Chapitre 33
- Vous comprenez maintenant, n'est-ce pas, Capitaine ? Thomas n'est plus... Il... ne vit plus depuis dix mille ans...
Le brun baissa la tête avec une tristesse profonde tandis que son supérieur l'écoutait depuis bientôt une demi-heure. Il lui avait tout dit, se dévoilant ainsi comme un ennemi potentiel et une très grande menace. L'androïde se laissa glisser le long d'un rocher irrégulier puis s'assit contre lui, les coudes posés sur ses genoux repliés devant lui. Il n'osa pas soutenir le regard du Héros, la honte le rongeait.
- Je veux savoir qui se tient devant moi, déclara Link sans osciller.
Les sourcils de l'archer se froncèrent pendant que ses yeux se fermaient quelques secondes.
- Je ne sais pas... souffla-t-il, affligé. Je... ne suis plus personne...
Des larmes artificielles vinrent mouiller ses joues alors que sa bouche se tordait en une grimace accompagnant ses pleurs. D'un geste agacé, il les essuya dans un grognement pareil à une plainte, ce qui tordit le ventre de Link.
- Depuis que je t'ai rencontré, tu n'as pas cessé d'être Thomas.
Son apprenti hocha négativement sa tête qu'il prit ensuite entre ses mains.
- Non, ce n'était... qu'une fusion entre lui et Altaïr... Thomas était joyeux et ouvert. Pas un garçon froid et renfermé sur lui-même.
- Ne parle pas de toi à la troisième personne... le pria Link.
- Comment pouvoir ? Vous ne comprenez pas, c'est comme si... comme si trois personnalités m'habitaient ! Ni Thomas ni Altaïr n'est en train de vous parler en ce moment ! Je ne suis... que leurs cendres.
L'air du chevalier s'aggrava avant qu'il ne s'abaisse pour dévisager l'archer. Derrière lui, Elzier écoutait attentivement et se tenait prêt à agir si la situation dégénérait. Link finit par poser une main sur l'épaule de son apprenti pendant qu'il cherchait les mots les plus justes à son égard. Il savait qu'Altaïr était son ennemi. Mais pas Thomas.
- Nous ne sommes pas comme tes créateurs, commença-t-il avec assurance. Nous t'avons toujours traité comme un humain, comme un égal. Personne n'a osé te faire endurer les mêmes tortures qu'ils t'ont infligées. Tu as toujours été Thomas à nos yeux.
Le brun souffla tant il trouvait son discours stupide et naïf venant d'un Héros. Ses mains, jusqu'alors sur ses cheveux, glissèrent vers l'avant puis se laissèrent tomber avant qu'il ne relève la tête. Link fut contraint de reculer.
- Vous perdez votre temps, Orazio. Il est trop tard pour espérer me sauver, prononça-t-il gravement en se remettant debout. Je vous avais prévenu que le jour où nos chemins reviendraient à se croiser...
L'humanoïde tendit son bras gauche sur le côté pendant qu'Œbnis se formait, telle une boule verte translucide.
- Je vous tuerai !
Link n'eut aucun mal à comprendre qu'Altaïr guidait ses actes. La boule se divisa en cinq lances, plus petites que l'originale dématérialisée par Link, qui tournèrent autour d'un centre de gravité dans l'air. N'ayant pas absorbé l'énergie créée par un quelconque Gardien, ses armes ne possédaient pas une grande résistance ou puissance de frappe. Néanmoins, elles pourraient aisément tuer Link en trouvant les failles de son équipement. Le chevalier dégaina la Lame Purificatrice et se prépara à défendre sa vie.
- Je ne veux pas te combattre ! lança-t-il à son apprenti. Tu ne vis plus dans la même époque, tu n'as pas à poursuivre la mission de ceux qui t'ont manipulé !
Elzier se mit à marcher autour des deux adversaires en montrant les crocs, il grogna même à l'adresse d'Altaïr qui ne lui prêtait pas attention.
- C'est impossible ! lui répliqua le brun tandis que sa voix se cassa sur la fin de sa phrase. Orion me contraint à vous tuer, peu importe si vous êtes mon allié ou mon ennemi...
Le chef de Calehun voulait s'assurer que son œuvre suive ses ordres et parvienne à ses fins. La pression qu'il avait exercée sur elle fonctionnait toujours, même après ces millénaires écoulés. Altaïr jeta sa main vers l'avant et une première lance fut propulsée sur sa cible. Par instinct, Link sauta sur le côté, évitant le projectile, il fit volte-face puis le frappa de toutes ses forces à l'aide de son épée. Alors que la première lance se brisait, une deuxième fusa vers le Héros et percuta sa cotte de mailles, ce qui le projeta au sol et lui arracha une plainte étouffée. Lorsqu'il rouvrit les yeux, Link vit Altaïr bondir sur lui, tenant l'une de ses armes à la main. Le blond ne put que rouler sur le côté afin d'éviter la lance qui éclata au contact du sol tandis que l'androïde se réceptionnait à ses côtés. Celui-ci ordonna à ses deux derniers projectiles de s'abattre sur leur proie qui dut sauter une énième fois sur le côté pour les esquiver.
- Tu n'es plus l'un des leurs ! s'écria Link dont le rythme cardiaque s'emportait. La guerre que tu as connue est terminée !
Altaïr se servit de nouveau d'Œbnis et tenta d'immobiliser son supérieur grâce à lui. Cependant, Link avait pressenti son attaque et il brisa l'ancien bouclier vitreux.
- Mais vous êtes toujours là ! rétorqua le brun qui s'empara de son arc et d'une flèche. Et vous n'avez rien fait pour m'aider !
Le chevalier fronça les sourcils pendant qu'il matérialisait enfin son bouclier d'Hylia grâce à ce court temps de répit.
- Tu ne peux pas me reprocher les actes de mon prédécesseur... Nous ne sommes pas la même personne.
- Vous portez tous les deux l'esprit du Héros ! Vous êtes pareils !
Les lances d'Altaïr se figèrent dans l'air, prête à fendre vers Link qui se tenait prêt.
- Ne dis pas de bêtises, répliqua-t-il en plaçant son bouclier devant lui. Thomas, tu as la capacité de communiquer avec les âmes ! Tu devrais voir celle du précédent Héros et comprendre que ce n'est pas moi !
Le brun se crispa tandis que son visage se tordait dans une grimace, en proie à un dilemme douloureux psychologiquement. De toute évidence, l'âme de l'élu précédent ne se trouvait plus auprès de l'Alpha. Altaïr se pencha en avant, les yeux fermés, puis plaqua contre son front la main qui tenait sa flèche.
- Ce n'est pas aussi simple !! Je suis... totalement perdu...
Il projeta ses cinq lances sur Link dont le cœur rata un battement avant de placer son bouclier devant lui. Malgré sa protection, l'une d'elles lui entailla la cuisse et lui arracha un cri strident. L'Hylien tomba à la renverse et ne prêta plus attention à son apprenti qui se jetait sur lui. D'un geste précis après avoir replacé sa flèche dans son carquois, Altaïr toucha la tablette sheikah et prononça des mots soneaux afin de la pirater. Sans sa lance, il ne pouvait le faire qu'en touchant lui-même l'objet. Aussitôt, il appela sa véritable arme à lui et elle se matérialisa à ses côtés. Link, sous l'emprise d'une douleur vive dans sa cuisse, se redressa sur ses coudes alors qu'il ahanait. Il voyait très bien cette lance différente qui pouvait le tuer sans même qu'il puisse se défendre.
- Arrête ! hurla Iris qui arrivait sur le lieu du combat, suivie par ses autres compagnons de route.
Altaïr ne l'écouta pas, son arme passa derrière lui et s'immobilisa en attendant l'ordre final. L'androïde, comme à son habitude, tendit la main devant lui avec une lenteur presque effrayante pour laisser voir au Héros l'heure fatidique.
- J'ai traversé une guerre, mais je ne survivrai pas à une deuxième, dit Altaïr d'une voix blanche. Vous serez ma libération...
Une fois de plus, Sokyn s'illumina involontairement de sa couleur verte caractéristique, prêt à être usé pour sauver la vie de son porteur. La lance tourna sur elle-même puis fut précipitée vers le Héros afin de toucher le haut de son sternum. Le sceau gardien souleva le bras de Link par lui-même et commençait à activer son pouvoir lorsqu'une silhouette se dressa entre les deux jeunes hommes. La lance se planta profondément dans le flanc d'Iris dont le souffle se coupa avant qu'elle ne hurle de souffrance. La châtaine tituba en haletant sous le regard horrifié de l'androïde qui se figea face à cette vision qu'il n'aurait imaginée et qui lui rappelait de terribles souvenirs. Iris s'écroula pendant que se sang s'écoulait abondamment de sa plaie.
- Iris !! s'époumona l'archer avec effroi.
Il s'élança vers elle sans même se soucier du cas de Link puis il tomba à genoux à ses côtés, affolé par ce qu'il venait de faire. Altaïr voyait les lèvres frémissantes de la jeune femme ainsi que le ralentissement rapide de sa respiration. Il agrippa sa lance avec fermeté puis la retira d'un coup avant de la lancer derrière.
- Iris, pardonne-moi ! Je... Je vais...
Deux mains lui empoignèrent les épaules avec force puis jetèrent le jeune homme sur le côté.
- Dégage de là, enfoiré ! aboya Léon qui fit preuve d'animosité envers lui.
Le regard lourd d'incompréhension et décontenancé de son jeune camarade augmenta sa colère et incita le blond aux cheveux ras à repousser l'androïde une deuxième fois. Pendant ce temps, Pahya s'agenouillait auprès de la blessée, paniquée, et tentait d'arrêter l'hémorragie.
- Va-t'en ! ordonna Léon à l'adresse d'Altaïr.
Le brun se releva et voulut rejoindre son amie mais Léon prit son espadon à deux mains et la lui présenta, en signe d'hostilité.
- Ne t'approche pas d'elle !
Derrière lui, Astrid et Elzier lui adressaient des regards noirs. Devant eux, Iris ne bougeait plus et n'émettait plus le moindre cri, son visage avait blêmi de manière très inquiétante alors que la Sheikah faisait de son mieux pour la garder en vie. Altaïr eut un mouvement de recul tandis que Link se traînait difficilement vers la lancière pour découvrir son état critique. Une partie du brun lui susurrait de profiter de ce moment d'inattention et de terminer sa mission ; le Héros avait le dos tourné, il ne se souciait même plus de son adversaire. Quoi de mieux pour frapper ? Mais, à côté, Iris se mourait... Cette pensée vertigineuse aux yeux de l'androïde entraînait chez lui une hésitation qui le déséquilibrait. Il pouvait la sauver, mais il raterait une occasion de tuer le Héros. S'il échouait, Orion continuerait à le torturer de toutes les manières...
Mais Orion n'était-il pas mort ? Non, il vivait toujours, Altaïr avait le sentiment de l'avoir vu la veille... Quelques mois plus tôt, le chef de Calehun avait assassiné Gut'rah sous ses yeux. Impossible, dix mille ans s'étaient écoulés depuis... Alors pourquoi ne percevait-il pas son âme dans l'Au-delà, tout comme celle du Héros de son époque ? Perturbé par toutes ces incohérences, l'androïde posa une main au-dessus de son cœur antique et plissa les yeux. Là n'était pas la question... Peu importait si un mois ou des siècles étaient passés, Iris allait quitter ce monde par sa faute. Altaïr serra les dents et posa une main sur son tatouage. Thomas voulait la sauver, pas lui. Car... Car il ne voulait pas connaître le même drame qui avait touché Dewan, son frère. Il ne voulait pas qu'Iris meurt à cause d'une erreur de sa part, de son incompétence.
Les exclamations de Pahya lui parvinrent tout juste : le cœur de la châtaine cesserait bientôt de battre car elle perdait bien trop de sang. Le brun sursauta puis il sonda leur environnement à la recherche de son âme. Il percevait parfaitement celle de ses cinq autres compagnons, mais celle d'Iris se préparait à entamer le voyage sans retour.
- Je peux la sauver... murmura Thomas avec émotion.
- Mais si j'utilise la pierre pour guérir une telle blessure, je vais encore raccourcir mon existence, répliqua Altaïr sur le même ton.
- Peu importe ! Iris mérite de vivre ! Je devrais me réjouir de vider encore plus la pierre de sa magie... Si j'accélère l'arrivée de ma finalité, je protègerai le capitaine de moi et Ganondorf pourra être défait. Et dans ce cas, Orion ne pourra plus jamais m'exploiter.
Altaïr ne dit rien. Il avait été conçu pour combattre des machines, non des humains. Et pourtant, il allait devoir user de ses capacités pour écarter ses compagnons du corps de son amie. Sans cela, ils ne le laisseraient jamais approcher et l'androïde ne pourrait jamais la soigner. Son regard glissa vers Link qui avait matérialisé une épée de feu afin de cautériser la plaie sanglante. Cependant, Altaïr savait pertinemment que ce serait un acte bien inutile de sa part.
- Je pourrais le tuer si facilement... soupira Altaïr qui rappela sa lance à lui.
- Peut-être, mais Iris reste ma priorité. Je m'occuperai de lui au moment venu.
Tout à coup, son arme fondit vers le reste de son groupe et s'abattit sur chacun d'eux afin de les éjecter sur le côté, faisant fi de leur geignement plaintif. Aussitôt, Altaïr bondit au-dessus du corps de la châtaine, rattrapa sa lance en plein vol tandis que ses compagnons se retournaient vers lui, puis il la pointa vers Astrid.
- J'enverrai à l'Alpha quiconque se mettra en travers de mon chemin, les prévint-il avec froideur.
Léon osa bouger d'une once, tant et si bien que la lance apparut presque soudainement devant ses yeux et lui provoqua des sueurs froides.
- Dernier avertissement, siffla l'androïde en montrant les dents.
Tous crurent avoir affaire à un sauvage des temps anciens. Néanmoins, ils restèrent à leur place, très méfiants vis-à-vis de l'archer. Encore au-dessus d'Iris, l'androïde finit par se décaler et se pencha vers son ventre. Il vérifia une dernière fois qu'on obéissait à son ordre implicite puis il plaça sa main gauche par-dessus l'emplacement de sa pierre d'énergie. Son motif de hibou luisit d'un bleu plus dense jusqu'à ce que des filets de magie – ayant la même couleur – en sortent. Il les guida vers la blessure profonde d'où s'échappait beaucoup de sang par à-coups. Sans dégoût pour ce qu'il voyait, Altaïr laissa la magie infiltrer les chairs à vif puis disparaître sous la peau. Le sang cessa peu à peu de s'écouler, sous le regard de tous, puis la peau se referma, suivie d'un trait vert caractéristique de la guérison par la pierre d'énergie.
La vue d'Altaïr s'obscurcit brutalement et l'empêcha de voir son environnement durant de longues secondes. Il sentit même le contrôle de ses membres lui échapper un court instant. Face à cet état instable, le programme principal jugea nécessaire d'entrer en veille le temps que la pierre d'énergie se stabilise et lui permette de retrouver son plein contrôle. Link vit l'androïde s'effondrer sur le côté, installant un lourd silence dans la cavité. Pahya se risqua à se redresser sans lâcher Altaïr des yeux, de peur qu'il rouvre les siens et bondisse sur elle. Cela ne parvint pas, ce fut même Astrid qui dégaina son épée et se jeta sur lui. Elle l'attrapa par les cheveux, tira sa tête vers l'arrière afin de dégager sa gorge puis elle plaça la lame contre celle-ci.
- Ne fais pas ça ! lui ordonna Link qui boita vers elle, les traits tirés à cause de sa blessure.
- Il a essayé de te tuer ! Je ne vais certainement pas le laisser vivre.
- Ce n'est pas à toi d'en décider.
Il avait articulé cela sur un ton autoritaire et sans équivoque, même s'il savait qu'un tel égorgement ne tuerait pas l'androïde. La soldate soutint son regard dans un affrontement silencieux et ne s'avoua pas vaincue dans un premier temps. Cependant, face à l'instance du Héros et à sa détermination, Astrid claqua de la langue et repoussa, sans douceur, la tête de l'androïde contre le sol.
- Très bien, concéda-t-elle à contrecœur. Très bien ! Alors dis-moi ce que tu comptes faire de lui, dans ce cas ?
Elle croisa les bras et interrogea tous les autres du regard dans l'attente qu'ils la soutiennent dans sa démarche. Mais personne n'osait parler.
- Il est manipulé, lui apprit Link qui matérialisa des soins pour soigner sa plaie. Nous devons l'aider à se libérer.
Pendant qu'il étalait une pommade cicatrisante sur sa plaie, il entendit Astrid souffler du nez en guise de rire jaune.
- Tu te moques de nous ? Il t'a blessé et Iris a failli mourir par sa faute !
- Mais il l'a sauvée par la suite. Personne ne dira le contraire.
Link passa un bandage autour de sa cuisse douloureuse puis leva ses iris bleus vers son interlocutrice qui pinçait ses lèvres. Il décida que le moment vint pour eux de connaître une partie de l'histoire de Thomas et de comprendre pourquoi il agissait ainsi. Au fur et à mesure qu'il leur expliquait ce que l'archer lui-même lui avait dévoilé, les expressions s'assombrissaient et la tension diminuait.
- Thomas est une machine, répéta Pahya qui avait bien du mal à y croire. C'est irréaliste...
- Mais c'est pourtant le cas, appuya Link qui attrapa la relique sheikah. Et la tablette nous avertissait depuis que nous sommes ici. « Machine détectée », elle parlait de lui. Seulement, quand j'ai voulu accéder à ses programmes, je n'ai pas réussi car les données étaient corrompues.
Il se tut en observant le visage crispé de son apprenti au sol. Pour le moment, le chevalier désirait marquer une nouvelle pause de courte durée dans leur périple, le temps d'assimiler toutes les nouvelles informations.
- J'ai besoin... de réfléchir aux derniers événements, ajouta-t-il en s'adossant à un rocher. Laissez-moi le temps de reprendre mes esprits.
Il retint une grimace à cause de la douleur provoquée par sa blessure.
- Link, il faut d'abord s'occuper de ta cuisse, s'inquiéta la Sheikah qui voulut s'approcher.
Le jeune homme lui fit signe de ne pas venir vers lui.
- Non, occupez-vous plutôt d'Iris. Elle a perdu beaucoup de sang, il faut s'assurer que son état soit stable.
Pahya hésita à suivre sa demande puisque la vie de l'élu importait plus que celle d'une simple apprentie. Cependant, elle se résigna et accepta de veiller sur Iris. Avec l'aide de Léon, elle déplaça la lancière dans un coin isolé et plus confortable, là où de la mousse se développait abondamment. Au moins, ce lit végétal serait bien plus agréable que le sol rocailleux et terreux. Quant à Link, son regard se perdait dans le vide. Il avait toujours du mal à croire en la nature mécanique de Thomas. Il avait pour apprenti l'un des guerriers les plus dangereux du royaume, bien qu'il ne soit qu'efficace contre les machines à l'origine. Serait-ce... l'arme anti-Gardien qu'Oswald recherchait ? C'était fort probable, et heureusement qu'il n'avait jamais mis la main dessus. Mais d'un autre côté, Link faisait face à un jeune homme détruit et perdu, ne sachant même plus qui il était. S'agissait-il de Thomas ? D'Altaïr ? Ou d'une troisième personnalité résultant des deux autres ? Pour le Héros, la réponse était claire : il n'y avait qu'une seule et même personne. Thomas. Mais il s'était lui-même dissocié à cause de toutes les épreuves et tortures subies par ses « concepteurs ».
Elle doit contenir encore cinq ans de vie. Six, tout au plus...
Les sourcils de Link se haussèrent en réentendant cette phrase répétée par l'archer et initialement prononcée par Gut'rah au sujet de la pierre d'énergie.
J'ai traversé une guerre, mais je ne survivrai pas à une deuxième.
Après son absence de dix mille ans et de temps figé, il lui restait cinq ans à vivre. Mais s'il avait passé trois ans à errer sous terre, alors... Il ne lui en restait plus que deux, a priori. La gorge de Link s'assécha tandis qu'un sentiment de mal-être lui tordit le ventre. Inconsciemment, son regard dévia vers son bras droit redevenu gris. Thomas avait drainé une partie de cette magie le jour de l'éveil de Ganondorf. Si elle volait une partie de l'essence de l'élu, alors elle faisait de même pour l'androïde. Thomas l'avait-il seulement compris ? Les larmes montèrent aux yeux du Héros qui baissa la tête et se mordit l'intérieur de la joue. Si c'était bien le cas, cela signifierait qu'il perdrait un nouveau compagnon sans même pouvoir le sauver. Car Sokyn n'absorbait pas qu'une infime partie d'essence. C'était tout le contraire. Link n'était pas alchimiste ni même soneau, impossible pour lui de façonner une nouvelle pierre d'énergie. Et même s'il le pouvait, Thomas n'en voudrait peut-être pas.
Savoir que son apprenti était voué à une mort certaine le peina tant qu'il dut se battre contre lui-même pour retenir un sanglot. Et comme son prédécesseur, Link ne pouvait user de son épée contre lui. Il n'en serait jamais capable... La meilleure manière de l'aider serait déjà de modifier son programme principal et de lui rendre sa volonté propre. Ainsi, Thomas sera libre d'accomplir ce qu'il souhaite réellement. Mais pour y parvenir, il fallait déjà pouvoir accéder à ce que renfermait son cœur antique. La tablette sheikah elle-même n'en avait pas la capacité pour le moment. À ses côtés, Elzier arriva en silence puis s'assit en face de lui, sans expression particulière.
- Eh, petit. Tu as entendu comme moi tout à l'heure.
Link le regarda d'un air éreinté et s'apprêta à le renvoyer quand l'elvësch poursuivit :
- Il y a un moyen bien simple de le tuer définitivement. Il suffit de lui arracher sa pierre tant qu'il n'est pas conscient. Au moins, il ne nous causera plus de problèmes et nous aurons éliminé sa menace pour de bon.
Le jeune homme le savait bien, mais il ne pouvait pas non plus s'y résoudre.
- À moins que tu comptes l'exploiter et le retourner contre Ganondorf. Mais si tu choisis cette voie, tu ne vaudras pas mieux que ses créateurs.
- Je refuse, lui affirma Link en posant une main sur ses bandages. Si je parviens à le libérer de leur emprise, il sera libre de faire ce qu'il souhaite.
- Pourtant, tu sais aussi bien que moi que ses capacités pourraient être déterminantes contre Ganondorf. Grâce à lui, nous pourrions aller jusqu'à reprendre le contrôle de votre château.
Elzier se remit à quatre pattes, se positionna de profil vis-à-vis de l'Hylien et planta ses iris jaunes de félin dans les siens.
- Le temps lui est compté. Ne le gaspille pas.
Link fut surpris par cette aide, pour la moins étrange, de la part de l'elvësch. Il reconnaissait que la créature avait raison malgré la dureté de ses paroles. Elzier s'éloigna pour de bon tandis que Link fixait son apprenti du regard. Il fallait faire un choix rapidement et en mesurer toutes les conséquences dans le but d'assurer l'avenir d'Hyrule.
oOo
L'androïde mit un certain temps avant de revenir à lui. Lorsqu'il rouvrit les yeux, il aperçut d'abord la voûte au-dessus de lui avant de sentir les liens qui maintenaient ses mains devant son ventre. Il fronça les sourcils et tenta de se redresser. Tous les autres semblaient être partis, le laissant à son sort. Tous, sauf son supérieur qui se trouvait derrière lui. Et au loin, Altaïr percevait une présence néfaste qui se rapprochait peu à peu de leur position.
- Vous devez bien peu tenir à la vie pour oser rester seul avec moi, Capitaine, soupira le brun qui tourna la tête dans sa direction. N'oubliez pas que je peux maintenant user de votre tablette à distance. Je pourrai aisément la retourner contre vous.
- Alors qu'est-ce que tu attends ?
Tous deux se défièrent à travers un regard soutenu, ils n'oscillèrent pas durant ce long instant silencieux. L'archer finit par tiquer puis détourner la tête vers une stalagmite.
- Thomas ne veut pas.
Link fut surpris par sa réponse mais il ne s'en plaignit pas. Cela montrait le dilemme interne de son apprenti. Et s'il savait correctement utiliser cette multitude de questionnements, alors le chevalier pourrait l'aider à surmonter le programme.
- Je pensais que « Thomas n'était plus », souligna le Héros en passant une main sur ses bandages. En fin de compte, il est là depuis le début, comme je le pensais.
- Non, il ne l'est plus !
Sa réplique cinglante conforta le blond dans son idée initiale. Ce dernier vit Altaïr essayer de bouger sa lance mais elle avait été collée au sol grâce à de la gelée de chuchu qui la maintenait avec fermeté. Ce fait agaça l'androïde qui jeta un regard noir au Héros qui gardait une expression grave.
- Je pourrais faire exploser votre tablette ! s'écria-t-il avec hargne.
À l'aide de ses deux mains, Link l'y invita :
- Je t'en prie.
Altaïr grinça des dents puis voulut se jeter dans sa direction. Seulement, les pieds liés, il bascula de manière involontaire sur sa droite et son épaule percuta la terre rocailleuse. Aucune douleur ne se propagea dans son membre à cause de sa condition de machine, cependant ce déséquilibre lui fit ressentir une honte notable.
- Un nom ne change pas une personne, poursuivit Link qui ne le lâchait pas des yeux. Altaïr n'est nul autre que Thomas, et ces derniers mois passés avec nous te l'ont prouvé.
- Non, ils... ils ont voulu m'effacer... bredouilla le brun, toujours à terre.
Sa voix se mit à trembler tandis qu'il secouait négativement sa tête. Tous les moments où Orion l'avait maltraité, où il l'avait déshumanisé au point de ne plus le considérer comme un être vivant, tous ces moments lui revinrent en tête. La fois où il avait dû arracher de force l'âme d'innocents, ces combats indénombrables où il avait sacrifié de la magie de sa pierre d'énergie vainement. Les nombreux abus qui n'avaient servi qu'à son asservissement... Comment Thomas avait pu survivre à tout cela ? C'était impossible, seul Altaïr avait traversé ces épreuves innommables.
- Si Altaïr était une personne à part entière, il n'aurait jamais sauvé Iris ! Il n'y aurait vu aucun intérêt ! renchérit Link en serrant le poing contre sa cuisse. Pourquoi est-ce que tu ne veux pas voir les choses en face ?!
L'éclat de sa voix fut suivi par les échos à travers les parois de la cavité, mais cela ne troubla en rien l'Hylien.
- Pourquoi n'acceptes-tu pas d'être Thomas ? Tu as changé, c'est indéniable, mais tu es la dernière personne à vouloir t'effacer !
Le brun serra encore les dents et plaqua ses mains contre le sol avant de lever le regard vers son supérieur. Sa détresse submergeait peu à peu sa colère, elle réveillait chez lui tous les sentiments connus ces derniers mois et qui ne demandaient qu'à renaître, une fois de plus.
- Je suis épuisé ! Je n'ai fait qu'accepter mon destin jusqu'à présent ! cria-t-il avec accablement, d'une voix qui finit par se casser. J'ai dû accepter de quitter mon foyer menacé, accepter d'avoir tué mon frère, accepter de perdre mon corps pour devenir un objet ! J'ai dû accepter de ne plus avoir de valeur et de tuer des personnes innocentes !
Altaïr laissa son front heurter le sol à son tour tandis qu'ils fermaient ses yeux avec force.
- J'ai vu toute l'horreur qu'ils ressentaient face à moi. Et j'ai compris que mes créateurs... avaient fait de moi un monstre.
Il hocha la tête en signe de fatalité et d'évidence manifeste. Quant à Link, il écoutait ces mots libérateurs gardés depuis bien trop longtemps en lui.
- J'ai accepté de perdre mon humanité dans le regard des autres, ajouta-t-il dans un souffle. En fin de compte, je n'arrive plus à refuser quoi que ce soit. On m'en a retiré la force.
De nouvelles larmes artificielles vinrent mouiller ses joues. L'androïde n'arrivait même plus à relever la tête et à se confronter à son supérieur.
- Je souffre, Capitaine... J'ai... tellement mal... sanglota-t-il à travers des trémolos qui tordirent le ventre de Link.
Il émit un hoquet étranglé avant de loger sa tête entre ses bras croisés par terre.
- Et cette douleur n'est pas physique, malheureusement.
Le chevalier commença à s'approcher de lui, les traits de son visage se tirèrent à cause de sa blessure mais il tâcha d'y faire abstraction pour le moment. L'état de son compagnon de route l'importait et le touchait bien plus que sa propre personne.
- Je ne sais même plus à quoi je ressemble... murmura douloureusement Thomas.
Il avait beau se remémorer tous ces moments passés avec sa mère et son frère, ces fois où il avait vu son reflet dans l'étang aux abords d'Elimith ou bien dans le miroir de leur maison... Son visage demeurait flou voire indiscernable. Son physique actuel avait remplacé son véritable corps dans ses souvenirs et l'avait chassé pour de bon. Seuls ses cheveux roux restaient nets dans son esprit, sans doute car Thomas revoyait ceux de son frère qui leur ressemblaient. Il avait accepté de ne plus jamais pouvoir redevenir comme avant.
- Combien de temps ? demanda soudainement Link pour rompre le silence oppressant et étouffant.
Les yeux de l'androïde se rouvrirent légèrement et il osa ancrer de nouveau son regard dans le sien. Au vu de son incompréhension, le Héros jugea nécessaire de mieux exprimer le fond de sa pensée.
- Combien de temps te reste-t-il ?
La bouche de Thomas s'entrouvrit pendant que ses larmes continuaient à couler à intervalles irréguliers. Combien de temps ? se répétait-il en dévisageant son supérieur. Seul Gut'rah serait capable de le lui dire avec exactitude. Cependant, l'androïde pouvait nettement ressentir la magie de la pierre s'amenuiser de jour en jour, d'heure en heure à cause de Sokyn, de l'utilisation de ses capacités de guérison ou du maniement de son arme.
- Peut-être un mois...
D'un coup, Link s'agenouilla, trancha les liens sur ses poignets, l'attrapa par les épaules puis le plaqua contre lui avant de le serrer avec force. Il l'agrippa dans le dos d'une main et passa l'autre dans sa chevelure brune pour le maintenir. Troublé par ce geste, Thomas papillonna des yeux afin de chasser son afflux d'émotions. Il n'entoura pas l'élu de ses bras, il se laissa simplement tenir pendant qu'il gardait ses yeux clos. L'archer ressentait parfaitement le soutien invisible et la peine de son supérieur à son égard.
- Pour tout ce que tu as enduré, je suis désolé, s'excusa Link dont la sincérité n'était pas à remettre en cause. Je veux te sauver, mais je ne peux pas te donner ce que tu veux...
Les lèvres de Thomas se pincèrent tandis qu'il opinait à contrecœur.
- Je sais, Capitaine... prononça-t-il difficilement. Encore une fois, je ne peux qu'accepter une mort à ma hauteur. Lente et inexorable.
Link fronça les sourcils sous l'effet de l'indignation et de son impuissance. Il savait qu'utiliser la Lame Purificatrice ne sauverait pas son âme, même en détruisant le cœur antique, car la pierre d'énergie la retenait prisonnière. Cette dernière représentait l'ultime moyen de renvoyer Thomas auprès des siens. Cependant, ni Link ni Thomas n'avait la possibilité de la retirer définitivement. Link, d'une part, puisqu'il ne savait pas comment s'y prendre, et Thomas, d'une autre part, car il ne pouvait la tenir à l'écart trop longtemps à cause de son programme contre l'autodestruction.
En vérité, Link pourrait lui couper le bras pour le séparer de la pierre. Mais cela reviendrait à causer sa mort, il ne voulait pas en être le responsable. L'Hylien ne pourrait pas vivre avec une telle culpabilité, lui qui avait déjà vu ses deux meilleurs amis mourir pour lui. Alors tuer un compagnon cher à ses yeux, c'était impensable.
- Dis-moi ce que je peux faire pour t'aider, le pria Link, très concerné par le cas du jeune homme. Je refuse de te laisser dans un tel état.
Il tapota sur l'épaule du brun puis le repoussa avec douceur afin d'observer son visage pâle.
- Je crains que vous ne puissiez rien faire... Mais il y a une chose dont je voudrais avoir la certitude.
Thomas passa une main au-dessus de son tatouage d'hibou puis enroula ses doigts autour de son bras avant d'y planter ses ongles.
- O...Orion est bel et bien mort, n'est-ce pas ?
- Je doute qu'un homme, quel qu'il soit, puisse vivre autant de siècles, lui répondit Link avec sérieux.
Un voile de panique passa à travers le regard du brun qui baissa soudainement la tête et fixa ses pieds avec intensité.
- Alors pourquoi son âme n'est-elle pas auprès de l'Alpha ? Tout être vivant, qu'il soit foncièrement bon ou mauvais, le rejoint en temps normal...
Cela attisait la crainte qu'il éprouvait pour cet homme sans valeurs ni moralité. Et s'il... Et s'il faisait partie de l'armée des Corrompus ? Après tout, Ganondorf avait rappelé à lui tant d'âmes de défunts pour se battre à ses côtés, Orion pouvait très bien être parmi eux. Une seule question hanta Thomas à cet instant précis : que ferait-il s'il croisait son chemin ? Son créateur, l'unique présent en ce monde, serait capable de reprendre entièrement possession de lui à la seconde où il le verrait. Si Thomas était encore vivant et humain, nul doute qu'il aurait frissonné à cette idée.
- Capitaine, où sont les autres ? éluda-t-il de lui-même pour penser à autre chose.
Link s'écarta en émettant un soupir discret puis il s'appuya contre la souche d'un arbre mort une dizaine d'années plus tôt.
- J'ai eu du mal à les convaincre de prendre un peu d'avance car je voulais que nous parlions, seul à seul.
L'expression de l'archer s'aggrava en l'apprenant.
- C'est inconscient et dangereux de votre part. J'aurais pu vous attaquer une seconde fois et vous tuer...
- J'ai simplement eu raison d'avoir confiance en toi, sourit le chevalier sur la réserve. Et j'ai pris mes précautions. Cependant, nous sommes d'accord sur un point. J'ai risqué bêtement ma vie. Astrid a été la plus difficile à persuader de partir devant.
Un nouveau silence prit place entre eux. Thomas en profita pour défaire les cordelettes autour de ses chevilles puis il reporta son attention sur la blessure de son capitaine. Les bandages s'étaient teintés de rouge à cause du sang qui avait continué à s'en écouler. Cette vision renforça la honte du brun qui décida une seconde fois d'user de la magie de la pierre pour le soigner. Il s'approcha de Link, posa un genou à terre puis réitéra les mêmes gestes qu'il avait eus pour Iris.
- Thomas, tu ne devrais pas, le prévint Link en posant une main sur son avant-bras pour l'arrêter.
- Cela ne change rien. Je n'ai que faire du temps qu'il me reste...
Les bandages ayant été retirés, le Héros put voir sa plaie se refermer et guérir sous ses yeux, libérant par la même occasion une chaleur douce, presque réconfortante.
- Comment va Iris ? se risqua Thomas une fois son intervention terminée.
Link passa une main sur sa peau dorénavant lisse et indemne. Il trouvait cela épatant de voir le processus de guérison accéléré à ce point, et sur lui-même.
- Elle est encore sous le choc, lui apprit-il, mais elle se porte bien. Iris a pu remarcher dès son réveil, mais je crains qu'elle ne veuille pas te voir pour le moment.
- Je... comprends.
Thomas afficha un air peiné et coupable après s'être relevé. Il n'avait jamais voulu blesser son amie, encore moins la tuer. Sa seule consolation était de savoir qu'elle avait échappé au même sort que Dewan. Ce fut une raison supplémentaire pour l'androïde de ne pas se battre à proximité d'humains. Il était dangereux pour eux, même sans le vouloir. Il aida le chevalier à se remettre debout puis il tourna la tête vers la droite, les sourcils froncés. La présence néfaste, perçue un peu plus tôt, n'était plus très loin. Elle dégageait une impression familière et lui déplaisant fortement.
- Capitaine, nous ne sommes pas seuls, déclara-t-il sur la défensive et d'une voix plus grave. Nous remettrons notre discussion à plus tard.
Son sérieux et sa soudaine maturité surprirent Link qui découvrait réellement Altaïr. Thomas n'aurait pas réagi ainsi quelques heures plus tôt, mais dorénavant, c'était différent. Il était en pleine possession de ses acquis grâce à son expérience en tant qu'Altaïr. L'Hylien dégaina l'épée de légende et s'empara du bouclier d'Hylia, prêt à se battre contre la nouvelle menace. Son rythme cardiaque n'avait accéléré que légèrement ; d'une façon étrange, la présence de Thomas lui procurait un nouveau type de sécurité insoupçonné.
Face à eux, malgré la pénombre, ils purent enfin discerner une silhouette tenant une épée pointée vers le sol et luisant sous les éclats des gemmes nox. La chevelure blanche qui recouvrait une partie de ses épaules les figea un court instant le temps qu'ils comprennent à qui ils avaient affaire. Les deux jeunes hommes, de trois quarts vis-à-vis de la nouvelle arrivante, se rembrunirent en voyant quatre Corrompus l'accompagner. Caï cessa de marcher lorsqu'elle ne fut qu'à une dizaine de mètres d'eux, elle n'exprimait aucune expression particulière bien que son attention se focalisait exclusivement sur Thomas.
- Je n'espérais pas te trouver aussi tôt, mon cher, se réjouit-elle en relevant le menton pour le regarder d'un air hautain. Et tu es seul avec le Héros, je vois... C'est parfait. Nos forces se sont équilibrées.
- Capitaine, laissez-moi me charger d'elle, lui demanda Thomas sans le regarder.
Sa requête arracha un sourire ironique à Caï qui fit tournoyer une fois son arme avant de poser la lame contre son épaule, la pointe dirigée vers l'arrière.
- Tu penses vraiment faire le poids contre moi, Altaïr ? J'ai entendu maintes fois parler de toi à l'époque de cet enfoiré d'Orion. Est-ce que tu sais seulement pour quelle raison j'ai été conçue et appelée à combattre ?
Thomas tiqua puis tendit une main vers sa lance, toujours collée au sol par la gelée. Il grimaça car elle ne vint pas à lui mais tâcha de ne pas montrer cette faiblesse à son ennemie.
- Et toi ? Est-ce que tu sais pour quelle raison j'ai été conçu ? répéta-t-il avec désinvolture. Ne te montre pas victorieuse sans même avoir engagé le combat.
Elle haussa les sourcils en guise de faux étonnement, ses yeux se plissèrent ensuite à cause de l'agacement induit par Thomas.
- Ce que je sais, c'est que tu vas me donner ta pierre d'énergie, que tu le veuilles ou non.
Le brun comprit immédiatement pourquoi elle la voulait : la sienne était aussi en fin de vie et Caï devait trouver un nouveau moyen de subsistance pour servir encore son maître. Selon elle, la pierre de Thomas devait encore contenir quelques millénaires d'existence. Son semblable ne dit rien dans un premier temps, il la jaugeait et cherchait l'une de ses faiblesses. D'après les dires de Gut'rah, à l'époque, le prototype des androïdes était doté d'une grande force en combat rapproché et d'une combativité surpassant celle d'un humain ordinaire. En somme, elle aurait dû être envoyée en première ligne pour tuer les deux élus des déesses et épargner la vie des Soneaux qui seraient morts inutilement contre eux.
- Tu risques d'être déçue, répliqua Thomas avec un calme que Caï jugea particulièrement insolent.
Elle montra ses dents avec animosité et se mit en position de combat tandis que Link ne savait pas quand intervenir. Il voyait parfaitement les Corrompus qui attendaient le moment pour agir, pourtant aucun d'eux ne bougeait pour le moment. D'un coup, Caï s'élança vers l'autre androïde qui gardait ses mains de part et d'autre de son corps. Le regard de Thomas dévia vers la tablette sheikah et, en une simple pensée, fit dématérialiser sa lance. Il n'y avait pas tout de suite pensé face à Link, mais la nouvelle situation critique l'aidait à mieux se servir de son environnement. Presque aussitôt, son arme se matérialisa à nouveau et fondit à la verticale vers la guerrière. Surprise, Caï frappa sur elle avec son épée pour la contrer et l'éloigner. Satisfaite, elle se précipita sur sa cible et abattit sa lame sur lui avant de rencontrer la substance d'Œbnis qui se brisa aisément. Thomas tomba sur le coccyx et recula à terre en faisant signe à son supérieur de ne pas bouger. Au moment où Caï s'apprêtait à le transpercer de son épée, la lance se remit à léviter puis se jeta sur la guerrière dont les yeux s'écarquillèrent.
- [Détournement] ! s'exclama Thomas en soneau en la désignant de la main.
La guerrière s'immobilisa immédiatement, installant un moment de flottement qui incommoda Link. Il n'avait pas compris le mot prononcé par son apprenti, cependant il pensait en saisir le sens suite à son histoire. Devant lui se trouvait bien le premier prototype soneau qui fonctionnait aussi à l'aide d'une pierre d'énergie. De ce fait, puisqu'il s'agissait d'un robot, Thomas pouvait en prendre le contrôle. Un rire rauque s'échappa de la femme aux cheveux blancs et déconcerta le brun qui se releva avant de reculer par prudence. Il rappela sa lance à lui puis jeta un regard perdu à Link qui ne comprenait pas non plus.
- Crois-tu que ton pauvre programme allait me manipuler, petit merdeux ? grogna Caï qui cessa brusquement de rire. N'oublie pas que j'ai réussi à échapper à Orion car j'étais plus forte que son misérable cœur antique !
Thomas rattrapa son arme en plein vol puis la pointa vers elle en gardant ses positions. Pour la première fois, une machine résistait à son programme de piratage, et cela le troublait grandement. Cette femme ne se laisserait pas exploiter aussi facilement. À vrai dire, rien ne pourrait la contrôler. Elle avait dû elle-même choisir de rejoindre les rangs de Ganondorf car aucune corruption ne l'habitait. Mais dans ce cas... Pourquoi ? Pourquoi un tel choix ?
- Il y a bien un programme insurmontable, répliqua sèchement Thomas qui se montrait sûr de lui. Et ce n'est pas à toi qu'il s'adresse.
Il regarda la poitrine de Caï, là où son cœur antique se trouvait. Il prononça un nouveau mot soneau qui la mit aussitôt en garde et l'obligea à se méfier plus de ce garçon. Le programme d'annihilation par autodestruction. En effet, puisqu'il n'exerçait aucune influence sur le comportement du robot, rien ne pouvait le contrer, pas même une âme qualifiée de forte.
- J'espère t'avoir sous-estimé, Altaïr. Mais il est trop tard pour une confrontation digne de ce nom. Maintenant, donne-moi ta pierre d'énergie ! Je te cherche depuis bien trop de temps pour attendre.
- Je te l'ai déjà dit, tu vas être déçue.
La guerrière poussa un cri de rage puis se tourna vers les quatre Corrompus.
- Vous ! Occupez-vous du Héros le temps que je me charge de ce bouseux !
Ses subalternes ne se firent pas prier et bondirent vers Link dans un silence qui leur était propre. Quant à Thomas, il prit de l'élan et propulsa sa lance sur son ennemie qui la para avec son épée. Elle savait qu'être touchée par la pointe était synonyme de mort certaine, alors mieux valait éloigner cette arme de malheur par tous les moyens. Le brun ne lui laissa aucun temps de répit : sa lance tourna sur elle-même puis fondit de nouveau sur sa proie. D'un mouvement sec, Caï divisa son épée en deux, encore plus légères, et écarta de nouveau le projectile en le frappant avec puissance. Aussitôt, elle refit face à Thomas puis lança l'une de ses lames vers lui en poussant une exclamation qui accompagnait son attaque.
Le jeune homme traça un cercle de sa main gauche et usa d'Œbnis pour ralentir la force de l'épée. Cette dernière n'eut aucun mal à le briser, tel un couteau bouillant voulant couper un morceau de beurre. Elle traversa le ventre de l'androïde qui ne ressentit aucune douleur mais perçut le choc avec netteté, tant et si bien qu'il fut à son tour propulsé en arrière avant de s'écraser lourdement au sol.
- Tu es si faible ! vociféra Caï qui se précipita vers lui. Tu es vraiment l'arme ultime d'Orion ? Quelle humiliation pour moi ! Me comparer à un incapable comme toi...
Elle sauta et se préparait à enfoncer sa deuxième épée dans le flanc de l'archer lorsqu'il s'écria :
- Cinétis !
Selon son ordre, la tablette sheikah figea la guerrière. Ce ne fut que quelques secondes mais elles lui suffirent pour arracher la lame dans sa chair et la jeter sur le côté. Thomas fit une roulade arrière, se réceptionna sur ses deux pieds puis tendit la main vers Caï qui se libérait du sort de la relique. Elle ne regarda même pas la blessure du jeune homme qui se refermait sous ses yeux ; elle se contenta seulement de se baisser pour éviter la lance qui lui frôla l'arrière du crâne sur son passage. Prévisible, pensait-elle. Mais cette satanée lance n'était qu'un obstacle sur sa route. Si elle la détruisait, alors Altaïr n'aurait plus rien pour se battre et se défendre. Caï se baissa afin de ramasser la deuxième partie de son épée puis elle attendit la nouvelle attaque de Thomas pour écraser ses deux lames avec vigueur contre la hampe. Le crissement fut désagréable mais ne déséquilibra aucun combattant.
De son côté, Link se battait à un contre quatre. Ses opposants n'étaient pas bien terrifiants, ce ne devaient être que de simples soldats de leur vivant. Néanmoins, le blond faisait attention à ne pas être touché par leur corruption. Celle-ci menaçait de gicler sur lui et de le blesser grièvement, voire de le tuer. Le bouclier d'Hylia lui permettait de parer les assauts de ses adversaires silencieux tandis que la Lame Purificatrice les empêchait de se régénérer. Cependant, rien ne semblait véritablement les vaincre malgré toutes les blessures mortelles qu'il leur infligeait. L'épée de légende pourrait aspirer toute leur noirceur, mais sur un combattant à la fois. Se charger uniquement de l'un d'eux offrirait une ouverture aux autres.
- Capitaine ! l'appela Thomas qui poursuivait son combat contre l'autre androïde.
Il utilisait toujours ses mains pour guider sa lance et maintenir Caï à distance.
- Visez l'emplacement du sternum !
Link esquiva l'épée d'un des Corrompus en reculant de plusieurs pas rapides. Il devait donc viser le milieu de la poitrine. Peut-être était-ce là que se trouvait l'âme prisonnière. Très bien, il allait donc expérimenter sur le premier ennemi qui s'élançait vers lui. L'Hylien activa le pouvoir de l'épée de légende, effectua une attaque circulaire et trancha une bonne partie de la corruption présente au niveau du torse. Il vit une faible fumée bleutée, jusqu'alors bloquée au milieu de la malice, qui s'en échappa et s'envola vers la voûte. Au même moment, le reste du Corrompu sembla fondre sous ses yeux et s'écroula sous les yeux de ses trois autres semblables qui eurent un mouvement de recul. Dorénavant, il connaissait un moyen pour se débarrasser d'eux.
Quant à Thomas, il essayait toujours de trouver une faille dans la défense de l'humanoïde féminin. Contrairement aux humains qu'il avait dû combattre par le passé, elle était difficilement atteignable et elle usait de sa force supérieure pour repousser ses attaques. Mais Thomas ne tiendrait pas longtemps... Maintenant, il ne pouvait plus se battre aussi longtemps avec une pierre d'énergie à bout de souffle. S'il y avait eu des Gardiens exploitables dans les environs, il les aurait déjà retournés contre Caï. Celle-ci supportait d'ailleurs de moins en moins cette confrontation qui s'éternisait à cause de leur style de combat différent. Tant qu'elle ne parvenait pas à s'approcher de ce vaurien, elle ne prendrait jamais l'avantage. Une arme utilisée par télékinésie était bien moins efficace en combat rapproché à cause du manque d'espace et de son manque de réactivité entre ses actions. Dans ce cas, tant pis pour les méthodes conventionnelles. Son seigneur détestait attendre, il désirait voir la princesse morte rapidement. Il n'avait que faire d'un combat grandiose selon les règles habituelles. Quant au Héros, Ganondorf aurait lui-même préféré le tuer de sa main. Mais si Caï s'en occupait avant lui par nécessité, alors il fermerait les yeux et accepterait de ne pas avoir eu le mérite de tuer un élu.
Dans son dos, elle attrapa deux étranges plaquettes de métal puis les jeta vers Thomas qui n'eut pas le réflexe de les éviter, car son système avait d'abord tenté d'analyser la dangerosité de ces objets inconnus. Sans qu'il ne puisse faire quoi que ce soit, les plaquettes vinrent entourer chacun de ses poignets et le firent hoqueter de surprise. D'un coup, il sembla à Thomas qu'une tonne le tirait vers le sol, le poids exercé sur ses mains entraîna sa chute inexorable et l'immobilisa sur la terre rocailleuse. Il se débattit avec hargne en donnant des coups de pied dans le vide pour s'en sortir, mais il n'y avait rien à faire. Profitant de sa panique, Caï ajouta deux bandelettes métalliques sur ses jambes puis interpela l'un des deux Corrompus restants et lui ordonna, sur un ton sec, de corrompre son adversaire pour le dompter définitivement.
- Capitaine !! s'affola le jeune homme qui sentait la pierre d'énergie à bout pour ce jour-là.
Il n'arrivait même plus à invoquer Œbnis et parvenait tout juste à faire léviter sa lance. De toute évidence, Thomas ne pouvait plus se sauver lui-même. Avec horreur, il vit une masse de corruption se faufiler vers lui à travers les multiples cailloux et racines qui jonchaient le sol. Il acceptait un grand nombre de morts, mais il refuserait toujours de se laisser corrompre par le seigneur du mal. Thomas avait la certitude qu'il disparaîtrait à jamais si Ganondorf prenait possession de lui. Il ne voulait certainement pas devenir son nouvel instrument et laisser son arme entre ses mains. Même sans pierre d'énergie, l'androïde serait en mesure de se déplacer et d'agir puisque la corruption serait son nouveau vecteur. En somme, il deviendrait comme les Gardiens durant l'ère du fléau. Son âme serait retenue prisonnière d'une nouvelle façon...
Caï, qui n'attendait que de voir la corruption entrer dans le corps de son semblable, ne vit pas le Héros qui se précipitait vers lui en rengainant son épée. Dans un élan à l'apparence désespérée, il sauta vers Thomas, lui empoigna l'épaule puis appuya en toute hâte sur la tablette sheikah. Immédiatement, leurs corps disparurent de la caverne pendant que les yeux de la guerrière s'agrandirent de stupeur.
- Non !! rugit-elle en tournant sur elle-même pour les chercher du regard. Revenez !
Seul l'écho de sa voix lui répondit et fit éclater sa colère. Avec rage, Caï jeta ses épées puis cria. Ce ne devait pas se terminer ainsi, si près du but. Ce satané Héros n'aurait jamais dû intervenir... Les Corrompus n'étaient-ils que des incapables ?! Furieuse, l'androïde se tourna vers les deux survivants et leur adressa un regard noir.
- Ne pensez pas vous en sortir indemnes, siffla-t-elle mauvaisement. Maître Ganondorf vous donnera un châtiment à la hauteur de votre incompétence !
oOo
Le froid mordant et pénétrant fut le premier élément qui frappa les deux compagnons de route après leur téléportation. À bout de force, Thomas peina à se redresser sur ses avant-bras et à observer ce nouvel environnement. Pour le peu qu'il parvenait à discerner grâce à une lueur bleutée, ils se trouvaient dans une caverne différente, au pied d'un sanctuaire. La bouche entrouverte, le brun fronça les sourcils sous l'effet de l'incompréhension puis il tourna la tête vers son supérieur. Ce dernier gémit en s'asseyant et en grelottant de froid. Sur sa droite, sa lance reposait à terre, téléportée avec eux puisqu'elle était une extension du corps du brun.
- Où... Où sommes-nous ? demanda Thomas qui percevait la très basse température mais qui n'avait pas froid pour autant.
Link vérifia le nom sur la relique puis émit un soupir bruyant.
- Au pied du sanctuaire Myos'Sino, dans le mont Hébra. Je n'ai pas vraiment eu le temps de choisir notre destination. Mais au moins, nous sommes en sécurité ici.
- Comment allons-nous retrouver les autres ? s'inquiéta Thomas, toujours à moitié allongé. Il n'y a pas de sanctuaire à Delteha...
Le blond lui tapota amicalement l'épaule puis, sur la carte de la tablette, vint grossir la zone de Firone. Il remonta vers la région de Necluda et s'arrêta au-dessus d'un point bleu qui ne désignait pas un sanctuaire.
- Il n'y a eu qu'un seul argument qui a pu convaincre le reste du groupe à me laisser avec toi, commença Link dont le regard se rivait toujours sur l'écran. J'ai placé un point de téléportation là où nous avions parlé tous les deux. Si tu avais tenté de m'attaquer, je me serais téléporté sur l'une des Créature Divines puis je serais revenu en espérant que le danger se soit éloigné. Le contexte actuel n'est pas le même mais nous procèderons de la même façon pour retrouver Pahya et les autres.
L'Hylien matérialisa deux couvertures chaudes puis en donna une à Thomas, cependant celui-ci la refusa car ce serait bien inutile : il ne craignait pas le froid. Sa réponse rendit son supérieur d'autant plus soucieux de son état et le fit poser la deuxième couverture à côté de lui. Dorénavant, il n'y avait plus qu'à attendre le temps nécessaire en espérant que Caï ne suive pas le même chemin que leurs autres compagnons. Ceux-ci avaient théoriquement pris de l'avance et avaient sans doute trouvé le premier village soneau. Peut-être... Peut-être que Zelda était là-bas ? Le cœur de Link se serra tandis qu'une vague de chagrin l'enveloppa. Dans combien de temps la retrouverait-il ? Elle qui se trouvait en présence d'un assassin. Qui savait s'il ne l'avait pas tuée et qu'il portait maintenant son bracelet ? Le blond secoua la tête pour chasser cette idée absurde. Non, elle vivait toujours, il en avait la certitude grâce au bijou. Cependant, une pensée commença à le hanter suite au récit de la vie de Thomas. L'apparition de cet assassin soneau coïncidait avec la période où l'androïde avait libéré ce Soran. Link n'avait pas bien compris qu'elle était son rôle au village de Calehun, mais il ne faisait aucun doute pour lui qu'il s'agissait d'un ennemi supplémentaire qui passerait à l'acte un jour ou l'autre.
- Thomas, j'ai besoin d'avoir des réponses.
Entendre son prénom soulagea l'archer mais renforça, étrangement, son sentiment perpétuel de solitude.
- Cet assassin qui nous a attaqués lorsque nous allions au village de Cocorico...
Il s'arrêta de parler après avoir dégluti. Vraiment, Link espérait que Soran et cet homme n'aient rien à avoir entre eux. Et pourtant, une infime partie de lui semblait déjà connaître la réponse.
- Oui, il s'agit bien de Soran, affirma Thomas.
Le visage du chevalier s'assombrit pendant que son angoisse pour Zelda s'accroissait encore plus.
- Si nous en croyons les Soneaux que nous avons croisés, c'est bien lui qui accompagne la princesse.
- Alors il va la tuer...
- Non, pour être honnête, je ne pense pas.
Le regard inquiet et interrogateur du Héros le poussa à approfondir sa pensée.
- De ce que j'ai appris, il est le frère par adoption de la princesse Zelda. Enfin... de la princesse de mon époque.
Thomas serra les poings à cause de la réalité qui prenait sens, une fois de plus.
- Soran n'a pas non plus vécu ces dix derniers millénaires. Tout comme moi, il doit... mélanger le passé et le présent. Et c'est sans doute ce qui sauvera la princesse un certain temps. C'est pour cela que vous devez vite la retrouver. Quant à moi, quand je vous parle, j'ai l'impression de revoir Orazio de Lanelle à votre place. Tout paraît si incohérent, maintenant...
Le silence revint entre eux et céda la place à la quiétude habituelle du mont Hébra. Le vent qui sifflait dans la cavité jouait une mélodie lente et grave qui rendait l'ambiance singulière. Tous deux ressentaient la solitude procurée par les lieux, mais d'une autre manière, il y avait un certain côté apaisant apporté par le calme de la montagne.
- Je crois que ta rencontre avec mon prédécesseur a influencé mon choix quand je t'ai vu pour la première fois, avoua Link qui tenait fermement sa couverture pour se protéger du froid. Au plus profond de moi ce jour-là, j'ai senti que je devais te choisir.
Il esquissa un sourire discret, presque ému aux yeux du brun qui fut étonné par cet aveu de sa part.
- Certaines choses sont transmises par l'esprit du Héros, je suppose. Tu l'as marqué profondément, conclut Link en reportant son regard sur son apprenti.
- Il faut dire que j'ai failli le tuer, balbutia honteusement Thomas. Et ça m'a valu de revoir de très près la mort une seconde fois...
L'Hylien en fut désolé pour lui, bien qu'il savait pertinemment que rien ne pouvait effacer les événements du passé. Thomas devait vivre avec ses traumatismes et ses remords. Enfin vivre... Désirait-il toujours « vivre » ? De ce que Link voyait, il se laissait dépérir avec sa pierre d'énergie, ce qui était inacceptable pour le Héros. Ses valeurs lui dictaient d'aider son prochain et de ne pas laisser celui ou celle dans un besoin quelconque. Ce fut l'une des raisons pour laquelle il avait choisi la même voie que son père. Les sourcils du blond se haussèrent lorsqu'il pensa comprendre. Jusqu'à présent, Thomas était guidé par un unique désir : rendre sa mère fière de lui en devenant un soldat. Mais puisqu'il la savait maintenant morte, plus rien ne le poussait à poursuivre ce but.
- Que comptes-tu faire, maintenant ? lui demanda Link, très concerné par l'avenir de son apprenti.
Il voyait très bien le regard de Thomas perdu dans le vide suite à sa question. Et comme toujours, son air attristé se reflétait à travers ses yeux bleus.
- Que voulez-vous que je fasse ? souffla-t-il avec affliction. Je vais bientôt rejoindre l'Alpha définitivement. Tout ce que j'entreprendrai sera vain.
- Je veux que tu combattes encore à mes côtés. J'ai besoin de ta force.
La requête soudaine de son capitaine figea l'archer et le laissa sans voix un instant. Il plaisantait ? Le Héros avait « besoin » d'un androïde en fin de vie capable de le tuer à tout moment dans ses moments de peur ? Grâce à ses forces qui revenaient peu à peu, Thomas se redressa puis recula tout en restant assis avant de croiser les bras et de regarder ailleurs.
- Ce n'est pas de moi dont vous avez besoin. C'est d'Altaïr. Je ne suis pas stupide, Capitaine... Vous me désirez en tant qu'arme car mes capacités vous seraient utiles contre Ganondorf. Mais vous vous trompez.
Son expression se durcit en même temps qu'il parlait, et ses mots blessèrent Link car jamais sa pensée n'avait été celle énoncée par le jeune homme.
- Plus le temps passe, plus la durée de mes capacités est limitée. Je ne suis plus l'Altaïr craint que les contemporains de mon époque ont connu...
Link l'attrapa soudainement par les épaules et ancra son regard dans le sien, lui laissant découvrir toute son indignation due à ses propos.
- Oui, je suis persuadé que tes pouvoirs nous seront utiles ! Mais jamais je ne te considèrerai moins que mon égal. Tu n'es pas une arme à mes yeux, je te l'ai dit en toute sincérité ! Alors... Alors je t'en prie.
Il raffermit son emprise sur lui quand sa voix se mit à trembler sous l'émotion.
- Accompagne-nous jusqu'au bout.
Ils avaient commencé ce voyage ensemble, ils le termineraient ensemble. Manifestement touché, Thomas posa ses mains sur celles du Héros puis les repoussa doucement tandis qu'il baissait la tête. Son supérieur lui répétait, d'une manière implicite, qu'il voulait bel et bien Thomas à ses côtés, qu'il soit un androïde ou non. Depuis combien de temps attendait-il qu'on le considère de nouveau comme un humain ? Dans sa condition, était-ce seulement encore possible ? Avec lenteur, sa lance s'éleva de quelques centimètres puis vint se poser au creux des paumes de son propriétaire. Le brun ne la quitta pas du regard ; de sa main gauche, il vint effleurer la hampe à la surface inégale à cause de sa finition à l'apparence sculptée.
- J'ai failli oublier ma parole, prononça Thomas avec regrets. Je vous avais dit que ma vie vous appartenait, Capitaine. Maintenant, je sais qu'elle est vraiment entre de bonnes mains.
Il souleva manuellement sa lance et la plaça à la hauteur de leur poitrine, à l'horizontale. Son regard glissa une fois de plus vers Link alors que son visage restait fermé et sérieux au vu de la situation. L'air semblait même s'être quelque peu densifié autour d'eux en dépit de la température glaciale.
- Vous savez, le jour où vous avez dit que j'avais l'âme d'un chevalier... J'ai éprouvé de la joie, lui apprit-il en se forçant à avouer. Mais porter ce titre engage tant de responsabilités qu'il ne m'a jamais attiré. Au contraire, il m'a repoussé... Alors j'aimerais savoir si vous pensiez toujours que j'en serais digne, même après tout ce que je vous ai dit au sujet d'Altaïr.
Link tenta de lire le reste de ses pensées derrière ses yeux plus humides qu'à l'ordinaire. Il y lisait une forme d'espoir et d'attente qui lui coupa le souffle sur le moment. Comment Orion n'avait-il pas pu voir tout le côté humain retranscrit par son regard ? Pourquoi l'avait-il considéré comme une vulgaire machine jusqu'à la fin ? Le Héros dut freiner sa colère naissante car il savait qu'elle influerait sur sa réponse. La question de Thomas était bien trop importante à ses yeux pour être gâchée à cause de ressentiments envers un homme mort.
- J'en suis intimement persuadé, lui assura Link d'une voix calme et posée. Tu n'as pas besoin d'être adoubé pour être chevalier.
À l'aide de son index, il appuya au-dessus du cœur antique de l'androïde.
- Tu le seras au plus profond de toi, car tu as toutes les qualités pour le devenir.
Les traits du brun se tirèrent lorsque l'envie de pleurer le tirailla de nouveau. Il hocha plusieurs fois la tête en regardant son supérieur, signe qu'il avait tout de même du mal à y croire. Ses yeux se posèrent sur ses bras ; s'il possédait un véritable cœur, nul doute qu'il se serait serré face à ce qu'il voyait. Sa peau avait perdu de sa couleur qui la rendait vivante, son teint était maintenant maladif et témoignait l'affaiblissement de sa pierre. Ses poumons se mouraient déjà et bientôt, se seraient au tour de ses cheveux de perdre leur couleur, tout comme le jour à Orion lui avait arraché la pierre d'énergie durant de longues minutes. En si peu de temps, pouvait-il vraiment aspirer aux valeurs des chevaliers ? Ces hommes qu'il avait longtemps méprisés à cause des filles de son village.
- Tu dois avoir un objectif duquel tu tireras ta force pour nos combats futurs, ajouta Link qui posa une main sur la hampe de la lance. J'ai choisi de me battre pour ma famille et mon royaume. Et toi ?
- Pour vous. Et pour...
Thomas se tut plusieurs secondes, par gêne. Aux yeux de l'élu, il voulait sans doute évoquer sa défunte mère mais la douleur de sa perte lui coupait l'envie de terminer sa phrase. Link le remercia de lui prêter main forte malgré son état de faiblesse manifeste. Il assura à Thomas que son courage et son altruisme devraient être des exemples pour les futurs soldats et chevaliers. Sur ce, il se coucha en replaçant correctement sa couverture sur ses épaules puis attendit que le temps passe. Dos à son apprenti, le chevalier observait les roches montagneuses qui composaient la paroi face à lui puis il serra les poings. Certains de ses compagnons seraient amenés à perdre la vie lors de leur périple, il en avait conscience bien qu'il ne le souhaitait pas. Link vivrait leur mort comme de véritables échecs et comme des pertes dont il aurait du mal à se relever par la suite. Il savait que Thomas serait sans doute le premier à partir, et rien ne pourrait empêcher cela... La gorge de l'Hylien s'assécha à cette pensée. Même s'il avait su plus tôt pour sa nature de machine, il n'aurait jamais pu le sauver. La seule chose qu'il pouvait faire était de l'accompagner dans ce dernier voyage et de lui offrir le meilleur soutien possible.
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