d'Altaïr possédait une quinzaine de millénaires d'autonomie mais, à ce moment-là, la guerrière n'en avait que faire. Elle décida donc d'accepter ce destin et de le dédier à ce qu'elle savait faire de mieux : la guerre.
Il ne restait que peu de traces de son parcours par la suite. Elle aurait été mercenaire, pirate, soldate, et toujours, elle finissait par disparaître du jour au lendemain. Les siècles s'écoulèrent ainsi, sans que Caï n'ait de maître ou de seigneur. Les différents peuples côtoyés, les différentes ethnies, éthiques et coutumes la changèrent indéniablement. Elle s'était habituée aux pires bassesses, finissant par les banaliser, et toutes les valeurs qu'elle chérissait de son vivant n'existaient plus. En somme, son âme avait sombré du côté du Mal. Jusqu'au jour où elle revint à Delteha et rencontra le corps scellé de Ganondorf. Tout lui parut clair : il était le seigneur qu'elle attendait depuis bien trop de millénaires. Caï le ressentait au plus profond d'elle-même, il l'attirait incontestablement à elle. Il... l'appelait, même. Malgré son état, Ganondorf entrait dans une forme de communication avec son âme.
Il est encore trop tôt pour agir... Le sceau n'est pas assez affaibli. Tue les meilleurs combattants dont tu entendras les louanges sur ton chemin. Ils composeront mon armée en temps voulu.
Tel fut son but pour le restant des siècles avant l'éveil de Ganon.
oOo
Astrid, Elzier, Pahya et les deux autres apprentis attendaient non loin du village soneau le plus proche d'Altoz. Ils avaient analysé scrupuleusement les habitudes des deux gardes devant l'entrée principale ainsi que les mouvements des rares villageois qu'ils apercevaient de temps à autre. Manifestement, il n'y avait pas autant de guerriers qu'ils l'auraient pensé et, bien entendu, la princesse Zelda ne semblait pas être là. Enfin... Tant que le petit groupe n'avait pas pénétré dans ce village d'indigènes, il ne pouvait en avoir la certitude. Jusqu'à maintenant, ils attendaient le retour de Link et commençaient sérieusement à s'inquiéter de ne pas le voir revenir. Pahya s'imaginait même que Thomas lui avait ôté la vie, ce qu'elle ne pourrait jamais se pardonner car elle avait accepté de laisser son ami seul avec lui.
Iris, quant à elle, restait de son côté, assise en tailleur à même la terre. Son regard se perdait dans la pénombre, son teint avait pâli et les pensées hantaient son esprit. Par moments, elle soulevait son plastron en cuir ainsi que son jaque beige, dévoilant sa peau mate mise à nue. La châtaine observait longuement l'endroit où la lance avait percé son flanc, là où le sang s'était écoulé suite à l'hémorragie qui en avait résulté. Mais à présent, il n'y avait plus rien, comme si elle n'avait jamais été mortellement blessée. Iris ne gardait aucun souvenir de sa guérison miraculeuse. Seule Pahya avait pris la peine de lui expliquer que Thomas en était la cause. Lui qui avait failli être son meurtrier, il avait été son sauveur. Cependant, malgré cet acte d'une grande bonté de sa part, l'apprentie demeurait choquée par le fait qu'il lui ait fait du mal. En se dressant entre le Héros et Thomas, elle pensait que son camarade aurait immédiatement arrêté sa folie. Mais ce ne fut pas le cas, sa présence n'avait rien changé.
Iris serra les dents dès qu'elle sentit les larmes lui piquer les yeux. Elle savait que ce périple ne serait pas facile, mais jamais elle n'aurait soupçonné un seul instant qu'un de ses camardes puisse être leur ennemi et les trahir. La jeune fille avait bien du mal à croire que Thomas soit une autre personne après tout ce temps passé ensemble. À quel point cachait-il son jeu ? Et pour servir quels desseins ? Tous lui accordaient leur confiance dans cette mission primordiale qui était de retrouver la princesse. Peut-être qu'il avait vraiment prévu le réveil de Ganondorf et qu'il avait sciemment séparé les deux élus... Mais le plus dur fut d'apprendre qu'il n'était même pas humain. Il s'agissait en réalité, selon les dires d'Elzier, d'une machine « renfermant l'âme de Thomas ». Mais pour Iris, c'était tout simplement irréaliste et donc faux. Cet... androïde, comme ils l'appelaient, n'était pas si différent des Gardiens qui avaient pris la vie de son grand-père, huit ans plus tôt. Il avait été fabriqué pour semer la mort sur son passage, et rien d'autre.
Les premières larmes de déception et de colère coulèrent sur ses joues. Pourtant, l'apprentie avait eu l'occasion de voir Thomas pleurer, manger et boire. Autrement dit, ces comportements ne caractérisaient pas une machine si on se fiait à son bon sens. Sans compter ses mensonges sur sa mère qui vivrait prétendument à Elimith. Au final, il se pourrait qu'il n'ait même pas tué son frère... Alors pourquoi avoir été si désespéré le jour où Ganondorf s'était emparé de la citadelle ? Ce lot d'incohérences la perdait. Elle se souvint de leur dernière nuit où il lui avait pris la main. Sa peau froide l'avait marquée. Iris savait que certaines personnes étaient aussi concernées par ce phénomène, mais la main de Thomas lui était parue presque glaciale cette soirée-là. Maintenant qu'elle connaissait sa nature, cela lui semblait être une évidence. Ses membres se mirent à trembler. Iris connaissait une nouvelle peur qui dépassait celle envers les Krassens : qu'il revienne et qu'il la tue définitivement.
Face à leur groupe, deux formes humaines apparurent au bout du chemin et attirèrent leur attention : Link revenait, et il n'était pas seul. Le visage de ses compagnons s'assombrit en reconnaissant Thomas qui marchait quelques mètres en arrière, la tête tournée sur le côté à cause des remords qui l'accablaient. Astrid quitta brusquement sa place, dégaina son épée puis apostropha le Héros :
- Pourquoi ce traître est encore parmi nous alors qu'il a essayé de te tuer ?
Link les rejoignit complètement avant de leur répondre. Derrière lui, Thomas s'était arrêté et restait à l'écart, sa lance sanglée en diagonal dans son dos.
- Ce n'était qu'un malentendu, il n'est pas notre ennemi, déclara le blond en lui jetant un coup d'œil. Il s'est même opposé à la guerrière que nous avons croisée la dernière fois, Ca...
- Excusez-moi de remettre en cause votre jugement, Capitaine, le coupa Léon qui s'était aussi levé, mais vous avez transgressé le code d'honneur !
Le grand gaillard plaqua son poing contre sa poitrine, pris dans son élan.
- Vous auriez dû le chasser ou le tuer car il a combattu pour l'ennemi, continua Léon d'une voix grave. Vous ne vous êtes pas comporté en soldat exemplaire !
L'air fermé de son supérieur le fit déglutir bien qu'il ne se déroba pas à son regard appuyé. Léon se risquait à se confronter à Link, mais il le faisait car il tenait à protéger le Héros et, par extension, Hyrule.
- Dois-je te rappeler que je suis avant tout un chevalier ? lui demanda Link avec un calme qui ne se voulait pas rassurant. Mon code d'honneur a bien plus de valeur que celui des soldats.
Le blond leva les yeux et dévisagea ses autres compagnons qui le regardaient avec méfiance et surveillaient Thomas d'un mauvais œil.
- « Le Chevalier est le serviteur de toute créature souffrante, le défenseur de tout opprimé. Il doit donner sa force et sa vie sans compter pour vaincre la souffrance et l'opposition, sans attendre rien en retour. Il a un comportement exemplaire guidé par les valeurs de la Chevalerie, la vaillance, la générosité, l'honneur et la courtoisie. Il est toujours loyal envers ses compagnons chevaliers et fait preuve de noblesse d'esprit. »
L'héritage de Karl, son père, résonnait dans son cœur et le gonflait de fierté en pensant à lui. Link échangea un regard avec Astrid qui croisait les bras et fronçait les sourcils.
- « Il ne se bat pas par la pointe de l'épée mais par la force de son esprit chevaleresque. »
Sans attendre la réaction de la soldate, il se tourna vers Thomas qui releva un peu la tête vers lui et qui exprima une tristesse manifeste à travers ses yeux.
- Et enfin, « il a le respect de toutes les faiblesses et s'en constitue défenseur. » J'ai un nouveau combat à mener en plus de ma quête actuelle. Et je ne laisserai personne l'entraver.
Le chevalier put voir l'émotion de Thomas suite à ses dernières paroles que lui seul avait comprises. Link reporta ensuite son attention sur Léon qui demeurait dubitatif malgré tout mais qui se plia au choix de son supérieur.
- Maintenant, poursuivons notre route. J'en ai plus qu'assez de perdre du temps à cause de disputes futiles.
Alors qu'il se remettait en marche, Pahya se dressa devant lui, appréhendant ce qui allait s'ensuivre en dépit de sa détermination. Elle osait rarement contester les choix ou la parole de son ami, cependant elle ne pouvait pas accepter aussi simplement la présence d'un ennemi potentiel aussi dangereux.
- Tu nous demandes de fermer les yeux sur un androïde qui a essayé de te tuer et dont nous ne connaissons rien, en fin de compte ?
Link inspira profondément pour garder son calme et ne pas relâcher toute la pression accumulée sur son amie.
- Je vous demande seulement de me faire confiance et de le traiter comme d'habitude. Et que les choses soient bien claires, ce n'est pas un simple androïde. Vous côtoyez un véritable humain depuis que nous sommes ici. Me suis-je bien fait comprendre ?
Seule la Sheikah hocha la tête avec Elzier. Les autres préférèrent se taire et détourner le regard. Link n'insista pas, il décida de leur laisser le temps d'accepter le changement de Thomas. Ils seraient forcés de constater qu'il était resté le même et qu'il serait d'une grande importance pour la suite de leur périple. L'élu se tourna donc vers Astrid et lui demanda si le village soneau qu'il recherchait se trouvait bien à une centaine de mètres d'eux au vu de ce que Link observait. La soldate de Panah le lui confirma et ajouta même qu'il était gardé par deux guerriers au niveau de son entrée principale. Puisqu'aucun d'eux ne connaissait les mœurs et coutumes de ce peuple souterrain, et encore moins leur langue, ils se concertèrent pour adopter la meilleure approche possible. Ils se devaient de montrer leur pacifisme en retirant leur arme. Et pour que leur plan fonctionne, l'aide de Thomas serait primordiale.
- Maintenant que tu as recouvré toutes tes capacités et ta mémoire, tu parles couramment le soneau, n'est-ce pas ? lui demanda le Héros qui revenait vers lui.
- Je serai votre interprète, ne vous inquiétez pas...
Link lui sourit avec bienveillance.
- Merci. Nous allons tous retirer nos armes et les stocker dans la tablette. Quant à ta lance, j'aimerais que tu la laisses en dehors de leur village. Si la situation devient mauvaise, tu pourras l'appeler à toi.
Le brun s'attrapa l'avant-bras en signe d'embarras. Non pas car il n'en avait pas envie. Mais il voyait bien que son supérieur avait oublié un certain détail qui pourrait être fâcheux aux yeux des autres.
- Capitaine, vous avez oublié que j'ai pris possession de votre tablette... Je pourrai dématérialiser mon arme de moi-même et à tout moment. Mais je préférerais que vous ne leur disiez pas pour l'instant.
Il était persuadé qu'il fallait leur laisser le temps de lui refaire confiance avant de leur parler de ce piratage. S'ils en avaient connaissance, ils risquaient de croire à une trahison future et probable de sa part. Car après tout, si Thomas le désirait, il pouvait très bien ordonner l'explosion et donc la destruction de la relique. Cela allait, cependant, à l'encontre de sa nouvelle mission, il n'avait aucune raison de procéder au programme d'autodestruction. Quant à Link, il acquiesça d'un signe de tête puisqu'il comprenait la raison d'une telle demande. Le blond repartit ensuite devant et demanda à Pahya de le mener jusqu'au village soneau. La Sheikah, peu sereine, jeta un coup d'œil en direction de l'androïde puis se résigna à accepter sa présence définitivement. Elle donna même ses deux petits sabres de la défiance quand Link demanda à chacun leurs armes afin de les stocker dans la tablette. Même si sa confiance envers le Héros était mise à l'épreuve, il n'en restait pas moins son ami. Tant qu'il aurait besoin d'elle, Pahya le suivrait.
Le petit groupe se remit en route. Au moment où Thomas s'apprêtait à leur engager le pas, il vit Iris le dévisager avec une crainte visible à son égard. Ses yeux marron lui disaient silencieusement qu'il était un monstre. D'une certaine manière, ils le déshumanisaient, à l'image de ses créateurs de leur vivant.
- Iris, je me sens terriblement coupable, commença-t-il avec nonchalance pour lui présenter ses excuses.
Craintive, elle recula d'un pas et se referma d'autant plus sur elle-même. Son mouvement peina Thomas qui ne savait quels mots choisir.
- Je ne suis pas...
- Ne t'approche pas de moi ! cria Iris d'une voix enrouée lorsqu'elle sentit la panique la gagner. Tu n'es... même pas humain...
Le dégoût dont elle faisait par à son égard blessa tant le brun que, quelque part au fond de lui-même, une chose se fissura. Ce ne pouvait être son cœur : il n'en avait pas. Déconcerté, il vit la châtaine accourir vers Astrid et rester auprès d'elle, là où il y avait un semblant de sécurité dans cet endroit sombre et insalubre. L'expression attristée et habituelle de Thomas s'accentua puis il se mit enfin à marcher pendant qu'il tenait fermement sa ceinture thoracique. Dorénavant, plus rien ne serait comme avant et cela, il ne pouvait que l'accepter, une fois de plus. Le jeune homme refusait de croire que les déesses lui avaient choisi un tel destin dès la naissance, à être rejeté de la sorte. Non... Orion était celui qui l'avait écrit et dicté pour lui. Tout ce qui lui arrivait en résultait.
oOo
Face à eux, les deux gardes soneaux les menaçaient et pointaient leur lance en guise d'avertissement. Les six étrangers ne portaient plus leurs armes, ils s'étaient présentés de manière pacifique et ne montraient aucun signe d'hostilité qui pourrait porter à confusion. Suite au regard de Link, son apprenti archer s'avança afin d'entamer son rôle de traducteur.
- Qui êtes-vous ? lui lança le premier garde qui leur barrait la route.
- Nous ne sommes que des voyageurs, répondit Thomas avec un ton neutre, nous aimerions obtenir des informations et poursuivre notre chemin.
- Des voyageurs ?
Les deux gardes soneaux se regardèrent avec méfiance puis jetèrent un coup d'œil à Elzier. Jamais encore ils n'avaient vu pareil animal et pareils crocs ; cette créature blanche leur suscitait une certaine peur qui ne les poussait pas à accorder leur confiance à ces inconnus.
- Les étrangers ne sont pas autorisés à entrer dans notre village. Le deraïr Chomden n'est pas là, il ne répondra pas à vos questions.
Thomas le traduisit à Link et attendit sa réponse, toujours surveillés par les deux Soneaux. Finalement, le brun se reporta vers eux et leur affirma :
- Nous ne voulons pas nous entretenir avec lui. Le... chef de notre groupe, Link, désire seulement savoir si une jeune femme nommée Zelda est venue ici.
- Pourquoi il veut savoir ça ? répliqua aussitôt le garde avec brusquerie.
- Nous sommes à sa recherche.
Le deuxième homme prit la parole à son tour et décréta, une fois de plus, que les étrangers ne pouvaient entrer dans leur village. À contrecœur, Thomas souleva quelques couches de vêtements et dévoila le tatouage de hibou sur son bras. Les motifs luisaient faiblement dans la pénombre mais suffisamment pour les convaincre tous les deux de ses origines. Cependant, ses yeux bleus n'émettaient aucune lueur, ce qui les fit tout de même hésiter. Après une courte concertation entre eux, l'un des gardes s'engouffra dans le village pendant que l'autre inspectait les étrangers. Ainsi, de longues minutes passèrent sans que le groupe de Link ne sache ce qu'il se passait réellement derrière toutes ces huttes. Le deuxième Soneau finit enfin par revenir ; il marchait avec moins d'assurance bien qu'il tâchât de ne pas le montrer à ces visiteurs indésirables.
- Vous pouvez venir. Quelqu'un répondra à vos questions, déclara-t-il en se décalant sur le côté. Il vous attend sur la place centrale.
D'un hochement de tête après la traduction de Thomas, les voyageurs les remercièrent et entrèrent dans le village en contemplant cette civilisation que tous pensaient éteinte depuis des millénaires. Même si Link ne pouvait le savoir, leur style d'architecture n'avait guère changé depuis le temps à cause du manque de matériaux et des conditions primitives de ces lieux. Il remarqua aussi les coups d'œil brefs de Thomas tout autour d'eux, comme s'il scrutait chaque coin de pénombre à la recherche de quelque chose. Après une vingtaine de mètres parcourus, ils parvinrent à rejoindre ladite place centrale, un cercle de terre dépassant à peine dix mètres de diamètre. Cet endroit étroit rassura encore moins Iris dont le souffle s'accélérait à cause de la présence de Thomas. Être aussi proche de lui avec aussi peu d'espace pour s'en éloigner et s'enfuir attisait sa nouvelle panique naissante. Devant eux, l'un des rares guerriers restés sur place les attendait, les bras croisés et l'air fermé.
- Qu'est-ce que vous voulez ? aboya-t-il presque à leur adresse.
- Nous voulons savoir si une jeune femme appelée Zelda est venue ici, répéta Thomas qui regardait une hutte sur le côté. Elle est la future femme de cet homme.
Le brun désigna Link qui écoutait sans comprendre, seul le prénom de sa fiancée faisait écho en son sein.
- Nous sommes venus la chercher car ils ont été séparés. Elle a les cheveux couleur feu et des yeux verts.
Le guerrier tiqua et plongea son regard dans celui de Link qui n'oscilla pas. Le chevalier attendait une réponse de sa part, si possible positive. Il avait espoir que Zelda soit passée ici récemment malgré le temps indéfinissable pour les habitants de Delteha.
- Peut-être est-elle passée par là, oui. Mais qui peut m'assurer que nous parlons bien de la même personne ?
Elzier et Astrid ricanèrent suite à la traduction de Thomas tant la question leur parut absurde. Apparemment, ici, les habitants possédaient tous des cheveux blancs et aucun étranger n'avait pénétré Delteha depuis des millénaires. Alors oser dire qu'il pouvait y avoir erreur sur une personne atypique...
- Cet imbécile se fout de nous, n'est-ce pas ? dit la soldate de Panah avec une pointe d'agacement. Je n'ai pas l'impression que les blondes, les brunes ou les rousses courent les rues, ici. Il ne peut y avoir que la princesse Zelda !
- Astrid, gardons notre calme, la pria Link en se tournant vers elle. J'ai une solution bien simple pour lui prouver que nous parlons de la même personne.
Il porta sa main à sa ceinture et attrapa la tablette sheikah.
- Eh, toi ! vociféra le guerrier qui décroisa les bras et s'approcha du Héros en arborant une expression menaçante. Lâche cette chose immédiatement.
Thomas se dressa entre eux et fronça les sourcils face à la tentative d'intimidation de cet homme.
- Sinon quoi ? demanda-t-il avec suspicion. Ce n'est pas une arme, elle ne te fera aucun mal.
- Thomas, que se passe-t-il ? s'inquiéta Link qui ressentait la montée de la tension au centre de la placette.
Son apprenti ne répondit pas. Il dévisageait toujours le guerrier, aucun d'eux ne fit de mouvement, à la manière de deux animaux qui se jaugeaient. Le Soneau plissa les yeux et jeta un regard sur le côté avant de poursuivre :
- Nous avons été prévenus qu'un ennemi utilisait un objet similaire et recherchait aussi une certaine Zelda. Aucun de vous n'est d'ici, je ne peux pas être certain que vos intentions soient nobles.
- Je n'ai pas non plus le sentiment que les tiennes le soient.
- Est-ce qu'il y a un problème ? lui redemanda Link qui ne se préoccupait plus de sa tablette.
L'absence de réponse de son apprenti lui déplut et intensifia ses doutes quant à leur présence au centre du village de Nehvir. L'Hylien voulait connaître la source de cette tension soudaine afin de l'amoindrir et avoir de bonnes relations avec ces indigènes. Notamment car ils étaient les seuls à pouvoir l'aider à retrouver Zelda. De son côté, le guerrier ne recula que d'un pas sans lâcher l'androïde des yeux. Son comportement n'avait rien d'anodin, Astrid et Pahya savaient que quelque chose n'allait pas. Certainement l'absence des villageois qui tâchaient d'éviter soigneusement la placette, par peur d'être confrontés à des inconnus.
- Tu crois peut-être qu'on ne t'a pas reconnu, reprit le guerrier en posant une main sur la tête de sa hache. Tu es passé plusieurs fois près d'ici, Marcheur. Tu as failli tuer l'un des nôtres alors qu'il voulait te chasser de notre territoire !
Thomas ne s'en souvenait pas clairement. Durant ces trois années où son système avait pris le contrôle sur lui pour lui permettre de quitter Delteha afin de mener à bien [Survie], il ne gardait que peu de souvenirs. S'il avait attaqué un Soneau, c'était certainement car son système l'avait catégorisé en tant que menace pour sa propre existence. Personne ne devait savoir, à cette période-là, qu'il pouvait aisément guérir de ses blessures. Car son cœur antique n'avait pas eu connaissance de ces dix mille ans écoulés. Pour lui, des Soneaux de la même époque qu'Orion l'attaquaient, ce qui signifiait qu'il s'agissait des traîtres servant encore Hylia. Et le créateur n'aurait jamais accepté que son œuvre tombe entre leurs mains.
- Thomas, dis-lui que nous ne sommes que de passage, lui ordonna Link avec autorité. Nous ne leur voulons aucun mal. Je veux juste savoir si Zelda était ici et, dans ce cas, où elle est partie...
Le brun le regarda et discerna l'espoir de son supérieur à travers ses yeux. Il était temps de mettre un terme à cette attente de sa part. Maintenant, il ne servait plus Orion tant que ce dernier n'apparaissait pas dans les parages. Link était l'unique personne qui continuait à le regarder comme le garçon qu'il était de son vivant, et Thomas lui en était reconnaissant. Il avait juré de remettre le reste de sa misérable existence entre ses mains et de se battre pour ses desseins louables.
- Qu'est-ce qu'il vient de marmonner ? demanda le guerrier avec agacement.
- Il a dit...
Thomas baissa la tête et fixa un instant le sol. Orion le hantait toujours malgré tout ; il l'avait définitivement contraint à procéder à des sacrifices pour parvenir à son but. Le Héros ne mourrait pas dans ce stupide village. Peu importait à l'androïde si tout cela partait d'un malentendu à cause des préjugés. Il était trop tard pour revenir en arrière indemnes. Il releva son avant-bras droit devant lui et fit glisser ses iris bleus vers ceux de son interlocuteur. Il n'y avait pas d'autres issues qui puissent ravir son créateur : sacrifier une part de son humanité quelques instants pour protéger l'homme le plus humain qu'il connaissait.
- Que vous alliez mourir, termina-t-il à mi-voix.
Sous les yeux écarquillés du Soneau, la lance du guerrier de la désolation se matérialisa à l'horizontale et lévita gracieusement devant lui. Ce signe de provocation fit éclater la colère et l'indignation du guerrier qui hurla à pleins poumons :
- Tirez !!
Cachés de l'autre côté du toit des huttes, les derniers archers restants du village se relevèrent et bandèrent leur arc en direction du groupe d'étrangers. Link n'eut guère le temps de comprendre et de réagir à ce qui se produisait autour de lui. Il vit simplement Thomas tendre une main dans sa direction et celle de ses compagnons puis Œbnis les entoura tous pour les protéger des flèches qui vinrent percuter sa surface vitreuse.
- Par quelle sorcellerie ?! s'écria le premier guerrier qui s'empara de sa hache en reculant.
Altaïr se précipita soudainement vers lui, asséna un coup de pied puissant dans son ventre pour le faire tomber puis il attrapa sa lance. Sans la moindre hésitation, il plongea son arme dans le buste de son ennemi qui poussa un hurlement rauque de souffrance. Le brun la retira puis refit de même plusieurs fois avec plus de force, ce qui projeta du sang au sol et sur son pantalon. Il ignora le geignement agonisant du Soneau et s'écarta en lui jetant un regard froid. Horrifié, Link l'avait observé tuer cet homme avec barbarie et indifférence. Ce n'était pas le Thomas qu'il connaissait, et il ne pouvait accepter qu'il se laisse surmonter par « Altaïr », cette fausse identité qui détruisait sa vraie personne.
- Thomas, arrête !! s'exclama-t-il en plaquant ses mains sur la protection verte. Ne te laisse pas guider par cette noirceur !
Impuissant, le chevalier put voir la lance s'élever vers la voûte tandis que les flèches fusaient vers l'androïde. Son arme se planta en profondeur dans la poitrine d'un archer puis se retira brusquement en libérant du sang. Pendant qu'elle se chargeait d'une femme armée, sur la hutte d'à côté, Altaïr fit matérialiser son arc et une flèche. Il s'accroupit pour forcer ses ennemis archers à se relever davantage sur les toits, il banda son arc puis relâcha la corde après quelques instants de concentration. Sa cible fut touchée dans l'œil gauche et tomba à la renverse hurlant de douleur. Derrière Altaïr, deux métaux s'entrechoquèrent et le forcèrent à se relever pour observer celui qui venait de l'attaquer par surprise. L'homme, aussi armé d'une hache, avait été paré et repoussé par la lance de l'androïde. Face à cette scène, les poils de Link se hérissèrent sur ses bras. Quatre autres guerriers soneaux venaient de surgir sur la place et leur destin était tout tracé.
- Non ! cria Link qui matérialisa l'épée de légende.
De toutes ses forces, il heurta Œbnis et le fit voler en éclats. La protection verte réapparut aussitôt, forçant le Héros à réitérer son coup mais, à chaque fois, le sortilège revenait et l'emprisonnait inexorablement, comme le désirait son invocateur. Quant à Altaïr, il attrapa sa lance lorsque son adversaire se précipitait de nouveau vers lui ; le brun contra sa hache en dépit de l'élan désespéré du guerrier et, d'un coup précis, il lui trancha la gorge. Immédiatement, l'androïde jeta son arme sur le côté et attrapa l'homme qui agonisait. Il s'en servit de bouclier de chair pour amortir l'attaque d'un autre guerrier qui trancha le dos du mourant. Le sang gicla sur leur visage et colla leurs cheveux sur leur front. Altaïr jeta le corps inerte sur le côté puis rabattit sa main devant lui. D'un coup, sa lance plongea dans le dos du Soneau et l'immobilisa un instant sous l'effet de la stupeur. Il grimaça en se cambrant puis grogna en levant sa hache. Il la projeta vers le brun qui l'esquiva avant de se précipiter vers lui. Altaïr rappela sa lance à lui, l'empoigna en plein vol puis l'enfonça brutalement dans le ventre de l'homme qui recula sous la force exercée contre lui.
L'androïde retira la pointe ensanglantée puis la fit fondre vers une guerrière qui prenait la fuite, par peur d'être tuée barbarement à son tour par ce démon aux cheveux noirs. La lance lui trancha l'arrière des genoux et entraîna sa chute dans un râle douloureux et aigu. Pendant qu'elle s'occupait de cette femme, Altaïr, de son côté, dévisageait le dernier combattant du village. Il ne prêtait même pas attention aux cris de la jeune femme suite aux attaques mortelles de la lance.
- Pi... Pitié ! l'implora l'homme qui s'agenouilla à cause de ses forces retirée par sa peur panique. Je ferai ce que tu voudras mais épargne ma vie et celle des villageois !
La lance vint se planter à une dizaine de centimètres de lui et lui arracha une plainte de frayeur. Le guerrier se recroquevilla sans lâcher des yeux cette arme d'où s'égouttait le sang de ses semblables. Sur le côté, les deux gardes du village arrivèrent et contemplèrent cette scène glaçante et horrifique. Eux qui pensaient pouvoir éliminer la menace du Marcheur et de ses acolytes désarmés, ils avaient emmené la Mort au sein même du village. Altaïr fut contraint de rappeler son arme à lui et de désigner les nouveaux arrivants comme hommes à abattre.
- Je t'ordonne de les laisser en vie ! hurla Link en reprenant la tablette sheikah en main. Ce n'est pas pour ces valeurs-là que tu dois te battre !
Il essaya d'utiliser Cinétis mais rien ne se produisit, comme si son ordre ne passait pas à travers Œbnis. En vérité, le piratage de l'androïde faisait effet, prenant la précaution de rendre la relique inoffensive contre lui. Altaïr s'immobilisa suite à son cri. Quelles valeurs ? Orion avait-il des valeurs lorsqu'il lui ordonnait d'arracher des âmes ou de se débarrasser des humains s'ils interféraient dans sa mission de destruction des Gardiens ? Non, il n'en avait jamais eu. Recommencer à se battre ainsi ravivait ses souvenirs et ses traumatismes. Altaïr agissait comme un automate, sans même pleinement réfléchir à ses actes une fois lancé dans le combat... Il n'avait que faire de la souffrance des autres. Car les autres n'avaient jamais tenté de le sauver de sa propre souffrance. Sa main se mit à trembler : il réentendait une nouvelle fois les derniers mots de son supérieur. Des valeurs... En continuant à se battre comme il l'avait toujours fait dans le passé, le brun restait prisonnier d'une personnalité qui n'était pas la sienne. Mais pourquoi se battre pour les valeurs des chevaliers ? De toute manière, il n'en deviendrait jamais un. Il quitterait ce monde avant le combat final si Link survivait jusque-là.
- Zelda est bien passée ici ! lui apprit l'un des gardes en toute hâte, épouvanté par cet environnement macabre. Elle... Elle est venue lever une armée de Soneaux fidèles à la déesse Hylia ! Elle avait besoin de nos forces pour l'aider dans son devoir et... et vaincre le Mal...
Il déglutit face au regard d'Altaïr qu'il jugea indifférent à son égard.
- Elle est partie vers le village de Vunoo ! J'ai dû dormir... trois fois depuis son départ ! Tu... Tu peux me croire...
L'androïde le sonda afin de savoir s'il mentait ou non. Mais au vu de la peur manifeste du garde, ce n'était que la vérité. Aussitôt, Œbnis disparut et libéra ses prisonniers dont l'odeur du sang vint les frapper. Iris posa une main sur son ventre et tourna le dos à son camarade, le cœur battant à tout rompre à cause de son effroi. Elle n'avait pas rêvé, il les avait tués de sang-froid. Il aurait fait de même avec elle... Et pourtant, il lui avait sauvé la vie par la suite, ce que la châtaine ne parvenait pas à comprendre. Un être aussi ignoble lui avait laissé la vie sauve. Cela n'avait aucun sens et lui donnait des vertiges. Quant à Link, une fois libéré, il se précipita vers son apprenti qui lui tournait le dos et qui regardait les différents cadavres. L'Hylien lui agrippa l'épaule, le força d'un coup à faire volte-face puis il le gifla avec force. La tête du brun partit sur le côté bien qu'il ne ressentit pas de douleur.
- Pourquoi tu as fait ça ?! explosa le Héros qui se laissait dominer par ses émotions.
Il l'attrapa par le col puis le contraignit à reculer.
- Pourquoi les as-tu tués ? Nous ne sommes pas venus ici pour nous battre ou pour tuer qui que ce soit !!
Le visage de l'archer se rembrunit tandis que sa tête se baissait petit à petit, sans qu'il ne regarde son capitaine.
- Tu les as... assassinés avec une telle barbarie, souffla Link sous le choc.
Il voyait nettement le sang visqueux couler lentement sur ses joues et son front. Une image qui rappelait au chevalier toutes les batailles auxquelles il avait assisté au siècle dernier. Ses compagnons ainsi que lui étaient tâchés du même sang, mais ils s'étaient battus avec noblesse et honneur. Alors que Thomas... Link ne trouvait plus les mots pour qualifier ce qu'il venait de voir. Il se tourna vers les autres et leur ordonna :
- Il faut quitter le village sur-le-champ ! Nous ne sommes pas à l'abri !
Link empoigna avec fermeté l'avant-bras de son apprenti qui ne disait plus rien puis il le tira d'un coup vers l'avant pour le forcer à marcher.
- Avance, lui intima-t-il l'ordre sèchement.
Sous les regards effrayés des villageois soneaux qui arrivaient ainsi que des gardes, le groupe courut vers la sortie de Nehvir et suivirent le chemin qu'ils n'avaient pas encore emprunté. Ils durent courir quelques minutes à en perdre le souffle jusqu'à ce que Pahya juge qu'ils fussent assez loin pour s'arrêter. À peine furent-ils hors d'un danger potentiel qu'Astrid approcha de l'androïde à grands pas puis lui asséna un coup de poing dans le visage. Les autres compagnons demeuraient toujours choqués par ce qu'il venait de se dérouler sous leurs yeux. Personne n'arrivait vraiment à croire que c'était réel, surtout venant d'un « garçon » qui s'était toujours montré effrayé à l'idée de combattre.
- Tu mériterais de mourir pour un tel massacre ! déclara-t-elle à travers un éclat de voix strident. Si ça ne tenait qu'à moi, je t'aurais renvoyé à la surface pour te faire corrompre par cette foutue corruption. Maintenant, qui sait s'ils ne vont pas envoyer des messages dans d'autres villages soneaux pour les prévenir contre nous ? Tu y as réfléchi, au moins ?!
Altaïr lui jeta un regard noir qu'elle prit pour un comportement des plus insolents venant de la part d'un simple apprenti, pas même encore soldat.
- De ce que j'ai constaté... J'ai été le seul à sentir la présence d'archers sur leurs huttes. Dès le moment où nous avons foulé le pied de leur village, ils avaient l'intention de nous tuer. Je vous ai sauvé la vie. À ma place, tu aurais sans doute attendu qu'ils se présentent à toi pour te combattre à la loyale ? Tu connais mal les Soneaux.
Astrid inspira profondément dans le but de garder son sang-froid et de ne pas avoir de mots ou de gestes déplacés. Comment Link pouvait donner sa confiance à un individu pareil ? Sous ses apparences de garçon inoffensif et peu assuré, il cachait très bien son jeu. Son regard n'était même plus le même que celui qu'il avait avant son combat. Et ce sang sur son visage rendait son expression plus sauvage et antipathique. Il effrayait Léon, d'une certaine manière, qui ne l'aurait jamais cru capable d'une telle tuerie.
- Je n'attends pas des remerciements de votre part à tous ou votre reconnaissance, poursuivit Altaïr dont les yeux reprenaient peu à peu leur éclat habituel. Si je vous inspire de la peur, ne venez pas me parler.
Ses sourcils se froncèrent à cause de ses émotions qui revenaient.
- De toute manière, ça ne changera rien...
Tout à coup, ses poumons se contractèrent puis une nouvelle quinte de toux incontrôlable le submergea. Le brun plaqua une main sur sa bouche pendant qu'il toussait grassement avec force. Ses jambes flanchèrent un instant et l'obligèrent à tomber à genoux, sous l'incompréhension générale. Seuls Elzier et Link comprenaient ce dont il s'agissait et en connaissaient la cause. Altaïr posa une main au sol pour s'y appuyer tandis que sa toux s'intensifia encore plus et le força à courber le dos. Finalement, il cracha dans sa seconde main du sang d'un rouge foncé, presque noir. Enfin, du sang... Ce n'était qu'une pâle copie appartement à son organisme artificiel. Mais leur couleur présageait une chose, une vérité indéniable : ses poumons se nécrosaient à cause de la pierre d'énergie. Même si cela n'impactait pas le fonctionnement général de l'androïde, ce signe annonçait une fin prochaine. Très prochaine. Tous purent voir le brun tressaillir puis être pris de hoquet : il pleurait, une fois encore. Il éclata en sanglots et laissa son front reposer contre la terre poussiéreuse et rocheuse, mélangeant son sang et celui de ses victimes au contact de sa peau.
Le cœur de Link se pinça en le voyant. Il était partagé entre une colère certaine et une déception réelle pour son apprenti suite à ses actes immoraux. Mais l'élu savait que le vécu de l'androïde le hantait toujours et le poussait à agir malgré lui. Il avait voulu les sauver, pouvait-on le blâmer pour cela ? Le jeune homme vint s'accroupir près de lui avant d'examiner le liquide rougeâtre qui reposait à même le sol et autour de sa bouche.
- Capitaine, qu'est-ce que... qu'est-ce que j'ai fait ? demanda Thomas d'une voix faible et tremblante.
La mort lente de son système respiratoire commençait à impacter sa voix. Peut-être que d'ici deux semaines, il ne pourrait même plus parler.
- Je ne voulais pas les tuer ainsi...
Thomas se mordit la main sans même se soucier que cela puisse le blesser jusqu'au sang. Il ne s'était pas contrôlé, il avait laissé « Altaïr » agir à sa place, comme le désirait Orion. Cet homme le poursuivait malgré les âges, il persistait à le marquer de sa présence détestable et nauséeuse. Comme s'il lui susurrait de continuer dans la voie du crime et du désintérêt pour les vies humaines au lieu de suivre véritablement le Héros. Link sentit son ventre se tordre de manière désagréable. Il avait toutes les raisons de réprimander sévèrement son apprenti, cependant il n'y arrivait pas. Il posa une main sur son épaule et chercha le regard de Thomas qu'il ne trouva pas, car celui-ci s'efforçait de garder les yeux fermés.
- Ne refais plus jamais une telle chose même si nos vies sont menacées, l'avertit durement Link. Je t'interdis de te laisser aller de la sorte ! Est-ce bien clair ?
Son haussement de voix soudain fit sursauter Pahya. Elle discerna à peine le hochement de tête de l'apprenti. La Sheikah n'approuvait absolument pas son comportement et ses agissements, elle commençait elle aussi à le craindre de plus en plus mais elle gardait foi en Link pour ses choix.
- Par les saintes déesses, tu n'es pas un vaurien ! s'emporta le chevalier pour faire réagir Thomas. Tu n'as donc que faire de ce que je t'ai dit ? Tu veux vraiment être une machine sans cœur aux yeux des autres ? Ou bien tu veux que l'on te voie, tel l'humain que tu as toujours été ?!
Le brun émit un sanglot étouffé et fit un signe négatif de la tête en guise de réponse.
- Je... ne suis pas une machine... gémit-il avant de tousser une nouvelle fois.
Sa toux grasse avait de quoi répugner les dames et les hommes nobles des anciens temps. Link se remit debout, gardant son visage tourné vers son apprenti qui gémissait par moments.
- Alors relève-toi ! Prouve à tes compagnons que tu as des valeurs et qu'ils peuvent te faire confiance. Mais ne t'avise plus de redevenir l'esclave d'un fantôme du passé.
Thomas essuya sa bouche au creux de son coude puis redressa la tête vers sa droite. Il croisa le regard de Léon qui semblait toujours éprouver cette amertume envers lui. Quant à Iris, elle se cachait derrière Astrid et lui tournait le dos. Cette vision affligea l'archer dont la bouche se pinça avant de grimacer. Malgré la faiblesse actuelle de la pierre, il rassembla ses forces et se releva difficilement à cause de son déséquilibre. Garder Œbnis actif autant de temps et sur une surface aussi large avait trop usé la pierre pour ce jour-là, surtout à côté de sa maîtrise de sa lance. Pourquoi personne ne remarquait sa fatigue ? Thomas se sentait abandonné et délaissé par ceux qui étaient, avant, ses amis. Seul Link lui ouvrait toujours les bras. Néanmoins, si l'androïde commettait encore un faux pas, le Héros pourrait définitivement lui tourner le dos.
- Nous reprenons la route immédiatement, déclara Link qui rendit les armes de chacun. Ce n'était peut-être pas le bon village. Déesses, nous sommes dans une situation délicate que j'aurais préféré éviter...
- Nous devons faire avec, dit Astrid en sanglant son épée à sa ceinture. J'espère que les autres Soneaux sont plus accueillants. Mais pour être honnête, je préfèrerais ne pas y remettre les pieds. Les indigènes n'aiment jamais l'arrivée de nouveaux venus.
Elle ajouta même, à juste titre, qu'ils pourraient être attaqués une nouvelle fois et qu'ils ne s'en sortiraient sans doute pas indemnes. Dans ce cas, mieux valait envoyer Elzier survoler les villages futurs pour tenter d'apercevoir Zelda. Cette alternative, plus sécure, convainquit Link qui accepta de l'utiliser la prochaine fois. Pendant que le groupe se remettait en chemin, il resta quelque temps à l'arrière pour avoir une discussion plus poussée avec Thomas. En toute discrétion, Pahya les surveillait et s'apprêtait à agir à tout moment si jamais il prenait l'envie à l'androïde de les trahir. Avec les événements récents, tout était possible et la Sheikah imaginait parfois des catastrophes qui n'avaient pas lieu d'être. Le groupe entra dans une forêt souterraine ; les arbres possédaient des feuilles luisant étonnamment d'une faible lueur d'un vert pâle, presque jaune. Cet environnement bien plus apaisant abaissa la tension au sein des compagnons de route et leur permit d'apprécier, un court moment, ce lieu singulier.
Lorsque Link eut enfin fini de parler en privé avec son plus « jeune » apprenti, il rejoignit Pahya et lui fit part des informations transmises par Thomas après l'avoir blâmé davantage sur ses actes. En dépit du massacre, il y avait tout de même une bonne nouvelle, même si elle ne permettait certainement pas au brun d'être pardonné. Il l'avait obtenue par la terreur et non par une discussion calme.
- Zelda est bien passée par ce village, lui apprit-il avec soulagement. Elle s'est donnée une mission, la vieille femme avait raison.
- Une mission ? Laquelle ?
- Celle de lever une armée composée de guerriers soneaux afin de combattre Ganondorf.
Il attrapa son menton pour réfléchir.
- Pourquoi des Soneaux en particulier ? Elle ne parle pas leur langue, c'est insensé...
- À moins qu'elle ait aussi un interprète, supposa la Sheikah qui regardait les racines au sol pour les éviter. Quand est-elle venue ici ?
- L'homme interrogé aurait dormi trois fois, mais ce n'est pas une information fiable. Il n'y a ni lune ni soleil ici, les habitants ne doivent pas avoir le même rythme de vie.
Autrement dit, il pouvait s'être écoulé un jour comme trois jours depuis la visite de la princesse. En effet, cela ne les aidait pas vraiment. Toutefois, sa venue restait récente, cet indice les conforta dans l'idée qu'ils n'étaient plus très loin de leur but. Il fallait continuer de chercher les villages soneaux pour la retrouver. Mais dans un labyrinthe tel que les souterrains, ce serait presque impossible. Il y avait peu de traces de civilisation et découvrir un chemin emprunté par des humains tenait presque du miracle.
- Link, si tu étais la princesse et que tu levais une armée, où est-ce que tu irais avec elle ? lui demanda soudainement Pahya, le tirant de ses idées.
Il haussa les sourcils et répondit presque aussitôt :
- Puisque mon but serait de vaincre Ganondorf, j'essaierais de quitter Delteha. Mais l'unique passage que je connais est impossible à franchir à cause de la rivière. Il me faudrait un autre moyen pour sortir.
- Une ouverture qui donne directement sur la surface, n'est-ce pas ?
Le jeune homme papillonna des yeux tant cela lui parut évident. Le temple de Firone donnait directement sur la surface mais il n'y avait que lui à sa connaissance. Et depuis que Ganondorf avait pris possession du château et que sa corruption recouvrait Hyrule, il était impossible de revenir sur la terre ferme. Ce fut pourquoi, à l'origine, Link avait prévu de téléporter tout le monde sur le plateau du Prélude une fois Zelda retrouvée. Il s'arrêta soudainement, les yeux agrandis par la stupéfaction. Le château...
- Pahya, tu es incroyable, la complimenta Link lorsqu'il comprit enfin.
Elle rougit et regarda ailleurs à cause de l'embarras.
- Je suis contente que tu aies compris où je voulais en venir... Ce n'est qu'une supposition, mais la princesse pourrait éventuellement rejoindre le château. Cependant... Elle n'est pas supposée savoir qu'il s'est envolé avec Ganondorf.
- Et si, grâce aux habitants de Delteha, elle avait appris qu'un immense trou avait lié nos deux mondes ?
Un frisson de peur lui parcourut l'échine. Non, ce n'était pas une bonne nouvelle... Zelda ne savait pas que la corruption recouvrait entièrement les terres d'Hyrule. Il fallait la rattraper avant qu'il ne soit trop tard. Si Ganondorf apprenait les mouvements et les intentions de la princesse, il pourrait contrecarrer ses plans et lui tendre un piège pour se débarrasser d'elle. Link serra soudainement les poings suite à cette réalité. Plus question de perdre du temps à vouloir trouver des villages soneaux. Dorénavant, ils iraient au Nord du royaume, aidés par la tablette sheikah, et ils la devanceraient pour l'arrêter à temps. Après cela, une fois que Zelda serait en sécurité, les guerriers soneaux pourraient être d'une aide précieuse pour attaquer le château. Cependant ce n'était guère leur préoccupation première. Link en discuterait avec elle.
De son côté, en plus de sa surveillance accrue de Thomas, Astrid gardait Iris auprès d'elle et scrutait les alentours. Elle tendait parfois l'oreille pour capter la discussion entre les deux Hyruliens en tête de groupe. Une question lui monta à l'esprit et piqua sa curiosité. Du moins, elle appréhendait la réponse.
- Elzier, demande à Olympe l'état d'Hyrule en ce moment. Ainsi que celui de Panah. Je trouve ça étrange qu'elle ne dise rien à ce sujet.
- Entendu. Mais de toute manière, tu connais déjà la situation actuelle du continent.
Une vague de tristesse s'empara de la soldate qui dut serrer les dents pour retenir des larmes éventuelles. Oui, elle en avait connaissance. C'était le chaos, là-haut.
oOo
Comme j'ai pris du retard, je publierai d'ici une semaine (le temps habituel entre chaque chapitre) donc pas de chapitre 35 dimanche x') Ce sera plutôt en milieu de semaine !
Je voulais partager des images qui m'ont permis de visualiser Caï ! La première photo serait peu après sa renaissance en tant qu'androïde, où elle aurait encore une grosse part d'humanité en elle. Sur la deuxième photo, c'est l'allure de la Caï rencontrée par Link et Zelda, bien que sa tenue ne soit pas la même.
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