Chapitre 28
Face à la masse de corruption qui avait pris la forme de son maître, Caï effectuait les cent pas, le visage sombre. Toujours au sein de Delteha, elle avait dû trouver un endroit où ces satanés Krassens ne passaient pas. Elle avait beau les éliminer, il en restait autant. Quelle plaie... Ce n'était même pas des créatures de Ganondorf et elles résistaient parfaitement bien à la corruption. Il y avait donc des êtres capables de ne pas être corrompus... Cela semblait tout bonnement impossible, et pourtant, les faits étaient là. Seule la méthode conventionnelle pouvait les annihiler.
- Ne me fais pas perdre mon temps, Caï, la prévint Ganondorf d'une voix grave. Je ne suis pas d'humeur.
- Maître, j'ai une requête à vous faire.
Elle s'arrêta et fit face à la silhouette qui la fixait. C'était le seul moyen pour elle de communiquer avec le seigneur du Malin. La corruption répandue partout était le meilleur outil dans ce but précis puisqu'elle était directement reliée à la volonté de Ganondorf.
- J'ai enfin retrouvé la trace de la pierre d'énergie. Comme vous le savez, j'ai besoin d'elle pour subsister. Cette nouvelle mission ne m'empêchera pas de mener à bien ma traque actuelle, vous pouvez me croire. Je privilégie d'abord l'assassinat de la descendante de la déesse.
Elle entendit Ganondorf soupirer. Après tout ce temps, elle ne la trouvait que maintenant ? Soit, après tout, il n'y avait que cette pierre qui puisse maintenir Caï dans sa forme actuelle. La perte de ce sous-fifre serait problématique au vu de sa valeur.
- Va, et ne me déçois pas.
Une joie vive naquit au sein de l'épéiste qui ne put réfréner l'apparition d'un grand sourire sur son visage. Humblement, elle s'inclina devant lui.
- Maître, vous avez toute ma gratitude.
oOo
Zelda ne savait depuis combien de temps elle marchait, ni dans quelle direction. Elle suivait la Rivière des Tourments depuis qu'ils avaient quitté le village d'Altoz avec le reste de son petit groupe. Puisque le chemin s'avérait dangereux et peu sûr à cause des monstres de fer qui rôdaient à certains endroits, Ren proposa de se reposer et de dormir chez Isoa, le grand-père de Lasya. Cette dernière se montra très réticente à cette idée. Non pas qu'elle ne l'appréciait pas, bien au contraire ! Mais elle préférait lui rendre visite seule ou bien en présence d'Omi. Car elle savait que son grand-père n'avait pas la langue dans sa poche et qu'il risquait de trop en dire. Et cela, la fillette ne pouvait l'accepter. Il y avait bien des choses qu'elle cachait à Zelda et qu'elle désirait garder secrètes. Quant à Ren, elle connaissait déjà beaucoup d'éléments sur Lasya donc parler avec Isoa ne lui apprendrait rien de plus.
Soran, lui, se contentait de marcher en retrait, imperturbable, regardant par moments le dos de Zelda avant de détourner la tête. Il avait été blessé par l'indifférence de la jeune femme à son égard ; elle le considérait comme un étranger alors qu'ils avaient grandi ensemble. Lui qui se faisait une joie infinie de la retrouver, le voilà rejeté comme un malpropre. Sa seule satisfaction était de ne pas voir ce satané voleur à ses côtés.
- Ohé !! s'écria Lasya qui apparut tout à coup dans son champ de vision. Tu dors ou quoi ?
Il papillonna des yeux et la regarda avec incompréhension.
- Je t'ai appelé deux fois, tu répondais même pas, lui reprocha-t-elle en faisant la moue. Jamais vu un zigue pareil...
- J'ai un prénom, rétorqua-t-il froidement en fronçant les sourcils.
Soran n'eut pas le temps de la réprimander et de lui faire regretter ses paroles d'enfant insolent car Lasya reprit aussitôt :
- Dis-moi, le zigue. C'est quoi ton tatouage totem, déjà ? Celui de Ren, c'est un dragon. Et toi, c'est quel animal légendaire ?
Animal légendaire ? Elle plaisantait ? Sa question fit rire ouvertement le brun tant cela lui parut absurde. Son sanglier serait devenu un animal légendaire, maintenant ? On en trouvait partout sur le territoire d'Hyrule, il n'y avait rien de plus commun.
- C'est un pauvre sanglier, lui apprit-il en relevant les diverses couches de sa tenue pour le dévoiler. Rien de plus banal.
- Banal ? T'as déjà vu un vrai sanglier, toi ?
Il souffla du nez.
- Évidemment, j'en ai vu des centaines.
Lasya ouvrit la bouche pour témoigner de son incompréhension, puis elle jeta un regard à Ren pendant qu'il relâchait ses vêtements.
- Il est ravagé du cerveau, lui... s'inquiéta l'enfant qui préféra s'éloigner de quelques pas. S'il y avait des sangliers à Delteha, je le saurais !
- Si tu sortais plus souvent de ta caverne, tu en verrais, soupira-t-il en levant les yeux au ciel.
- Bah que ce soit dans ma caverne ou une autre, y en a pas quand même. Et puis pourquoi t'as un sanglier et pas un dragon ?
Décidemment, cette gamine allait l'user bien plus qu'il ne le pensait. Cela le dépassait qu'elle ne connaisse même pas la signification des animaux totems, à croire que même les habitants des souterrains n'en avaient que faire des Soneaux.
- Puisque tu n'as pas l'air de le savoir, nous choisissons notre animal totem pendant notre enfance. Mais il arrive qu'il soit imposé chez ceux dont un pouvoir s'éveille. Votre cheffe devrait le savoir puisqu'elle fait partie des rares qui en possèdent.
Toujours en marchant, Ren se crispa et serra les poings de manière inconsciente. Aurait-il entendu parler de l'histoire de Tahan, son village natal ? Ou bien serait-ce là une capacité qui lui permettait de le savoir ? Soran poursuivit :
- L'animal dépendra du pouvoir. Le sanglier est lié à la Force et témoigne d'un pouvoir inhérent à la Nature. Le dragon, lié au Courage, accorde un don en lien avec un traumatisme profond.
Son utilisateur devait surmonter ses peurs à chaque utilisation et prouver son courage afin que cela puisse aider autrui. La bouche de Ren se pinça. Quelle plaisanterie... Son satané pouvoir de brume venimeuse provenait d'un traumatisme profond ? Elle ne se souvenait plus de sa petite-enfance, mais il provenait sans doute de là. Et à cause de lui, son village avait été décimé... Maintenant, Ren était un danger pour autrui, impossible qu'elle puisse protéger qui que ce soit avec une calamité pareille.
- Quant au hibou, il est lié à la Sagesse. Ses porteurs peuvent avoir un lien puissant avec les âmes des défunts.
En somme, cela concernait des pouvoirs touchant de près ou de loin la vie et la mort.
- Donc t'as un pouvoir ? lui demanda Lasya qui semblait soudainement intéressée.
Elle vit le visage de l'épéiste se rembrunir aussitôt. Soran attrapa sa propre main droite et la serra fortement.
- Non, plus maintenant, articula-t-il difficilement.
- Mais pourquoi ?
Il lui jeta un regard noir.
- Pose-moi encore une question et tu n'auras bientôt plus de langue pour parler.
Lasya déglutit et rentra aussitôt sa tête dans ses épaules avant de courir près de Ren. Cette dernière, agacée, se tourna brusquement vers le brun et le regarda mauvaisement.
- Ne t'avise plus de la menacer. Tes paroles pourraient se retourner contre toi, le prévint-elle non intimidée.
- Je crois que tu ne sais pas à qui tu t'adresses, Deraïr.
En Soneau, « Der- » correspondait au chef tandis que le suffixe « -aïr » signifiait guerrier en hylien. Cheffe guerrière, en somme. Ren garda son expression fermée et se demanda sérieusement pourquoi il venait de finir sa phrase en soneau. D'un côté, l'appeler Deraïr était signe de respect mais d'un autre, cela allait en contradiction avec l'attitude habituelle de Soran.
- Je serai toute ouïe de connaître l'intégralité de ton identité puisqu'elle a l'air si prestigieuse, persiffla-t-elle en croisant les bras. Dans tous les cas, quelle qu'elle soit, tu n'as pas à parler ainsi à Lasya.
- Je suis le prince Soran, fils adoptif du roi actuel Erigus Andram Hyrule. Véritable élu de la déesse Hylia et destiné à soutenir sa descendante dans le devoir qui l'incombe.
Les yeux de la princesse s'écarquillèrent. Le roi... Erigus Andram Hyrule ? Ce nom ne la laissait pas indifférence tant il semblait lui évoquer quelque chose mais... les propos de cet homme étaient absolument insensés, ils attisèrent la colère de Zelda qui s'en sentaient offensés.
- Je ne peux tolérer de tels mensonges, déclara-t-elle durement. Mon père était le roi de ce royaume avant que je n'en obtienne la régence. Il est mort au combat en protégeant son peuple et vous... vous osez déshonorer son nom en le remplaçant par un autre ?
Son comportement froid déstabilisa Soran un court instant tandis que Lasya et Ren se contentaient d'écouter sans intervenir.
- Notre père n'est pas mort, dit-il sur la défensive. Quelqu'un a dû te mentir. À moins que ce soit ce fourbe d'Orazio...
- Écoutez, vous n'avez plus toute votre tête. Une personne saine d'esprit ne tiendrait jamais un discours aussi osé et invraisemblable ! Une fois que nous aurons rallié un village soneau à notre cause, vous serez congédié.
Son ton fut sans appel, Zelda tâchait de garder son sang-froid, d'autant plus car les mots du brun l'avait particulièrement blessée et avaient ravivé des souvenirs douloureux qu'elle avait du mal à surmonter. Elle tourna les talons et reprit la marche sans un mot, le visage attristé. Cet inconnu... si elle pouvait s'en débarrasser, elle le ferait sans hésiter. Mais il était l'un des seuls à pouvoir la protéger. D'une certaine manière, l'Hylienne se servait de lui, et cela la rendit presque malade. Utiliser quelqu'un n'avait jamais fait partie de ses valeurs. Mais pour le bien de son peuple et de l'avenir, elle devait bien y faire abstraction pour cette fois-ci.
Quant à Soran, il plaça une main au-dessus de son cœur et agrippa fermement son surcot gris qui recouvrait sa cotte de mailles, elle-même par-dessus un jaque noir qui protégeait sa peau des frottements. Ce n'était pas son premier rejet. Mais comme toutes les fois précédentes, cela le vexait profondément et l'emmenait à remettre toute son existence en question. Elle feignait même de ne pas le reconnaître, comme s'il n'était qu'un inconnu. Aux yeux du jeune homme, il n'y avait qu'une seule explication : elle lui en voulait terriblement, sans doute car il n'avait plus le sceau. Soran se mordit la lèvre inférieure. Quelle honte... Il avait tout perdu, il était devenu un moins-que-rien. Il s'était même abaissé au meurtre pour retrouver celui qui avait tenté d'assassiner sa sœur. Sa chère sœur qu'il avait cru voir mourir sous ses yeux.
Elle vivait toujours, ce simple fait suffisait pour que le Soneau accepte sa condition actuelle.
oOo
- C'est là-bas, maugréa Lasya en pointant une faille large dans la paroi. J'espère qu'il est toujours en vie...
- Yatim l'avait aperçu l'autre fois, la rassura Ren en posant une main sur sa petite épaule. L'Alpha ne l'a pas encore rappelé à lui.
La fillette hocha la tête sans grande conviction. Même si elle se disputait souvent avec son grand-père, elle l'appréciait beaucoup et tenait autant à lui qu'à Omi. Le petit groupe gravit une pente parsemée de cailloux qui roulaient sous leurs pieds et manquaient de provoquer leur chute. Ils purent même apercevoir la carcasse d'un gardien détruit lors de temps immémoriaux aux yeux des habitants de Delteha. Soran fronça les sourcils. Il quitta le chemin pour s'en approcher et l'étudier avec attention. La machine semblait s'être autodétruite. Une seule personne était capable d'amener les Gardiens à leur propre perte.
- Altaïr... prononça-t-il avec méfiance.
L'un des guerriers les plus dangereux qu'il connaissait. Soran s'était confronté à lui plusieurs fois à cause de différends entre eux deux, jamais il n'était parvenu à le vaincre. Tout simplement car son style de combat n'était pas compatible avec celui d'Altaïr qui privilégiait le fait de se battre à distance, car il en tirait sa force. Cependant... Il était étonnant que ce gardien soit dans un état aussi détérioré, comme s'il s'était écoulé des siècles et des siècles. Ce constat perturba l'épéiste car seul Altaïr pouvait provoquer l'autodestruction des Gardiens, et ce dernier faisait partie de ses contemporains.
- Eh, qu'est-ce que tu attends ? lui lança Ren en croisant les bras. Nous n'avons pas le temps de nous arrêter, ce territoire est dangereux.
- Ce ne sont pas de vulgaires gardiens que vous devriez craindre, répliqua-t-il en les rejoignant. Les hommes représentent une menace bien plus grande.
- Les hommes ? À Delteha, il n'y a rien de plus dangereux qu'une créature de fer ou un Krassen, pauvre fou. Je préfère mille fois me confronter à un homme.
Soran la considéra sérieusement durant un long instant, tout en continuant de marcher. Un silence pesant s'installa, si bien que Ren se sentit très mal à son aise en présence de cet homme.
- Tu changerais d'avis si tu te retrouvais face au guerrier de la désolation. On raconte qu'il est capable d'ôter la vie sans même infliger la moindre blessure.
La cheffe souffla du nez tant cela lui parut absurde.
- Je me permets d'avoir des doutes au vu de ton esprit déséquilibré. Libre à toi de croire à des histoires aussi puériles.
Soran se referma sur lui-même et maudit intérieurement cette femme qui ne cessait de le discréditer. Il lui ferait bien ravaler ses mots mais puisque Zelda la tenait en estime, le brun se résigna et replongea dans un mutisme volontaire et lourd. Il ne voulait pas encore plus agacer sa sœur alors il s'abstint de toute parole pour le moment. Tous les quatre se dirigèrent donc vers la faille dans le mur, cachée par une peau de bête accrochée à un fémur d'animal à l'horizontale. Il ne leur fallut qu'une quarantaine de pas pour franchir la distance qui les séparait. Lasya attrapa la peau puis la décala brusquement sur le côté avant de s'exclamer :
- C'est moi ! Toujours vivant ?!
Le groupe entra dans cette petite cavité qui servait d'habitat au grand-père de l'enfant. Éclairée par quelques lampes à huile et statues en gemme nox, elle dévoila peu de meubles, comme une table mal taillée, un rocher en guise de chaise et un coin à provision. Tout au fond se tenait la paillasse pour dormir. Isoa y était justement assis afin de pouvoir méditer en toute sérénité. Il ne fit qu'ouvrir un œil à l'arrivée des nouveaux venus.
- Mon petit Eraen, tu me rends enfin visite, se réjouit Isoa qui finit par se relever.
- Mon nom, c'est Lasya, vieux décrépi ! Et je suis une fille, au cas où tu ne le verrais toujours pas.
- Nous en avons déjà discuté maintes fois, Eraen. Pas de ça avec...
- Ne commencez pas, vous deux ! le coupa Ren qui se plaça au centre de l'espace. Nous ne sommes pas ici pour vous voir vous disputer ! Isoa, j'aimerais que tu nous permettes de nous reposer chez toi.
Le vieil homme la regarda avec interrogation tandis que la situation échappait à Zelda. Il venait d'appeler Lasya... « Eraen » ? La princesse avait vu l'affliction passer sur le visage de l'enfant à ce moment-là. Elle se demanda si sa petite compagne de route avait deux prénoms, ou si elle avait voulu le changer en grandissant.
- Qu'est-ce que tu viens faire dans la région, Ren ? Je pensais que tu détestais mettre les pieds en territoire soneau, souligna justement Isoa qui se releva et plaça ses mains dans son dos. Et qui sont ces étrangers derrière toi ?
Il s'approcha de Soran et le dévisagea avec intérêt.
- Il me paraît farouche, celui-là. Je n'avais encore jamais vu de Soneau avec les cheveux noirs...
- Tous les membres de mon clan les ont ainsi, répliqua froidement l'épéiste qui vint prendre appui contre la paroi.
- Il n'y a aucun clan soneau à Delteha ayant de telles caractéristiques.
- Je viens de la surface, tu devrais le savoir.
Isoa grimaça d'incompréhension. La surface ? Était-ce là le nom d'une cavité encore inconnue ? Le vieillard reporta son attention sur la cheffe d'Altoz et attendit la réponse à sa question précédente. Ren lui apprit qu'elle était en mission d'escorte pour protéger Zelda. Elle n'entra pas dans les détails mais annonça, toutefois, qu'il s'agissait d'un devoir auquel elle ne pouvait se soustraire. Son but étant, notamment, de rallier le plus de villages soneaux possibles à leur cause.
- Vous avez perdu la tête... souffla le vieil homme qui avait pris place sur son siège de pierre. Ils n'accepteront jamais ! Oubliez cette folie et retournez à Altoz. Ce sera mieux pour tout le monde. Et vous avez pris Eraen avec vous... J'en toucherai deux mots à Kalia ! C'est d'une irresponsabilité sans nom !
- Tu as quitté la cabane d'Omi, nos affaires ne te concernent plus, trancha la fillette qui préféra lui tourner le dos.
- Quand tu seras un adulte, tu comprendras pourquoi je suis parti. Ce ne sont pas des choses dont un enfant peut en saisir le sens.
Lasya se crispa, elle ne dit rien et bouda dans son coin. Pour le moment, elle ne voulait plus lui parler car à ses yeux, Isoa avait encore gâché leurs retrouvailles. Il n'en faisait qu'à sa tête à chaque fois... D'une voix presque inaudible, Soran décréta qu'il allait monter la garde à l'extérieur au cas où des intrus viendraient à leur encontre ; les Krassens et les Corrompus n'étaient clairement pas les bienvenus. Zelda l'observa quitter la petite cavité et tirer la peau de bête derrière. Ce garçon l'intriguait, elle devait se l'avouer. Mais d'une certaine manière, il lui faisait peur. Il tenait des propos si délirants, si insensés qu'ils reflétaient sans doute une folie particulièrement dangereuse. De son côté, Lasya se coucha sur la paillasse sans demander l'avis de son grand-père puis elle tourna le dos à tout le monde, allongée sur le côté. Pendant ce temps, Isoa proposa à manger à ses deux autres hôtes qui refusèrent poliment.
- La couleur de tes cheveux est splendide, complimenta-t-il Zelda avec admiration. Je n'en avais jamais vus de tels.
- Merci... Je les ai hérités de ma mère.
- Intéressant. Et tu viens du même village que ton autre compagnon ?
Il mentionna Soran en pointant la faille du doigt.
- Je ne le connais pas, affirma-t-elle en regardant sur le côté. Mais je pense que nous venons de la même région, en effet.
- Je vois. Et quel est son animal totem ?
Ren lui apprit qu'il s'agissait du sanglier, il luisait donc d'une couleur rouge.
- Intéressant, répéta le vieillard en plissant les yeux. Vraiment... très intéressant. Dans ma jeunesse, j'étais jeune et vigoureux, comme lui. J'aurais aussi dû choisir le sanglier.
Cela étonna Zelda qui ne cacha pas la stupeur sur son visage. Elle lui demanda pourquoi un tel choix.
- Ça me paraît pourtant évident ! Les guerriers portant le sanglier sont respectés pour leur force et leur combativité.
La jeune cheffe soupira :
- J'avais raison de ne m'attendre à rien venant de ta part... Comment Omi a pu vouloir de toi une seule seconde ? Tu es presque aussi irrattrapable que ta petite-fille.
Il rit avec légèreté puis frappa la table du plat de sa main.
- Même moi, je n'ai pas la réponse. Mais le cœur de Kalia, lui, l'a sans doute trouvée.
Ren roula des yeux et prit aussi appui sur la surface en bois mal entretenu.
- Oh, épargne-nous ton romantisme dépassé.
L'Hylienne ne les écoutait pas vraiment. Elle focalisait son attention sur Lasya qui semblait dormir. Certains mots employés par Isoa la laissaient perplexe et suscitaient de nouvelles interrogations. Zelda espérait que ses questions ne soient pas trop indiscrètes en dépit de sa curiosité poussée.
- Pourquoi avoir appelé Lasya « Eraen » ? demanda-t-elle à voix basse pour ne pas réveiller l'enfant.
Ren ouvrit la bouche afin d'éluder le sujet, comme elle l'avait fait un peu plus tôt, mais la main qui se posa sur la sienne la dissuada de dire quoi que ce soit. Elle jeta un regard perdu à Isoa dont l'air neutre la déstabilisa. Ce n'était pas un sujet à prendre à la légère, d'autant plus car il concernait Lasya en personne. Seule elle devrait en parler, pas les autres.
- À sa naissance, ma fille lui a donné le nom d'Eraen, l'informa Isoa qui éprouvait toujours autant de tristesse quant à la perte de son propre enfant. C'est un bébé que j'ai vu grandir sans ses parents et tenter de s'épanouir malgré tout. Jusqu'à ce que je quitte Altoz.
Il ancra son regard dans celui de Zelda qui respirait lentement en buvant ses paroles. Elle voyait bien qu'il avait du mal à exprimer le fond de sa pensée.
- La première fois que j'ai vu mon petit-fils ici, il n'était plus le même.
Un lourd silence s'installa le temps que la jeune femme comprenne enfin ce qu'il venait de dire. Lorsqu'elle assimila ses mots, ses yeux s'agrandirent de stupéfaction et les mots lui manquèrent. Son... petit-fils ? Son étonnement blessa Isoa qui s'y attendait malgré tout. Il riva son regard sur ses mains.
- Eraen est né garçon. Mais son corps n'a jamais été celui qu'il souhaitait.
Derrière lui, Lasya rouvrit légèrement les yeux pour observer la paroi devant elle. Les larmes lui montèrent inexorablement aux yeux et vinrent s'écouler sur ses joues, en silence. Personne ne pouvait les voir, c'était sa seule consolation.
- Lasya est née des cendres qu'il restait d'Eraen, un petit garçon dévasté à cause de sa nature. Je ne l'ai jamais vraiment accepté car... car à mes yeux, elle souillait le seul héritage qu'il restait de ma fille.
Zelda fut profondément choquée. D'une part car Lasya n'était pas née fille, d'autre part car son grand-père ne la considérait pas comme telle pour des raisons personnelles. La princesse ne savait quoi en penser, c'était bien la première fois qu'elle prenait connaissance d'une telle affaire. Au premier abord, elle lui paraissait impensable, notamment car Lasya avait parfaitement l'apparence d'une fillette. Mais peut-être était-ce pour ça que les enfants du village se moquaient d'elle ? Malheureusement, cela fit sens dans son esprit, Zelda fut sincèrement peinée pour l'enfant. Elle ne pouvait comprendre ou concevoir ce que Lasya ressentait en permanence. En fait, à Altoz, il n'y avait que Zelda qui ne connaissait pas son histoire.
- Tu peux t'estimer heureux qu'elle veuille encore te voir, rétorqua Ren avec dureté. En la traitant toujours comme un garçon, tu la blesses bien plus que tu ne le penses.
- Nous en avons déjà discuté la dernière fois que tu es venue, Ren. Que crois-tu qu'il se passera quand il grandira ? Il aura la morphologie d'un homme, et rien n'y changera. Eraen devra s'accepter tel quel.
La Soneau donna un coup de poing brutal sur la table, ce qui fit trembler la petite statuette de gemme nox posée dessus. Isoa préféra reculer par précaution, effrayé par le comportement de la guerrière.
- Tu es... si borné, grogna-t-elle avec colère. Je serai celle qui apportera à Lasya le monde dont elle a toujours rêvé. Et elle y deviendra ce qu'elle a toujours souhaité.
Ren partit s'asseoir contre le mur, plus loin, afin de s'endormir à son tour malgré son irritation apparente. Elle appréciait beaucoup l'ancien membre du village. Mais lorsqu'il tenait un tel discours, elle avait envie de lui faire avaler ses dernières dents. Quant à Zelda, elle entremêla ses doigts et scruta tristement l'enfant.
- Même si son corps restera celui qu'il est, je lui offrirai une vie où elle s'épanouira, affirma la princesse avec détermination.
Il opina.
- Même si mes mots sont durs, je ne souhaite que son bonheur. Malheureusement, j'ai toujours vu la vérité en face. Certaines choses sont inévitables.
Zelda ne sut quoi répondre. Elle resta de longues minutes face à lui, pensant et repensant sans cesse à ce qu'elle venait d'apprendre. Dorénavant, elle voyait Lasya comme deux personnes distinctes. Quand elle ne réfléchissait pas, il s'agissait d'une fille. Mais en se souvenant de sa conversation avec Isoa, elle voyait le jeune garçon qu'elle était morphologiquement. Et la princesse s'en voulut bien qu'elle ne soit point fautive. En fin de compte, elle aurait dû se taire et ne pas chercher à en savoir plus...
À l'extérieur, elle entendit Soran tousser dans un bruit étouffé, ce qui la détourna de ses pensées précédentes. Combien y avait-il de personnes encore dont elle ne connaissait pas la vraie nature ? Ren... était-elle vraiment Ren ? La guerrière semblait avoir elle-même du mal à se connaître et à comprendre l'origine de son pouvoir. Et Soran, un voile sombre planait autour de lui, tel un mystère qui ne demandait qu'à être résolu. Était-ce une folie pure qui le rongeait ou bien autre chose ?
Je suis le prince Soran, fils adoptif du roi actuel Erigus Andram Hyrule.
Ce nom... Oui, elle l'avait déjà entendu durant son enfance. Ce roi avait bel et bien vécu. Mais où l'avait-elle vu ? Zelda ferma fortement les yeux pour essayer de se souvenir. Elle se revoyait lire des livres sur l'histoire du royaume avec Impa, durant son enfance. Malgré sa concentration inflexible, elle ne put se remémorer de tout ce qu'elle y avait lu. Ce nom devait avoir figuré ailleurs. La seule pièce qui aurait pu lui apporter des réponses, au château, s'appelait la Galerie Royale, là où étaient exposés tous les tableaux représentant les rois et les reines en fonction des époques. Bien évidemment, Zelda ne connaissait pas tous leurs prénoms, il y en avait bien trop. Néanmoins, petite, elle aimait se rendre au fond de l'immense couloir de la galerie, ce coin encore plus superbe que tout le reste pour une raison bien simple : il rendait hommage aux souverains qui avaient traversé et surmonté brillamment les diverses venues de la Calamité. D'immenses draps bleus ornés de motifs dorés entouraient les peintures d'envergure imposante dont les cadres, eux aussi dorés en signe de richesse, ressortaient magnifiquement au sein de cet environnement. Zelda rouvrit les yeux et fronça les sourcils. Si son subconscient l'amenait à y repenser, alors la réponse devait être là. Erigus Andram Hyrule... Elle visualisait les portraits des monarques victorieux et s'imprégnait de leur visage, même cent ans plus tard. Car cette galerie n'existait plus après le dernier passage de Ganon.
Soudain, son cœur rata un battement et elle se figea. Son ancêtre avait de toute évidence vécu l'apparition du Fléau. Mais pas n'importe quand. Maintenant, Zelda en avait presque la certitude car son propre père lui en avait parlé durant son adolescence. Dix mille ans auparavant, Erigus Andram Hyrule était ressorti vainqueur de son combat contre Ganon, la Calamité. À vrai dire, son nom avait presque fini par s'éteindre à cause du cours du temps... Seuls quelques nobles de grand nom le célébraient à une date précise, le reste des Hyruliens ne le connaissait pas. Alors comment Soran, un Soneau qui plus est, pouvait-il le connaître ? À moins qu'il ait remonté le temps. Zelda secoua négativement la tête : impossible, s'il venait vraiment du passé, il aurait bien remarqué qu'Hyrule avait changé, tout comme la princesse de ce royaume. Cette pensée installa un doute si proéminent que la princesse eut du mal à inspirer correctement. Soran s'était présenté comme un élu des déesses. Or, sur la toile, chez Impa, le Héros n'était pas brun mais blond. Mais il n'y avait pas que cela... Lors de ses deux premières visites du temple de Firone avec Link, ils avaient découvert une forme de prophétie annonçant l'arrivée d'un enfant. Peut-être cela concernait-il une époque encore intérieure, cependant Zelda ne pouvait s'empêcher de voir un lien avec le siècle d'Erigus Andram.
- Je... Je reviens... dit-elle à Isoa d'une voix tremblante.
Elle quitta l'habitation rudimentaire en se tenant les bras. Encore une fois, tout lui échappait et seul cet inconnu pouvait l'éclairer. Néanmoins, Zelda ne devait pas écarter l'hypothèse qu'il n'aurait plus toute sa tête. Car après tout, Soran était un meurtrier ayant tué dans le but de retrouver un homme qui ressemblait à Link. Maintenant au sein de la cavité principale, la blonde s'arrêta et regarda Soran, assis contre un gisement de gemme nox. Il observait attentivement le fourreau de son épée qu'il tenait à l'horizontale sur ses genoux repliés. Cela parut fou aux yeux de Zelda mais... peut-être que Soran recherchait le Héros de l'ancien temps, dans le cas où il viendrait du passé. Mais cela n'expliquerait pas comment il se serait trouvé à cette époque où Ganondorf était revenu.
- Vous traquiez Link, n'est-ce pas ? lui demanda-t-elle avec un manque cruel d'assurance.
L'emprise de Soran se raffermit aussitôt autour de la gaine en cuir.
- Ne... prononce pas le nom de ce damné voleur en ma présence, cracha-t-il avec amertume. Et cesse de me vouvoyer.
Elle déglutit sans oser s'approcher plus de lui. Le Soneau releva la tête vers elle et dévoila ses iris, caractéristiques de son peuple, qui luisaient faiblement dans le noir. Ils avaient une allure presque effrayante dans la pénombre à ce moment-là. Leur vert, d'ordinaire chaleureux, ne reflétait plus qu'une froideur due à la rancœur du jeune homme.
- Ce n'est pas un voleur, le défendit-elle avec plus de détermination. S'il avait commis quelque délit, j'en aurais été tenue au courant.
Avec lenteur, Soran posa son épée à côté de lui pendant qu'il tentait de garder son calme.
- J'ai toujours été celui appelé à combattre à tes côtés. Les chamans de mon village avaient annoncé ma venue au monde et m'ont envoyé au château dans l'unique but d'accomplir mon devoir. Tu préfères feindre l'ignorance, alors laisse-moi te rappeler à quel point ton cher « Link » n'est qu'un scélérat des bas-fonds.
Ses mots blessèrent Zelda, comme si ces injures avaient directement été adressées à elle. Soran se mit debout et fit pleinement face à l'Hylienne.
- J'ai été élevé comme le futur Héros. Masoa, Père et toi, vous m'aviez toujours répété pendant mon enfance que je serais celui qui brandirait l'épée de légende en plus du sceau. Mais le jour où je suis allé au pied de son socle...
Ses lèvres se pincèrent et ses doigts se refermèrent sur eux-mêmes.
- Elle n'y était plus. Quelqu'un l'avait volée. Et cette personne n'était autre qu'Orazio... Après cela, avec Père, vous m'avez peu à peu éclipsé de votre vie, au profit de ce voleur que tout le monde appelait Link ! s'écria-t-il soudainement. Tu m'as rejeté maintes et maintes fois, tu ne voulais pas voir la vérité en face ! Je suis l'élu, Zelda ! Sokyn en était la preuve mais tu étais trop aveuglée par Orazio !
Elle sursauta en recula d'un pas. Sokyn... Le Guide lui en avait parlé lors de leur rencontre. Il s'agissait... du sceau qui avait tué la princesse au temps de la précédente incarnation de Ganon. Zelda vit le Soneau plaquer son bras droit contre sa poitrine et le tenir en exprimant une souffrance morale manifeste.
- Mon amour fraternel pour toi n'a aucune limite... poursuivit-il difficilement. Pour te protéger de mon peuple, j'ai abandonné le peu qu'il me restait et j'ai fait croire à Père que je n'étais qu'un traître, un vaurien à la solde de Ganon ! Et toi... même en sachant tout cela, en connaissant toutes les épreuves et ma douleur endurées pour toi, tu persistes à me rejeter...
Soran tendit brusquement son bras droit vers elle et tira d'un coup sec la manche de son surcot gris vers lui. Il dévoila une peau immaculée.
- Je n'ai plus de valeur à tes yeux parce que je ne possède plus Sokyn ? De toute manière, qu'est-ce qu'il aurait changé, hein ?!
Il eut un rire forcé et nerveux qui conforta encore moins Zelda en sa présence.
- Il m'aurait tué avant mes trente ans, comme tous mes prédécesseurs ! Et j'aurais définitivement disparu de ta vie !
Il se calma et posa une main contre son front en serrant les dents, comme s'il était en proie à un mal de tête.
- Au fond, c'est sans doute ce que tu souhaites le plus avec cette crevure d'Orazio... J'ai toujours fait tache dans la famille royale. Ma place n'a jamais été auprès de vous. Ils auraient mieux dû me tuer à ma naissance... Rien n'aurait changé ! Rien !
Son souffle se coupa quand il vit les larmes couler sur les joues de la princesse. Zelda le dévisageait avec une tristesse qu'il assimila à de la pitié à son égard.
- Pourquoi est-ce que tu pleures ?! Si nous en sommes là, c'est aussi de ta faute !
La jeune femme ne comprenait pas elle-même la cause de ses larmes. Elle les essuya d'une main et regarda avec incompréhension ses doigts humides. Soran se laissa légèrement basculer en arrière afin de s'adosser brutalement contre le gisement de gemme nox. Il baissa la tête et papillonna des yeux pour chasser son trouble.
- Je pensais naïvement qu'après avoir apposé le sceau... tout redeviendrait comme avant. Au final, ce n'était qu'une désillusion supplémentaire !
Il ferma les yeux un instant mais ne parvint pas à regagner son sang-froid à cause de ce jour cauchemardesque qui le hantait sans cesse. Quant à Zelda, elle ne parvenait même plus à le regarder. Ses paroles, ainsi que celles du Guide, prenaient enfin sens.
- Je l'ai vu... Orazio a essayé de te tuer sous mes yeux ! cria-t-il avec rage. Il a voulu t'assassiner sans état d'âme alors que je n'étais que spectateur de ta détresse !
Il planta ses doigts dans ses épaules et poussa une plainte rauque en se souvenant parfaitement de la souffrance de sa sœur.
- J'entends encore ton cri déchirant et insoutenable... Je pensais vraiment que tu étais morte. Jusqu'à ce que j'apprenne que tu vivais toujours...
La fin de son récit laissa la princesse perplexe mais anéantit tous ses derniers doutes : celui qui se trouvait devant elle avait vécu dix mille ans auparavant. Il faisait partie des trois élus qui avaient combattu Ganon avant de vouloir réitérer le sceau de Ganondorf. Cependant, un détail la perturbait encore plus que toute cette histoire. Soran... parlait comme s'il s'agissait toujours de son époque.
- Te voir mourir m'a fait perdre connaissance, ajouta-t-il d'une voix cassée. Quand je me suis réveillé, toi et ce satané voleur n'étiez plus là. J'ai cru qu'il s'était enfui avec ton corps pour cacher la vérité à Père, alors... alors je me suis désespérément lancé à sa recherche pour lui faire payer son crime.
Sa voix redevint froide et emplie d'une amertume qui trahissait sa haine profonde envers Orazio.
- Lorsque j'ai pu quitter Delteha, j'ai appris que tu étais encore vivante et, malgré mon soulagement, je préférais mille fois voir l'usurpateur mourir plutôt que de te retrouver. Je veux lui infliger une souffrance équivalente à celle que tu as ressentie ! Je veux... qu'il connaisse ce même désespoir, cette même détresse que j'ai vue dans tes yeux ce jour-là...
Après cela, il ne dit plus rien. Un vide étouffant vint les entourer et instaurer une atmosphère lourde. Zelda devait, une fois de plus, assimiler des informations nouvelles et troublantes au sujet d'événements passés. Ce garçon n'était pas fou, seulement dévasté par son vécu. Pour autant, elle ne cautionnait pas tous les meurtres qu'il avait commis jusqu'à présent. Encore plus en sachant qu'ils auraient pu être évités car la personne traquée n'était plus de ce monde depuis des siècles.
- Je suis... désolée de t'apprendre tout cela, bredouilla-t-elle finalement. Malheureusement, je crains que ta sœur ne soit plus de ce monde depuis bien longtemps.
Soran haussa les sourcils puis les fronça avec colère. Elle persistait à se moquer de lui ? Sa sœur avait donc changé à ce point pour n'avoir que faire de ses sentiments ?!
- Zelda, ma patience a ses...
- Les faits que tu m'as racontés se sont produits dix mille ans avant cette ère, lui annonça-t-elle tout à coup. La princesse que tu as connue n'est autre que mon ancêtre... Tu me confonds avec elle car nous nous ressemblons certainement beaucoup. Pourtant, nous devons bien avoir des traits physiques qui nous différencient.
Il ne la crut pas. Dix mille ans se seraient écoulés ? Que ce genre de mauvaise plaisanterie soit fait à un autre, pas à lui. Si un tel lapse de temps était passé, il l'aurait remarqué. Face à son scepticisme apparent, Zelda soupira et se força à s'avancer vers lui.
- De quelle couleur sont les yeux de ta sœur ?
- Ils sont bleus, évidemment, répondit-il hâtivement.
Dans une telle pénombre habituelle, il demeurait difficile de bien discerner certaines couleurs, et jamais encore tous deux n'avaient eu l'occasion d'être aussi près pour se parler. Il était donc fort probable que Soran n'ait jamais remarqué la véritable couleur de ses yeux. Mal à l'aise, Zelda jeta un coup d'œil sur le côté puis croisa une nouvelle fois son regard afin qu'il puisse bien distinguer ses iris. Ce ne fut pas un bleu foncé qu'il découvrit mais un vert émeraude. Ses poils se hérissèrent sur sa peau en réponse à sa désillusion foudroyante. Sa vue devint floue tout à coup, ce qui entraîna des vertiges vifs et le déséquilibra. Pour la première fois depuis des semaines, Soran eut enfin un éclair de lucidité et dissocia les deux Zelda. Celle qui se tenait devant lui possédait seulement une légère ressemblance avec sa vraie sœur. Sa folie l'avait aveuglé à ce point ?!
Soran plaqua une main au-dessus de sa poitrine et poussa un gémissement plaintif. Non, impossible... Il ne pouvait tout simplement pas y croire. La jeune femme dégageait bien l'aura divine, il n'y avait aucun doute là-dessus. Mais elle n'était pas sa sœur. Alors... on lui avait menti une nouvelle fois ? Serait-ce là la punition des déesses pour avoir laissé Zelda mourir sous ses yeux ? La lypémanie, qu'il refoulait en vain, refit brusquement surface et l'entraîna dans un début de démence. Sa sœur était partie depuis dix mille ans, tous ceux qu'il avait connus... avaient disparu. Soran se recroquevilla et prit sa tête entre ses mains
- Impossible... Impossible, impossible ! Suis-je donc maudit pour souffrir d'un tel malheur ?! s'exclama-t-il d'une voix cassée.
Il éclata en sanglots et poussa un hurlement qui résonna entre les vastes parois et qui alerta Zelda. Si cela continuait, des ennemis pourraient les démasquer et les attaquer. Cependant, l'état de Soran la touchait véritablement sans qu'elle ne sache exactement pourquoi. Elle comprenait ce qu'il pouvait ressentir, la perte d'êtres chers après une période qu'il ne semblait pas avoir vécu. Cent siècles... Mais comment avait-il pu précéder à un tel bond dans le temps ? Aucune magie ne le permettait. Aucune.
- Tu n'es... qu'une usurpatrice... prononça-t-il dans son nouvel état de folie.
Soran se jeta d'un coup sur elle, il la prit par les épaules tandis que Zelda ne réagissait pas sous l'effet de la surprise. Il la fit basculer dans le vide et lui arracha un premier cri de terreur et de douleur quand l'Hylienne percuta violemment le sol. Elle eut tout juste le temps de mettre un bras sur son ventre pour le protéger avant qu'elle ne roule dans la pente avec Soran. Leur chute s'arrêta quand le sol redevint plat. Aussitôt, il dégaina une petite dague accrochée en haut de sa cuisse puis la brandit au-dessus de Zelda dont la terreur lui glaça le sang.
- Soran, non !! hurla-t-elle en donnant un coup de poing dans son flanc, là où se trouvait son animal totem.
Loin de faire mal au guerrier, une réaction se produisit toutefois et une décharge électrique les tétanisa tous les deux. Une vive lueur, pourtant inexistante, aveugla Zelda dont l'esprit fut plongé dans une luminosité sans pareille. Elle en oublia jusqu'à ses propres soucis, comme si elle avait quitté son corps pour ne redevenir qu'une âme immaculée. Bientôt, des souvenirs lui parvinrent. Seulement... Ce n'était pas les siens.
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