Chapitre 27
Il n'était pas rare qu'Iris rêve de sa cabane à Écaraille ainsi que de son ancienne vie auprès de sa grand-mère. Et cela depuis qu'elle avait intégré la forteresse d'Akkala pour devenir soldate. Au début, ses motivations avaient été guidées par son envie de gagner de l'argent pour mener une vie correcte, par la suite, à la citadelle. Et savoir que l'on faisait partie des premières femmes de l'armée, il y avait de quoi flatter l'égo. Iris rêvait justement du jour où elle reviendrait dans son village et qu'elle montrerait son uniforme de soldat à la seule personne qui se souciait vraiment d'elle. Le sourire de sa grand-mère voulait tout dire à ses yeux, elle constatait sa fierté à travers son regard creusé par ses rides.
- Iris, si tu m'entends, ne... ne bouge surtout pas ! s'exclama une voix dans un chuchotement.
Dans son rêve, la jeune fille haussa les sourcils et tourna la tête vers un amas de cocotiers. Mais il n'y avait personne.
- Quelque chose ne va pas ? lui demanda sa grand-mère. Tu as l'air inquiète.
- J'ai cru entendre quelqu'un me parler. Une connaissance, je crois.
La vieille femme ne dit rien. Pendant ce temps, un vent chaud, presque trop réaliste, passa sur son visage et fit grimacer la châtaine. Il transportait une odeur nauséabonde peu ordinaire à Écaraille.
- Je crois qu'il est temps que tu te réveilles, déclara sa grand-mère avec gravité. Tu vois bien qu'il se passe quelque chose d'anormal.
- Comment ça ?
Un nouveau souffle d'air chaud lui balaya le visage et la fit frémir inexorablement. Son subconscient l'alertait aussi.
- Sur... Surtout, n'ouvre pas les yeux... poursuivit le chuchotement précédent. Je sais que tu m'entends alors... fais... fais ce que je te dis et ne bouge pas...
N'était-ce pas la voix de Thomas qu'elle entendait à travers son rêve ? Pourquoi lui parler pendant son sommeil ? Dorénavant, Iris était réveillée bien qu'elle gardait les yeux fermés, trop fatiguée pour les ouvrir. Pourtant, un détail attira son attention : ce même souffle sur ses joues, accompagné d'une odeur putride qui lui retourna l'estomac. Elle percevait même un vague grondement étouffé jusque-là inconnu. Par instinct de survie, la lancière souleva ses paupières avec lenteur puis discerna, malgré la pénombre, une forme noire au-dessus de son visage. D'abord floue, elle devint de plus en plus nette et dévoila un visage déformé par les cicatrices, sans yeux mais possédant tout de même une bouche ouverte d'où on pouvait apercevoir des dents noires et pourries. Les longs cheveux noirs de crasse tombaient sur le côté et lui effleuraient les joues par moments. Face à cette vision d'horreur, le sang d'Iris se glaça tandis que son cœur ratait un battement et entraînait le saisissement de tous ses muscles. Sa poitrine se bloqua tant qu'elle ne parvint plus à respirer ni même à émettre le moindre son.
- Iris, reste calme ! la supplia Thomas dans un murmure. Si tu restes immobile, tout... tout se passera bien.
La jeune fille se mit à trembler d'épouvante en dépit des supplications de son camarade. Par les saintes déesses, quelle était cette chose ?! Le Krassen approcha davantage son visage du sien, tant et si bien qu'il lui frôla le nez et lui provoqua une nausée qui força Iris à fermer les yeux avec force. Son heure était venue, elle en avait l'intime conviction. À cause de l'haleine insoutenable du Krassen, le ventre de la châtaine se contracta de façon involontaire et la fit tousser avec force. La créature perçut son mouvement brusque, elle rugit en plein visage de la jeune fille qui poussa un hurlement de terreur. Son avant-bras fut attrapé avec fermeté puis la bête la tira violemment pour l'emmener avec lui.
- Non !! hurla Thomas qui se releva d'un coup.
Les cris des deux apprentis réveillèrent en sursaut les autres voyageurs, dont Astrid qui devait, normalement, monter la garde. Thomas voulut se précipiter vers sa camarade pour l'aider mais une main apparut d'un coup sur le côté, s'écrasa sur son torse puis le plaqua avec force contre le sol, lui arrachant une plainte rauque de douleur. Son souffle se coupa net. Le deuxième Krassen, qui le bloquait, entoura son visage de sa main afin d'avoir une autre emprise sur lui et l'aveugler. Pris de panique, le brun se débattit en donnant des coups de pieds vains dans le vide. Les ongles de la bête tentaient de percer la peau de ses joues pour en faire écouler le sang.
- Lâche-le ! vociféra Léon en abattant son espadon sur elle.
Le tranchant de la lame s'enfonça de quelques centimètres seulement dans la peau du Krassen qui grogna de douleur en lâchant sa proie. Thomas put inspirer de grandes goulées d'air avant de reculer en rampant sur le dos. À tâtons, il chercha son arc et son carquois pendant qu'un combat s'engageait entre les deux Krassens et les autres humains. Link s'était précipité vers Iris pour lui porter son aide avec Pahya. Quant à Astrid, elle aidait Léon.
L'archer posa enfin une main sur son arc. Malgré le tremblement de ses mains, il s'empara d'une flèche en toute hâte, le souffle saccadé et sifflant, puis se retourna vers ses compagnons en bandant son arme. Dans la pénombre environnante, il avait bien du mal à distinguer correctement leurs ennemis, surtout car ils étaient noirs et donc se fondaient dans l'obscurité. Qui viser, et quand ?! Sa panique n'aidait pas, Thomas avait du mal à se concentrer et à penser à son objectif, comme lors de ses entraînements. Et soudainement, il repensa à ce fameux jour. Celui où il avait tiré dans la tête de son frère, dans la précipitation. Le brun le savait. S'il décochait cette flèche...
Il tuerait une nouvelle personne.
Lentement, comme dans un état second, il relâcha la pression exercée sur la corde et abaissa son arc. Une fois de plus, Thomas se sentait pitoyable et inutile. Il avait toujours su qu'être choisi par Link serait une très mauvaise idée. Un archer comme soldat d'élite ? Quelle idée stupide... Les unités militaires à distance n'avaient aucun intérêt en garde rapprochée. Surtout dans la situation actuelle. Un troisième et dernier Krassen se jeta devant lui et déploya ses ailes, obstruant la vue du jeune homme qui ne pouvait plus voir ses compagnons. Il était surplombé par toute sa hauteur, ce qui le paralysa une fois de plus.
- Qu'est-ce que tu fous, gamin ?! s'écria Elzier en s'élançant vers lui.
Il bondit aussitôt sur la créature qui le dépassait largement puis il planta ses crocs acérés dans son cou. Ses griffes entrèrent profondément dans le poitrail du Krassen, le lacérèrent de haut en bas et lui arrachèrent une plainte grave. La créature de l'ombre se courba avant de reculer puis donner des coups puissants dans le ventre de l'elvësch.
- Prends ton arc et vise la tête !
- Je... Je vais te tuer si j'essaie...
Elzier libéra le Krassen de ses crocs puis donna un coup d'ailes afin de le déséquilibrer et tomber. Il tourna la tête vers le brun et lui lança un regard noir.
- T'es un archer, sacré nom de nom ! Je vais l'immobiliser et tu lui porteras le...
Il dut esquiver la créature qui se jetait sur lui.
- Coup de grâce ! termina Elzier qui montra les crocs à son ennemi.
Il lui asséna une attaque à l'aide de ses pattes arrière puis revint à la charge en lui mordant le cou une deuxième fois. Dans un geste féroce, l'elvësch donna un à-coup sur la gauche et fit basculer sa proie sur le côté, avec lui. Il tâchait de le maintenir à terre grâce à ses pattes et de ses griffes, mais ce n'était pas chose aisée. Quant à Thomas, il restait figé. À cette distance, s'il ratait son tir, Elzier en mourrait. En tant qu'archer, une seule solution s'offrait à lui ; frapper avec son arc serait stupide et totalement inefficace en plus d'être peu pratique. En revanche, la flèche en elle-même...
Dans un geignement plaintif, le jeune homme se redressa, agrippa fermement le projectile après avoir pris son courage à deux mains puis il se précipita vers le Krassen en criant. De sa main libre, il fit apparaître une surface vitreuse au-dessus du front de la bête, ce qui maintint sa tête bloquée au sol, puis il sauta vers son visage. Thomas utilisa la force décuplée par son saut pour planter la flèche au plus profond de la bouche du Krassen. Il entendit un craquement lugubre certainement dû à la pointe qui se cassait contre une vertèbre cervicale. Après quelques instants d'immobilité qui suivit son attaque, il sentit la créature être prise de convulsions.
- On lui a réglé son compte, l'informa Elzier qui recula.
Ses canines, tachées de sang tout comme ses babines, laissait le liquide rougeâtre s'écouler par un égouttement irrégulier. Peu après, Link vainquit son ennemi puis vint porter main forte à Astrid et Léon qui peinaient à tuer le leur. En effet, ce dernier, plus robuste et agile que les deux autres, usait de ses ailes pour les déstabiliser et les empêcher de trop l'approcher. Le Héros n'eut guère à réfléchir : il préféra user de Cinetis, même si l'effet serait bien ridicule, pour lui donner une ouverture. Des chaînes dorées apparurent et plongèrent vers l'animal avant de le paralyser. Immédiatement, Link passa sous son aile fixe puis enfonça la Lame Purificatrice dans son ventre en serrant les dents. Cinetis se brisa au même moment ; sous la puissance de l'assaut, le Krassen fut contraint de reculer en rugissant de douleur.
- Léon ! l'appela Link s'en se retourner.
Son apprenti prit son espadon à deux mains puis l'abattit dans les jambes de la créature. Cette nouvelle souffrance fulgurante, en plus de la puissance de l'ancien bûcheron, entraîna sa chute. Le prodige fut emporté avec le corps massif et perdit son équilibre contre son gré. Fort heureusement, Astrid intervint à temps, elle vint l'égorger sans une once d'hésitation et le regarda mourir lentement pendant qu'il se vidait de son sang. Link put récupérer son épée et les remercia tous les deux pour leur intervention.
- Link, par ici ! l'interpela Pahya quelques mètres derrière.
Le chevalier accourut vers elle et s'accroupit près du corps d'Iris qui se trouvait à côté. Visiblement, la lancière était en état de choc. Elle revoyait sans cesse ce visage effrayant penché au-dessus d'elle, alors même qu'elle dormait... Cette vision lui donnait des sueurs froides. Pendant combien de temps cette chose l'avait-elle épiée ainsi ? De plus, si son supérieur et Pahya n'avaient pas agi à temps, Iris ne serait déjà plus de ce monde. Son visage avait terriblement pâli et toute force avait quitté ses jambes pour le moment.
- Tu as été blessée ? lui demanda Link en l'inspectant rapidement.
- Capitaine, il... il allait me tuer...
Link garda son expression grave et fit matérialiser une gourde d'eau qu'il lui donna. Le Krassen n'avait pas eu le temps de lui faire du mal mais son bras porterait certainement un gros hématome.
- Je sais. Bois, il n'y a plus de danger.
Elle attrapa le récipient d'une main tremblante puis le porta à ses lèvres. Ses tressaillements firent parfois tomber l'eau à côté mais peu lui importait à cet instant-là. La châtaine manqua même de s'étouffer.
- Sa bouche... Je revois sa bouche...
- Calme-toi, Iris, la pria Pahya en posant une main sur son épaule pour la réconforter. Ils sont morts, tu n'as plus rien à craindre.
La châtaine prit sa tête entre ses mains et commença à pleurer à cause de l'effroi dont elle avait été la proie. Nul doute que cette expérience traumatisante resterait ancrée dans sa mémoire pour longtemps. Dorénavant, Iris aurait trop peur de s'endormir car elle craignait que ces monstres reviennent et terminent leur travail. Derrière eux, ils entendirent Elzier s'adresser à Thomas :
- Tu veux vraiment devenir soldat ? Si je ne t'avais pas un peu poussé, qui sait si un drame ne se serait pas produit ?!
- Elzier, arrête, lui ordonna Astrid qui le rejoignit.
- Que j'arrête ? Ce gamin avait baissé les bras avant même de faire quoi que ce soit ! S'il n'est pas capable de réagir et de se battre, il n'a rien à faire là ! Je ne veux pas confier ma vie à un incapable.
Ses mots touchèrent profondément le brun qui rentra sa tête dans les épaules et pinça ses lèvres. Il... n'était pas un incapable... Sa peur de tuer un camarade avait pris le dessus et l'avait presque plongé dans un état de sidération. Thomas avait pensé qu'intervenir ne ferait qu'empirer la situation.
- Je t'interdis de dire ça de lui, le défendit Léon en s'approchant de l'elvësch. Tu ne sais pas de quoi tu parles.
- Ah bon ? Dans ce cas, je serai ravi de savoir ce qu'il en est. Je l'ai vu abaisser son arc alors que ses propres compagnons étaient en danger !
Un silence pesant s'installa parmi eux, tous scrutèrent Thomas dans l'attente d'une quelconque réponse, d'une explication de sa part. Mais dans de telles conditions, il ne dirait jamais la véritable raison, en particulier car il ne se sentait pas en confiance.
- Ne... Ne lui en voulez pas... articula Iris en se tenant les bras. Il ne voulait pas mal agir...
- Cela ne justifie pas qu'il ne fasse rien pour aider ses alliés dans l'immédiat, répliqua Astrid qui rengaina son épée.
Malgré sa pâleur apparente, Iris fronça les sourcils et osa répliquer, presque d'un air menaçant :
- Vous ne le connaissez pas...
Sur un ton ironique, la soldate de Panah poussa une exclamation puis posa une main sur sa hanche.
- Écoute, nous participons à une mission plus que dangereuse. Nous n'avons pas le temps de connaître la vie de chacun. J'ai besoin de faire confiance immédiatement à mes alliés, je n'ai pas le choix. Mais apprendre que l'un d'eux ne serait pas capable de me sauver la vie dans une situation critique, ça a tendance à m'irriter.
- Il a quand même fini par intervenir, lui apprit Elzier pour diminuer la tension. Il a porté le coup de grâce pendant que j'immobilisais une de ces immondices.
Astrid regarda avec dureté l'archer de la tête aux pieds. Depuis qu'elle avait connaissance de ses dons, elle se méfiait de lui. Même son instinct percevait quelque chose qui n'allait pas chez lui. Elle ne savait pas quoi. Sa seule certitude était que Link en personne l'avait choisi comme apprenti. La soldate devait donc faire confiance au choix du Héros en dépit de sa méfiance.
- Quelles étaient ces choses ? demanda enfin Pahya, toujours près de la lancière. Je n'avais encore jamais vu de tels monstres.
- Je n'en ai aucune idée, mais ils sont effrayants, lui répondit Léon en frissonnant. J'espère qu'il n'y en a pas trop ici.
- En plus, ils sont difficilement discernables... Leur corps se fond plutôt bien dans la pénombre.
Link lui donna raison. Peut-être étaient-ils sur leur territoire et que d'autres de ces créatures se terraient quelque part ? Dans ce cas, mieux valait quitter les lieux au plus vite. Il ne voulait pas d'une autre mauvaise rencontre. En parlant de cela, il se rendit compte que personne ne les avait avertis assez tôt, et cela le mit en colère.
- Astrid, tu étais chargée de monter la garde, il me semble. Et ce n'est pas toi qui as donné l'alerte, lui reprocha-t-il.
Elle se montra très embarrassée et passa une main sur sa nuque. Oui, en effet. Elle avait failli à sa première mission.
- Je suis confuse... s'excusa-t-elle. Crois-moi, j'ai veillé plusieurs heures et j'ai été submergée par la fatigue. Je ne me suis pas rendue compte que je m'endormais.
- Tu aurais dû réveiller quelqu'un d'autre dès l'instant où tu pressentais que tu allais t'endormir. Nous aurions peut-être pu éviter la confrontation. Toi qui parlais de confiance envers ses alliés, montre l'exemple.
- Je m'en excuse sincèrement. Je ne commettrai plus une telle faute à l'avenir.
C'était bien la première fois qu'on la sermonnait. Surtout qu'Astrid était un haut officier de l'armée de Panah alors peu de personnes, mise à part sa famille, se permettaient la moindre réprimande à son égard. Et cela ne lui déplut pas car elle savait qu'il y aurait toujours quelqu'un pour lui montrer la voie. Link soupira puis aida son apprentie à se relever. Il s'assura qu'Iris était en état de marcher puis il se tourna vers les autres, le visage fermé.
- Partons d'ici, nous ne sommes pas en sécurité, déclara-t-il avant de nettoyer la Lame Purificatrice avec un vieux chiffon.
Tout le monde acquiesça et leur voyage reprit. Bien qu'il culpabilisât, Thomas vint rejoindre sa camarade de formation et marcha à ses côtés sans rien dire. Il voyait bien qu'elle ressassait les événements traumatisants. Le regard d'Iris se perdait dans le vide, elle ne prêtait même pas attention à la présence du brun. Elle revivait sans cesse son réveil, ce moment où elle découvrait ce visage monstrueux à quelques centimètres du sien. Si la jeune fille ne s'était pas réveillée, que se serait-il passé ? Cette question la hantait. En fin de compte, si Thomas ne l'avait pas tirée de son sommeil, elle n'aurait pas eu à voir tout cela.
- Thomas, tu savais... qu'ils étaient là ? lui demanda-t-elle d'une voix tremblante.
Même si personne ne se tourna vers elle, tous tendirent l'oreille pendant qu'ils marchaient d'un pas soutenu. Le brun attrapa fermement la corde de son arc qui passait en diagonale devant son torse.
- J'ai le sommeil léger. Ce monstre m'a réveillé car il poussait un grognement étouffé...
Il se souvint de l'effroi éprouvé en le discernant pour la première fois. Un être immense aux ailes de chiroptère et au visage difforme.
- J'ai été paralysé par la peur... En le voyant, j'avais l'impression qu'il était perdu et qu'il ne savait pas quoi chercher. Puis tu as bougé très légèrement...
Un jour, Iris lui avait dit qu'elle se mouvait souvent pendant qu'elle dormait.
- Il s'est dirigé et s'est penché vers toi avant de s'immobiliser. C'est là que j'ai compris qu'il été aveugle. Il n'attendait qu'une chose...
Il déglutit avec gêne.
- Que tu bouges à nouveau... Alors j'ai dû me décider. Ne rien faire et prendre le risque tu fasses le moindre mouvement involontaire. Ou bien te réveiller et prier pour que tu fasses ce que je te dise...
Iris ne dit rien. Elle ne savait même pas si elle devait lui en vouloir ou non. D'un côté, il avait essayé de lui sauver la vie, ainsi que celle des autres. Mais d'un autre, il n'avait rien fait pour attirer l'attention du Krassen. Iris ne chercha pas à réfléchir davantage car son choc, toujours présent, l'empêchait de penser avec cohérence. Son instinct de survie prenait toujours le dessus à cet instant-là, par conséquent, elle ne se focalisait que sur sa propre personne.
- Tu as pris la décision qui te semblait la plus judicieuse, essaya Pahya pour le rassurer. Il est trop tard pour revenir dessus. Au moins, personne n'est mort.
- Nous n'aurons sans doute pas aussi bien agi, ajouta Link. Si on se fie à ce que dit Thomas, ces créatures ne se repèrent qu'à l'aide des mouvements de leur proie. Même si ce n'est qu'une supposition, cela devrait nous aider pour l'avenir.
- D'ailleurs, elles sont sacrément coriaces, ces bestioles, grogna Elzier avec rancune. Le gamin, même si sa présence parmi nous laisse à désirer, a pas mal de force aussi. Faut croire que la peur décuple les capacités.
Surtout pour planter une flèche aussi loin dans la nuque sans le support d'un arc, pensa-t-il en plissant les yeux. Seul le silence de Thomas lui répondit. Que pouvait-il dire de toute manière ? Il n'allait tout de même pas lui expliquer les lois de la physique. Lois dont il ne connaissait que les prémices puisque le jeune homme n'était pas physicien, loin de là. Quoi qu'il en soit, rester vigilant était leur priorité à l'heure actuelle. Les trois Krassens s'avéraient peut-être être des éclaireurs. Link ne l'espérait pas. Après tout, le danger rôdait en permanence autour d'eux. Et il avait le sentiment qu'ils n'étaient pas au bout de leur peine, notamment avec l'odeur de brûlé qui s'intensifiait peu à peu.
Quelque chose avait pris feu non loin. De son côté, Astrid usait de son ouïe très développée pour capter le moindre son suspect. Pour le moment, excepté le bruit causé par le petit groupe, elle ne percevait que l'écoulement de la rivière quelque part sur leur gauche. Elle proposa ensuite de manger puisque certains semblaient avoir faim au vu des gargouillements qu'elle percevait. Link matérialisa donc du pain ainsi que des fruits séchés en guise de petit-déjeuner. La tablette sheikah avait pour avantage de très bien conserver les aliments puisqu'ils passaient dans une sorte de seconde dimension empêchant le temps d'agir sur eux. Toutefois, il fallait faire attention à la diminution du stock pour ne pas être à court de vivres.
Iris refusa de manger, elle n'avait pas le cœur à cela. Link la força à prendre au moins un morceau de pain puis il jeta un coup d'œil à la carte ; ils allaient bientôt passer sous la région de Necluda, cette partie d'Hyrule juste au-dessus de Firone. Il plaça une balise rouge sur leur position actuelle puis remit la relique à sa ceinture. Le chevalier observa l'environnement inchangé depuis leur arrivée. Comment un tel lieu avait pu être oublié ? Il ne figurait dans aucun livre, aucune archive... Seule Impa et le feu roi semblaient connaître une once de l'histoire du temple. Mais tout le reste avait été effacé de la mémoire du royaume. Comme une page de l'Histoire dont on ne voudrait plus se souvenir et qu'on aurait arrachée volontairement.
oOo
Le groupe marcha une vingtaine de minutes avant d'apercevoir une lueur orangée et vague devant eux. Elle tremblait par moments mais finissait toujours par se stabiliser. Ils s'arrêtèrent et se regardèrent avec incompréhension. C'était la première fois qu'ils voyaient une source de lumière autre que les gemmes nox ou leur torche. Avec précautions, ils avancèrent jusqu'à distinguer un feu mourant. Il dégageait une fumée noire qui s'élevait vers la voûte et s'échappait par les fissures de petites tailles.
- Qu'est-ce que c'est que ça ? fit Léon en pointant une silhouette large et obscure.
Ses compagnons plissèrent les yeux.
- On dirait... une cabane ? supposa Pahya en échangeant un regard avec le grand blond.
- Attends, y en a d'autres par là.
Plus ils approchaient, plus ils découvraient de nouveaux foyers qui s'éteignaient peu à peu. Ils comprirent enfin qu'il s'agissait, en fait, d'autres cabanes qui avaient brûlées il y avait plusieurs heures. Le groupe se trouvait au sein d'un village dévasté. Iris poussa un nouveau cri d'horreur en apercevant un tas de corps à une quinzaine de mètres. Certains à moitié calcinés, d'autres mutilés tant par des armes blanches que par la corruption. La malice jonchait quelques parcelles de terre par endroits, quand ce n'était pas les cadavres. Des villageois, sans doute des Hyliens, assassinés avec barbarie au vu de leur état. Des adultes, hommes comme femmes, des enfants et des vieillards. Certains d'entre eux s'apparentaient à des guerriers. Ce spectacle les choqua tous les sept.
Cette vision morbide serra le cœur de Link qui ne marchait plus. Il regardait ce carnage avec pitié et regrets. Qui pouvait bien faire une chose aussi ignoble et inhumaine ? Décimer un village de la sorte... Il y avait bien des humains sous terre. Et des conflits les divisaient aussi. Tout aussi choqué que les autres, voire plus, Thomas eut un mouvement de recul et percuta le mur d'une cabane encore intacte. Toutes ces morts inutiles et innocentes, c'en était trop pour lui. Il ressentait toute la douleur qui avait eu lieu dans ce village. Toutes ces familles déchirées, ces proches qui ne se reverraient plus... Et quelque part, il percevait encore une âme qui se rattachait à la vie. Peut-être qu'en arrivant à temps, le jeune homme pourrait la sauver. Brusquement, il s'élança sur sa droite et traversa un nuage de fumée qui planait malgré tout.
- Thomas ! l'appela Léon en le voyant s'éloigner en courant.
Link l'arrêta d'un signe de la main, le dissuadant de le suivre. Son apprenti se résigna à rester sur place et laissa son supérieur rejoindre son camarade. Le prodige dut cacher sa bouche au sein de son coude afin de ne pas trop inhaler de fumée. Par la même occasion, il constatait encore plus les ravages orchestrés par l'Homme, toute la destruction dont il était capable pour parvenir à ses desseins. Link se remémora sa première bataille, là où il avait vu par lui-même la laideur de la guerre et la cruauté des combats. Il souhaitait un monde de paix, mais ce n'était qu'une utopie, hélas.
Au coin d'une hutte, le chevalier aperçut une silhouette accroupie et penchée au-dessus du sol. Il ralentit son allure jusqu'à marcher puis il s'arrêta à son niveau, l'air peiné. Thomas se tenait auprès du corps d'un nourrisson âgé de quelques mois. Son père se trouvait près de lui, face contre terre. Le brun frémit. Il plaça ses mains de part et d'autre de la tête du bébé, de manière à ce que ses paumes soient concaves vers l'avant. Ce que vit Link lui coupa le souffle : une fine fumée bleutée, presque une flamme transparente, se dévoila. Elle s'accrochait désespérément au petit corps frêle dont la poitrine se soulevait à intervalles irréguliers, signe d'une gêne respiratoire et d'une souffrance manifeste. Car le nourrisson avait été mortellement blessé pour son âge. Au moment où la fumée se détachait et se dissipait, il cessa de respirer. Abattu, Thomas plaqua ses mains à terre et posa sa tête contre elle avant de pleurer. Il était trop tard pour le sauver, trop de sang s'était écoulé de sa plaie ventrale.
- C'est... si injuste... déplora-t-il d'une voix tremblante. Comment peut-on en arriver là ? Où est... la considération de la vie humaine ?
Il eut un hoquet en voulant retenir un sanglot. C'en était trop pour lui, il ne pouvait supporter ces visions de chaos. D'abord son frère, puis Hyrule, et enfin ce village... Quelle naïveté de s'être engagé dans l'armée pour protéger le royaume quand on sait que cela peut impliquer de tuer ou de voir la réalité des conflits. À ses côtés, Link l'observait avec tristesse, ne sachant pas quoi lui dire sur le moment.
- Que l'Alpha... accueille leurs âmes et veille sur elles jusqu'à la fin des temps, prononça Thomas malgré tout.
Son supérieur fut surpris qu'il connaisse l'esprit de ce grand sage du mont Satori. Peu d'Hyliens en avaient déjà entendu parler, comme si ce siècle passé avait aussi effacé son nom. Mais après tout, si le don de Thomas lui permettait d'entrer en lien avec l'Au-delà, ce ne devrait pas étonner Link. Le brun se releva avec nonchalance, une main sur le ventre car cette scène chaotique le rendait malade.
- Capitaine, je demande la permission de quitter cet endroit...
Il ne pouvait supporter plus longtemps cette atmosphère lugubre, assombrie par les décombres et la présence des corps inanimés. Et par respect pour les morts ainsi que leur repos éternel, il ne voulait pas rester et contempler ce triste spectacle.
- Partons d'ici. Rester pourrait nous exposer à un autre danger, déclara Link en détournant le regard des silhouettes inertes.
Il s'éloigna de quelques mètres, attendit que Thomas le suive puis reprit sa marche vers le reste du groupe. Les autres se cachaient le nez à cause de l'odeur prenante de la fumée et du sang. Tous désiraient poursuivre leur périple au plus vite.
- Je crois qu'il n'y a aucun survivant. Ce massacre a eu lieu plusieurs heures avant notre arrivée, dit Astrid en les voyant revenir. Peut-être que la femme que nous avons croisée y a participé, elle était couverte de sang.
- C'est probable. Des Corrompus étaient aussi présents au vu de la corruption qui jonche le sol, ajouta Pahya qui tenait ses bras. Je ne sais pour quelle raison ils s'en sont pris à ces pauvres gens, mais c'est d'une cruauté innommable...
Ils lui donnèrent raison. Un tel carnage ne pouvait être justifié, surtout quand il s'agissait de tuer des enfants puisqu'ils bénéficiaient de l'innocence de leur âge. Et quand bien même, les adultes ne semblaient pas être des guerriers pour la grande majorité, ils n'avaient eu aucun moyen de se défendre.
- Vous avez remarqué ? Ils ont tous les cheveux blancs, énonça Léon pendant qu'ils reprenaient leur route.
- Ce sont peut-être des descendants de mon peuple, supposa Pahya. Ma grand-mère aurait pu nous le certifier si elle était toujours parmi nous...
Sa gorge se noua en l'évoquant tandis que les larmes lui montèrent aux yeux. La jeune conseillère royale les essuya d'un geste vif et accéléra son pas pour ne pas qu'on la voit aussi touchée. Le groupe quitta donc le village dévasté. Les premiers humains qu'ils croisaient dans les souterrains avaient été tués... Ce fait diminua le moral des six braves gens et d'Elzier. Ils espéraient évidemment ne pas avoir de problèmes avec les habitants de ces lieux, mais ce souhait semblait lui aussi utopique. La langue était leur premier obstacle. Sans communication claire avec les indigènes, la situation pouvait virer au drame en l'espace de quelques instants, d'autant plus car ils étaient armés. Il ne fallait pas qu'on les identifie comme des envahisseurs ou autre.
Link jeta un coup d'œil à son bras droit, celui où s'était apposé le sceau vert, maintenant presque gris. Un jour, il s'en servirait. Mais pour le moment, il n'en connaissait pas les capacités. Cette chose avait certes scellé Ganondorf plusieurs millénaires auparavant, mais personne n'était en mesure d'aider le Héros à refaire de même à l'heure actuelle. Toutefois, Link avait une certitude : le sceau ne cessait de drainer son essence chaque jour. Il le ressentait en particulier en fin de journée, avant de dormir ; une fatigue inhabituelle s'emparait de lui. Une sensation incommodante le rendit mal à l'aise. Ne pas savoir ce qui occupait son bras le troublait. Cette chose avait failli le tuer une première fois, rien ne l'empêcherait de recommencer. Peut-être même que ce sceau était dangereux pour ses compagnons.
Le village se trouvait à quelques centaines de mètres derrière eux, ils suivaient la rivière sans vraiment avoir de direction propre. Pahya se rendait compte, comme les autres, que retrouver la princesse serait une tâche bien trop ardue pour être accomplie en peu de temps. Car il fallait fouiller les moindres recoins. Lorsque l'Homme se perd, il a tendance à vouloir rejoindre un endroit habité, à trouver la moindre trace humaine qui pourrait le guider. Zelda y avait sans doute réfléchi et s'était réfugiée dans un autre village souterrain, dans la mesure où il y en aurait plusieurs mis à part celui détruit. Il fallait donc découvrir où se cachaient les autres habitants de cet endroit. Et espérer que tout se passe pour le mieux.
- Je suis sur une piste, annonça soudainement Elzier qui humait bruyamment le sol. Elle empeste l'humain à plein nez.
- Récente ? lui demanda Astrid qui tourna la tête vers lui.
Il ne fit que lever ses yeux jaunes vers elle.
- Plutôt, oui. Une heure ou deux, tout au plus.
- C'est peut-être la femme d'hier... le prévint Iris qui se remettait lentement de son état de choc.
- Non, les odeurs sont différentes.
La soldate de Panah se tourna vers le prodige et lui demanda ce qu'il en pensait. Ce dernier n'eut pas besoin de pousser sa réflexion : suivre cette odeur les mènerait sans doute à des survivants. Mais il avait peu d'espoir que cela lui apporte des réponses à propos de Zelda. Elzier marcha donc en tête de file, les six compagnons lui emboitant le pas. Des taches de sang éparpillées parsemaient le sol à certains endroits, attestant d'une ou plusieurs blessures graves. Caï recherchait justement des fuyards. Il s'agissait très certainement des personnes à qui appartenait ce sang. Elzier releva la tête vers une côte très escarpée sur leur droite. L'odeur quittait la route principale, comme si les humains avaient privilégié une voie difficile d'accès pour perdre leurs poursuivants. On pouvait apercevoir de la corruption recouvrir un amas de rochers, signe que les soldats du néant n'avaient pas lâché l'affaire de sitôt.
Après avoir gravi la côte – Iris avait failli déraper et se blesser grièvement -, ils furent devant des dizaines de stalactites qui cachaient, en contrebas, un lac souterrain d'une grande beauté. Pareil à celui dans la cavité du guide Miz'Kyosia, des cristaux luisaient sous l'eau et dévoilaient même la présence d'espèces de poissons jusque-là inconnues.
- L'odeur s'arrête ici, les informa Elzier en plissant les yeux. Ils ont probablement sauté dans le lac.
- De cette hauteur ? s'étonna Pahya qui se penchait légèrement dans le vide.
L'elvësch ricana.
- Ce n'est qu'une quinzaine de mètres de haut. J'ai déjà fait bien plus comme saut.
- Ce n'est pas comparable, tu peux voler.
- Quoi, tu veux quand même pas que je vous porte jusqu'à la rive, si ?
Les regards pesants qui se posèrent sur lui, durant un long instant, le firent déglutir et regretter ses paroles. Avec sa nouvelle taille, il pouvait transporter deux personnes, tout au plus. Et quand bien même, Elzier n'acceptait qu'Olympe sur son dos.
- Je monte en premier avec Thomas, proposa Astrid qui s'approcha de la créature. Il faut bien deux personnes capables de surveiller l'arrivée des autres, si quoi que ce soit devait arriver. Link, il vaudrait mieux que tu restes ici et que tu partes en dernier avec Pahya.
- Entendu. Faîtes bien attention là-bas.
Son inquiétude la toucha. Sans demander l'avis d'Elzier, elle retira sa selle, devenue trop petite, la donna à Link pour qu'il la dématérialise puis elle sauta sur le dos de l'animal. Astrid dut ordonner à l'archer de l'imiter. Ce dernier se montra réticent sur le moment mais s'y plia lorsqu'il se rendit compte que tout le monde attendait après lui. Il prit place derrière la soldate et attrapa les rênes qu'elle lui donna pour se tenir. Quant à elle, ayant parfois l'habitude de chevaucher Eldry sans harnachement, elle s'agrippa aux deux longues plumes souples, particulièrement bien ancrées, qui partaient des arcades sourcilières de l'elvësch. Sans les prévenir, il ouvrit ses ailes puis bondit dans le vide en prenant soin de ne pas piquer vers le lac. De ce fait, ses cavaliers ne seraient pas déstabilisés et ne tomberaient pas.
- Les autres sont sans doute dupes, mais ce n'est pas mon cas, dit soudainement Astrid alors qu'ils planaient. Tu n'es pas un humain normal.
Elle attendit une réponse, une quelconque réplique en guise de défense, mais seul ce silence si commun à Thomas lui répondit. Et cela l'étonna car n'importe qui aurait voulu infirmer ce genre de propos à son encontre. Étrangement, cela la mit mal à l'aise.
- J'ai raison puisque tu ne dis rien.
- Nous ne nous connaissons pas donc je n'ai rien à te dire, rétorqua-t-il sèchement pour nuancer ses propos.
- Je n'ai pas besoin de te connaître pour voir l'évidence.
Le bord du lac se rapprochait rapidement, il tardait à Thomas qu'ils s'y posent et qu'il puisse s'éloigner pour avoir la paix.
- J'ai honte de l'histoire de mon peuple, mais au moins, grâce à elle, mes sens sont plus sensibles à propos de certains sujets. Notamment en ce qui concerne Ganondorf puisque nous descendons en partie de ses démons.
Les yeux du brun s'agrandirent légèrement. Elle délirait, non ? Pour dire des inepties pareilles...
- Tu es en train d'insinuer que je serais de son côté depuis le début, ce qui ferait de moi un espion ?
- D'une certaine manière, oui. Mais tu es si peu confiant en toi et trop peureux pour en être un à mes yeux. Pourtant, tu es comme moi, lié à lui d'une quelconque manière.
La colère monta brutalement en lui.
- Tais-toi ! Comment est-ce que tu peux dire ça alors que mon frère et mon père sont morts à cause de Ganon ?!
Ils furent de nouveau au-dessus de la terre ferme. Thomas n'hésita pas une seule seconde et sauta bien qu'Elzier volait toujours. Astrid l'imita et renvoya aussitôt l'elvësch pour qu'il aille chercher les autres. Elle voulut s'avancer vers le jeune homme par la suite mais il créa un bouclier entre eux pour l'empêcher d'aller plus loin.
- Ne m'approche pas ! cria-t-il sur la défensive. Je ne veux pas avoir affaire à quelqu'un comme toi !
Il recula par précaution, encore plus méfiant vis-à-vis d'elle.
- Je hais Ganon... de tout mon être... prononça-t-il en baissant la tête. Je n'ai jamais autant haï une entité de toute ma vie. Alors... n'essaie pas de me rattacher à lui.
La châtaine resta silencieuse. En fin de compte, elle s'était peut-être trompée dans son analyse. Même si Thomas n'était pas lié à Ganondorf, il possédait en lui une noirceur qui l'en rapprochait. Astrid restait vigilante puisqu'elle faisait confiance en son intuition. Voyant qu'elle ne voulait plus lui parler, Thomas fit disparaître la protection vitreuse puis alla s'asseoir sur un rocher en attendant l'arrivée du reste du groupe. La mission était déjà assez dure à vivre pour lui, il n'avait pas envie qu'une folle en rajoute avec ses accusations incohérentes. Soudain, sa vue se brouilla un instant et manqua de le faire vaciller. Machinalement, il porta une main au-dessus du tatouage de son totem et il plissa les yeux. Lui aussi était en proie à des périodes de fatigue depuis qu'il avait absorbé une partie du sceau de Link. Et elle se manifestait à n'importe quel moment même s'il tâchait de le cacher.
- Tout le monde est prêt à reprendre la route ? demanda Pahya quand ils furent réunis, plusieurs minutes plus tard. Il vaut mieux éviter de rester trop longtemps au même endroit.
Elzier secoua son pelage dans tous les sens pendant qu'elle parlait, cherchant sûrement à se débarrasser des traces humaines sur lui. Cependant, il se figea lorsqu'il perçut une odeur bien plus forte dans l'air. Mais avant même de pouvoir avertir Astrid, une quinzaine d'hommes et de femmes bondirent devant eux alors qu'ils étaient cachés, jusqu'à présent, derrière les nombreuses stalagmites du lieu. Aussitôt, Léon et la soldate de Panah prirent leur arme en main et se rapprochèrent de Link pour le protéger.
- Ne bougez pas ou vous serez criblés de flèches ! les avertit un homme avec un accent prononcé.
C'était de l'hylien, les voyageurs purent le comprendre et en furent même stupéfaits. Les indigènes avaient les cheveux blancs et portaient des habits qui semblaient appartenir à un temps ancien tant ils n'étaient plus d'actualité et en mauvais état. Certains de ces guerriers inconnus avaient été blessés au vu des bandages sur leurs bras ou leur tête.
- Restez près de Link ! ordonna Astrid qui gardait un calme exemplaire pour les apprentis. Il ne doit pas être blessé !
En l'entendant parler, les guerriers haussèrent les sourcils, eux aussi pris de court, puis les archers bandèrent leur arc. Le prodige sentait qu'ils perdaient le contrôle de la situation et que tout pourrait déraper s'il n'agissait pas. Il posa donc une main sur l'épaule de la châtaine et la regarda avec assurance.
- Astrid, baisse ton épée. Rappelle-toi : nous ne sommes pas leurs ennemis.
- Mais...
Elle jeta un coup d'œil aux guerriers qui l'épiaient mauvaisement. Rengainer son arme serait de la folie s'ils attaquaient. Cependant, elle savait pertinemment qu'en pointant son épée vers eux, elle montrait un signe d'hostilité et donc de danger à leurs yeux. Tout comme Léon, elle rangea son arme et leva les mains en l'air.
- Nous ne sommes pas vos ennemis, déclara Link d'une voix forte pour être entendu. Nous traversons votre territoire pour retrouver quelqu'un.
- La démone nous a dit la même chose et elle a quand même détruit notre village ! répliqua une femme avec rage. Vous êtes habillés comme elle, assassins ! Vous allez payer pour tout le mal que vous nous avez fait !
- Attends, Seria. Ce ne sont pas des êtres faits de chose. Il n'y avait qu'une seule humaine avec eux, et je ne la vois pas ici.
La guerrière se tourna vers le premier de ses compagnons qui avait parlé. Elle pointa le petit groupe de sa lance et s'exclama :
- Tu ne comprends donc pas, Ulani ?! Ils sont là pour traquer les survivants et nous décimer !
- S'ils nous voulaient du mal, ils n'auraient pas baissé leurs armes, répliqua-t-il froidement. Et en l'absence de Ren, je suis le seul à avoir le droit de décider s'ils vivront ou non.
Le guerrier, âgé d'environ trente-sept ans – même s'il ne saurait en avoir la certitude –, reporta son attention sur le dénommé Link et choisit de s'avancer un peu avec prudence.
- Jetez vos armes au sol et vous aurez la vie sauve pour le moment ! ordonna-t-il avec fermeté. Si nous jugeons que vous ne représentez pas un danger pour notre clan, elles vous seront rendues et vous serez libérés.
Choquée, Pahya se tourna immédiatement vers Link.
- Link, non ! Tu ne peux pas leur laisser la Lame Purificatrice !
Il soupira puis lui adressa un regard posé, étonnamment rassurant.
- Ne t'en fais pas, je suis le seul à pouvoir la manier. Elle ne pourra jamais tomber entre de mauvaises mains.
- Mais tu ne peux pas te rendre ! Qui sait s'ils disent la vérité...
- Je crois que nous n'avons pas vraiment le choix. Et n'oublie pas que je porte la tablette.
En effet, il possédait toutes les armes stockées à l'intérieur, les indigènes n'en avaient pas connaissance. À contrecœur, les six compagnons jetèrent leurs armes au sol et virent les guerriers s'en emparer. Ce fut Ulani qui s'apprêtait à prendre la Lame Purificatrice.
- Veillez à toujours toucher le fourreau, le prévint Link pour éviter tout incident. Cette arme est plus dangereuse qu'elle n'y paraît.
L'homme le jaugea sérieusement, il se demandait si ce jeune inconnu à la chevelure blonde se moquait de lui. Ulani attrapa l'épée de légende par son étui, au plus grand soulagement du Héros, puis il donna l'ordre d'entourer les prisonniers. Ces derniers se laissèrent faire sans opposer de résistance. De toute manière, que pouvaient-ils faire d'autre ? Rien. Ils durent marcher une bonne dizaine de minutes avant d'arriver face à un tunnel au sein d'une paroi. Il était dissimulé par de longues racines mortes qui tombaient de la voûte. Les indigènes s'y engouffrèrent, poussant par moments Léon vers l'avant car il n'avançait pas assez vite à leur goût. Ils débouchèrent dans une petite cavité, de forme ovale, qui recueillait déjà en son sein une vingtaine de personnes. La grande majorité était elle aussi blessée, comportant des personnes de tout âge et de tout sexe. Quand ils virent ces nouveaux arrivants aux habits d'ailleurs et aux couleurs de cheveux atypiques, ils hurlèrent pour certains, d'autres les injurièrent tout en lançant des cailloux sur eux.
- Il fallait les tuer ! s'écria une villageoise qui avait perdu son mari dans l'attaque.
- Ils sont de mèche avec la démone, ils viennent finir leur carnage !
On leur reprocha tous les maux du monde, si bien qu'Ulani dut intervenir pour asseoir son autorité.
- Du calme ! vociféra-t-il. Je comprends votre colère, votre tristesse et votre peur ! Mais Delun nous a tous appris à ne pas tuer les innocents.
Le chef provisoire fit face à Pahya puisqu'elle possédait aussi une chevelure blanche malgré sa tenue singulière qui n'avait aucune pareille à Delteha.
- Qui est le chef de votre groupe ? leur demanda Ulani d'une voix ferme. C'est à elle ou lui que je poserai mes questions.
Les Hyruliens regardèrent Link en même temps. Celui-ci ne flancha aucunement, il se doutait bien qu'il devrait prendre la parole en leur nom à un moment ou à un autre.
- C'est moi, dit-il simplement.
Ulani aurait plutôt pensé qu'il s'agissait d'Astrid au vu de son allure, voire de Léon. Toutefois, il ne porta guère de jugement car les siens s'impatientaient et attendaient des réponses.
- Bien. Décline ton identité et donne-nous la raison pour laquelle tu traverses notre territoire ! Tu n'es pas le premier étranger que nous voyons depuis peu. Ta présence représente un réel danger pour nous.
- Je m'appelle Link, je suis un guerrier.
Ce dernier mot fit froncer les sourcils de beaucoup d'indigènes.
- Je ne suis pas ici pour me battre, ajouta-t-il hâtivement pour ne pas attiser leur courroux. Je suis à la recherche de Zelda. Je suis son fian...
- Il a les mêmes desseins que la démone ! hurla un jeune homme armé d'une lance. Elle cherchait aussi Zelda !
« Aussi » ? se répéta Link, stupéfait. Ils connaissaient la princesse ? Cela voulait donc dire qu'elle avait bien traversé le village ! Mais était-elle seulement encore en vie ? L'Hylien ne put le demander car les villageois, hors d'eux, attrapèrent tout ce qui pouvait faire office de projectile. Même les guerriers, entraînés par cet élan de folie, brandirent leurs armes tandis que les archers s'apprêtaient à décocher définitivement leur flèche.
- Attendez ! s'exclama une voix fatiguée qui fut couverte par les cris de colère.
Avant que les projectiles et les lances ne fusent vers les étrangers, Thomas bondit devant Link et écarta précipitamment les bras. La création d'une grande sphère transparente suivit son mouvement et entoura les sept compagnons pour les protéger. Les flèches et les autres armes vinrent la percuter mais ne réussirent pas à la briser car la force mise dans les lancers était bien en deçà de celle de Caï, par exemple. Suite à cela, il eut un moment de flottement et d'incompréhension. Cette magie effraya les rares enfants rescapés et obligea les adultes à reculer d'un pas, par précaution. Thomas relâcha toute la pression emmagasinée pour préserver son sort ; le bouclier vola en éclats qui se dissipèrent au sein de l'espace confiné. Son regard glissa vers Astrid pour lui dire en silence : « j'espère que tu es convaincue que je suis du bon côté ».
- Ne tirez plus ! ordonna une vieille femme qui parvint enfin à se faufiler entre les siens.
Ulani la retint par le bras pour la protéger et l'empêcher d'aller plus loin.
- Omi, ne t'approche pas ! Ils ont un démon parmi eux.
- Le démon n'existe que dans le cœur des hommes, mon pauvre petit, rétorqua-t-elle sur un ton froid. Ces gens-là sont aussi démoniaques que toi et moi.
Elle s'arracha de son emprise en le foudroyant du regard puis elle s'avança vers le Héros avec méfiance. Il cherchait Zelda et il se nommait Link. Ce prénom que la blonde avait si souvent répété dans ses songes et qui s'avérait être, au final, celui de son compagnon.
- Une jeune femme aux cheveux courts couleur feu et aux yeux verts a vécu parmi nous un certain temps, commença-t-elle après s'être arrêtée à cinq mètres du chevalier. Je veux m'assurer que tu la connaisses réellement.
Pas comme cette Caï lorsqu'elle était venue la première fois.
- Es-tu capable de me donner un signe qui prouve que ce soit bien elle ?
Le cœur du jeune homme s'emballa tant la joie et le soulagement qu'il ressentait étaient puissants. Ses yeux se mirent à briller à cause de l'émotion.
- Elle porte une broche en forme de fleur bleue dans ses cheveux, ainsi qu'un bracelet ayant une pierre de la même couleur, assura-t-il avec espoir. Je les lui ai offerts.
Il retint sa respiration quand elle le fixa silencieusement, l'air grave. Omi reporta son attention sur ses semblables et, d'une voix forte mais tremblante, annonça :
- Il n'est pas notre ennemi. Ce jeune homme est le compagnon de Zelda.
- C'est la faute de cette étrangère si notre village a été détruit ! répliqua un guerrier avec rage. Il doit payer pour cela. Le malheur qui s'est abattu sur notre village est dû à Zelda...
- Si Ren lui fait confiance, alors je lui fais confiance, déclara la doyenne avec conviction. Et vous devriez faire de même ! Notre village a été détruit car Jian et Seba nous ont trahis. Vous le savez pertinemment...
Nombreux d'entre eux baissèrent la tête, d'autres pleuraient en silence la perte de tous leurs biens. L'offensive de Caï et des Corrompus avait pris tout le monde par surprise, personne ne s'attendait à les voir si tôt car, selon Ulani, le village d'Eorin aurait dû être attaqué avant eux. Ce qui, au final, n'avait pas été le cas à cause de la trahison manifeste de Jian. Ce dernier n'avait eu aucun mal à trouver l'épéiste, restée dans la région sous les ordres de son maître. De plus, elle s'était toujours méfiée des propos avancés par Ren, ils ne l'avaient guère convaincue. Alors quand ce Jian était venu la voir pour dénoncer la descendante d'Hylia ainsi que le village d'Altoz, ce fut un moment de satisfaction total. On lui avait menti, ils en subiraient les conséquences.
- Vous connaissez Zelda ! se réjouit Link qui avait du mal à contenir son soulagement. Je vous en prie, dites-moi où elle est !
Son agitation remit les sens en alerte des guerriers indigènes qui le menacèrent une nouvelle fois avec des lances et des flèches. D'un signe de la main, Ulani leur ordonna de se calmer et de rester à leur place.
- J'aimerais parler à ce garçon, lui demanda Omi avec sérieux. Tu auras tout le loisir d'interroger ses compagnons pendant ce temps.
- Il est peut-être dangereux... Qui sait s'il ne s'en prendra pas à toi ?
Elle haussa les épaules.
- Je ne suis qu'une vieille femme, maintenant. S'en prendre à moi serait une perte de temps, je n'ai plus aucune valeur.
Omi demanda à ce qu'on continue à soigner les blessés durant sa prochaine conversation avec Link. Elle le dévisagea une nouvelle fois puis lui fit signe de la suivre. Le prodige rassura ses compagnons qui voulaient l'en détourner, par pure prudence, avant d'engager le pas lent de la vieille femme. Toujours au sein de la même cavité, elle le mena dans un coin plutôt à l'écart et le pria de s'asseoir à même le sol. Link s'exécuta sans broncher et s'assit en tailleur. Il vit Omi s'accroupir avec lenteur puis prendre appui sur ses genoux. Elle n'avait été blessée qu'à la tête et à la main car l'assaut avait débuté de l'autre côté du village, lui laissant le temps de fuir. Mais elle culpabilisait à s'en rendre malade car de nombreux jeunes gens, bien plus utiles à la communauté, avaient été tués à sa place.
- Je ne comptais plus le nombre de fois où Zelda a prononcé ton nom durant son sommeil, sourit-elle tristement. J'ai longtemps pensé que tu avais été néfaste pour elle. Mais en fin de compte, je me suis trompée.
Elle entremêla ses doigts.
- Je suis heureuse pour elle. Tu es venue la chercher.
- Comment va-t-elle ? s'enquit de savoir Link. S'il vous plaît, dites-moi que Zelda est saine et sauve...
Omi hocha la tête calmement.
- Elle l'est. Hélas, elle nous a quittés depuis peu.
La déception de Link fut nettement visible.
- Tes compagnons et toi ne viennent pas d'ici, n'est-ce pas ? Je me dois de te mettre au courant.
Omi lui expliqua comment et où elle avait trouvé Zelda, puis toutes les conséquences qui en avaient résulté. Son amnésie due à la Rivière des Tourments et toute la solitude qui l'avait rongée après cela. Link fut réellement atterré de l'apprendre. Sa fiancée avait aussi perdu la mémoire et connu la détresse engendrée. Et ce, depuis deux mois ? Son cœur se serra avec tant de force que sa gorge se noua. Elle avait dû se réveiller seule, sans mémoire, dans un lieu inconnu à ses yeux. Link savait ce qu'elle avait dû ressentir, et il avait toujours espéré que cela n'arrive à personne. Hélas, ce malheur avait frappé Zelda sans qu'il ne puisse rien faire.
Cette rivière était donc la source des maux de sa fiancée. Et si... elle avait alimenté l'eau du sanctuaire de la Renaissance ? Après avoir changé la source qui approvisionnait la cuve, Pru'ha avait noté l'absence totale de perte de mémoire. Il pouvait donc y avoir un lien, bien que cela reste à vérifier.
- Elle a traversé toutes ces épreuves, et moi, je l'ai abandonnée... souffla-t-il pendant que ses épaules s'abaissaient. Tout cela est de ma faute. Et si j'avais agi comme un adulte, la calamité ne se serait pas abattue sur nos terres, ni sur les vôtres...
- Je ne comprends pas trop ce à quoi tu fais référence, mais quoi qu'il en soit, il est trop tard pour avoir des regrets. Nous n'en avons ni le temps, ni le luxe...
Elle soupira : tout comme les siens, ce garçon devait quitter les lieux au plus vite même si ce n'était pas pour la même raison. Les survivants d'Altoz devaient trouver un nouveau refuge à Delteha en attendant le retour de Ren tandis que Link voulait rejoindre Zelda.
- Ta compagne est partie en direction du territoire soneau, lui indiqua-t-elle finalement. Tout ce que je sais, c'est qu'elle a une mission à accomplir sur vos terres. Si Ulani vous laisse partir, il te faudra te hâter. Elle doit déjà être loin à l'instant où je te parle.
- Comment puis-je la retrouver ? Je n'ai aucun repère ici...
Omi lui apprit qu'il se tenait au sein de Delteha en ce moment même et l'informa du chemin à prendre : rien de plus simple pour l'instant, il lui suffisait de longer la rivière jusqu'au prochain village soneau. L'une des suppositions de Link se confirma pour de bon : une partie d'entre eux avait bien survécu en traversant le temple. La doyenne ajouta que, cependant, le chemin serait long et dangereux car quelques monstres de fer l'arpentaient toujours.
- Je ne connais pas assez bien Zelda pour comprendre le destin qui l'attend, poursuivit-elle en fermant les yeux. Si les enjeux n'avaient pas été de taille, je ne l'aurais pas laissée partir, et elle aurait sans doute péri avec ma petite-fille... Mais laisse-moi te rassurer, elle n'est pas partie seule. Deux guerriers l'accompagnent et la protègent, elle et le petit.
- Le... petit ? répéta-t-il avec incompréhension.
- Oui. J'aurais dû lui dire qu'on ne s'engage par dans un périple aussi dangereux lorsqu'on attend un enfant... Mais elle était si déterminée à l'entreprendre qu'elle ne m'aurait jamais écoutée.
Elle s'arrêta de parler face aux yeux écarquillés du jeune homme et à son visage qui se décomposait à une vitesse qu'elle n'aurait jamais soupçonnée. Lui qui avait le teint foncé comparée à elle, Omi le vit blêmir à vue d'œil alors qu'il n'osait même plus respirer. En fait, le monde s'abattait littéralement sur les épaules du jeune homme que personne n'avait préparé à une telle nouvelle.
- Je vais... être père ? prononça-t-il, hébété.
Sa question étonna la vieille femme qui pensait qu'il serait au courant au vu du stade de la grossesse. Elle se trouvait approximativement entre le troisième et quatrième mois hyliens, difficile d'être plus exact.
- Oui, dit-elle sans cacher son étonnement. Il s'agirait même d'un garçon.
C'en fut trop pour Link qui sentit ses forces se vider subitement. Avec lenteur, il prit sa tête entre ses mains et riva son regard perdu sur ses genoux.
- Qu'est-ce que j'ai fait ? Mais qu'ai-je fait, pour l'amour d'Hylia ? murmura-t-il avec effarement. Par... Par ma faute, Zelda est...
Il l'imagina enceinte, et cette simple vision le fit rougir d'embarras et de honte. Sa respiration s'accéléra considérablement tant et si bien qu'il commença à éprouver une certaine gêne et à avoir chaud. Mais cette nouvelle, loin de le réjouir comme tout parent attendant l'heureuse nouvelle, ne fit que rajouter une pression sur ses épaules. Link n'avait que vingt ans, il n'avait encore jamais envisagé d'avoir un enfant. Lui-même ne se sentait pas apte à endosser le rôle de père car cela demandait une certaine maturité qu'il n'avait pas encore. Cependant, il était trop tard pour revenir en arrière, il devait assumer.
- Je ne serai jamais à la hauteur... déplora-t-il en relevant la tête, paniqué. Je... Je ne sais même pas ce que je dois faire !
- Vous n'avez jamais voulu cet enfant ? lui demanda-t-elle en haussant les sourcils.
Bien sûr que non, ils étaient à mille lieues de penser à cela jusqu'à présent. Leur priorité avait toujours été de relever le royaume et de lui permettre de regagner sa grandeur d'antan. Et seulement après, les deux élus s'autorisaient à mener une vie loin de toute obligation. Une vie à deux, pas à trois. Omi constata que son jeune interlocuteur s'enfermait dans un mutisme dû à sa panique naissante et saisissante. Décidemment, à ses yeux, Zelda et Link lui semblaient vraiment perdus dans les prémices de la vie de jeune adulte. Mais elle comprenait leur appréhension à son sujet, car elle-même avait eu son premier enfant à l'âge de dix-neuf ans. Un nourrisson qui n'avait pas passé sa première année de vie à cause des conditions de vie désastreuses des souterrains. La doyenne avait eu besoin de plusieurs années pour bien faire son deuil et accepter l'arrivée d'un nouvel être dans sa famille. Mais jamais encore elle n'avait vu un futur père s'affoler de la sorte.
- Elle doit m'en vouloir terriblement, conclut Link en secouant la tête. Son père m'aurait fait couper la tête s'il était toujours de ce monde...
- Reprends-toi, mon garçon ! Ce n'est pas le moment de se dégonfler, le sermonna Omi en lui donnant une tape sur le haut du crâne. Tu ne peux pas imaginer l'état de panique dans lequel ta compagne était quand elle a appris sa grossesse ! Et je vais te dire une chose.
Bouleversé, Link releva la tête vers elle et la dévisagea avec effarement.
- Lorsqu'elle s'est souvenue que tu étais le père de ce pauvre enfant, elle était soulagée. Si soulagée que Zelda a tout de même accepté sa condition. Et elle a choisi de garder votre bébé. Pour toi.
Pour... lui ? Cela signifiait qu'elle était prête à agrandir leur famille ? Pour le moment, du moins. Link en fut profondément ému, les larmes lui montèrent aux yeux à cause de l'émotion. Il n'aurait jamais pensé que ce sujet l'émouvrait autant. Mais depuis la perte de ses parents et de ses amis les plus proches, la notion de famille avait pris encore plus d'importance à ses yeux.
- Je comprends qu'il te faille du temps pour assimiler tout ça, poursuivit Omi sur un temps plus bienveillant. Je ne souhaite que le meilleur pour une fille aussi gentille et altruiste que Zelda. Alors si je peux aider son compagnon afin qu'elle s'épanouisse, je n'hésiterai pas.
L'Hylien laissa ses mains reposer sur ses genoux puis il baissa la tête. Il tâchait de se ressaisir au mieux.
- Votre village a été détruit, vous avez perdu des proches et pourtant... Vous nous aidez. Je ne sais comment vous remercier...
- Je n'attends pas de remerciements de ta part. Néanmoins, je ne te demanderai qu'une seule chose. Je veux que tu soutiennes Zelda, quoi qu'il arrive. Il n'y a rien de pire que de traverser ces épreuves seule.
À cet instant précis, Link se sentit terriblement impuissant. Évidemment, il désirait toujours autant retrouver sa fiancée, mais il ne savait comment réagir une fois qu'il la verrait. Dorénavant, il se devait de protéger deux personnes. En dépit des martèlements frénétiques de son cœur au sein de sa poitrine, il jeta un regard circulaire autour de lui. Ces gens avaient accueilli et pris soin de Zelda. Grâce à eux, elle vivait toujours. Alors Link leur était redevable et infiniment reconnaissant. Quand il voyait leur état de santé déplorable à cause de la vie sous terre, il ne pouvait s'empêcher d'éprouver de la pitié à leur égard. Depuis combien de générations habitaient-ils ici sans avoir vu la lumière du jour ?
- Laissez-moi vous offrir la liberté en gage de gratitude, dit-il soudainement en reportant son attention sur Omi. C'est la seule chose que je puisse faire pour votre clan. Vous vivrez dans un monde meilleur dès que la guerre sera terminée.
- Est-ce seulement possible ? s'inquiéta Omi en affichant un air peiné. Tous mes semblables aspirent à une vie meilleure mais à Delteha, il n'y a aucune issue pour nous.
- Je peux vous emmener sur ma terre natale. Malheureusement, ce sera dangereux pour le moment car une entité maléfique tente de ravager notre monde.
- Le Mal a déjà contaminé Delteha, nous ne serons nulle part à l'abri tant qu'il persistera. Mais comment peux-tu nous faire quitter ces lieux ?
Link lui parla de la téléportation grâce à la tablette qu'il portait à sa ceinture. Une tablette qui ressemblait vaguement à celle de Caï. Mais Omi n'y pensa pas sur le moment. Son cœur se serrait fortement. Si Lasya n'était pas partie avec Zelda, elle aurait pu quitter Delteha avec sa grand-mère. Mais peut-être qu'elle n'aurait pas survécu à l'attaque d'Altoz... Personne n'aurait pu prédire ou affirmer ce qui allait se passer ni même si elle s'en serait sortie. Au final, Omi serait la première à quitter les souterrains. Ce serait donc à elle d'attendre sa petite-fille.
- J'accepte ta proposition, déclara-t-elle après y avoir réfléchi sérieusement. Je crois que nous n'avons pas le choix... J'aurais tout de même une faveur à te demander. Ma petite-fille voyage aux côtés de Zelda en ce moment même. Dès que tu la retrouveras, j'aimerais que tu l'envoies aussitôt auprès de moi.
- Avec plaisir, lui accorda-t-il en osant sourire avec réserve. Vous aurez aussi l'occasion de revoir ma fiancée, même pour un court instant.
- Oh, tu me gâtes bien trop, mon petit...
Les yeux plus humides qu'à l'ordinaire, elle lui adressa à son tour un sourire touché et reconnaissant. Avant qu'ils ne se séparent, Omi tint à le mettre en garde contre les Krassens, ces créatures de l'ombre qu'ils avaient justement croisées peu avant. Elle lui indiqua comment les éviter et comment ces êtres s'y prenaient pour chasser et détecter leurs proies. Ensuite, elle lui parla des Turmes et des Soneaux, deux peuples dont il fallait se méfier en plus des Corrompus. Link la remercia pour toutes ces informations puis il matérialisa un carnet de note ainsi qu'un crayon à papier. Ce qu'il inscrivit dessus fut illisible par Omi car ils ne partageaient pas les mêmes caractères pour l'écriture. Finalement, il arracha la page puis la lui donna.
- Prenez ceci. Je vais vous envoyer dans un endroit qui s'appelle « le plateau du Prélude ». Là-bas, vous y retrouvez des soldates de mon royaume. Transmettez ce message le plus tôt possible. J'ai signé en mon nom, les femmes présentes sur place vous porteront leur aide.
- Mais... Si elles nous attaquent ?
- Elles ont pour ordre de ne s'en prendre qu'aux être maléfiques, ne vous inquiétez pas. Si elles se méfient de vous et ne veulent pas prendre ce message, dites-leur que c'est moi qui vous envoie.
Elle prit le papier, le plia puis le passa dans l'unique poche de sa robe épaisse et rapiécée. Omi remercia une fois de plus le jeune homme puis ils se relevèrent et rejoignirent le reste du groupe des voyageurs. Ulani semblait avoir fini de leur parler, jugeant en effet qu'ils ne représentaient pas une menace réelle. Quant aux Hyruliens – en plus d'Astrid et Elzier –, ils virent le Héros d'une pâleur inquiétante qui rappela à Iris et Thomas le jour où il avait tenté de sauter des remparts du plateau du Prélude. Il paraissait bien moins assuré, comme s'il avait appris une quelconque nouvelle grave dont il ne parla pas.
Par la suite, il fallut convaincre les habitants d'Altoz d'être téléporté à la surface. Même si la manœuvre, en soi, n'était pas compliquée, il fallait tout de même prendre quelques précautions, notamment en ce qui concernait le soleil. Leurs yeux s'étaient adaptés à l'obscurité au fil des siècles, alors se confronter à cet astre pour la première fois... Cela risquait de les aveugler durant de très longues minutes. Pour cela, Link vérifia l'heure sur sa tablette sheikah : six heures. Le soleil apparaissait à peine à l'horizon à l'instant où il réfléchissait, donc la luminosité ne devrait pas être un problème. Tous les villageois présents durent se réunir et se serrer les uns contre les autres avant que Pahya, qui avait pris la relique, n'active leur téléportation au sanctuaire de la Renaissance.
- Link, j'ai oublié de te dire une chose ! s'exclama Omi. Trois personnes accompagnent Zelda pour le moment. Lasya, ma petite-fille, Ren, notre cheffe, ainsi qu'un Soneau étrange. Il a l'air de provenir de ton monde au vu de ses habits.
Un Soneau qui viendrait d'Hyrule ? Impossible. Mis à part Thomas, il ne pouvait... Les yeux de Link s'agrandirent en comprenant.
- Je ne connais pas son nom, mais il avait les cheveux noirs et les yeux verts... Et ses tatouages luisaient d'une couleur rouge.
D'un coup, les villageois furent téléportés car Pahya, inconsciemment, avait appuyé sur l'écran en se souvenant de celui qui avait tenté de l'assassiner. Un traumatisme profond dont elle faisait toujours des cauchemars. Elle fut prise de sueurs froides et de frissons qui lui traversèrent l'échine pour la paralyser.
Que... faisait ce meurtrier avec Zelda ? Un très mauvais pressentiment noua le ventre de Link qui avait de nouveau du mal à respirer. Un pressentiment dont il n'était pas vraiment l'origine. Un pressentiment... qui concernait une part de son âme de Héros.
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