Chapitre 31

Après avoir sauvé les villageois d'Altoz des entrailles dangereuses de Delteha, le groupe de Link poursuivit sa route le long de la Rivière des Tourments. Territoire jugé à risque du fait de la présence de Krassens à certains endroits ainsi que de Gardiens, même si ces derniers ne demeuraient guère très nombreux depuis la défaite de Ganon. Suite à plusieurs heures de marche et quelques empreintes intrigantes retrouvées, les sept compagnons décidèrent de s'arrêter afin de se reposer. Leur précédente nuit avait été brusquement rompue à cause de l'attaque surprise par lesdits Krassens, et les événements suivants avaient été très éprouvants pour le groupe. Notamment pour Link en apprenant la grossesse de sa fiancée.

Ils s'installèrent donc au sein d'un semblant de bois composé par de très vieux arbres aux feuilles luminescentes. Le cadre agréable et apaisant sut plaire à tous et les convainquit aisément d'y dormir. D'une certaine manière, ils s'y sentaient en sécurité, entourés par les nombreux troncs noirs qui ne dépassaient pas deux mètres de haut. Link matérialisa leur repas à l'aide de la tablette et distribua du poisson séché ainsi que des fruits comme la tomate ou la pomme. Une fois que tous connurent le sentiment de satiété, ils se mirent en place pour dormir et Léon eut la brillante idée de vouloir partager une berceuse en jouant doucement du rebec. Malheureusement... tous ne furent pas réceptifs à ses talents de musicien.

- Que quelqu'un lui dise d'arrêter, je vous en supplie... conjura Iris sur un ton éreinté.

- Je vais le bouffer, ça sera vite réglé.

Léon cessa de jouer et les regarda, dépité. Tout autour de lui, tout le monde le suppliait silencieusement de ranger l'instrument et d'apprendre à en jouer une autre fois, quand les temps le permettront. Vexé, il déclara qu'ils n'avaient aucune ouverture d'esprit mais Astrid lui fit remarquer, avec raison, que le bruit pourrait attirer des êtres nuisibles. En guise de « punition » pour cet acte inconscient de sa part, Léon fut désigné comme le veilleur du jour. Ou du moins, il surveillerait la première partie de leur sommeil avant que quelqu'un d'autre ne prenne la relève. Le brave gaillard ne rechigna pas et accepta cette responsabilité. De son côté, et pendant que d'autres s'endormaient hormis Léon, Link restait allongé sur le côté, les yeux légèrement ouverts. Il tournait le dos à ses compagnons de route et observait les feuilles tombées au sol, luisant bien moins que celles présentes sur les branches. La même pensée le hantait depuis des heures : il allait être père. Il deviendrait père sans même y avoir été préparé. Comment Karl avait réagi à l'annonce de la grossesse de sa mère ? Eux avaient dû mûrement réfléchir avant d'agrandir leur famille, tandis que leur fils, Link, n'y avait jamais pensé. Le destin était tombé sur Zelda et lui, les prenant de court dans une période peu propice pour cet événement.

Une boule se forma dans son ventre à cause du stress. Vraiment, il ne savait pas comment réagir une fois qu'il reverrait sa fiancée. À travers le bracelet, il avait ressenti un effroi qui lui avait donné des sueurs froides sur le moment. Il ne pouvait savoir qu'il s'agissait de l'attaque des Corrompus, après avoir vu le Guide, suivi de celle des Krassens. Link savait donc que Zelda risquait autant sa vie que lui ici, et il n'était pas là pour lui prêter main forte... Ses lèvres se pincèrent tandis que son cœur se serrait. Il ne supportait plus cette absence. Face à ses apprentis et à Pahya, il tâchait de ne pas montrer la peine qui l'habitait car le chevalier n'aimait toujours pas partager ses états d'âme avec les autres, mis à part la princesse. Finalement, il parvint à trouver le sommeil bien que cela prit plus de temps qu'à l'accoutumée.

Quant à Iris, elle eut aussi du mal à s'endormir. Encore traumatisée par les Krassens, elle n'osait pas fermer l'œil de peur qu'en les rouvrant, leur visage terrifiant serait de nouveau penché au-dessus de sa tête. La châtaine fixait la voûte agrémentée par quelques éclats de cristaux luminescents, ce qui avait un effet apaisant fort agréable. Pour autant, ils ne la confortaient pas dans un sentiment de sécurité. Lorsqu'un bruit inconnu se produisit quelque part derrière elle, Iris se redressa d'un coup en hoquetant de peur et scruta l'obscurité vers l'origine du son. Léon ne l'avait même pas remarquée, trop occupé à graver son rebec pour l'embellir.

- C'est une chauve-souris mourante, lui murmura-t-on à sa gauche. Tu n'as pas à t'inquiéter.

Surprise, la lancière regarda son camarade avec incompréhension puis émit un soupir de soulagement. Elle avait presque oublié son don lié aux âmes des êtres vivants. Savoir qu'il pressentait la mort d'un animal ou d'un humain, cela déstabilisait toujours la jeune femme. Face à son regard insistant, Thomas détourna les yeux pendant qu'il restait allongé.

- C'en est fini pour elle. Elle a rejoint l'Alpha...

Iris ne sut quoi dire, bien qu'elle jugeât l'annonce triste. Elle n'enviait absolument pas la capacité de son camarade, au contraire. Ce devait être un fardeau, un poids qu'il traînait depuis des années. Jusqu'à présent, la lancière n'y avait pas vraiment pensé mais Thomas avait dû ressentir la mort de son frère. Une douleur supplémentaire endurée ce jour-là... Elle se rallongea, le cœur lourd, puis tendit son avant-bras gauche vers lui.

- Tu veux bien me donner la main ? lui demanda-t-elle dans un chuchotement, sans gêne particulière.

Les sourcils du brun, étonné de recevoir une telle requête, se haussèrent sur le moment.

- Moi ? Mais, je... Enfin... Tu es sûre ?

Elle hocha la tête, l'air toujours sérieux, et put discerner les doigts de l'archer se refermer autour des siens après une courte hésitation. Iris esquissa un sourire involontaire puis souffla :

- Tu as les mains froides.

Sa remarque ne surprit pas Thomas cette fois-ci. Il se contenta d'observer leurs doigts entrelacés avant de lui retourner son sourire avec discrétion.

- Oui, je sais. Je dois sans doute tenir ça de mon père.

Iris le vit sourire pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient. Elle ne pensait pas qu'une telle broutille en serait la cause, mais elle ne s'en plaindrait pas. Au moins, cela lui donna du baume au cœur et parvint à la rassurer un peu plus.

- Tu es donc capable de sourire, murmura-t-elle en ancrant son regard dans le sien. C'est la première fois que je te vois ainsi.

Cela rendait le visage du jeune homme plus lénitif à observer. Cependant, suite à sa remarque, Thomas redevint sérieux et elle sentit sa main se crisper dans la sienne. Il savait pertinemment qu'il restait fermé en permanence, et cela avait tendance à créer de la distance avec les autres en général. Heureusement, ses deux camarades de formation passaient outre cet aspect de sa personnalité, tout comme Link. Ils voyaient en lui un compagnon de confiance et bienveillant, ce qui effaçait son côté froid.

- Avant de perdre ton frère... commença-t-elle avec hésitation et empathie. Comment est-ce que tu étais ?

Iris le vit se rembrunir et regretta sa question beaucoup trop personnelle. Elle avait besoin de savoir à quel point la mort de son frère l'avait changé.

- Différent, fut son unique réponse.

La jeune femme se sentit presque stupide. Elle préféra ne pas approfondir plus le sujet, s'excusa pour sa question puis elle tâcha de s'endormir. L'archer la dévisagea une dernière fois et attendit qu'Iris s'endorme pour lâcher sa main, avant de laisser la fatigue l'emporter sur lui.

Moins de deux heures plus tard, Thomas fut soudainement réveillé par une quinte de toux brutale dont il fut la proie. Sur le ventre, il se redressa sur ses coudes en toussant avec force jusqu'à ne plus pouvoir respirer tant il avait l'impression que ses poumons se bloquaient. Après un long instant de lutte contre lui-même, le brun parvint à reprendre son souffle devenu sifflant et irrégulier.

- Ça va pas, Thom's ? s'inquiéta Léon qui veillait toujours. T'as besoin d'eau ?

- N... Non, c'est bon, articula l'archer sans faire face à son camarade.

- Si t'en veux, n'hésite pas à demander.

Thomas hocha lentement la tête puis reporta son attention sur ses poings qu'il avait fermés lors de la toux. Sous la faible lueur des feuilles luminescentes, il discerna les éclats de lumière reflétés par le liquide épais et sombre qui recouvrait sa peau. Des frissons de peur descendirent le long de son dos et le paralysèrent quelques instants en plus de la fatigue anormale qui l'engourdissait. Thomas observait avec incompréhension le sang sur ses mains et constatait un arrière-goût ferreux dans sa bouche. Quelque chose n'allait pas avec son corps depuis qu'il avait absorbé une partie du sceau vert. Pourtant, le capitaine semblait mieux supporter une dose bien plus importante que la sienne. Peut-être était-ce dû au sanctuaire de la Renaissance ? Quoi qu'il en fût, l'archer connaissait plus d'effets secondaires que son supérieur. Il valait mieux se débarrasser de ce sceau le plus rapidement possible car il leur serait néfaste, voire fatal. Pour effacer toute trace, même si l'idée lui déplaisait, Thomas lécha son sang en grimaçant puis se remit sur le dos afin de se rendormir. Si sa santé se détériorait davantage à l'avenir, il en parlerait à Link et reviendrait sur le plateau du Prélude pour être soigné, comme lui, à l'aide du sanctuaire.

oOo

Rien ne vint déranger leur sommeil, à leur plus grand soulagement. Au moins, ils purent se reposer et récupérer de leur fatigue. La première partie du chemin ne fut guère difficile à suivre puisqu'il longeait la rivière. Cependant, le groupe arriva devant une bifurcation. Fallait-il aller à gauche, toujours le long du cours d'eau, ou bien à droite et s'en éloigner ? Omi avait dit à Link de suivre la rivière afin d'emprunter le même chemin que Zelda. Mais comment savoir jusqu'où elle l'aurait guidée ? Astrid s'abaissa dans le but d'examiner le sol et d'y déceler le moindre indice.

- Elzier, tu sens quelque chose ? lui demanda-t-elle avec concentration.

- À part la puanteur de six humains, non.

La châtaine soupira puis elle s'avança un peu sur le chemin de droite, toujours à la recherche d'une quelconque trace qui puisse l'aider. Avec l'aide d'une torche, elle finit par discerner de rares empreintes, là où la poussière était assez épaisse pour qu'on puisse la creuser.

- Quelqu'un est passé par là. Il y a sans doute d'autres traces de pas plus loin, annonça Astrid en se tournant vers ses compagnons.

- Nous ne pouvons pas affirmer qu'il s'agit de la princesse, releva Pahya avec justesse.

- Peut-être, mais il faut bien commencer par quelque chose. Personne ici n'est capable d'affirmer par où elle est passée.

Link se tourna vers Thomas puisque ce dernier avait déjà su prédire la présence de Caï. Cependant, l'archer n'avait aucune réponse à lui apporter pour le moment. Il semblait qu'il pouvait seulement percevoir la présence des êtres liés à Ganondorf.

- Les gens d'ici n'ont pas l'air de voyager beaucoup entre les différents territoires. Je ne pense pas qu'il y ait vraiment du passage en temps normal, intervint Iris en s'adressant à son supérieur. Ce qui veut dire que ces empreintes pourraient très bien être celles de la princesse.

- Ou bien de la femme terrifiante de la dernière fois, frissonna Léon qui croisa les bras. Nous ne savons même pas dans quelle direction elle est partie.

- Si tu avais mieux observé à ce moment-là, tu aurais vu qu'elle était partie du côté opposé.

- Je dois t'avouer que je vois rarement quelqu'un se relever après avoir reçu un carreau d'arbalète dans le front. Donc non, je n'ai pas fait attention au chemin qu'elle a pris.

Ils ne savaient toujours pas comment un tel miracle, si on pouvait l'appeler ainsi, était possible. Une seule solution plausible s'offrait à eux : il s'agissait d'une Corrompue évoluée. Dans ce cas, en existait-il d'autres comme elle ?

- Allons à droite, proposa Link qui passa devant. L'objectif de la princesse est simple, elle veut rallier plusieurs clans soneaux à sa cause. Nous finirons bien par trouver le plus proche d'ici. Cet endroit ne regorge pas de vie humaine, nous ne devrions pas nous tromper.

- Mais... Et si nous croisons d'autres de ces bêtes épouvantables ? s'inquiéta Pahya, peu enjouée par cette idée.

- Tu n'auras qu'à me rendre ma taille normale et je me ferai un plaisir de les écraser.

Elle le regarda avec une pointe d'amusement malgré sa crainte de revoir ces fameux Krassens. Tous les sept choisirent donc le chemin de droite, délaissé par le groupe de Zelda car ce n'était qu'un détour pour rejoindre Nehvir. Ils s'éloignèrent en conséquence de la rivière et s'enfoncèrent dans la caverne sans savoir où ils se dirigeaient concrètement. Comme d'habitude, seuls les bruits de leurs pas les accompagnaient et trahissaient leur présence au sein de cet environnement presque désert. Par endroits, ils furent surpris et peinés de découvrir de la corruption s'écouler de la voûte. Si cela continuait ainsi, les souterrains connaîtraient le même sort que la surface, condamnant tous ceux qu'ils abritaient depuis des millénaires.

Ils ne surent quelle distance exacte ils parcourent. Toutefois, grâce à la tablette sheikah, Link vit qu'ils s'apprêtaient à entrer sous la région de Lanelle. Par simple curiosité, Pahya s'éloigna du groupe afin d'aller étudier un étrange buisson aux feuilles presque en forme d'étoile. Elle aurait aimé en garder quelques échantillons et l'étudier, hélas ce n'était guère le moment. Si la Sheikah le pouvait un jour, elle reviendrait à Delteha dans le but d'analyser sa faune et sa flore exceptionnelles. En se penchant davantage vers les feuilles, un petit os gris lui apparut, ce qui l'intrigua grandement. Pahya décala les petits branchages sur le côté avant de découvrir un ensemble de squelettes humains recouverts par de la mousse. Son cri strident résonna dans la cavité et firent sursauter les autres voyageurs qui s'emparèrent aussitôt de leurs armes, prêts à se battre pour défendre leur vie. Link se précipita vers son amie, figée par ce qu'elle voyait, puis il distingua les restes avec stupeur. Soulagé qu'il ne s'agisse que de cela et non d'un ennemi potentiel, le Héros soupira en rengainant la Lame Purificatrice. Ses apprentis et Astrid le rejoignirent et constatèrent ce triste spectacle.

- Il y en a d'autres un peu plus loin, indiqua le général de Panah en les désignant de la main. Un massacre a dû avoir lieu ici. Et il ne date pas d'hier.

- C'est terrible, déplora Pahya qui se tint les bras comme si elle avait froid.

Link s'accroupit près des premiers ossements à portée, il les tâta puis retira un peu de mousse avant de froncer les sourcils. Ce n'était pas des os ordinaires, leur matière ne lui était pas inconnue.

- Les Gardiens sont du même matériau, annonça-t-il en relevant la tête vers Pahya.

- C'est impossible... Aucun os humain ne peut être comme la carcasse des Gardiens, répondit-elle. Peut-être était-ce des statues pour un rite mortuaire ?

Link jeta un regard circulaire autour de lui pour analyser la situation.

- Je ne pense pas, on dirait qu'ils ont été abandonnés ici. Qu'est-ce que...

Il plongea sa main dans une cage thoracique, peu charmé par son acte, puis en retira une boule rouillée qu'il examina sous toutes ses coutures. L'Hylien gratta la couche de terre qui s'y était déposée, haussa les sourcils de surprise puis donna l'objet à la Sheikah.

- Un cœur antique, affirma-t-il en dépit de son étonnement.

- Mais que vient-il faire là ? se demanda Pahya, cette fois-ci déconcertée. Il n'y a aucun Gardien dans les environs, pourtant...

À quelques mètres, Iris et Léon fouillaient les squelettes de la même manière et en tirèrent d'autres cœurs, laissant le Héros sans voix. C'était incompréhensible. Serait-ce donc là l'œuvre des Sheikahs ? Mais pourquoi placer un cœur antique dans un corps humain à la matière singulière ? Ils ne devaient servir qu'à programmer une machine, à l'origine.

- Je n'aime pas du tout cet endroit, grogna Elzier qui montrait les crocs. Les choses inexplicables sont les plus dangereuses.

- Il n'a pas tort, renchérit Astrid qui ne cessait de surveiller leurs arrières. Ne perdons pas de temps et remettons-nous en route.

Pour une fois, Link ne donna pas immédiatement sa réponse. Il ne sut pourquoi mais il alluma l'écran de la tablette et vit toujours ce même message affiché :

« Machine détectée. Lancer un programme ? »

Et si ces cœurs antiques entraient en contact avec elle ? À moins qu'ils ne soient trop vieux et détériorés. Une fois de plus, il appuya sur la phrase et l'entièreté d'un programme s'offrit enfin à lui. Il parcourut les premières lignes avant que son souffle ne se bloque. Link voyait de nouvelles actions s'écrire devant lui : « détection de mouvement », « réveil », « vérification des différents systèmes » ; puis... « chargement du canon à énergie ». Son sang n'eut pas le temps de faire un tour. Alerté par la situation critique, il pivota vers ses compagnons avant d'hurler :

- Tous à terre !!

Au moment où ils s'exécutaient sans hésiter, une lumière blanche aveuglante envahit la cavité et trancha l'air dans leur direction. Le rayon d'énergie vint s'écraser contre des stalagmites qu'il éclata en centaines de morceaux. Aveuglés par cette luminosité trop soudaine, les sept compagnons geignirent en plaçant leur avant-bras devant leurs yeux.

- Je ne vois plus rien ! paniqua Léon qui tentait de se relever.

- Reste à terre, abruti ! lui ordonna Astrid qui mit toute son ouïe à contribution.

Dans leur dos, elle percevait maintenant parfaitement les bruits métalliques qui s'approchaient d'eux. Le Gardien mobile devait se trouver à une quinzaine de mètres, c'était une certitude. Mais leur vue peinait à se réadapter à l'obscurité des lieux.

- Thomas, à mon signal, crée ton bouclier ! s'exclama Link qui cachait lui aussi ses yeux pour les protéger d'un nouvel éclat.

- Mais... Il ne résistera jamais, Capitaine ! s'affola l'archer dont le rythme cardiaque s'envolait dans sa poitrine.

- Fais ce que je te dis, aie confiance en moi !

Le brun déglutit avant de sentir ses jambes engourdies. Il ne parvenait plus à bouger à cause de la peur, une fois encore. Tout reposait sur lui, cela ne fit qu'accroître sa pression et sa peur. Thomas se tenait prêt à créer une large vitre, cependant... Ne sachant pas où se trouvait l'ennemi, sa protection n'aurait aucun effet et ils mourraient. Il pourrait créer une sphère, mais sans connaître la position de ses alliés par rapport à lui, il en sacrifierait par mégarde.

- Thomas, tu as ma voix comme repère, le rassura Astrid avec assurance. L'ennemi se trouve de l'autre côté, tu entends ?!

D'un coup, le Héros entendit le déclic caractéristique qui annonçait une attaque imminente.

- Maintenant ! s'écria-t-il en se protégeant davantage le haut du visage.

Thomas élança un bras sur le côté, les dents serrées, puis créa son bouclier en un instant. Le rayon d'énergie le percuta avec violence mais ne l'explosa pas, contrairement aux stalagmites précédentes. Il avait réussi à protéger tout le monde... Une once d'espoir naquit dans son cœur. L'archer rouvrit les yeux quand il pensa que sa vue s'était adaptée de nouveau. Mais son sang se glaça face au Gardien qui émettait une lueur orangée et non rouge. Il vit l'une des pattes se dresser devant lui, prête à s'écraser sur ses cibles. Thomas ne put crier pour alerter tout le monde ; le membre de fer s'abattit sur eux et les balaya avec une facilité déconcertante, leur arrachant des cris de douleur. Le brun heurta le sol avec lourdeur, ce qui lui coupa le souffle sur le moment. Une griffe du Gardien avait lacéré une parcelle de la peau de son ventre, engendrant une souffrance vive et paralysante.

Malgré tout, il prit appui sur l'un de ses bras, sa main libre plaquée contre sa plaie qui saignait et dont le liquide rouge s'écoulait entre ses doigts. Sa vision rétablie, contrairement à ses camarades, il put voir le Gardien charger une nouvelle attaque. Son effroi l'immobilisa et lui vola tout esprit lucide. Cette chose allait l'annihiler, elle menaçait son existence en le pointant d'un faible laser rouge. Thomas n'entendit même pas son supérieur lui hurler de créer une deuxième fois son bouclier, ce qui lui laisserait le temps de matérialiser un arc et une flèche archéonique. Seulement, sans que personne ne s'y attende, un jet noir fusa vers le Gardien puis se planta avec puissance dans sa carcasse de métal. Les yeux de Thomas s'écarquillèrent quand un flot de pensées le submergea au même instant.

- Des...truction... prononça-t-il avec incompréhension.

Un craquement lugubre se fit entendre avant que la machine n'explose dans un bruit assourdissant et une déflagration aveuglante. Le souffle brûlant provoqué percuta de plein fouet les sept voyageurs qui furent projetés des mètres plus loin avant de rencontrer de nouveau le sol. Link percuta une gemme nox et poussa une plainte rauque quand une douleur ardente se répandit dans son dos. Fort heureusement, aucun de ses os ne parut se briser sous le choc. Sonné par ses deux chutes consécutives, le chevalier peina à se relever dans un premier temps. Il gémit une fois de plus en serrant les poings puis il rouvrit enfin les yeux avant de découvrir des flammes de petite taille rongeant la végétation morte. Un cratère profond se tenait à l'ancienne place du Gardien, signe que son explosion avait libéré une puissance qu'il ne connaissait que trop bien. Puissance dégagée lorsque le cœur de ces machines était détruit durant son utilisation en cours. Link ne comprit pas comment une telle réaction avait pu avoir lieu alors qu'aucun de ses alliés n'avait été en mesure d'attaquer. Pendant que ceux-ci reprenaient leurs esprits avec difficulté, seul Thomas se releva, une main pressée contre son ventre, et il tituba vers le cratère. Le Héros put apercevoir une forme très fine et singulière posée au sol qui avait miraculeusement réchappé à l'explosion.

Intrigué par cet objet qui ressemblait à une lance de petite taille, Thomas s'abaissa puis la contempla avec plus d'attention et de curiosité. À l'intérieur, des fluides bleutés et faiblement luminescents la longeaient sans respecter de motif particulier. Leur couleur lui parut familière tant et si bien que l'archer décida de la prendre afin de mieux la détailler. À peine l'eut-il touché qu'une douleur fulgurante remonta de ses doigts vers sa poitrine puis son cœur, lui arrachant un cri plaintif. Immédiatement, il lâcha la lance et tomba sur le coccyx, sous le regard perdu de ses compagnons qui recouvraient leur vision.

- Thomas ! s'inquiéta Léon qui accourut tant bien que mal vers lui afin de vérifier si tout allait bien.

Mais le brun persistait à garder le visage braqué vers le sol, les yeux écarquillés. Son mutisme pesant installa une ambiance désagréable voire inconfortable. Personne ne savait réellement pourquoi aucun d'eux ne parlait, mais tous attendaient une réaction de la part de Thomas malgré leurs blessures relativement légères. Un bruit singulier sortit de sa bouche, une sorte de hoquet étranglé et grave. Finalement, il se transforma en un rire d'abord faible puis de plus en plus fort. Un rire incontrôlable qui glaça le sang d'Iris sans qu'elle ne sache pourquoi. Il avait... quelque chose de nerveux et d'anxieux mélangé à de la folie. Le brun était pris de secousses à cause de ses hoquets de rire, il plaqua une main au sol puis une autre de nouveau contre son ventre avant qu'elle n'empoigne le tissu de son habit. Tous purent voir un trait lumineux et vert longer sa plaie, puis celle-ci disparut comme si elle n'avait jamais existé. Thomas s'apaisa aussi soudainement après s'être figé dans sa position.

- Comment... ai-je pu l'oublier ? demanda-t-il d'une voix tremblante qui refroidit encore plus l'atmosphère.

De son côté, Iris avait froncé les sourcils à cause de son inquiétude, elle s'approcha de Thomas, s'accroupit à ses côtés puis posa une main contre le haut de son dos.

- Thomas... prononça-t-elle avec hésitation.

D'un coup, il la prit par les épaules puis la repoussa violemment sur le côté, sans le moindre état d'âme. La jeune fille gémit quand elle heurta le sol. Elle se redressa sur les coudes en grimaçant tandis qu'elle regardait son ami avec incompréhension, tout comme le reste de leur groupe.

- Thomas ? Thomas ?! répéta-t-il d'une voix blanche en se calmant soudainement.

Ses mots tremblaient. Avec lenteur, son regard glissa vers la lancière puis s'ancra dans le sien. À travers lui, Iris décela tout le trouble, toute la peur mais aussi toute la détresse de celui qu'elle côtoyait depuis des mois. Il serra les dents puis élança son bras sur le côté sans pour autant montrer quoi que ce soit, avant d'hurler :

- Il n'y a plus de Thomas ! Thomas n'est plus ! Thomas n'a jamais été !

Le visage de Link s'assombrit davantage tandis que tous les autres ne savaient comment réagir. En l'espace d'un instant, Thomas avait totalement perdu la raison à leurs yeux, comme s'il était en proie à un état de panique incontrôlable. Léon voulut s'approcher de son camarade afin de le calmer :

- Calme-toi, mon po... commença-t-il avec nonchalance.

Soudain, le bouclier vitreux de l'archer apparut et le percuta avec tant de force que le blond aux cheveux ras tomba à la renverse dans un râle rauque et douloureux. Astrid et Pahya se précipitèrent à leur tour sur lui pour le maîtriser et le calmer mais Thomas réitéra son sort magique et toutes deux reçurent le même traitement que Léon. Cependant, une fois au sol, elles furent recouvertes par une coupole à la lueur verte de la même composition que le bouclier, ce qui les empêcha de se relever et d'agir. C'en fut trop pour le Héros : il porta sa main par-dessus son épaule dans le but d'empoigner la fusée de la Lame Purificatrice. Ses doigts s'apprêtaient à s'enrouler autour quand l'étrange lance fusa vers lui puis s'arrêta juste devant sa gorge, en lévitation. Link déglutit mais conserva son sang-froid en fixant son apprenti. Celui-ci se remit debout malgré son manque d'équilibre puis il adressa un regard froid à son supérieur.

- Je vous conseille de ne pas toucher à cette épée, Capitaine, l'avertit le brun avec un calme presque effrayant dans cette situation. Ou devrais-je plutôt dire... Orazio de Lanelle ?

Les yeux du chevalier déstabilisé s'agrandirent suite à la prononciation de ce nom, son souffle même se coupa quand toutes les pièces du puzzle s'agencèrent enfin dans leur bonne position dans son esprit. Ce jour-là, quand il visitait le temple avec Zelda lors du miroir du passé... Il n'avait pas rêvé.

- Tu te trompes d'époque, répliqua Link sur le même ton.

- Passé, présent ou futur, tout cela n'a plus d'importance pour moi !

Link sentit la pointe de l'arme tressaillir contre la peau de sa gorge. Il inspira profondément pour calmer les battements frénétiques de son cœur puis il reporta son attention sur le jeune homme.

- Je te demanderais de reprendre ton calme.

- Reprendre mon calme ? Reprendre mon calme ?! Je ne suis qu'un objet à leurs yeux ! Une arme exploitée et vouée à mourir à petit feu sans même que l'on se soucie de moi ! On m'a menti... Ce jour-là, j'ai assassiné mon frère, et ma mère... Ma mère est morte avec tous les autres...

Thomas tomba une nouvelle fois à genoux, il plaqua une main sur son visage pour le dissimuler aux yeux de tous tandis que la lance s'écrasa sur le sol dans un bruit métallique et désagréable.

- Quant à moi, je n'y ai pas non plus réchappé... Je ne suis plus moi-même... Thomas n'est plus... Ce corps n'est pas le sien, ce n'est qu'une prison. Une punition pour ne pas avoir été en mesure de protéger sa famille...

Écrasées par le bouclier vitreux, Pahya et Astrid ne pouvaient pas se mouvoir et intervenir pour protéger le Héros. Elles n'étaient que spectatrices d'une scène qui les dépassait totalement. La châtaine avait interprété le changement d'attitude de Thomas comme un signe de trahison. Elle avait eu raison de croire qu'il servait le camp ennemi depuis le début. Ses pressentiments s'avéraient très souvent justes. Quant à Iris, elle n'osait pas bouger car elle ne reconnaissait plus le garçon qui se tenait à quelques mètres d'elle. À ses yeux, la lancière voyait une nouvelle fois un étranger. Ce dernier ne put retenir ses pleurs silencieux qui vinrent se mélanger à la poussière recouvrant son visage. Thomas releva la tête vers son supérieur avant de crier, tourmenté :

- Vous aviez la possibilité de me sauver ce jour-là !

Le regard que l'archer lui adressa noua la gorge de Link et lui provoqua un fort pincement au cœur, tant sa détresse lui parvenait aisément.

- Et vous n'avez rien fait... souffla-t-il avec accablement.

Link ne sut à quoi il faisait allusion. Pourtant, au moment où Thomas avait changé de comportement, une partie de lui avait compris que le brun appartenait à une autre époque. Ce sentiment se renforçait davantage quand il se souvenait d'un moment précis : ce jour où il avait vu, avec Zelda, la porte du temple être ouverte pour la dernière fois. Et le Soneau qui en était l'auteur... n'était autre que son apprenti lui-même. Il avait ouvert la porte exactement de la même façon que ce jeune homme, dix mille ans auparavant. Bien que les visages ne fussent pas reconnaissables, l'allure, elle, ne trompait pas. Link avait cru reconnaître l'archer, mais cela lui était paru improbable dans un premier temps.

- Dites quelque chose ! lui hurla Thomas qui se releva soudainement. Vous étiez la dernière personne sur qui reposaient tous mes espoirs ! Et maintenant...

Il tendit son bras droit devant lui, les doigts de sa main légèrement écartés. Aussitôt, la lance au sol suivit son mouvement et s'éleva dans les airs, face à Link, avant de revenir brusquement vers son propriétaire.

- Si je ne vous tue pas, ils vont continuer de me torturer...

L'instinct de survie de Link se réactiva soudainement lorsqu'il comprit quelle serait la future attaque. D'un nouveau geste, Thomas ordonna à l'arme de se jeter sur le Héros. Bien qu'elle ne pût égaler la vitesse d'une flèche, la lance demeurait rapide et meurtrière. Presque instinctivement, le bras possédant le sceau se plaça devant Link et sa peau se mit à luire d'une lueur verte, la même que celle du jour où Ganondorf avait été éveillé. Le blond vit l'arme s'arrêter en pleine course avant de revenir aussi vite vers son propriétaire qui parvint à en reprendre le contrôle au dernier moment. L'archer fronça les sourcils en faisant pleinement face au prodige qui ne comprit pas ce qui venait de se produire. Il aurait dû se douter que son supérieur utiliserait inconsciemment le pouvoir de Sokyn. Maintenant que Thomas possédait sa véritable mémoire, tout semblait s'éclairer pour lui tout à coup.
Quant au Héros, il jeta un court regard perdu à son bras droit avant de reporter son attention sur son apprenti.

- Je ne suis pas ton ennemi ! lui lança Link qui portait discrètement une main sur sa tablette sheikah. Thomas, peu importe ce que tu es, nous...

- Vous ne savez rien de moi ! répliqua vivement son apprenti, prêt à réitérer l'attaque. Vous ne pouvez pas imaginer !

Link jeta un bref coup d'œil à Elzier, jusqu'à présent en retrait. La créature se prépara à bondir au moment opportun. Thomas élança de nouveau son arme en direction du Héros en poussant une exclamation qui accompagna son mouvement. Aussitôt, Link utilisa sa tablette pour figer la lance, laissant le temps à l'elvësch de sauter sur le brun et de refermer ses crocs autour de son cou. Horrifiée par cette vision, Iris hurla en prenant sa tête entre ses mains avant de détourner le regard. Elzier plaqua sa proie au sol, celle-ci ne cessait de se débattre pendant qu'elle donnait des coups de pied vains dans le vide. Sans perdre de temps, Link dématérialisa la lance afin de la rendre inexploitable par Thomas.

- Lâche-moi !! vociféra l'archer qui s'agrippait fortement au pelage de l'animal pour le blesser.

Cela ne servit à rien car sa fourrure épaisse l'empêchait d'atteindre sa peau. Toutefois, sa vigueur eut le don d'impressionner Elzier. En temps normal, n'importe quel humain aurait cessé de bouger et aurait péri lentement à cause de l'écoulement du sang. Mais ce n'était pas le cas de celui dans sa gueule. Thomas relâcha la pression qu'il exerçait sur ses différents boucliers, ce qui libéra Léon, Astrid et Pahya par la même occasion. Aussitôt l'elvësch le projeta sur le côté dans le but qu'il heurte une stalactite et s'évanouisse pour de bon. Le choc n'arracha aucune plainte au brun qui se releva sans difficulté, le cou en sang. Tous purent voir ses plaies se refermer, toujours précédées par des traits lumineux et verts qui traçaient parfaitement leurs contours avant de disparaître. Exactement comme Caï après avoir reçu un carreau d'arbalète dans le front.

Il y eut un instant de flottement où personne n'osa parler. Thomas observait le reste du groupe, et inversement. Il jugeait très certainement cette situation dans laquelle il était en désavantage sans son arme. Mis à part sa protection vitreuse, son arc et ses flèches, rien ne lui permettait d'engager un combat rapproché et de vaincre le Héros. La meilleure solution restait de s'enfuir. De toute manière, il avait tout à perdre... Ses compagnons ne voudraient plus de lui, maintenant. Quant à son maître, il le tuerait pour de bon après cet énième échec de sa part.

- Je... Je suis désolé... bredouilla-t-il avant de disparaître derrière les stalagmites.

- Non, reviens ! s'exclama Link en replaçant la tablette à sa ceinture.

Il s'élança à sa poursuite, suivi par ses autres compagnons. Avec autorité, il leur ordonna de rester là et de l'attendre. Seul Elzier désobéit et lui suggéra de monter sur son dos pour aller plus vite. Sans réfléchir, Link bondit sur lui, s'accrocha fermement aux longues plumes qui partaient des arcades sourcilières puis il se pencha vers l'avant pendant que l'elvësch accélérait de plus en plus. D'ordinaire, Elzier n'aurait jamais proposé son aide. Mais sa mission le poussait à prêter main forte dans cette situation car la vie du Héros était menacée par une entité inconnue.

La créature sauta par-dessus de nombreux rochers sans quitter le fugitif du regard. La pénombre n'aidait guère dans cette poursuite. Elzier dut bondir sur le côté pour éviter un bouclier magique qui s'était formé devant lui afin de le freiner. Il grogna de mécontentement mais redoubla d'efforts sur ce terrain peu propice à la course. Plus qu'une quinzaine de mètres les séparait tous les trois. Link se tint prêt pour sauter et arrêter son apprenti. Il était temps qu'il en sache plus. Car à ses yeux, Thomas n'avait ni l'âme, ni l'apparence d'un ennemi.

- Je le tiens ! annonça Elzier qui projeta ses pattes avant vers les jambes de Thomas.

Il y planta ses griffes et le fit indéniablement chuter. Pendant que l'elvësch s'éloignait du corps à terre, Link quitta son dos puis se dirigea vers son apprenti en affichant un air fermé. Le brun se mit sur le dos puis prit appui sur ses coudes avant de se confronter au chevalier.

- Pour ne pas vouloir me tuer, vous devez avoir une multitude de questions, conclut-t-il avec méfiance.

- Est-ce que tu es vraiment Thomas ? s'enquit-il de savoir.

Link vit sa bouche s'entrouvrir de surprise, voire d'émotions, avant de tourner la tête en baissant les yeux.

- Je l'étais... dit-il dans un souffle douloureux. Ils ont voulu effacer Thomas à tout jamais et, pour une raison hors de ma portée... Thomas est revenu...

Le blond haussa les sourcils face à des paroles aussi peu compréhensibles.

- Qui, ils ?

L'archer ne répondit pas tout de suite, imposant un silence si lourd que Link eut du mal à respirer correctement. Un nouvel ennemi s'ajoutait donc aux belligérants ? Il ne savait toujours pas si Thomas se tenait réellement devant lui ou s'il s'agissait d'une autre personne qui avait volé son identité. Ses iris bleus finirent par rencontrer ceux de l'Hylien. Son regard reflétait dorénavant une résignation qui en fit frémir Link.

- Mes créateurs. 

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