Chapitre 32


Un soleil à moitié caché par les nuages baignait Hyrule de sa lumière et réchauffait les joues des Hyruliens qui osaient sortir de chez eux malgré les températures basses de l'automne. Les feuilles rouge orangé avaient remplacé les vertes sur les arbres d'Elimith, l'herbe jaunissait chaque jour de plus en plus pendant que les femmes commençaient à porter leur mante. L'aubergiste du village, un homme blond à forte corpulence, préparait les tables afin d'accueillir les premiers clients de la journée. Il sifflotait un air enjoué et tournoyait parfois sur lui-même quand le cœur lui en disait. Sans aucun doute, il était de très bonne humeur. La porte de son établissement s'ouvrit et fit retentir les petites clochettes accrochées au plafond, annonçant la venue de quelqu'un. En effet, il s'agissait de deux adolescents qui venaient porter le gibier du jour.

En somme, deux jeunes chasseurs qui usaient de leur arc pour tuer leur proie et les ramener à l'aubergiste qui les payait grassement pour leur travail. Il se retourna et les salua. L'un était roux, l'autre était brun. Ils possédaient des yeux bleus et leurs cheveux s'étaient décoiffés à cause de leur activité éprouvante. Ils devaient sans doute avoir seize ans, peut-être dix-sept. Amis d'enfance, tous les deux ne se quittaient que rarement.

- Vous m'avez amené des lièvres et des perdrix ? Bravo, les garçons ! Les clients seront ravis ce soir.

Le roux lui offrit un grand sourire dont il avait l'habitude tandis que son ami restait impassible. L'aubergiste leur donna leur prix en rubis, les remercia une dernière fois puis les regarda quitter son établissement en leur souhaitant une bonne journée. En retournant à son occupation, l'homme blond se souvint de la précédente visite de Dewan, le grand frère de l'un des deux jeunes chasseurs. Ce dernier lui avait transmis un message à délivrer à son cadet lorsqu'il viendrait à l'auberge.

- Déesses, j'ai failli oublier ! s'exclama-t-il en se frappant la tête.

Il se précipita vers la porte, l'ouvrit à la volée puis sortit au milieu de la rue principale d'Elimith. De là, il hurla :

- Thomas !! J'ai oublié de te dire que ton frère est rentré de la citadelle ! Il t'attend à la maison.

Le roux se retourna, les sourcils haussés, puis sourit en l'apprenant.

- Merci ! le gratifia-t-il d'un geste de la main.

- Y a pas de quoi, lui répondit l'aubergiste avec joie.

Thomas se tourna vers son compagnon aux cheveux noirs et ne dissimula pas son enthousiasme quant au retour de son aîné.

- Je suis certain qu'il a pu voir le Héros et la princesse ! Dewan m'a dit qu'ils s'investissaient dans l'entraînement des soldats et des chevaliers.

- Ton frère n'est qu'un fermier qui va livrer le foin, j'te rappelle... soupira son ami en levant les yeux au ciel. Ça m'étonnerait qu'il puisse voir les deux élus depuis les écuries.

Le roux se renfrogna puis le poussa par l'épaule pour témoigner de son mécontentement.

- T'es vraiment qu'un rabat-joie, Marlin.

Le dénommé Marlin souffla du nez en guise de rire jaune.

- Il n'y a que toi pour t'égayer pour rien, mon vieux, répliqua-t-il en posant ses mains sur sa propre nuque. Et tu n'es pas sans savoir que la guerre fait déjà rage. Les élus ont autre chose à faire que de se préoccuper de pauvres bouseux comme nous.

Thomas baissa la tête et afficha un air consterné. Son compagnon n'avait pas tort... Des machines créées à partir d'une haute technologique sheikah protégeaient actuellement le château et chassaient les vagues de monstres un peu partout sur le territoire. De plus, des animaux mécaniques géants, appelées Créatures Divines, seraient bientôt terminés et s'engageraient à leur tour dans le combat. Grâce à eux, les Hyruliens retrouvaient un semblant de sécurité et voyaient leur chance de victoire s'agrandir face à la menace de Ganon. Mais aussi... face à la menace des Soneaux. Ce peuple s'était rangé à ses côtés et n'hésitaient pas à attaquer quelques villages esseulés pour les piller et faire pression sur la famille royale. Les villageois d'Elimith en avaient conscience : ils seraient bientôt les prochains.

- Bon, j'y vais, déclara Thomas en agrippant fermement la corde de son arc qui passait devant son torse.

Il le salua puis arpenta le chemin montant d'Elimith, celui menant à ses hauteurs. Sa maison se tenait là, tournée vers le soleil levant, bâtie en pierre et en bois. Une colonne de fumée s'élevait depuis la cheminée difforme pendant que quelques brebis broutaient l'herbe dans le jardin. Le roux retira son arc jusque-là placé en diagonale dans son dos puis il poussa la porte d'entrée avant de s'annoncer :

- Je suis de retour ! J'ai gagné cinquante rubis avec la chasse.

- Seulement cinquante ? le nargua son frère qui apparut sur sa droite. Petit joueur.

Thomas grimaça en lui lançant sa sacoche en cuir dessus. Dewan esquiva en ricanant et continua à se moquer gentiment de son frère. C'était un jeune homme de vingt-et-un ans, lui aussi aux cheveux de couleur rousse ; cependant, il avait les yeux verts hérités de leur père. Ce dernier ne vivait plus à Elimith à cause du conflit opposant Hyruliens et Soneaux. Ces derniers n'acceptaient pas la relation entre Taki, leur paternel, et Elina puisqu'elle était Hylienne. Taki avait été contraint de choisir son peuple afin de pouvoir protéger sa famille, de nombreuses années plus tôt. Mais un jour, il ne donna plus de nouvelles... La communication secrète établie avec sa famille avait pris fin brutalement, ce qui avait inquiété Elina plus que tout. Elle finit par apprendre sa mort, et elle en fut dévastée, tout comme son fils aîné. Quant à Thomas, à ce moment-là, il n'avait que deux ans et ne conservait aucun souvenir de son père.

- Arrêtez de vous disputer, ordonna la mère de famille en quittant sa chambre. Sinon je vous affecte aux corvées du village toute une semaine.

- Tout mais pas ça... la supplièrent ses fils à l'unisson.

- Alors allez préparer le repas. Et je ne veux rien entendre !

Son ton sec les fit déglutir avant de s'exécuter. Elina était une femme très stricte et assez fermée bien qu'elle soit une mère aimante et très protectrice. Elle tenait aux règles de la maison et à la discipline qu'elle inculquait à ses enfants depuis leur naissance. La vie de paysan l'avait forgée ainsi, « à la dure » comme disaient les locaux. Malgré son autorité, Thomas aimait profondément sa mère pour qui il éprouvait une admiration et un respect sans limite. C'était une petite femme rousse de naissance mais qui préférait se teindre les cheveux en noir car ils s'associaient mieux à la couleur marron de ses yeux. D'apparence trapue, elle portait des robes longues pour dissimuler au mieux ses défauts physiques qu'elle ne pouvait plus supporter depuis le départ de son mari. Car elle vivait à travers son regard... Son absence avait marqué le début de la déconstruction de sa propre estime. Une estime de soi qu'elle n'avait presque jamais eue et que son dernier fils ne semblait pas avoir hérité, lui aussi, même s'il ne s'en rendait pas encore compte.

La petite famille se mit enfin à table, des légumes cuits comme seul plat de consistance. Ce genre de repas n'était pas rare, au contraire, puisqu'il n'était pas bien riche. Parfois, ils mangeaient la viande que l'aubergiste refusait quand il en avait déjà assez. Mais Thomas ne pouvait pas toujours se permettre de garder le gibier, il le revendait toujours pour en tirer une poignée de rubis.

- J'ai entendu dire qu'Elimith serait la prochaine cible des Soneaux... se risqua à demander Dewan. Nous allons devoir...

Avec une lenteur presque effrayante à leurs yeux, leur mère posa sa fourchette sur le bois de la table puis, en fixant le centre, se redressa sur sa chaise.

- Dewan, prononça-t-elle avec dureté. Combien de fois dois-je te dire de ne pas en parler à table ?

L'ainé se fit plus petit.

- Mais...

- Le sujet est clos.

Il ouvrit la bouche pour répliquer mais se ravisa bien vite. Dewan porta sa fourchette à sa bouche et avala sans grande faim les légumes fades. La suite du repas se déroula dans un silence pesant et ordinaire dans leur foyer. Quand ils eurent fini, Elina leur intima l'ordre de nettoyer la table pendant qu'elle cousait les vêtements chauds qui les protègeraient de l'hiver. Et une fois la table et les couverts nettoyés, les deux frères quittèrent la demeure puis se dirigèrent vers un noisetier, où ils s'assirent à quelques mètres. Thomas attrapa une touffe d'herbe sèche puis la jeta devant lui. Il réitéra son geste plusieurs fois, sous le regard de son aîné.

- J'imagine que tu es au courant de ce que prépare le chef, commença Dewan en levant les yeux vers l'horizon. Maman n'a pas voulu que j'en parle pendant le repas mais... les Soneaux menacent de plus en plus Elimith. Si nous ne partons pas, ils détruiront tout et nous décimeront.

- Je ne veux pas quitter la maison...

Dewan soupira, esquissa un sourire, attrapa l'épaule de son frère puis le plaqua contre lui. Il vint ensuite frotter ses cheveux avec vigueur pour l'embêter.

- Bon sang, Thom's, t'as plus dix ans ! Faudra bien que tu quittes le cocon familial un jour ou l'autre.

L'archer le repoussa sur le côté en jurant avant de replacer ses cheveux.

- Et maman ? Quand la guerre sera finie, elle ne pourra pas s'occuper des brebis et du champ toute seule...

- Ne t'en fais pas. Une fois que j'aurais épousé Émaline, nous vivrons avec elle pour prendre la relève. C'est la tradition ici, tu le sais bien. Et toi, en tant que cadet, tu iras vivre chez ta future femme.

Thomas fit la moue. Il s'allongea sur le dos, les mains derrière la tête, et contempla le ciel. Une brise froide passa sur sa peau et le fit frissonner.

- Je ne veux pas me marier, décréta-t-il en fronçant les sourcils. Les filles du village sont des idiotes. Elles parlent sans arrêt des chevaliers comme s'ils étaient des héros. Si la vie ici ne leur plaît pas, elles n'ont qu'à partir. Elles ne manqueront à personne.

- Tu ne devrais pas être aussi médisant avec elles, l'avertit son aîné qui n'avait pas apprécié ses paroles. À votre âge, on est souvent bercé d'illusions. Quand elles comprendront que la vie n'est pas un conte de fée, elles deviendront plus matures et appréciables.

- Elle n'est pas née la fille pour qui j'aurais plus de considération que maman.

Son ironie exaspéra Dewan qui émit un soupir bruyant en roulant des yeux. Son frère était irrattrapable, rien ne le ferait changer d'avis pour le moment. Après tout, il avait encore quelques années devant lui pour penser à cela. Le jeune homme observa un point au loin, là où se trouvait sans doute le château s'il n'était pas aussi éloigné du village.

- Il paraît que l'épée légendaire du Héros est capable d'éloigner la noirceur du monde et de la purifier. Tu penses qu'elle peut effacer la noirceur d'un cœur ?

Qu'est-ce que Thomas en savait ? Il ne se posait jamais ce genre de questions. Inconsciemment, son regard dévia vers sa main sur laquelle figurait son tatouage en forme de tête d'hibou. Le soir, parfois, il luisait d'une faible lueur bleue prouvant que du sang soneau coulait dans ses veines. Tout comme son frère qui possédait la marque en bas de son dos.

- Pourquoi ? lui rétorqua Thomas. Tu penses que c'est ton cas ?

Son frère haussa les épaules.

- Non. Je me posais la question, c'est tout.

Dewan se releva, épousseta le derrière de son pantalon puis dévisagea son cadet avant de lui tendre la main. Ce dernier la prit et tira dessus pour se mettre debout à son tour.

- Nous devrions quitter Elimith en fin de semaine. Il faudra préparer tes affaires et ton arc. Les routes ne sont plus sûres.

- Quelle sera la destination ?

- Le plateau du Prélude. Il y a un petit bourg là-bas, les habitants accueillent les réfugiés. Nous pourrons nous y installer jusqu'à la fin de la guerre. Et si la maison est détruite en notre absence, peu importe. Je la reconstruirai, même si ça me prend des années.

oOo

Une trentaine de villageois d'Elimith prirent la route en direction du plateau du Prélude, accompagnée par plusieurs chariots qui transportaient des vivres et quelques effets personnels. Ils marchaient depuis des heures sous le soleil peu chaleureux de ce milieu de saison. Les Hyliens avaient revêtu des tenues chaudes pour lutter contre la fraîcheur de l'automne, ils firent aussi quelques pauses afin de se désaltérer ou de permettre à certaines personnes âgées de se reposer. Ils finirent par atteindre enfin le centre d'Hyrule ; leur destination se voyait à des lieues de là tant le plateau était élevé. Cependant, leur chemin les obligea à traverser un ancien camp de bokoblins abandonné au milieu d'un bois. Du moins, ils le pensèrent jusqu'à ce qu'une odeur de viande grillée leur parvienne. Une odeur... que Thomas ne pourrait plus supporter par la suite. Avec son frère, ils se lancèrent à la recherche du foyer où grillait une pièce de sanglier et ils n'eurent aucune difficulté à mettre la main dessus.

Intrigué par cet imposant morceau de viande qui cuisait, Thomas s'en approcha et déduisit qu'elle n'était pas là depuis longtemps. Ce détail le fit frémir. Mais alors... Horrifié, il se retourna d'un coup pour hurler à ses compagnons de s'enfuir, mais ce fut trop tard. De nombreuses silhouettes se laissèrent tomber des arbres touffus et bondirent sur les pauvres Hyliens, pour la plupart sans arme. Tout se passa si vite... Il ne fallut que quelques instants pour que les trois quarts meurent suite à l'unique attaque de leur assaillant. Dans un élan instinctif, Thomas s'empara d'une flèche et de son arc et visa le premier bokoblin bleu qu'il vit. La flèche qu'il reçut en pleine tête l'arracha brutalement à la vie.

- Thomas ! hurla désespérément son frère entouré par cinq ennemis.

Il se débattait avec sa simple lance de fer, ce désavantage allait bientôt avoir raison de lui. Thomas banda son arc vers les bokoblins qui attaquaient son frère et cibla l'un d'eux. Son bras tremblait tant il avait peur et l'adrénaline affluait dans son corps. Par les déesses, il ne devait pas rater son tir. Mais ils bougeaient bien trop, ce fut presque impossible de savoir qui viser car chacune des créatures menaçait de porter un coup mortel à son frère à tout instant. Une batte s'écrasa sur le dos de Dewan qui hurla de douleur en se courbant vers l'arrière.

- THOMAS !! s'époumona-t-il avec puissance.

Involontairement, le jeune homme lâcha la corde. La flèche fendit l'air et se planta dans la gorge de l'Hylien qui tituba en arrière puis s'écroula en agonisant sous le regard barbare des cinq bokoblins. Ces derniers s'acharnèrent sur son corps jusqu'à ce qu'il ne bouge plus. Aussitôt, Thomas laissa tomber son arc, abattu, et resta figé sur place. Son état de choc fut tel qu'il oublia ce qu'il se passait autour de lui, les cris d'agonie de ses semblables ou même les couinements des bokoblins. Lentement, il porta les mains à son visage puis se griffa les joues en s'accroupissant. Il... Il venait... de tuer son frère ? Thomas poussa un hurlement rauque d'effroi en comprenant ce qu'il venait de commettre. Soudain, une vive douleur le traversa du dos vers le ventre et lui coupa net le souffle. Dans un mouvement saccadé, il baissa la tête mais ne vit pas la pointe de l'épée sortir de son abdomen, car celle-ci n'avait pu être enfoncée aussi profondément.

Derrière lui, le Soneau retira son arme d'un geste vif puis laissa s'écrouler à ses pieds l'adolescent en proie à une hémorragie massive, avant de mourir sous un coup de grâce. Peu après, l'homme siffla, tous les bokoblins cessèrent leur massacre et vinrent le rejoindre sans un mot comme de braves chiens de chasse. Un autre Soneau, appelé Hyor, vint se placer à côté du premier et observa le carnage qui lui faisait face.

- La mission est un succès, dit ce dernier en croisant les bras. Ces morts mettront un coup de pression à la famille royale.

Ses cheveux bruns et longs avaient été attachés en une longue tresse qui se mouvait au gré du vent. Il avait une carrure impressionnante digne d'un guerrier de son peuple et qui traduisait son long parcours de combattant. Tout comme son semblable, il portait des peaux de bêtes et des os sur le corps en guise de tenue traditionnelle. Seules leurs peintures se différenciaient par leurs formes et leur couleur.

- Partons, nous n'avons plus rien à faire ici, reprit-il en tournant les talons.

- Attends.

Le premier Soneau, un homme aux cheveux poivre et sel, dévisageait le cadavre d'une morte à une dizaine de mètres.

- N'est-ce pas là la femme de Taki ? Que ce brave repose en paix.

Son interlocuteur lui jeta un bref regard empli de mépris.

- Il semblerait que ce soit le cas. Et alors ?

- Ses enfants savent manipuler les âmes. Deux garçons, si je me souviens bien.

Hyor observa un instant son aîné puis soupira en se tenant la tête.

- Si le chef apprend que nous les avons tués, nous allons être exécutés, grogna le plus âgé. Mais maintenant que j'y pense, dis-moi...

- Je vois, Koda. L'un des deux enfants pourrait être utile au Sorcier.

- Exact. Identifions-les dans un premier temps.

Les Soneaux renvoyèrent la petite troupe de bokoblins puis se lancèrent dans un macabre travail de recherches. Ils durent retirer les habits de toutes les victimes et chercher parmi les jeunes Hyliens ceux qui possédaient un tatouage caractéristique de leur clan. Hyor trouva rapidement l'aîné tandis que Koda vint voir Thomas à la fin.

- Et dire que j'ai moi-même tué l'un des nôtres, prononça Koda avec amertume. Qu'on me maudisse pour un tel crime...

- Tu éprouves du regret envers un immonde métisse ? Tu me déçois, cracha l'autre guerrier en amenant le cadavre du frère aîné. Regarde, emmenons celui-là. Il m'a l'air vigoureux.

L'homme poivre et sel examina un instant le visage de l'Hylien en se demandant s'il ferait vraiment l'affaire. Finalement, son regard se porta sur Thomas.

- Non, prenons plutôt le plus jeune. À cet âge, ils sont facilement influençables et manipulables. Il sera parfait pour l'expérience. Orion lui-même l'a dit.

Hyor fronça les sourcils.

- Tu plaisantes ? Orion voulait une femme. Puis frêle comme il est, il va...

- J'ai dit que nous prendrions le plus jeune, alors exécution ! aboya Koda avec férocité.

Les deux hommes se toisèrent longtemps, leurs yeux transcrivaient une animosité notable. Celui qui baisserait le regard perdrait cet affrontement silencieux. Ce fut Hyor qui s'avoua le premier vaincu. Il n'avait pas son mot à dire face à l'un des anciens meilleurs guerriers du clan, surtout que ce dernier s'avérait être son supérieur. Le brun claqua de la langue, empoigna le sujet de la future expérience puis le jeta sur son épaule en se contrefichant totalement de savoir que son sang encore chaud coulait sur lui.

Le corps de Thomas fut mené jusqu'à leur village, Calehun, puis dans la grande hutte du Sorcier. À l'intérieur, ce dernier polissait une très belle pierre ressemblant à une émeraude de forme ovale. Gut'rah fut, dans un premier temps, surprit qu'on lui apporte un Hylien banal. Mais lorsqu'il apprit que le fils de Taki se trouvait à ses pieds, il peina à contenir sa joie. Un manieur d'âme ! Que Ganondorf en soit témoin, il ne pouvait rêver de mieux. Mais Orion ne désirait pas un homme...

- Alors, Sorcier ? demanda Koda en tapant du pied. Il te va ou pas ?

- J'aimerais te répondre que oui, mais je crains qu'Orion ne soit pas du même avis. Ce gosse ne respecte aucun de ses critères. À part peut-être son jeune âge qui lui confère un esprit influençable.

Hyor souffla du nez en guise de moquerie. Il avança dans la cabane et observa la pierre polie par le vieil homme. La pierre d'énergie... Une dizaine d'années de recherches pour parvenir à un tel bijou d'alchimie. Certains Hyruliens pourraient l'appeler, à tort, la pierre philosophale bien que son utilisation soit différente de leur imagination.

- Le réceptacle est prêt ? se renseigna Koda qui montrait un intérêt poussé pour leur nouvelle technologie.

- Non, j'attendais d'avoir le sujet nécessaire pour le terminer. Je crois que ce ne sera qu'une affaire de quelques jours, répondit Gut'rah après s'être accroupi près de Thomas. En attendant, j'aurais besoin de prélever ses yeux et son appareil respiratoire. Il serait dommage qu'ils pourrissent avant l'heure.

Les deux guerriers témoignèrent leur surprise en haussant les sourcils. Le Sorcier venait vraiment de choisir ce garçon sans l'accord du chef ? Il risquait de ne pas être content de l'apprendre... Mais après tout, le Sorcier était l'unique personne à pouvoir lui tenir tête tant son importance était primordiale pour la fin de la guerre.

- Nous tenons enfin l'arme pour réduire à néant ces damnées Créatures Divines, sourit Hyor en croisant les bras.

- Non, détrompe-toi... soupira le Sorcier qui se redressa en grimaçant. Notre technologie est infiniment moins sophistiquée que celle des Sheikahs. Nos androïdes font bien pâle figure à côté des quatre Créatures Divines tant elles sont complexes. Nous ne sommes qu'aux balbutiements de l'ère mécanique, mes amis. Nous mettrons des dizaines et des dizaines d'années avant de rattraper les Sheikahs. C'est déjà une chance que j'ai pu apprendre à utiliser une tablette à leurs côtés...

En effet, Gut'rah avait eu l'occasion d'intégrer un groupe de recherches après l'avoir grossièrement dupé dans sa jeunesse. Il avait appris à programmer de petits robots insignifiants, les mêmes ayant inspiré la conception des Gardiens par la suite. En comparaison de ces machines infernales, construire un humanoïde s'avérait bien plus simple grâce à l'alchimie. Mais leurs capacités demeuraient limitées. Ce fut le cas de leur premier prototype. Un androïde particulièrement performant en combat rapproché mais incapable de faire autre chose. Et il avait pris la fuite car l'âme insufflée en son sein avait surpassé le programme principal du cœur antique. Il s'agissait du cerveau de l'androïde, son âme n'étant que sa conscience, sa personnalité ainsi que le puit de ses souvenirs. Gut'rah avait conscience que peu de personnes seraient capables de garder leur volonté propre. Mais avec un être influençable, impossible de surmonter le programme... En vérité, Orion avait sous-estimé la guerrière dont il avait voulu utiliser l'âme pour ses desseins.

Le Sorcier se dirigea vers un coin de la hutte et attrapa une lance mesurant près d'un mètre trente. Sa hampe n'était pas lisse : deux étroites tiges semblaient s'enrouler autour d'elle puis remonter vers les deux pointes fines. Un fluide par moments luminescent remontait la hampe jusqu'aux pointes. Cette arme serait l'extension du corps du futur androïde. Elle était directement liée à son cœur antique et, grâce au pouvoir de la pierre d'énergie, pourrait être utilisée par télékinésie uniquement par son porteur d'origine. Avec elle, la balance de la victoire pourrait pencher de leur côté. Ce garçon était sans doute leur dernière carte à jouer, notamment avec sa capacité de manieur d'âmes.

- Mais, euh... Sorcier... se risqua Koda, manifestement mal à l'aise. Le réceptacle a une apparence de femme... La voix de ce garçon n'ira jamais avec.

Le vieux Soneau soupira en levant les yeux au plafond.

- Nous n'aurons qu'à couper ses cheveux et à retirer la poitrine. Il n'y a rien de plus simple. Cependant, il est trop tard pour les hanches.

Fort heureusement, les androïdes ne possédaient aucune partie génitale car totalement inutile. Concernant le futur robot, il aurait sans doute un visage quelque peu androgyne, mais ce ne serait pas flagrant. Gut'rah finit par renvoyer les deux guerriers après avoir demandé d'entreposer le corps devant sa hutte. Ce même corps que Soran avait aperçu après l'attaque d'Elimith. Et lorsqu'Orion, ce chef d'une quarantaine d'années, apprit que leur prochain sujet s'agissait d'un garçon, il entra dans une colère noire et manqua d'ordonner l'exécution du Sorcier, dans un élan de folie. Cependant, les siens parvinrent à le raisonner car Gut'rah était indispensable pour la suite de leur plan. Le chef soneau dut accepter la décision du vieil homme puisque le garçon en question était aussi un manieur d'âmes. En fin de compte, il pourrait être plus utile que prévu, il pourrait exploiter les limites de la pierre d'énergie.

Gut'rah avait conçu deux pierres d'énergie, la première estimée à environ dix mille ans de durée de vie tandis que la deuxième devait avoisiner les quinze mille ans. Une durée primordiale pour cette deuxième au vu du futur rôle que tiendrait l'androïde. La pierre d'énergie offrait en théorie des dizaines de possibilités. Elle pouvait autant soigner son porteur qu'un véritable humain. Mais avec un manieur d'âmes... Il ne s'agissait plus de simples soins. Non, cela pouvait aller plus loin : réinsuffler l'âme dans le corps d'origine en sacrifiant une part de sa propre existence de machine. Leur futur androïde ne leur serait utile que pendant cette guerre. Il userait de la pierre autant qu'il le pourrait pour rendre les soldats soneaux presque immortels sur le champ de bataille. Et au moment venu, il mènerait son combat contre les Créatures Divines, peu importe s'il ne devait lui rester, au final, que deux heures d'existence à cause de l'usure de la pierre. En somme, une arme superbe et docile qui ferait office de vulgaire outil pour mener à bien leurs desseins.

oOo

Je ne garde que peu de souvenirs de ma renaissance. Je sais seulement que j'ai répondu à un puissant appel auquel je ne pouvais me soustraire...

Le Sorcier avait placé le corps de l'androïde au beau milieu du temple, à l'écart du reste du clan. Diverses poudres rouges et noires avaient été disposées tout autour pour le spectacle visuel car en soi, leur présence n'apportait rien de plus. Orion assistait à ce nouveau tournant dans la technologie de cette ère. Gut'rah lui avait transmis son savoir en matière de robot ainsi que de programmation grâce à la tablette sheikah. Si son expérience fonctionnait – expérience dont il était le cerveau –, il n'aurait plus à craindre les Gardiens maintenant qu'il savait concevoir des androïdes capables de leur résister. Du moins, en théorie. Il ne restait plus que la pratique pour le vérifier. Dans un coin du temple, il observait avec grand intérêt ce rituel grandiose.

- Sorcier, il est temps, prononça Orion qui maîtrisait son excitation à grande peine.

Le vieillard se pencha sur le corps de l'humanoïde puis, à l'aide d'un pinceau, traça le symbole du hibou à l'encre indélébile sur le bras droit. Il marmonna quelques mots, sans doute une incantation, puis la marque se mit à briller d'une faible lueur, subjuguant son chef. Le Sorcier tira de sa sacoche en osier la pierre verte qui luisait elle aussi puis il l'approcha de l'androïde. Elle servirait notamment à retenir l'âme dans le réceptacle ainsi qu'à maintenir en vie les rares restes humains dont il était composé. Gut'rah avait prélevé la peau, quelques fibres musculaires, les ongles ainsi que les poils d'une Hylienne afin de les implanter et de les faire proliférer sur le corps de l'humanoïde.

Avant de poursuivre, il positionna sa main libre au-dessus du corps puis leva les yeux jusqu'à ce qu'ils deviennent blancs. Il parla ensuite, ses mots résonnaient entre les murs encore vierges de gravures et donnaient l'impression d'une cérémonie religieuse. Au niveau de ses yeux, une vague fumée bleue apparut et vola sur place jusqu'à ce que le vieillard la fasse descendre dans la tête de l'androïde. Une fois fait, il colla la pierre contre la marque du hibou et attendit que le fruit de son travail se dématérialise afin de passer à travers la peau et disparaître derrière.

- Alors ? Alors ? s'impatienta Orion qui tapait du pied avec acharnement.

- Un peu de silence, je dois maintenant procéder à un dernier ajout.

Le Sorcier attrapa un cœur antique ainsi qu'une tablette sheikah très ancienne, l'unique qu'il possédait pour programmer ses machines. Son ajout consistait à modifier ses souvenirs en cas d'extrême urgence dans le but de protéger leur création. Il s'agissait du programme « [Survie] », utilisé si jamais l'ennemi était sur le point d'acquérir l'androïde. Grâce à cela, il permettrait de rendre le robot inaccessible à tout contact extérieur durant une durée limitée, et lui ferait croire fermement qu'il n'est qu'un simple humain jusqu'à ce que la première menace soit éloignée. En résumé, à ses yeux comme à ceux des autres, il serait humain et aurait oublié sa vie de machine. Et ce jusqu'à ce qu'il soit en possession de sa future lance, une extension de son corps, qui réactiverait tous ses programmes, le retransformant en arme. De plus, pendant cette période d'oubli total, la pierre le plongerait dans l'univers qu'il avait connu de son vivant. Autrement dit, si des proches avaient perdu la vie peu après sa mort ou alors pendant qu'il était un androïde, alors il aurait l'illusion de les revoir et de continuer à vivre avec eux, mais uniquement lorsque [Survie] était activé. Voilà en quoi consistait ce programme.

Gut'rah se releva puis passa le relais à Orion :

- Je te laisse terminer ton chef-d'œuvre.

Le Sorcier vint se placer auprès des colonnes en retenant son souffle. Il ne restait plus que le programme final à implanter dans la machine. Orion s'empara du cœur antique de Gardien volé quelques mois auparavant puis il s'accroupit à côté du corps inerte. Pirater cet objet de technologie sheikah n'avait pas été de tout repos au vu de sa complexité. Cependant, le jour où le Sorcier – celui qui lui avait donc appris son savoir – en avait percé les secrets, tout parut si simple à Orion ! Lui qui avait ordonné que l'on infiltre par la suite le village Cocorico pour voler une tablette sheikah parmi la cinquantaine qui existait. Apprendre à programmer grâce au vieux Soneau fut sans doute l'élément le plus simple.

Orion, à l'aide d'un coutelas, ouvrit la cage thoracique du robot, plaça le cœur antique sous son pseudo-pectoral gauche puis referma le tout. La magie de la pierre d'énergie mit un long instant à agir et à guérir cette plaie large. Ce fut le premier signe du succès de l'opération. L'air dans le temple s'était densifié, les deux hommes attendaient le moment où cette... chose allait se mouvoir. Ne serait-ce qu'un automate sans émotion uniquement capable d'exécuter des ordres ? Ou bien serait-il comme cette traînée de Caï qui leur avait échappé ?! Sous la peau de bête du corps inerte, la marque du hibou s'illumina un court instant avant de s'éteindre.

Lentement, les paupières de l'androïde se soulevèrent et deux iris bleus apparurent à leurs yeux. Il n'émettait aucun bruit, sa poitrine se soulevait comme s'il respirait vraiment. Le prototype avait certes des poumons mais ceux-ci ne lui serviraient qu'à la parole. Seule la pierre d'énergie lui permettait de fonctionner et de maintenir ses quelques organes « en vie ». Thomas se redressa sans précipitation et scruta les alentours.

- Les systèmes auditifs sont-ils opérationnels ? demanda Orion à l'adresse de sa création.

- Opérationnels, répondit celui-ci sans émotion particulière.

Un grand sourire se dessina sur les lèvres du chef de Calehun dont la folie de la réussite lui monta à la tête. Orion poussa un cri de joie et fut imité par son semblable qui voyait déjà leur avenir tout tracé. Quant à Thomas, il avait encore l'esprit embrouillé. Il se souvenait de son enfance, de l'attaque et de la mort de son frère. Mais pour tout le reste, c'était si flou... Un homme lui avait pris la vie, c'était une certitude. Mais étonnamment, il n'éprouvait aucune haine. Car ce type de sentiment était bloqué par un programme mineur, tout comme le programme contre l'autodestruction qui l'empêchait de se suicider si l'envie lui en prenait. Il était hors de question que l'œuvre d'Orion mette toute seule fin à son existence après tous ces efforts.

- Où est ma mère ? demanda-t-il à l'adresse du Sorcier qui revint lui prêter attention.

- Elle n'est pas là. Elle est revenue à Elimith, en sécurité, mentit le Soneau. Nous avons finalement épargné votre village. Tu pourras la revoir dès que ta mission à nos côtés sera terminée.

- Je vois, merci.

Pourquoi n'éprouvait-il aucune peine ou aucune joie en apprenant ceci ? Quant à la mort de son frère, l'odeur de sanglier lui empli son nez artificiel et le fit grimacer. Il n'aimait pas cela du tout... Gut'rah vint l'aider à se lever ; Thomas remarqua que son équilibre n'était pas encore au point mais tout n'était qu'une question de temps pour s'habituer. Étrange... Il percevait la chaleur de cette main inconnue sur sa peau. Il sentait un vague courant d'air lui effleurer le visage. Tous ses sens semblaient fonctionner.

Pourtant, j'ai perdu la vie dans ce combat. Et me revoilà parmi le commun des vivants, dans un corps qui n'était pas le mien.

Thomas observa son bras où se trouvait le symbole de son animal totem. Cette pierre qui se trouvait sous sa peau, elle lui accorderait des siècles et des siècles de vie. Des années durant lesquels il ferait face à ses échecs, une véritable punition, voire malédiction, pour avoir tué son frère. Il verrait son entourage mourir sans lui...

- Comment est-ce que tu t'appelles, création ? lui demanda Gut'rah qui croisait les bras dans son dos.

- Thomas.

Orion afficha une grimace puis lui tourna autour, les sourcils froncés.

- Ridicule. Je veux que ton nom puisse inspirer la peur ! Le malheur doit succéder chacun de tes passages. Les Hyruliens doivent perdre tout espoir en te sachant près d'eux !

Il prit le temps de la réflexion. Caï avait eu le droit de conserver son nom car elle était une grande guerrière ; tout le monde la connaissait. Mais cet inconnu, qui aurait dû être une femme à l'origine, se devait de se hisser à la même hauteur. Il apporterait la désolation partout où il irait. Oui... Voilà un nom parfait.

- Tu t'appelleras dorénavant Altaïr. Tu auras tout intérêt à obéir à mes ordres.

Orion le dévisagea un court instant puis reprit avec une once de médisance :

- J'ai cru comprendre que tu tenais beaucoup à ta mère puisque ta première question la concernait. Il serait bête... qu'il lui arrive malheur en cas de désobéissance.

Ce mensonge fonctionna parfaitement : Altaïr devait croire fermement que sa mère vivait toujours. Elle deviendrait un moyen de pression parfait. Ainsi commença le grand tournant de cette guerre. Seule une poignée de guerriers soneaux connut la véritable nature d'Altaïr. Tous les autres, dont Soran, pensèrent qu'il s'agissait d'un Soneau de Delteha. Et bien vite, il se forgea un nom au sein du plus grand village de Firone. Ses multiples capacités impressionnèrent ses semblables qui virent en lui un grand guerrier. Du moins, une fois qu'il serait au paroxysme de ses facultés. Visiblement, Altaïr avait encore besoin d'apprendre à user de sa lance ainsi que d'Œbnis, son « bouclier » qui n'en était pas réellement un. En vérité, il s'agissait d'une forme de magie protectrice capable d'encaisser les rayons des gardiens et d'en reconvertir la puissance pour fabriquer une arme éphémère. Les guerriers soneaux furent tous d'accord sur un point : mieux valait voir cela de ses propres yeux afin d'en comprendre toute la complexité.

oOo

- Il m'en faut plus ! hurla Orion en jetant une pile de parchemins au sol. Un, ce n'est pas suffisant ! Nous devons dominer l'ennemi, nous devons l'anéantir... Une armée d'androïdes en viendrait facilement à bout !

Le Sorcier fronça les sourcils et lui jeta un regard noir. Il n'était pas un pantin, personne ne lui dictait ce qu'il devait faire.

- Sais-tu seulement combien de temps et de sacrifices il m'a fallu pour fabriquer ne serait-ce qu'une pierre d'énergie ? maugréa le vieillard dans sa hutte.

Il frappa une table du creux de sa main.

- Trente années ! J'ai passé trente années de ma vie à chercher un moyen de la créer... J'ai sacrifié la vie de ma femme et de mes enfants ainsi que celle d'innocents ! Et quand bien même tous les matériaux seraient disponibles pour sa fabrication, il faut compter sept mois pour la concevoir ! Orion, nous manquons clairement d'éléments nécessaires pour en créer d'autres.

- Peu importe, il me les faut maintenant, Gut'rah ! Je dois commencer à construire de nouveaux androïdes dès maintenant.

Orion s'attrapa la fourrure sur sa poitrine et la tira sur le côté, comme s'il souffrait d'un excès de chaleur. Son visage rouge de colère et d'impatience incommodait le vieillard qui recula d'un pas.

- Altaïr a déjà fait ses preuves lors des derniers affrontements, poursuivit le chef en toute hâte. Œbnis résiste aux rayons d'énergie de ces foutus Gardiens et son pouvoir de réinsuffler la vie à nos hommes fonctionne ! Servons-nous de lui autant que nous le pouvons en attendant ma nouvelle armée.

- Sauf qu'à chaque utilisation, il perd bien plus d'années de vie qu'il n'en rend à la personne sauvée ! Et l'utilisation de ses autres capacités draine aussi la pierre. Si tu l'exploites mal, Altaïr ne survivra pas à ce conflit ! Toutes tes recherches auront alors été inutiles, ainsi que les miennes...

Orion serra les dents et se retourna brusquement vers l'unique ouverture qui servait d'entrée. Il détestait quand Gut'rah avait raison. Mais il faisait ce qu'il voulait, non ? N'était-ce pas lui qui offrirait la victoire au peuple soneau ?! Altaïr fit alors son apparition sur le seuil et salua son chef qui fulminait.

- Créateur, j'ai des nouvelles à vous communiquer.

- Parle ! aboya-t-il avec mauvaise humeur.

Le jeune homme plissa des yeux. Cela faisait quatre mois qu'il était là et pas une seule fois cet homme ne lui avait parlé avec respect. Orion ne le considérait même pas. Altaïr n'était qu'un objet à ses yeux.

- Le peuple Sheikah est sur le point de se diviser, lui apprit-il d'une voix neutre. Le roi Erigus Andram semble vouloir diminuer leur influence et leur place dans le royaume, certainement dans le but de garder les pleins pouvoirs. Ce bouleversement va affaiblir les troupes ennemies et menace leur organisation. De plus, la relation entre la princesse hylienne et le roi semble s'être dégradée à cause de...

Il s'arrêta quand les deux hommes le regardèrent avec une attention trop poussée. De toute évidence, ces nouvelles ne pouvaient être meilleures. Un déchirement débutait au sein du royaume ? Et cela concernait les Sheikahs, ceux contrôlant les Créatures Divines.

- Soran, finit le brun.

Les yeux des Soneaux s'agrandirent stupeur quand ils s'approprièrent l'intégralité de ces informations. Mais...Quelles délicieuses nouvelles ! Il n'en fallut pas moins pour réinstaurer une bonne humeur entre les deux hommes. Des Sheikahs se montreraient prêts à quitter la cause de ce damné roi ? Parfait. Et que la princesse se dispute avec son père... Inespéré ! Ce déséquilibre dans leur relation allait sans doute fragiliser le moral de leurs troupes et créer des désaccords. La trahison de Soran était très bénéfique à Orion qui se frotta les mains. Maintenant, il fallait entrer dans la nouvelle phase de leur plan : infiltrer les lieux principaux où étaient fabriqués les Gardiens. Aidé par d'autres guerriers, Altaïr serait chargé de détruire la totalité des machines. Il ne devait rentrer qu'une fois la mission terminée. Orion avait tant confiance qu'il ne prit pas la peine d'envoyer Soran. Pourtant, ce dernier parvint à avertir sa sœur d'une attaque imminente, afin qu'elle puisse renforcer les défenses et combattre Altaïr.

oOo

Deux semaines plus tard, Gut'rah quittait le temple de Firone en fulminant. Des Soneaux partisans de la déesse Hylia y étaient venus graver les murs en y inscrivant la prémonition de la naissance de l'enfant gardien. Ces fous croyaient encore qu'il était de leur côté et qu'il les sauverait avec le Héros et la princesse. Le Sorcier grommela de colère et planta ses ongles dans sa chair afin de la contenir au mieux. Il ne pouvait pas détruire le temple pour effacer les bas-reliefs... Leur unique issue de secours devait être conservée en cas de problème majeur. Il ferait donc envoyer un groupe de guerriers à la recherche des sculpteurs. Le tuer le plus tôt satisferait Orion.

Ce dernier avait d'ailleurs très mal accepté le dernier échec d'Altaïr. En effet, contre toutes ses attentes, le guerrier de la désolation n'avait pu détruire qu'une petite douzaine de Gardiens avant d'être attaqué par une troupe de chevaliers expérimentés. Les Soneaux qui l'accompagnaient furent tués, et malgré ses tentatives de leur rendre la vie à multiples reprises, ils périrent définitivement. Le chef de Calehun entra dans une fureur qui terrifia de nombreux villageois. Il avait immédiatement convoqué Altaïr dans sa hutte, mais personne ne sut exactement quel sort lui fut réservé. Ce n'était qu'en passant près de l'habitation que Gut'rah entendit des cris de souffrance insoutenables. Alerté et paniqué à l'idée qu'il soit arrivé quelque chose à son chef, il entra en trombes dans la hutte et découvrit, à la place, l'androïde au sol et qui hurlait à s'en déchirer les poumons. Effaré par ce qu'il voyait, le Sorcier poussa une exclamation indignée et reporta son attention sur Orion, tenant leur seule tablette sheikah entre les mains.

- Qu'est-ce que tu fais, pauvre fou ?! s'écria Gut'rah en se précipitant vers Altaïr qui se tordait de douleur.

Le chef appuya sur l'écran puis son œuvre cessa aussitôt de bouger en se relâchant.

- Je le punis, rétorqua sèchement Orion.

- Tu as activé la simulation de la douleur ? Il y a bien des moyens d'infliger une punition, mais je ne cautionne pas la torture physique des nôtres !

Son interlocuteur ricana avec amertume avant de désigner Altaïr du menton.

- Tu désignes cette chose comme l'un des nôtres ? La seule personne qui a perdu la tête ici, c'est bien toi. Regarde-le avoir l'impression de souffrir. Notre création n'est-elle pas incroyable ? Un tel niveau de technologie pour se rapprocher de l'humain... Ne suis-je pas devenu un dieu, moi aussi ? Capable de créer un être parfait ?

Un sentiment de malaise noua le ventre de Gut'rah qui fronça les sourcils et préféra prendre ses distances. Il savait Orion ambitieux mais pas aussi prétentieux. Oser se comparer à un dieu... Sa raison flanchait sérieusement. Au lieu de continuer son discours, le guerrier appuya de nouveau sur la tablette sheikah afin de réactiver la sensation de douleur intense. En somme, une forme sévère de torture. Altaïr se courba brusquement puis reprit les hurlements de plus belle, le dos cambré au sol. L'entendre souffrir ainsi fut insupportable pour Gut'rah, ce dernier ferma ses yeux avec force tandis qu'il lui tournait le dos. Le vieil homme savait que ce moment de torture ne servait qu'à accroître l'asservissement et la soumission d'Altaïr. Mais peut-être reflétaient-ils aussi le cynisme malsain d'Orion ?

- Ça suffit ! décréta Gut'rah dans un éclat de voix, se confrontant directement à son chef. Punis-le si tu le veux, mais ne lui inflige pas une telle douleur ! Ce n'est pas humain.

- Évidemment, c'est une machine. Tu éprouves de la pitié pour un tas de ferrailles ?

Le Sorcier plaqua sa main contre une table pour témoigner de son indignation.

- Un... tas de ferrailles ? Tu entends et vois comme moi la souffrance de ce garçon ! Je n'appelle pas ça une machine quand il est question de sentiment !

Orion souffla du nez en réactivant le programme contre la douleur. Cette fois-ci, Altaïr cessa de bouger mais ahanait étrangement, en particulier car ses poumons ne devaient servir qu'à la parole en temps normal.

- « Ça », répéta le chef sur un ton narquois. Tu le déshumanises tout autant que moi alors garde ta morale nauséeuse pour toi. Mais maintenant que tu le dis, je pense savoir ce qui servirait de leçon pour ce stupide androïde. Peut-être que son sens de la réflexion fonctionnera bien plus après.

Orion s'abaissa, attrapa Altaïr par l'épaule, le traîna dans la pièce puis le jeta dehors comme un malpropre. Le brun s'écrasa dans la terre boueuse sans geindre, ses peaux de bête furent salies par les éclaboussures et les feuilles mortes.

- Contente-toi de surveiller ma hutte, lui ordonna son créateur sans émotion particulière. Laisse-moi le temps de t'accorder une surprise à la hauteur de tes capacités.

Le regard rivé au sol, Altaïr se contenta d'opiner avec docilité avant de se relever sans broncher. Il rappela sa lance à lui, restée quelque part dehors, puis se posta devant l'habitation en affichant un air fermé. Il avait sacrifié beaucoup de magie de la pierre d'énergie pour sauver les compagnons qui l'avaient accompagné sur le site de construction. Mais malgré tous ses efforts, ils avaient péri... L'androïde acceptait sa punition par résignation. De toute manière, il n'avait pas son mot à dire. Ici, il n'était qu'un objet et rien d'autre.

Un mois passa sans que la « surprise » annoncée par Orion n'arrive. Pour autant, ce dernier ne l'avait certainement pas oubliée, et le grand jour vint. Ses meilleurs guerriers avaient réuni trois Hyliens qui fuyaient leur village de Necluda avant d'être capturés par les Soneaux. Les mains liées dans leur dos, ils furent forcés de s'agenouiller devant Orion, sur la place centrale, et d'attendre que le sort s'abatte sur leurs épaules. On contraignit Altaïr à s'avancer devant eux tandis que le chef soneau appela au calme tout autour de lui.

- Mes amis, il est temps que le roi d'Hyrule lui-même tremble davantage face à Altaïr ! s'exclama-t-il en levant les mains au ciel.

Il commença à faire le tour de ses prochaines victimes sans les lâcher des yeux.

- Il doit savoir quel châtiment je lui réserve une fois qu'il sera entre nos mains. Je suis certain qu'il l'appréciera à sa juste valeur.

Le Soneau désigna l'un des trois capturés, un jeune homme d'à peine vingt ans pris de tremblements depuis qu'on l'avait emmené ici. Le visage pâle et en sueur, il fixait le sol et répétait sans cesse la même prière destinée à la déesse Hylia. Orion déclara qu'il serait leur messager et ordonna à Altaïr, le seul parlant l'hylien, de le lui traduire sur-le-champ. L'androïde s'approcha du prisonnier puis articula clairement :

- Tu as été choisi pour vivre. Mon maître veut que tu rapportes à ton roi ce que tu verras. Si tu refuses, tu connaîtras le même sort que les tiens.

En entendant cela, les deux autres sursautèrent mais n'eurent pas la force de prononcer le moindre mot. Seul leur regard terrifié parvint à Altaïr. Satisfait, Orion s'approcha de son œuvre puis posa une main sur son épaule avant de lui ordonner :

- Arrache leur âme et envoie-les au néant.

Il l'en savait capable grâce à son pouvoir primaire. Les yeux du jeune homme s'agrandirent légèrement suite à cette injonction. Arracher... leur âme ? Non, il ne pouvait pas obéir à un tel ordre... Altaïr trouvait cela si cruel et injuste qu'il en aurait vomi s'il vivait toujours.

- Non, je... je ne peux pas... murmura-t-il en baissant la tête.

- Fais-le de suite ou c'est ta mère que je te présenterai la prochaine fois. Et je t'obligerai à la tuer de la même façon.

La bouche du brun s'ouvrit d'horreur face à une telle menace. Jamais il ne les laisserait la toucher. Mais d'un autre côté, tuer des innocents d'une telle manière le répugnait. Altaïr jeta un regard circulaire à l'assemblée autour de lui, un regard qui se voulait perdu. Il croisa même celui de Soran qui ne vit pourtant dans le sien qu'une indifférence déconcertante. À contrecœur, l'androïde tendit son bras droit puis attrapa tout à coup sa lance qui se logea dans sa main. Les deux condamnés sursautèrent une nouvelle fois, pleurant de peur depuis leur arrivée. Devant cette arme étrange et meurtrière, ils poussèrent un geignement d'effroi et tentèrent de se relever pour s'enfuir. Cependant, des Soneaux vinrent plaquer leurs mains sur leurs épaules et les immobilisèrent dans leur position agenouillée.

- Pitié, ne nous tuez pas ! implora l'unique Hylienne en s'adressant à leur futur bourreau. Je vous en supplie ! J'ai deux en...

Elle hoqueta de surprise quand les deux pointes de la lance s'enfoncèrent juste au-dessus de son sternum. L'Hylienne se crispa aussitôt puis leva la tête vers le ciel pendant que ses yeux s'écarquillaient. Au même instant, Altaïr grimaça puis plaça sa main devant lui. À l'aide de son arme, il focalisa toute son attention sur l'âme de la malheureuse et commença à l'extraire. Il ressentait son écho à travers lui, tout son effroi à l'idée de mourir et tous ses tourments. Tout cela lui parvint de manière si brusque que certains de ses propres sentiments refirent surface, telle que l'empathie et la culpabilité. Répugné par son acte, le brun poussa un cri que tous les guerriers interprétèrent comme barbare et glorieux à leurs yeux. L'instant suivant, une faible fumée bleutée quitta le corps et se dissipa aussitôt, envoyée dans les ténèbres par le jeune manieur d'âme. Le deuxième Hylien condamné vit sa compagne de route s'écrouler contre lui, le regard vide et le visage blême. Épouvanté par cette vision cauchemardesque, il hurla en tombant à la renverse. Sa détresse atteignit évidemment son bourreau qui laissa son arme en lévitation devant lui. Arracher l'âme de quelqu'un était une expérience traumatisante, Altaïr n'avait aucune envie de la réitérer. Pourtant, les mots de son créateur lui revinrent à l'esprit et le firent papillonner des yeux pour chasser son trouble. Pour sauver sa mère du même sort, sa lance apporta la mort une seconde fois dans le village, ce jour-là.

La mission d'asservissement que menait Orion ne s'arrêta pas là. Il ne fallait pas s'y méprendre, le Soneau n'agissait pas par sadisme pur. Il désirait uniquement ne pas arriver à la perte de son androïde, tout comme il avait perdu le prototype. Pour cela, effacer « Thomas » restait le meilleur moyen d'obtenir une machine docile, obéissant au doigt et à l'œil. Écraser peu à peu sa volonté propre pour obtenir le serviteur parfait. Voilà son but ultime concernant Altaïr. Pour cela, notamment, il n'hésitait pas à inciter certaines femmes d'abuser du corps du jeune homme. Après tout, pour le peu qu'il restait « d'humanité » chez Altaïr, pourquoi se priver ? Il était devenu l'esclave de son destin, connaissant sans doute une quinzaine de viols avant que Gut'rah ne découvre les desseins pervers de son chef.

Il n'en fallut pas moins au Sorcier pour aller parler à Orion et le disputer à ce propos. Ils en débattirent toute la soirée, se hurlant parfois dessus pour faire valoir leur autorité. Gut'rah parvint à le convaincre de cesser cette nouvelle folie en menaçant de détruire l'unique pierre d'énergie restante. Avec un tel avertissement, le chef fut contraint d'arrêter la torture psychologique qu'il imposait volontairement à l'humanoïde. À ce moment-là, il ne restait plus que huit mois avant la bataille finale contre Ganon.

Afin de racheter ses fautes, Altaïr reçut une nouvelle mission d'infiltration et de destruction de ses principaux ennemis : les Gardiens. N'étant pas programmé pour se confronter directement aux humains, il s'avérait presque inutile de l'envoyer en combat contre eux, surtout lorsqu'on savait qu'arracher les âmes prenait un temps relativement long. Et dans une bataille, il ne pouvait se le permettre. Cette fois-ci, Orion envoya son androïde seul au canyon gerudo, un autre site de fabrication des machines ennemies. Ce qu'il ne put prévoir, ce fut le nouveau message de Soran adressé à la princesse hylienne pour la prévenir de la prochaine attaque.

Ainsi, un petit groupe de chevaliers hyliens tendit une embuscade à l'androïde le jour même où il devait agir. Il n'eut guère le temps de se battre : son arme fut immobilisée tandis que ses mains et pieds furent liés. Les Hyliens emmenèrent le brun au relais le plus proche de l'entrée est du canyon puis le surveillèrent jusqu'à ce que l'un de leurs supérieurs les rejoigne et décide du sort d'Altaïr. Le tuer sur-le-champ ou l'emmener devant le roi afin d'en soutirer des informations ? Après tout, ils tenaient un ennemi de taille et particulièrement dangereux au vu de ce dont il était capable.

Le soir, assis contre le tronc d'un arbre, les mains liées dans le dos, les jambes pliées et rabattues contre lui, Altaïr subissait le temps tourmenté et pluvieux qui se déchainait autour de lui. L'averse battait son visage tourné vers le sol, ses cheveux noirs et mouillés se collaient sur son front et retombaient devant ses yeux. Il attendait son jugement et la sentence qui en découlerait. Dans le pire des cas, il ne pourrait même pas enclencher son autodestruction puisqu'un programme l'en empêchait. Il lui restait toujours « [Survie] » dans le cas où l'ennemi serait sur le point de découvrir sa vraie nature. Il s'agissait de l'unique fonctionnalité qu'il pouvait activer de son propre chef. Mais cette option devait être évitée à tout prix, sinon, elle condamnerait le peuple soneau.

Sur sa gauche, il entendit quelqu'un s'approcher de lui. Sans doute un chevalier qui avait eu l'obligeance de braver la pluie au lieu de rester terré dans le relais, au chaud. Altaïr ne leva pas la tête vers lui dans un premier temps, il resta courbé vers la terre boueuse jusqu'à ce que le nouveau venu s'arrête devant lui et le fixe avec attention. Dans l'obscurité faiblement repoussée par de rares lanternes, l'androïde fit glisser son regard devant lui, un regard retranscrivant toute sa fatigue psychologique et sa résignation habituelle. Il rencontra celui d'un jeune homme blond, de quelques années son aîné, qui se dévoila à lui, ses deux iris bleus et luisant peu au sein de la noirceur de la nuit. De toute évidence, il devait posséder des origines soneaux bien qu'il n'arbore aucun tatouage visible.

- Comment est-ce que tu t'appelles ? lui demanda l'inconnu sans douceur dans sa voix.

Un nouveau filet d'eau s'écoula sur le visage du brun qui baissa la tête une fois encore.

- On m'a nommé... Altaïr, répondit-il en hylien d'une voix enrouée à cause du temps.

Le blond se rembrunit. Le guerrier le plus recherché se tenait bien devant lui. Et ce n'était qu'un gamin ? Un gamin, certes, mais capable de pirater les Gardiens et d'en faire ce qu'il voulait. Sans omettre les rumeurs... Il pourrait tuer sans blesser son ennemi, à l'aide de sa lance.

- Ce n'est pas ton vrai prénom ? se méfia son interlocuteur qui n'oscilla aucunement.

Le brun le lui confirma avec un signe de tête. L'averse ajoutait un bruit parasite qui masquait par moments sa voix, même si le blond la percevait tout de même. Il sentait que quelque chose n'allait pas chez ce garçon. Il n'avait pas l'allure d'un meurtrier ou d'un guerrier. L'inconnu se demanda même s'il s'agissait du véritable Altaïr, cette figure de l'ombre que presque personne n'avait vue, tant le brun ne lui inspirait aucune crainte.

- Qui t'envoie ? poursuivit l'Hyrulien sans même plus se soucier des gouttes qui ruisselaient sur ses vêtements. Ce n'est pas la première fois que tu tentes ce genre de mission suicidaire.

Seul le silence pesant du garçon lui répondit, ce qui conforta le blond dans l'idée que ce jeune « guerrier » ne semblait pas agir de son plein gré. Il n'avait presque pas opposé de résistance lors de sa capture, comme s'il acceptait son destin avec une facilité déconcertante.

- Vous ne me tuez pas ? éluda soudainement Altaïr d'un ton grave.

Le brun souffla du nez en guise de court rire jaune. Quelle ironie...

- Vous perdriez votre temps, toutes vos tentatives seraient vaines...

Il avait fini sa phrase dans un souffle douloureux qui mit son interlocuteur mal à l'aise. Le comportement du prisonnier contrastait bien trop avec l'idée qu'il avait de lui.

- Tu as l'air différent de tous les Soneaux que j'ai combattus. J'ai entendu de nombreuses rumeurs à ton sujet, reprit le blond d'une voix moins ferme. Tu es vraiment celui appelé « le guerrier de la désolation » ? Devant moi, je ne vois qu'un jeune homme éteint.

- Les apparences sont trompeuses. On ne vous a jamais appris à vous méfier ?

La réponse froide d'Altaïr montra bien qu'il était sur la défensive et que le sujet était sensible pour lui. L'Hyrulien sut quelle voie prendre pour mieux comprendre et obtenir des informations à son prisonnier.

- Pourquoi avoir quitté la déesse Hylia ? C'est grâce à elle si notre monde connait la paix. Tu te bats pour une entité qui ne veut que mort et chaos. C'est donc la destinée souhaitée par ton peuple ?

L'androïde n'aimait pas le tournant de la discussion, si bien qu'il serra les poings et regarda sur le côté, les sourcils froncés. Que lui voulait cet homme, à la fin ?! Il n'avait pas l'air de vouloir connaître sa nature, mais plutôt sa propre personne. Depuis quand quelqu'un s'intéressait à lui maintenant qu'il était une machine ? Que cet inconnu fasse comme tous les autres : se servir de lui et l'ignorer.

- Si la déesse existait vraiment, je ne serais ni votre prisonnier, ni votre ennemi, grogna-t-il avec amertume. Elle m'a abandonné, tout comme l'Alpha...

- Tu as devant toi la preuve que la déesse a bel et bien existé et qu'elle continue à protéger ceux pour qui elle s'est battue.

Les yeux d'Altaïr s'agrandirent. Avait-il devant lui... Il refit face au blond et le vit porter une main à l'épée qu'il gardait dans son dos. Son interlocuteur attrapa, d'une main, le fourreau de l'épée et, de l'autre, la fusée avant de dégainer son arme. La lame se mit soudainement à émettre un éclat lumineux qui aveugla un instant le brun et le fit plisser des yeux. Pourtant, bien qu'il ne fût qu'une machine, il ressentit une vive tristesse au plus profond de son âme. La détresse qu'il refoulait, depuis sa renaissance, refit brutalement surface et le figea face à la Lame Purificatrice.

- Je suis le Héros et je me bats pour le salut de tous. Mon épée est la preuve même que la déesse souhaitait protéger notre monde. Depuis des générations, les Soneaux n'ont vécu que dans l'obscurité et se sont éloignés de la Lumière. Mais il suffit d'un rien pour se rouvrir à elle. Ganondorf, lui, n'a que faire de ses sujets. Si vous parvenez à le faire revenir, il apportera le chaos et vous périrez avec tous les autres peuples.

- Non, c'est faux ! Maître Ganondorf fera de nous ses serviteurs immortels et nous offrira une existence où nous ne serons plus opprimés par la famille royale !

- Il vous tuera sans hésitation pour vous transformer en créatures des ténèbres. Est-ce là l'avenir auquel vous aspirez ? rétorqua sèchement Link.

En vérité, le Héros échangeait pour la première fois avec un Soneau autre que Soran. Il ne pensait pas que l'un d'eux pourrait parler l'hylien avec une telle aisance, et il ne s'en plaindrait pas, au contraire. Il avait besoin de comprendre ce qui poussait véritablement l'ennemi à agir. Mais la logique des Soneaux dépassait l'entendement. Ce peuple était totalement manipulé par le seigneur du malin... Link retint sa respiration lorsqu'il vit les lèvres d'Altaïr se pincer puis ses yeux pleurer pour la première fois depuis que Gut'rah l'avait rappelé dans le monde des vivants. C'était plus fort que lui... Il n'avait que faire de la question de l'élu. Cependant, en observant davantage son épée, le brun repensa à son frère, et cela éveilla de nouveau la douleur de sa perte.

- Est-ce que... Est-ce que la Lame Purificatrice peut dissiper la noirceur du cœur ? demanda le jeune guerrier en lui adressant un regard empli d'espoir. Peut-elle sauver un être qui s'est perdu dans les ténèbres ?

Sa question déstabilisa le Héros qui témoigna son incompréhension à travers l'expression de son visage. Il pensa même, sur le moment, que ce Soneau le testait et voulait décrédibiliser le pouvoir de l'épée légendaire. Mais au vu de la détresse dans son regard, Link se ravisa et son empathie prit le dessus malgré lui. Ce jour-là, il aurait dû mettre un terme à cette discussion sans intérêt notable pour la cause du royaume. Il n'avait, au final, obtenu aucune information du prisonnier. Peut-être en aurait-il eu en l'emmenant au château ? Dans ce cas, il aurait mieux valu reporter leur entrevue au moment adéquat. Néanmoins, Link répondit malgré lui :

- Elle en serait capable contre Ganondorf. Mais sur un être ordinaire, je ne...

- Alors je vous en conjure ! s'écria soudainement Altaïr en le coupant. Libérez-moi ! Vous êtes la seule personne qui le puisse ! Transpercez-moi le cœur de votre épée, je ne peux plus supporter un tel fardeau !

Sa voix se brisa mais il n'y prêta aucune espèce d'attention. Tourmenté, le brun serra les dents, son regard toujours ancré dans celui du Héros troublé par sa requête. L'épée de légende était sans doute la seule arme capable de le « tuer », et il s'accrocha fermement à cet espoir.

- Si vous ne le faites pas, rien ne pourra me sauver...

Un long instant d'attente s'installa entre eux, toutes les volontés d'Altaïr vinrent oppresser le Héros d'une certaine manière. Il lui demandait de le tuer avec l'épée de légende ? Non, Link avait l'intime conviction qu'il ne devait pas l'user contre ce Soneau. À travers ses iris bleus qui dévoilaient toute sa détresse et son désespoir, le blond voyait effectivement une âme perdue. Peut-être était-ce grâce à la Lame Purificatrice qu'il pouvait affirmer que le Mal n'habitait pas Altaïr. Et bien qu'il fût l'un des ennemis que redoutaient Zelda et son père, Link l'obligea à lui tourner le dos, lui donnant des faux espoirs. L'androïde y vit son salut ; le Héros allait libérer son âme et détruirait son cœur antique, la pierre d'énergie ne pourrait rien fasse à une arme divine. Il ramènerait son corps aux chevaliers et ils l'enterreront certainement. De ce fait, Orion et Gut'rah ne pourraient jamais retrouver la pierre d'énergie et ne pourraient plus l'utiliser pour emprisonner Altaïr une deuxième fois. Du moins, c'était ce qu'il pensait.

La Lame Purificatrice trancha uniquement les liens autour de ses poignets puis ceux autour de ses chevilles. Déconcerté, le brun le dévisagea avec incompréhension, le visage mouillé par la même pluie battante, tandis que Link souhaita regarder sur le côté.

- Pars, lui ordonna-t-il avec autorité. Quitte ce royaume, tu n'es pas fait pour la guerre. Tes ennemis ne sont que des machines, pas des hommes.

- Comment... ? murmura le brun, complètement abattu.

Le Héros rengaina son arme dans un geste sec et précis. Après les quelques messages de Soran, il avait appris la véritable mission d'Altaïr. L'enfant gardien avait aussi évoqué le jour où Orion avait obligé le brun à tuer des Hyliens pour effrayer le roi grâce à son don. Mais face à Link, il n'y avait qu'un adolescent perdu et visiblement manipulé pour ses pouvoirs.

- Non, vous... vous êtes la seule personne qui puisse...

- Je t'ai dit de t'en aller ! La seule liberté que je puisse t'offrir est la fuite en dehors d'Hyrule. Je n'utiliserai jamais mon épée contre toi.

La colère remplaça la détresse d'Altaïr qui se releva et planta ses doigts dans les paumes de ses mains. Après la déesse, le voilà abandonné par l'un de ses élus ? Un nouveau sentiment de trahison naquit en son sein. Maintenant que ses poignets étaient libres, il pouvait user de sa télékinésie ; il rappela sa lance à lui, cette dernière mit un long instant avant de se loger dans sa main droite.

- Je... pourrais vous tuer en quelques instants... énonça le Soneau avec rancœur. Mais mon frère éprouvait une admiration sans limite à votre égard. En l'honneur de sa mémoire... Je vous laisse la vie sauve.

Il fit tourner sa lance puis la pointa vers Link avec un air menaçant.

- Vous regretterez de m'avoir laissé vivre la prochaine fois que nous nous verrons sur un champ de bataille, Orazio de Lanelle. Votre bonté vous portera tort, et vous allez en payer le prix fort dès maintenant.

Sur ce, Altaïr disparut dans la nuit, laissant Link sans voix derrière lui. Il se demanda sérieusement s'il ne venait pas de connaître la pire ineptie de son existence. Seulement, le blond n'avait pu se résigner à tuer cet inconnu. Altaïr... Un guerrier des plus singuliers et des moins cernables. Derrière lui, le reste des chevaliers accourut, alerté par le précédent éclat de voix de leur Héros. Lorsqu'ils virent que le prisonnier s'était enfui, ils hurlèrent de rage et se lancèrent à sa poursuite. Ô grand jamais ils n'oseraient penser que Link l'avait libéré. Ce n'était même pas imaginable à leurs yeux.

La destination de leur cible était évidente : elle voulait terminer ce pour quoi elle était venue. Les Hyliens s'élancèrent dans le canyon gerudo, leur traversée dura sans doute une bonne demi-heure à cause de leur équipement lourd et fatiguant à porter lors d'une course-poursuite. Et quand ils s'approchèrent du site de construction, ils aperçurent nettement les vives lueurs orangées qui s'élevaient vers le ciel ainsi que le bruit de nombreuses déflagrations. Leurs craintes se confirmèrent au moment où, au loin, ils virent un Gardien s'autodétruire sous leurs yeux.

- Par les saintes déesses, nous arrivons trop tard ! s'affola l'un des preux qui ralentit sa course. Nous ne pouvons pas rester là, le canyon est bien trop dangereux avec ce fou...

- Tu veux le laisser détruire des années de recherches ?! s'emporta un camarade qui le prit par les épaules avec force. Ces machines sont l'un de nos uniques moyens pour vaincre Ganon et son armée de monstres !

Face à l'hésitation du premier chevalier, il le poussa sur le côté avec hargne puis accourut vers le site sheikah qui se tenait à une cinquantaine de mètres sur leur droite. Link le suivit après avoir dégainé son épée et s'approcha de l'incendie qui faisait rage dans cette partie sèche et aride d'Hyrule. Au milieu de ce chaos, quelques Sheikahs tentaient de sauver les Gardiens restants en leur ordonnant de s'activer et de quitter l'endroit. Cependant, une silhouette se dessina au sein de l'épaisse fumée noire et difficilement respirable. Debout sur la tête d'une machine piratée, Altaïr apparut aux yeux du Héros et de ses compagnons.

- Il a... corrompu un Gardien ? prononça un chevalier avec effroi pendant qu'il reculait.

Suite aux ordres des Sheikahs, les robots encore intacts visèrent l'ennemi et pointèrent sa poitrine de leur laser rouge. Altaïr n'oscilla pas. Il se contenta de faire apparaître Œbnis devant lui, l'expression fermée et concentrée sur sa mission. Les rayons d'énergie se créèrent et traversèrent la quinzaine de mètres qui les séparaient de leur cible. Ils rencontrèrent la surface vitreuse et verte avant de s'évaporer à son contact, absorbés par cette magie permise par la pierre d'énergie. Quelques instants plus tard, Œbnis se divisa brusquement en cinq morceaux qui formèrent chacun une lance translucide et verte, celles-ci tournant autour d'un centre de gravité invisible. Altaïr n'eut qu'à tendre la main vers les Gardiens qui venaient de le viser pour que ses nouvelles armes éphémères se jettent sur eux. Elles s'écrasèrent sur les carcasses et les percèrent grâce à l'énergie engendrée, à l'origine, par les Gardiens eux-mêmes.

Ces derniers tombèrent à la renverse bien qu'ils ne fussent pas encore détruits. Aussitôt, Altaïr sauta au sol et rappela sa véritable lance à lui. Elle sortit à son tour de la fumée puis, en suivant le geste de son bras qui s'élançait vers l'avant, vint s'ancrer profondément dans la première machine sur son chemin. L'androïde l'avait déjà programmée pour les Gardiens précédents, il n'eut donc pas à répéter le programme d'autodestruction dédié à ses ennemis. Le robot touché se détruisit à son tour, le souffle de son explosion balaya le sol poussiéreux autour de lui et heurta les Hyliens qui assistaient, impuissants, à ce cauchemar éveillé. Sonné par la chute qui en découla, Link ne put voir le reste des Gardiens être détruit de la même manière. Ses oreilles sifflaient à cause des bruits assourdissants, il avait du mal à inspirer l'air tant il portait avec lui la fumée épaisse ainsi que l'odeur du métal chauffé à haute température.

Le Soneau bondit sur sa gauche afin d'éviter l'attaque d'un Sheikah courageux et qui ne souhaitait que défendre son royaume. Le brun dérapa et chuta sur son genou droit. Son déséquilibre offrit une ouverture à son adversaire qui se précipita vers lui en dégainant son petit sabre de la défiance. Mais lorsqu'il voulut l'abattre sur Altaïr, la lance du guerrier se présenta soudainement devant lui pour contrer l'attaque. Le Sheikah poussa une exclamation face à cette arme en lévitation et à l'allure effrayante en cette nuit de feu. D'un coup vif et précis, sa pointe s'enfonça au-dessus du sternum de l'homme qui se figea et se tourna involontairement vers le ciel. Tous purent assister à l'extraction de son âme puis à sa mort, une bonne dizaine de secondes plus tard. Une dizaine de secondes qui leur parut telle une éternité tant ce spectacle fut insoutenable à regarder. Altaïr, le visage sombre à cause de son meurtre, se releva avec difficulté et ordonna à sa lance de quitter le corps du défunt. Son regard glissa plus loin devant lui jusqu'à voir le Héros. Ce dernier l'observait avec appréhension, il avait pleinement conscience de la menace que représentait ce Soneau. Il ne pouvait pas être humain, ce fut la seule explication que Link trouva. Son cœur rata un battement lorsqu'Altaïr tendit sa main vers lui, cette fois-ci. Le Gardien qu'il contrôlait tourna son œil unique vers le blond et le visa immédiatement.

- La vie du Héros est menacée ! hurla un chevalier qui se précipita vers lui pour le pousser au sol.

Quand le tir dut avoir lieu, Altaïr leva le bras au dernier moment et le rayon d'énergie se dirigea vers les cieux, illuminant la nuit sur son passage. Il s'agissait du dernier avertissement de l'androïde. Alors Link comprit que l'élément qui influencerait l'issue de la guerre... n'était autre que ce jeune homme guidé par son âme mais manipulé par son cœur. Soran les avait avertis, la princesse et lui, de toutes les capacités d'Altaïr. L'enfant gardien était donc le seul à pouvoir se débarrasser de cet ennemi de taille. Car, faute de l'avoir dans l'armée du roi, il valait mieux que le guerrier de la désolation soit mort. Totalement perdu suite à ses choix, Link attrapa sa tête et grimaça à cause d'un mal de crâne naissant. Cette erreur de sa part lui coûterait cher... Dorénavant, il devait l'annoncer à Zelda et lui demander conseil vis-à-vis du roi. Devait-il avouer avoir libéré Altaïr de manière volontaire ? La princesse serait sans doute en mesure de l'éclairer.

oOo

Ce fut donc victorieux qu'Altaïr revint au village de Calehun. Le reste des Soneaux l'acclamèrent et le félicitèrent pour le succès de sa mission. Ainsi, il espérait s'être racheté aux yeux de ses créateurs. Un détail le laissa pourtant perplexe à son retour : le comportement encore plus distant et froid de Soran à son égard. Ce dernier, depuis quelques temps, le défiait souvent lors d'entraînements, mais il perdait à chaque fois. L'entêtement du brun avait de quoi perturber Altaïr qui en tira une conclusion : Soran le considérait comme son rival et souhaitait l'éclipser d'une quelconque manière. Cela expliquerait son regard sombre quand il revint du site de construction. L'androïde avait détruit une cinquantaine de Gardiens au total ainsi que les chercheurs sheikahs qui avaient tenté de l'arrêter. Orion lui demanda donc un rapport de mission et l'invita à rejoindre sa hutte. Gut'rah lui adressa un regard critique et méfiant. Dans le doute, il préféra attendre sur la place centrale du village. Il voulait ensuite vérifier la pierre d'énergie, comme à son habitude, afin d'éviter que l'androïde ne l'use bien trop.

Mais au bout d'une dizaine de minutes sans retour d'Altaïr, le vieillard commença sérieusement à s'inquiéter. Les bras croisés, il trépignait pendant qu'il patientait de plus en plus difficilement. La nervosité de Gut'rah se manifesta davantage lorsqu'il imaginait Orion abuser une nouvelle fois du robot, comportement inacceptable pour le Sorcier. Certes, il s'agissait d'un androïde mais... mais depuis quelques temps, il commençait à voir l'humain derrière la machine. L'âme de l'ancien garçon n'était pas complètement effacée par le programme. Même s'il ne possédait plus son corps d'origine, Thomas vivait encore quelque part au fond d'Altaïr. Tous deux n'étaient qu'une seule et même personne, après tout...

Déterminé à comprendre ce qu'il se passait, Gut'rah quitta sa place et se dirigea, malgré son pas raide causé par la vieillesse, vers la hutte du chef. Il n'y avait pas les gardes habituels, entrer dans l'habitation n'en fut que plus facilitée. D'un geste brusque, le Sorcier poussa le semblant de porte en bois, le cœur battant frénétiquement dans sa poitrine, puis découvrit Orion au centre de l'unique pièce et tenant la pierre d'énergie entre ses mains. Contre le mur, en face de lui, se trouvait Altaïr. Il était assis au sol dans une position inconfortable, comme s'il avait lentement glissé de la paroi. Son visage pâle et ses yeux mi-clos coupèrent le souffle au vieil homme qui voyait nettement les cheveux de l'androïde se dépigmenter devant lui. De toute évidence, l'absence de la pierre entraînait la mort du peu de restes humains dont il était composé, en plus de provoquer le départ de l'âme de Thomas.

- Quelle est cette folie, Orion ?! s'écria le Sorcier en se précipitant vers le chef qu'il attrapa par ses peaux de bête. Tu es en train de le détruire !

Le chef leva les yeux vers le plafond avec une indifférence à glacer le sang.

- Il a encore failli à sa mission, objecta-t-il en scrutant son œuvre. Il a manqué une occasion de tuer le Héros. Ce n'est qu'un incapable que je vais m'empresser de remplacer.

Les yeux de Gut'rah s'écarquillèrent de stupéfaction et d'indignation. Remplacer... Altaïr ? Mais il avait perdu la tête ! Avec précipitation, il jeta un regard effaré à l'androïde qui ne réagissait même plus. Cela signifiait que la pierre avait été retirée plusieurs minutes auparavant. Il ne restait plus beaucoup de temps avant que l'âme ne quitte son réceptacle.

- Orion, tu as perdu la tête ! Altaïr est bien trop précieux pour nous en séparer !

Le vieillard posa ses mains sèches et ridées sur les épaules de l'homme qui grimaça un court instant.

- C'est un manieur d'âmes, ce don lui octroie des compétences que nous n'avions pas imaginées en façonnant la pierre d'énergie ! Grâce à lui, combien de nos guerriers ont pu revenir à la vie lors des batailles mineures ?!

Il pointa Altaïr du doigt avant de poursuivre :

- Il peut même arracher l'âme de n'importe quel autre être vivant ! Tu devrais te servir de cette capacité contre la princesse d'Hyrule ! Tu n'as toujours pas compris ? Si son âme est envoyée dans le néant, il n'y aura plus de descendantes car la prêtresse royale n'a toujours pas enfanté ! Le cycle des réincarnations sera en notre faveur dès ce moment précis.

Le Sorcier plissa des yeux face à l'immobilité d'Orion. Brusquement, il lui arracha la pierre des mains puis accourut vers le robot. Il la posa contre son tatouage en forme d'hibou en espérant qu'il ne soit pas trop tard. Peu à peu, les cheveux devenus blancs reprirent leur couleur noire tandis que la peau du visage rougit légèrement, en signe de « vie ». Le regard vide d'Altaïr s'éclaircit de nouveau jusqu'à ce qu'il cligne des yeux et se redresse avec quelques difficultés. Il avait cru mourir une deuxième fois... Peu à peu, le jeune homme avait senti ses forces lui échapper, ainsi que le contrôle sur ses membres.

- Eh, petit ! l'appela Gut'rah en lui tapotant la joue. Tu m'entends ?

- Cré... Créateur... bégaya Altaïr qui revenait à lui. Pardonnez-moi, je...

- Ne t'excuse pas, tu as fait un travail remarquable. Maintenant, lève-toi et pars pour le temple. Je te rejoindrai bientôt.

Le brun acquiesça, il se releva en prenant appui sur une cuisse puis il jeta un regard éreinté à Orion. Celui-ci affichait une expression de mépris profond envers lui avant de tourner le dos avec colère. Blessé, Altaïr quitta la hutte et laissa seuls ses deux créateurs.

- Ne t'avise plus jamais de le toucher, articula Gut'rah avec distinction et menace. Tu as trop longtemps supervisé Altaïr. Dorénavant, je serai l'unique personne qui lui donnera des directives. Tes agissements excessifs mettent à mal l'avenir de notre clan.

- Il a été programmé pour nous obéir à tous les deux, persiffla Orion sans même le regarder. Tu ne m'empêcheras pas de l'approcher.

Les deux Soneaux se toisèrent un long instant, aucun d'eux ne voulait se soustraire au regard de l'autre. Leur mésentente pourrait être fatale à leur peuple si leur avis divergeait au sujet de leur création. Cependant, Gut'rah ne laisserait jamais son chef « tuer » Altaïr. Il était l'unique âme qui puisse avoir des capacités hors du commun. En le remplaçant par une autre personne, son don de résurrection et de mort immédiate disparaîtrait. Les lèvres du Sorcier se pincèrent lors d'un moment de lucidité. Mais qu'avait-il créé avec ce fou d'Orion ? Un monstre... Un être capable de décimer leur clan s'il parvenait à surmonter le programme de soumission. Soucieux à cause de cela, Gut'rah ne dit plus rien ; il se contenta d'adresser un regard noir au guerrier puis il quitta sa hutte. Dorénavant, il veillerait tous les jours sur le robot de crainte qu'Orion termine ce qu'il avait commencé.

oOo

Un peu plus de quatre mois s'écoulèrent depuis cet incident. Les combats qui opposèrent Soneaux et Hyruliens obligèrent Altaïr à user maintes fois de sa pierre, dans le but de guérir ses semblables ou de les ramener à la vie. Il réussit trois autres missions de destruction visant les Gardiens bien qu'il fut, à chaque fois, découvert et freiné, comme si la famille royale avait toujours un pas d'avance sur lui. Jusqu'au jour où Ganon revint enfin. La bataille qui s'ensuivit fut la plus grande, la plus dévastatrice que leur ère connut : les monstres avaient rejoint les rangs des Soneaux tandis que les Hyruliens, épaulés par les Gardiens et les Créatures Divines, combattaient unis face à la menace du Mal. L'affrontement se tint sur la vaste plaine d'Hyrule, nombreux tombèrent au combat au milieu des cris stridents et des centaines de crissements métalliques.

Altaïr, placé en première ligne, avait pour mission de corrompre le plus de Gardiens possibles afin de les retourner contre leurs concepteurs. Et s'il le pouvait, qu'il s'attaque aux Créatures Divines. Mais il n'y parvint jamais... Les forces hyruliennes, bien trop nombreuses, commencèrent à surpasser celles des Soneaux et des monstres. Les machines corrompues par Altaïr étaient ciblées et détruites par leurs semblables sous les ordres des Sheikahs, si bien que l'androïde dut reculer sur ses positions et se concentrer sur le programme d'autodestruction à implanter dans les Gardiens ennemis. Mais lorsque Ganon fut anéanti par les Créatures Divines et les deux élus du Bien, la bataille connut un nouveau tournant qui vira au drame pour les Soneaux. Le souverain d'Hyrule, prit d'une rage sans égale envers les partisans de Ganondorf, ordonna aux Gardiens de tous les décimer afin qu'ils ne puissent jamais réitérer le même conflit. Dès ce moment précis, ce fut un carnage au sein du peuple de Firone. Sous la pression d'Orion qui avait annoncé la retraite, Altaïr fut contraint de soigner et de sauver tous ceux tombés lors de l'affrontement. Car le chef de Calehun refusait catégoriquement l'extinction de son peuple.

Pour sauver les rescapés et le reste du village, Orion décida de prendre la fuite en rejoignant Delteha. En refermant la Porte derrière eux, ils condamneraient l'une des trois entrées. Il ne resterait plus qu'à faire de même pour les restantes, et ils seraient sauvés définitivement. Même dans la forêt de Firone, les Gardiens semèrent la terreur dans ses troupes et parvinrent à décimer encore plus de guerriers, tant et si bien que pour assurer sa propre survie, Altaïr dut les abandonner et poursuivre sa fuite avec les autres. Derrière eux, les arbres exotiques s'embrasaient dans un incendie splendide et rouge, illuminé parfois par de vifs éclats lumineux et meurtriers. Quand les Soneaux gagnèrent enfin le temple de Firone, Altaïr se désigna lui-même pour ouvrir la Porte, car seul un Soneau capable de magie le pouvait. Or, il se trouvait que les rares dotés de dons avaient été tués dans la bataille ou bien étaient trop vieux pour employer leur magie. Ainsi, les survivants du peuple de Firone purent se réfugier dans les entrailles d'Hyrule, voués à un exil millénaire.

Quant à Soran, sa disparition laissa supposer, dans un premier temps, qu'il avait péri sous l'épée ennemie. Cependant, le jour où les Soneaux voulurent demander pardon à leur maître, alors réfugiés dans les souterrains, ils trouvèrent sa momie, Sokyn renouvelé ainsi que l'enfant gardien, pétrifié et scellé avec lui. Fou de rage en comprenant sa trahison, Orion tenta de détruire le corps du traître mais aucune arme ne put fissurer la couche de pierre, semblable aux gemmes nox, qui recouvrait sa peau. Tout était perdu... Ganondorf ne pourrait jamais les sauver. Il reviendrait dans des millénaires, mais qui sait si les Soneaux, ses plus humbles serviteurs, auraient survécu jusque-là ? Personne ne pourrait leur rendre leurs terres volées par les Hyliens. Hylia était responsable de l'extinction de leur peuple, et cela ne fit qu'accroître leur haine pour elle.

Quelques semaines après leur victoire écrasante, le roi Erigus Andram Hyrule ordonna que les Sheikahs quittent la citadelle et s'exilent dans la région de Lanelle. Une seule raison guida le choix du monarque : maintenant qu'ils détenaient une technologie supérieure et dévastatrice, ils s'en serviraient contre lui pour prendre le pouvoir. Ce qu'il ne put accepter. Les Créatures Divines ainsi que les Gardiens furent enfouis dans la terre. Mais ce rejet brutal finit par diviser définitivement les Sheikahs entre ceux qui acceptaient la sentence du roi et ceux qui y voyaient là une haute trahison de sa part. Et le clan Yiga, mené par une femme du même nom, naquit et s'installa dans la vallée de Caltice, sur les hauteurs gerudos. Ils délaissèrent la déesse Hylia au profil de Ganondorf.

oOo

Les mois s'écoulèrent encore. Orion, qui refusait obstinément la défaite, avait repris son projet d'androïdes pour en monter toute une armée et se venger des Hyliens par leur génocide. Ses semblables furent très partagés à ce sujet... Nombreux donnèrent leur accord mais d'autres, en moins grand nombre, désapprouvèrent ce dessein. Gut'rah en faisait partie. À ses yeux, son peuple payait déjà le prix de ses actes et finirait sans doute par disparaître. Il fallait accepter la défaite et toutes ses conséquences. Il n'y avait plus rien à faire... La force de l'armée hylienne surpassait de loin celle des Soneaux. Jusqu'au jour où Orion vint voir le Sorcier.

Maintenant, je m'en souviens bien... Gut'rah vérifiait l'état de la pierre d'énergie. À son regard, j'avais compris que rien de bon ne s'annonçait. En effet, à force de l'exploiter selon les désirs croissants d'Orion, celle-ci s'épuisait bien trop rapidement et menaçait ma condition d'androïde.

- Tu dois faire très attention à ta pierre, Altaïr. C'est elle qui t'insuffle la vie, s'inquiéta le vieillard en la dématérialisant sous sa peau. Si la guerre à la surface avait continué, je pense que tu aurais rejoint pour de bon le monde des esprits. Elle doit contenir encore cinq ans de vie. Six, tout au plus...

Il trouva cela d'autant plus ahurissant quand on savait que la pierre d'énergie, à l'origine, lui octroyait une existence de quinze millénaires environ. Orion l'avait tant poussé à user de sa magie que, dorénavant, il ne restait presque plus rien... Car la pierre d'énergie perdait bien plus d'années de vie qu'elle n'en rendait lors d'une seule résurrection. Le brun riva ses yeux vers le sol rocailleux. Dans cette cavité creusée à même la roche, il se trouvait seul avec le Sorcier et attendait patiemment la fin de cet examen.

- Je ne pourrais jamais revoir ma mère, n'est-ce pas ? demanda-t-il à mi-voix.

Un voile de peine passa à travers le regard du vieux Soneau qui posa sa main sur l'épaule de l'androïde.

- Ta mère est en sécurité parmi les siens, lui mentit-il à contrecœur. Tu n'as pas t'en faire pour elle.

Une silhouette fit alors irruption dans la cavité, ce qui donna des frissons au Sorcier. Il reconnut Orion qui pointait une lance dans sa direction et lui offrait un regard glacial, presque animal.

- Ton chemin s'arrête ici, vieil homme, persiffla le chercheur en avançant d'un pas. Nourrir un traître commence à peser sur les épaules du clan.

Gut'rah plissa les yeux mais ne bougea pas d'une once.

- Oh, je vois. Parce que je ne peux pas te donner ce que tu veux, je suis considéré comme un traître ? prononça le vieillard avec amertume. Je t'ai déjà dit maintes fois qu'il me manquait des matériaux pour fabriquer des pierres d'énergie. Il ne va sans dire que tu es incapable de m'en procurer. Sans parler des cadavres humains dont j'aurais besoin pour mon alchimie.

Le chercheur soupira d'agacement et s'approcha un peu plus de son nouvel ennemi. Quand le Sorcier vit le regard d'Orion glisser vers Thomas, son sang se glaça et il recula brusquement avec méfiance, les mains tremblantes.

- Ne me dis pas que tu veux te servir de sa pierre d'énergie pour fabriquer toute ton armée...

Orion afficha un air hautain et satisfait.

- Bien vu, Sorcier. Maintenant, éloigne-toi de ma création ou je te tue sur-le-champ.

- C'est pure folie ! s'exclama-t-il en écartant les bras. Non seulement tu vas le tuer, mais tes nouveaux androïdes auront une durée de vie trop limitée pour parvenir à ton but !

Scinder la pierre d'énergie, voilà le sombre dessein d'Orion. Pour lui, peu importait si ces fichues machines ne vivaient que quelques jours. Cela serait amplement suffisant pour se venger et attendre le prochain retour de son maître sans être dérangés par ces sales Hyruliens. Le chef claqua de la langue et ne tarda pas à enfoncer sa lance dans l'abdomen du vieillard qui poussa un cri éraillé de souffrance. Il tomba à genoux quand Orion retira son arme puis le Sorcier posa ses mains sur son ventre en gémissant.

- Gut'rah ! s'affola Altaïr en s'accroupissant à ses côtés, peu soucieux de l'appeler par son prénom au lieu de « Créateur ».

- Perdre notre sorcier est regrettable, soupira Orion, mais nos androïdes ne sont plus forcés de ressembler parfaitement à des humains. Ton alchimie est donc devenue... futile. Et je suis persuadé que d'autres manieurs d'âme peuplent ces lieux.

Le souffle du vieil homme devint de plus en plus court et sifflant si bien qu'il finit par s'écrouler sur le côté. Avec son pied, Orion le poussa pour dégager son chemin et accéder à l'androïde qui s'était relevé avec précipitation. La colère se lisait pour la première fois sur son visage mais n'atteignit en rien son créateur.

- Bien, je vais maintenant m'occuper de toi.

Altaïr serrait les poings car il savait que tout ordre de sa part serait indiscutable, quoi qu'il advienne. Son cœur antique avait été paramétré ainsi...

- Lancement... bredouilla Gut'rah dans son dernier souffle. Du...programme « [Survie] »...

Aussitôt, le visage d'Orion se contracta sous l'horreur et Œbnis vint entourer le propre corps du jeune homme pour former une prison. Étrangement, l'humanoïde sentit son esprit s'en aller et sombrer dans un état profond d'inconscience tandis qu'à quelques mètres de lui, Orion hurlait toute sa haine et son désespoir contre ce mur presque invisible qui le séparait de son salut. Pour Altaïr, ce fut une longue veille qu'il vécut sans que personne ne puisse accéder à lui.

oOo

Réinitialisation du système en cours...

Reprise de l'activité optimale du cœur antique.

Vérification des différents appareils... Opérationnels.

Éveil enclenché.

Ce fut le passage d'une vague d'énergie divine puissante qui mit fin à la première phase du programme [Survie], contrairement à ce qu'avaient imaginé les concepteurs de l'androïde ; Ganon venait tout juste d'être scellé par la princesse actuelle. Avec discrétion, les sourcils du jeune homme se contractèrent puis ses yeux finirent par s'ouvrirent avec lenteur. Œbnis disparut dans des centaines d'éclats verts qui se dissipèrent autour de lui, le brun n'eut plus rien pour le retenir et il chuta lourdement. Altaïr ne gémit pas, il se redressa machinalement puis se dirigea vers la sortie de cette cavité qui le retenait prisonnier depuis une centaine de siècles. Il n'y avait plus rien autour de lui à part de la moisissure, un semblant de reste de bois et un amas d'os recouverts de terre qui n'attira pas son attention. Lorsqu'il gagna la grotte elle-même, l'androïde leva la tête et analysa ces lieux qu'ils ne reconnaissaient pas. En vérité, Altaïr n'était pas réellement conscient. Une partie du programme avait pris le contrôle pour mener à bien la fin de « [Survie] ». Quant à la pierre d'énergie, elle n'avait donné que peu de magie en ces dix mille ans puisque qu'Œbnis avait tout figé dans le temps.

Trois années passèrent, trois années à errer tel un fantôme. Altaïr croisa la route de quelques habitants, comme Lasya, qui le nommèrent le Marcheur car il marchait sans cesse, sans but, sans vie au plus profond de son regard. Il ne retrouva jamais sa lance, cachée par Orion sur le lieu de ses recherches, là où il construisait ses androïdes. Cependant, à court de cœurs antiques et de matériaux, ce dernier ne put bâtir l'armée dont il rêvait. Toutes ses ambitions s'achevèrent brutalement quand une maladie inhérente à Delteha frappa son nouveau village et le tua, en plus d'une vingtaine de ses semblables.

Mais un jour, quelques semaines avant que Link n'aille choisir ses trois apprentis, Altaïr entra pour la première fois dans la cavité où était conservé Ganondorf. Il arriva là tout à fait par hasard, et son système de détection reconnut Soran, figé à côté du seigneur du Malin. Toujours de manière machinale, l'androïde s'approcha de lui puis le fixa avec son indifférence habituelle. Lentement, il porta une main sur son bras droit, là où figurait son tatouage de hibou qui s'illumina davantage au fur et à mesure que ses doigts s'en rapprocher ; la pierre d'énergie réagissait à l'appel de son maître. De sa main droite, il vint effleurer la couche de pierre recouvrant l'enfant gardien. À son toucher, Sokyn réagit avec sa pierre et émit ensuite une faible vibration : la magie soneau venait d'interagir avec le sceau gardien et enclencha, à son tour, l'éveil de l'élu. Un éveil qui durerait quelques heures. Car après tout, le cœur antique de l'androïde connaissait la valeur de l'enfant gardien ainsi que son rôle dans le conflit opposant Hylia et Ganondorf. Ganon avait été défait, l'énergie libérée par le sceau divin en avait donné la confirmation à Altaïr. Mais il restait encore Ganondorf. Une fois Soran parti, il ne resterait que Sokyn en attente d'un nouveau réceptacle car l'ancien n'était plus à la hauteur. Il l'avait fait comprendre à l'humanoïde au moment où il l'avait touché.

Et dès qu'il l'aurait trouvé, le sceau gardien quitterait le corps du Ganondorf, le libérant ainsi. La mission d'Altaïr se terminerait à ce moment-là.

Il recula sans lâcher les deux corps des yeux puis il quitta définitivement la cavité avant de reprendre sa marche éternelle en quête de la sortie. Cependant, il s'arrêta bien vite : l'enfant gardien, une fois pleinement éveillé, le mènerait dehors, alors il attendit. Ce fut donc Soran qui quitta Delteha en premier en passant par le temple de Firone, sans même se soucier que l'androïde suivait ses traces de loin. Mais alors que ce dernier passait près de l'unique passage qui reliait le temple au reste des souterrains, un Gardien non corrompu s'attaqua à lui. En effet, sans la corruption, le robot conservait le dernier ordre qu'on lui avait donné : tuer tous ceux qui n'étaient pas hyruliens. Alors Altaïr usa d'Œbnis une dernière fois afin de détruire son ennemi. L'explosion que provoqua la destruction du Gardien engendra l'effondrement d'une partie de la route et bloqua définitivement l'accès menant au reste de Delteha. Seul la Rivière des Tourments permettait d'y aller, mais pas d'en revenir. Le brun observa le tas de roches écroulées devant lui puis il tourna les talons, prêt à affronter la suite de sa destinée.

Après quelques heures de marche et avoir gravi un haut escalier, Altaïr arriva devant la Porte très récemment ouverte et il la passa sans grande difficulté. Une fois dans la première partie du temple, il tendit la main vers elle puis, en soneau, lui ordonna de se refermer. Pour le moment, personne ne devait trouver le corps du seigneur. La Porte glissa et forma un arc de cercle sur le sol poussiéreux. Toujours sans réelle emprise sur son propre corps, Altaïr se laissa marcher vers la sortie puis s'arrêta quand il perçut les chaleureux rayons de soleil. À l'extérieur, il releva la tête et contempla les feuillages d'un vert clair qui filtraient la lumière. La chaleur délicate qui lui caressa la peau de son visage suscita chez lui un premier sentiment de nostalgie qui lui donna l'impression que son cœur se serrait, bien que ce ne fût pas le cas. Une seule larme coula le long d'une joue puis s'égoutta au niveau de sa mâchoire.

Thomas venait de remplacer Altaïr.

Telle était la suite du programme « [Survie] ». Dorénavant, et tant qu'il n'avait pas revu son arme, l'androïde serait persuadé d'être un humain afin de protéger sa nature. En tant qu'arme redoutable, les Hyliens ne devaient pas la découvrir et se l'approprier. Ce fut pourquoi Thomas ne regagna que ses souvenirs datant de la mort de son frère. Il ne se souvenait pas exactement des événements qui avaient suivi, mais les autres villageois d'Elimith avaient sans doute réussi à éliminer les monstres. Tout à coup, un vif mal de tête s'empara de l'androïde qui reprit entièrement ses esprits. Automatiquement, sa poitrine se souleva et s'abaissa au rythme de sa prétendue respiration. Le vent sifflait dans ses oreilles, le bruissement des feuilles de lierre et des arbres le plongeait dans un environnement vaste et supposément inconnu. Pourtant au loin, une silhouette familière se dessina devant lui, arrachant un sourire soulagé au jeune homme qui se mit à courir dans sa direction. Thomas éprouva une joie vive en retrouvant sa mère qui venait sans doute le chercher. Il ne se demanda pas même pourquoi il était seul depuis quelques instants. Le programme se chargeait de le manipuler pour que Thomas lui-même ne comprenne pas sa nature. Elina et son fils prirent tous deux la direction d'Akkala alors que l'androïde pensait marcher pour Elimith. Pendant ce temps, perchés sur les hautes branches, les oiseaux observaient tranquillement cet humain qui parlait, seul au beau milieu de la forêt de Firone.

oOo

NDA : pour ceux/celles qui se sont posés la question (et à juste titre) « Pourquoi Thomas n'a pas essayé d'invoquer l'âme de son frère ou de sa mère pour vérifier qu'ils étaient bien morts », et bien voici ma réponse :

D'une part, il s'agit de sa propre famille. Il a tué son frère, cet acte l'a profondément choqué et il n'est tout simplement pas prêt à le revoir en invoquant son âme. Concernant sa mère, il est persuadé qu'elle est vivante. Mais au fond, en refusant d'imaginer qu'elle soit morte, il est dans le déni. Voilà, c'est tout...

Sinon, j'espère que maintenant, vous avez tout compris x) Je pense avoir répondu à pas mal de questions, notamment celle sur le réveil de Soran. Thomas a donc été réveillé peu après que Zelda ait scellé Ganon dans Botw (au cas où vous auriez pas compris)... Vous saurez aussi bientôt pourquoi il restait des Gardiens dans Delteha.

Je tiens à revenir sur un point du chapitre à propos de la vie d'Altaïr. Je sais que ça en fait un personnage au « passé sombre » comme on en voit beaucoup dans les fictions. Avec Soran, ils font la paire x) Cependant, comme vous l'aurez compris, Altaïr a été abusé par des hommes comme des femmes dans le but de l'asservir. C'est une forme de torture et de manipulation psychologique extrêmement grave et prohibée. Ce n'est pas un sujet à prendre à la légère, même s'il est un androïde. Je ne banalise et ne cautionne (BIEN EVIDEMMENT) absolument pas ce genre d'actes. Bref, merci pour votre lecture, à la semaine prochaine... 

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