Chapitre 20
Sans le savoir, Zelda vivait maintenant depuis plus d'un mois au village d'Altoz et recouvrait peu à peu la mémoire. Malgré tout, elle ne parvenait à poser un nom sur les quelques visages qui lui revenaient à l'esprit. Il y avait... ce lieu immense en pierre qu'elle parcourait parfois en songes. Elle y croisait le prénommé Cassius, ce jeune homme qui se présentait comme un ménestrel, visiblement. Mais à part lui, Zelda rencontrait aussi un homme plus âgé, à la carrure impressionnante et à la longue barbe blanche. Ainsi qu'une jeune femme aux cheveux de la même couleur. Cela conforta l'Hylienne dans l'idée que tout cela se serait passé à Delteha car ces trois personnes partageaient les mêmes caractéristiques physiques que les altoziens. Quant au ciel qu'elle revoyait par moments, elle ne pouvait expliquer ni indiquer la manière de le trouver. Les dernières choses dont elle se souvenait étaient son amour pour les recherches ainsi que sa foi pour les déesses. Rarement évoquées dans le village souterrain, elles étaient pourtant bien ancrées dans le cœur de chacun. Ici, les esprits occupaient une place plus grande dans la croyance. Après tout, ils causaient une amnésie grave chez ceux qui avaient le malheur de tomber dans la Rivière des Tourments.
Ce jour-là, Zelda revenait du puits d'Altoz avec un seau empli d'eau. Omi en avait besoin pour préparer le potage habituel qui les nourrissait avec difficulté. La blonde avait mal aux bras à force de travailler dans les champs peu fertiles. Sa peau perdait peu à peu sa couleur pour devenir de plus en plus pâle à cause du manque de soleil. De plus, une fatigue la submergeait depuis peu, due justement à ce manque de rayons solaires. Zelda arriva devant la porte de la cabane puis posa un pied sur la première marche avant de s'immobiliser, les sourcils haussés. Les voix de Lasya et d'Omi lui parvenaient de l'intérieur, la conversation semblait animée.
- Mais c'est comme ça tout le temps ! se plaignit l'enfant sur un ton aigu. Toujours le même qu'elle répète !
- Lasya, tu sais très bien de quoi il en découle.
La petite grommela avant de reprendre :
- Mais c'est toujours pareil... Elle crie de peur puis elle hurle « Link », comme si quelqu'un allait la tuer ! Ce Link devait lui vouloir du mal, non ? Et si c'était lui qui l'avait blessée avant que je la trouve au bord de la rivière ?
- Pas de conclusion hâtive, la prévint sa grand-mère d'une voix plus grave.
Il y eut un silence pendant lequel Zelda déglutit. Elle... parlait dans son sommeil ? Selon Lasya, elle éprouvait une peur vive et criait un prénom. Link... Cela ne lui évoquait rien en dépit de son ventre qui se tordit de manière étrange. Ce détail la perturba. Pour avoir une réaction si différente par rapport au reste de ses souvenirs, cette personne devait être bien particulière. Et si... Lasya avait raison ?
- Cette affaire me refait penser au Marcheur, ajouta Omi avec inquiétude. Tu sais, ce type qui déambulait dans tout Delteha sans but précis. Il n'appartenait à aucun clan... Pendant trois Éclosions, ce n'est pas rien. Je me demande bien ce qu'il est devenu.
- Avec ses cheveux noirs, il me faisait peur... Une fois, j'ai croisé sa route mais il ne semblait même pas me voir. Il avait... le regard vide... Tu penses que c'est lui, Link ? Si ça se trouve, il cherchait Zelda juste pour la lancer dans la Rivière des Tourments !
Dehors, elles entendirent le seau d'eau se fracasser par terre au même moment. Omi sursauta puis jeta un regard désemparé à sa petite-fille qui s'élança vers la porte avant de l'ouvrir à la volée. Elle découvrit Zelda en pleurs, une main plaquée sur sa bouche et le teint blême suite à leur précédente discussion. Nul doute qu'elle n'avait pas raté un mot de toutes ces suppositions. Cela suscita une peur poignante chez la jeune femme. Quelqu'un l'aurait cherchée dans le but de la tuer ? D'après le témoignage d'Omi, Zelda ne vivait plus au village depuis très longtemps. Cela expliquerait donc les trois Éclosions passées à la traquer, non ?
- Tu as tout entendu ? lui demanda Lasya avec un calme déstabilisant pour son âge.
La blonde ne put qu'acquiescer en raison de sa voix bloquée par le choc. La fillette descendit les quelques marches, ramassa le seau puis s'en alla au puits dans le but d'y reprendre de l'eau. Pendant ce temps, sa grand-mère vint chercher Zelda et la fit asseoir sur le banc à l'intérieur de la cabane. Elle lui proposa de boire mais son hôte refusa aussitôt. À la place, une douleur aiguë naquit dans son ventre et la força à se plier tandis qu'une grimace se dessinait sur son visage. Son état alerta Omi qui vint poser une main sur son épaule.
- Allons, que t'arrive-t-il ?! s'inquiéta-t-elle quand l'Hylienne poussa des geignements plaintifs. Tu t'es blessée ?
Elle vit son front se couvrir de sueur. Que les esprits en soient témoin, Omi n'avait jamais vu ça. Zelda releva les yeux vers elle, les sourcils froncés, puis articula avec maladresse que son ventre engendrait des douleurs vives jusque dans sa poitrine.
- J'ai... J'ai des vertiges... souffla la blonde avant de basculer sur le côté.
La doyenne du village poussa un cri d'effroi quand Zelda percuta le banc avant de rester immobile et allongée dessus. Elle n'était pas inconsciente, loin de là. Quelque chose drainait ses forces. Jamais encore Zelda ne l'avait vécu d'une telle intensité depuis son arrivée à Delteha, le choc qu'elle venait de ressentir avait sans doute éveillé la douleur et l'accentuait davantage. Quant à Omi, elle ne savait comment agir pour l'aider. Malgré son âge avancé, elle courut jusqu'à la porte de la cabane puis cria à sa petite-fille :
- Lasya, va immédiatement chercher le Sorcier !
L'enfant jeta son seau sur le côté puis courut vers la hutte de Voseth. Il ne fallut que quelques instants avant que celui-ci ne parvienne jusqu'à Zelda et la découvre dans son état : elle haletait, son front humide collait certains cheveux contre lui et luisait par moments à la lueur des bougies et des petites gemmes nox. Le Sorcier l'examina, il s'assura que sa température corporelle n'était pas trop élevée puis il plaça une main au-dessus de la chevelure blonde après avoir fermé les yeux.
- Alors, Sorcier ? s'inquiéta Omi qui restait à l'écart. Est-ce là un mauvais tour des esprits ?
- J'en ai bien l'impression. Mais il y a quelque chose d'étrange. Très étrange.
Il insista là-dessus en se relevant, l'air grave.
- Cette jeune femme possède une grande quantité d'énergie spirituelle. Le plus perturbant est que seuls certains Soneaux en sont aussi dotés mais... mais cela reste bien en deçà de la capacité magique que renferme Zelda.
- Elle est comme Ren ? demanda Lasya qui craignait malgré tout la réponse.
Voseth prit le temps de réfléchir. Il tâchait d'assembler toutes les pièces et de comprendre qui avait bien pu être cette étrangère avant d'arriver à Altoz. Des cheveux, une peau et un accent pareils, il y avait bien là quelque chose dont il devait se méfier.
- Ce n'est pas une Soneau, elle ne porte pas les tatouages, conclut le Sorcier en scrutant les traits tirés de l'Hylienne.
- Mais elle a les yeux verts ! Les Soneaux ont les yeux soit verts, soit bleus !
- Ce n'est peut-être qu'une coïncidence, supposa Omi pour la calmer. Mais comment expliquer ta découverte, Sorcier ?
Ce dernier se releva puis croisa les bras. Cette affaire lui donnait du fil à retordre, cela ne lui déplaisait pas. Cependant, il restait vigilant et gardait un œil attentif sur cette jeune femme atypique.
- Je ne sais pas, avoua-t-il à contrecœur. Je crois que seul le Guide pourrait nous éclairer. Mais il est bien trop dangereux d'aller le voir, il faut traverser le territoire des Turmes. Elle se ferait tuer si elle y allait seule.
- Ren ne pourrait pas l'accompagner ? se renseigna la doyenne avec une once d'espoir. Zelda serait en sécurité avec elle.
Voseth leva les yeux vers le plafond pendant qu'il émettait un soupir bruyant.
- Ren n'a pas de temps à perdre avec des broutilles pareilles. Il y a des mouvements inhabituels à Delteha depuis quelques temps. C'est notre cheffe, elle se doit de nous en protéger. Non, si Zelda doit rencontrer le Guide, ce serait pour une raison bien plus grave et urgente qui justifierait un tel déplacement. Pour le moment, je vais lui donner quelques herbes qui calmeront les douleurs. Enfin je l'espère... Mais elle aura quelques hallucinations, je le crains.
La grand-mère lui répondit que tant que cela apaisait Zelda, elle n'y voyait aucun inconvénient. Voseth s'absenta quelques instants le temps de réunir les ingrédients nécessaires puis il revint avec une touffe d'herbes sèches de couleurs jaune et grise. À l'aide des braises sous la marmite de la cabane, il y mit feu puis fit inhaler la fumée à la blonde. Une trentaine de secondes suffirent pour qu'elle tombe dans un état de semi-conscience qui la coupa du monde extérieur. Même si ses yeux demeuraient ouverts, elle ne voyait plus rien ni même entendait les dernières indications que Voseth donnait à Omi. En fait, Zelda avait perdu l'usage de tous ses sens, plongée dans une obscurité ni reposante, ni effrayante. Elle la vit comme un havre de paix, un lieu à l'abri des soucis de la réalité et de ses dangers. Ici, personne ne viendrait la déranger. Même son sentiment de solitude, si fort en temps normal, lui accordait du répit.
Et pourtant, l'avertissement du Sorcier ne tarda pas à se réaliser. Zelda ne sut dire quand exactement mais elle fut la proie d'une hallucination. Ou peut-être plusieurs qu'elle aurait fini par oublier en quelques instants... Néanmoins, la jeune femme fut surprise de se tenir au centre d'une pièce immense qu'elle ne reconnaissait pas. Des hauts plafonds pendaient des lustres finement forgés, leurs dizaines de bougies éclairaient l'espace avec facilité. De grands étendards bleus ornaient les murs à côté de portraits ou d'armes intrigantes. Zelda analysa son environnement avec une attention poussée puis elle fit glisser son regard sur elle-même ; une longue robe bleue l'habillait et tombait jusqu'au sol. Elle ressentit une vague impression de familiarité. L'Hylienne décida d'avancer dans la pièce afin d'observer la femme debout près de la fenêtre. Elle arborait un chapeau conique par-dessus ses cheveux blancs qui rappelaient ceux des habitants de Delteha. Son immobilité déstabilisa Zelda. L'inconnue semblait figée dans le temps alors qu'elle regardait dehors.
Sa visite se poursuivit avec moins d'aisance. La blonde déambulait dans les couloirs qui s'offraient à elle, elle croisait des personnes arrêtées dans leur mouvement, comme piégée dans un temps en suspens. Eux n'avaient pas les cheveux blancs, ce détail mit Zelda mal à l'aise. Pourquoi... avaient-ils des cheveux noirs, ou marron ? Les avait-elle connus ? Dans ce cas, où se trouvait-elle ? Les lèvres de la jeune femme se pincèrent, elle se mit à courir sans but précis, sans doute dans l'espoir de trouver le moindre signe de vie, la moindre explication. Elle ne voyait pas le ciel à travers les fenêtres, comme si le lieu qu'elle arpentait se trouvait au milieu de nulle part, entouré par le vide. Et bien vite, la panique gagna Zelda. Elle voulait sortir d'ici, cet endroit l'oppressait... Une énième porte se dévoila et elle l'ouvrit à la volée, le souffle sifflant. L'Hylienne déboucha sur un petit jardin bordé par le néant. Et à sa limite, quelqu'un était assis en tailleur et observait l'horizon fait de noir. Ses cheveux blonds flottaient en dépit de l'absence de vent, ce qui ressemblait à l'unique manifestation de vie que Zelda avait pu voir jusqu'à présent. Elle s'arrêta afin de calmer sa respiration tandis que son regard se rivait sur l'inconnu. Après quelques instants, elle s'approcha silencieusement puis se tint les mains, une vieille habitude qu'elle avait dû perdre depuis son réveil en tant que tourmentée.
- Tu es enfin là, dit une voix masculine qui lui coupa le souffle.
Il releva la tête. Zelda eut un mouvement de recul à cause de l'effroi qu'elle éprouva.
- Tu... Tu n'as pas de visage ? s'étonna-t-elle.
Le blond haussa les épaules puis reporta son attention devant lui. Zelda l'observa encore un peu, mal à l'aise, puis entreprit de s'asseoir à côté de lui.
- Est-ce que tu me cherchais ? demanda-t-il.
- Je ne sais pas... Si je connaissais ton nom, sans doute...
- Je ne m'en souviens pas non plus.
Zelda n'avait pas la moindre idée d'aborder cet inconnu qui ne semblait pas troublé par son arrivée. Elle nota toutefois un sentiment nouveau de sécurité à ses côtés.
- Tu te dois te sentir très seule.
Elle rentra sa tête dans ses épaules et riva son regard sur l'herbe dont la verdoyance la consolait un peu. La solitude, elle l'affrontait chaque jour malgré la présence d'Omi et Lasya. Une prison à laquelle la jeune femme ne pouvait se soustraire tant qu'elle ne se retrouvait pas en tant qu'individu propre.
- Où sommes-nous ? demanda Zelda après une longue hésitation.
Il haussa les épaules.
- Là où nous avons vécu, je suppose.
Sa voix se mit à trembler lors de la prononciation des derniers mots. Son interlocutrice lui adressa un regard interrogateur puis frémit en percevant dorénavant une forme de haine s'émaner de lui. Par instinct, elle se décala de quelques centimètres sur le côté.
- Là... où tu as volé ma vie avec ton père. Vous vous êtes servis de moi comme si je n'étais qu'un vulgaire outil !
Le blond tourna la tête vers elle si vivement que Zelda se leva d'un coup et recula de quelques pas, les sourcils froncés. De quoi parlait-il ? Par les déesses, si seulement la mémoire ne lui faisait pas défaut... À son tour, il se mit debout afin de s'approcher d'elle et la prendre par les épaules. Aussitôt, Zelda le repoussa avec énergie mais elle finit par se heurter à une paroi glaciale dans son dos. Elle fit volteface pour examiner avec incompréhension ce qui ne devait pas être là. Et quand elle refit face à son interlocuteur, ils ne se trouvaient plus dans un jardin mais au beau milieu d'une caverne, similaire à celles de Delteha. La main du blond se mit à luire d'une puissante lumière verte qui aveugla Zelda sur le moment. Juste à côté de lui, elle vit la momie d'un autre homme, debout et courbée vers la voûte. Comme les humains rencontrés précédemment, il demeurait immobile.
- Tu as tenté... d'effacer jusqu'à mon nom... Tout cela à cause d'une épée qui aura décidé de mon destin !
La panique gagna d'un coup l'Hylienne dont le cœur marqua une accélération brutale dans sa poitrine. Elle sentait sa vie clairement menacée. Dans un mouvement machinal, elle regarda une quatrième forme qui se tenait, immobile, près de la momie.
- Soran ! hurla-t-elle sans réfléchir en tendant une main dans sa direction.
La main verte se planta brusquement dans son abdomen, lui arrachant une exclamation étouffée, puis elle s'enfonça en profondeur tandis que Zelda poussait un hurlement de douleur à s'en déchirer les cordes vocales. Jamais, ô grand jamais elle n'avait connu pareille souffrance. La mort l'emporta sans doute, elle ne voyait que cette finalité pour l'achever et la libérer.
oOo
Face à Omi, sa jeune hôte se débattait et criait d'effroi, en proie à ses hallucinations trop réalistes. La situation dépassait la vieille femme qui ne savait plus où donnait la tête. Rien ne calmait Zelda, lui parler et la prier de rester tranquille n'avait aucun effet. Si bien que Lasya finit par venir auprès d'elle pour lui administrer ce qu'elle jugeait comme le meilleur des calmants : un bon coup de poêle sur la tête. Méthode fort efficace puisque le sujet cessa aussitôt de bouger.
- Tu as perdu la tête ?! s'écria Omi qui s'affolait de plus en plus.
L'enfant grimaça, puis se toucha le bord inférieur de sa mandibule.
- Non, elle tient toujours sur mes épaules.
- Ce n'est pas le moment de rire, Lasya ! Un coup pareil pourrait la tuer ! Esprits, pardonnez l'inconscience de cette pauvre enfant égarée...
Par la suite, Omi toucha les tempes de l'Hylienne puis soupira d'exaspération à cause de la précédente initiative de sa petite-fille. Zelda aurait un bel hématome... N'y avait-il aucune autre solution pour interrompre ses hallucinations ? Au moins, ces dernières avaient cessé puisque la jeune femme ne bougeait plus. Fort heureusement, elle respirait toujours. Omi déposa un linge humide sur son front en sueur puis elle cala un vêtement plié sous la tête de Zelda afin qu'elle n'ait pas mal à son réveil. Une fois cela fait, la doyenne prit la poêle en fer des mains de Lasya, lui adressa un regard dur puis replaça l'objet sur son crochet mural. Plongée dans un mutisme qui lui était peu commun, elle s'immobilisa tandis que l'enfant sortait dans le but de vaquer à ses occupations. Vraiment, plus le temps passait, plus Omi s'inquiétait pour son hôte. Elle voulait savoir ce qui lui était arrivé. Qui était ce Link dont Zelda criait le nom quand elle dormait. Connaître ses origines. Lasya lui avait même parlé d'une promesse. Aller voir le ciel, qu'elle disait. Omi ne savait pas ce que c'était, jamais elle n'avait entendu pareil mot...
Son regard glissa vers la jeune femme aux traits tirés. Elle appréhendait le jour où elle saurait que sa véritable famille ne se trouvait pas à Altoz. Et rien que pour cela, la vieille femme culpabilisait beaucoup. La future Éclosion approchait, Zelda devrait récupérer l'intégralité de sa mémoire durant cette période-là. Mais pour le moment, sa guérison peinait à se poursuivre en comparaison à celle d'autres tourmentés par le passé. Omi avait déjà eu une discussion à ce sujet avec Ren. Selon la cheffe, plus les souvenirs s'avéraient traumatisants et difficiles, plus il fallait du temps pour les récupérer. Cela expliquerait aussi les cauchemars récurrents de la jeune femme. Ce Link... La doyenne avait un mauvais pressentiment. Il valait mieux garder Zelda en sécurité et tout faire pour ne pas qu'elle puisse recroiser la route de cet individu tant que la mémoire lui faisait défaut.
oOo
Zelda reprit connaissance sans doute plusieurs heures plus tard, le temps que l'effet de la drogue s'estompe. Un mal de crâne lui compressait la tête et lui arracha une grimace de douleur quand elle se releva. Dans la pièce, il n'y avait qu'Omi en train de coudre, Lasya n'était pas là. La blonde émit un gémissement lorsqu'elle se leva, elle préféra rester assise par conséquent. La vieille femme leva les yeux vers elle puis lui adressa un sourire rassurant.
- Comment te sens-tu ? lui demanda-t-elle en posant ce qu'elle tissait sur ses genoux.
L'Hylienne tint son front au creux de la paume d'une main, les yeux plissés.
- Je suis fatiguée et j'ai mal à la tête...
- Pour le mal de tête, je comprends. Lasya a dû t'assommer avec la poêle pour te calmer. Tes hallucinations prenaient le dessus sur toi.
Des hallucinations ? Ah oui, Zelda s'en souvenait dorénavant. Il y avait cet homme. Ou jeune homme ? Elle ne saurait le dire... Puis cette silhouette dans la pénombre qui dégageait une impression malsaine. L'Hylienne fut la proie de quelques tremblements : on avait tenté de la tuer. Non... Elle avait bien été tuée dans son hallucination. Le sentiment ressenti avait été... effroyable. Une terreur presque indescriptible qui lui coupait le souffle. Elle se demanda si l'homme de ce songe avait été celui qui l'aurait blessée avant de tomber dans la Rivière des Tourments. Dans ce cas-là, cela signifiait qu'il pourrait être toujours à sa recherche afin d'être sûre qu'elle soit bien éliminée ? Son regard se posa involontairement sur le bracelet qu'elle portait depuis son arrivée. Pourquoi observait-elle ce stupide bijou ? Ses yeux avaient du mal à s'en détacher, si bien qu'elle les plissa puis les ferma.
- Tu as vu quelque chose, se douta Omi qui prit place sur un tabouret.
- Ce n'était pas clair... Tout semblait si réel et pourtant, certains éléments demeuraient flous.
Zelda lui raconta en détails ce qu'elle venait de vivre sans rien omettre : la grande infrastructure, les humains aux cheveux de couleurs étranges et inhabituels, cet homme blond puis la main verte qui l'avait tuée à la fin. Au fil de son récit, le visage de la grand-mère se décomposait et un mal-être lui tordait les tripes. Cette étrangère habitait un lieu inconnu de Delteha, jamais encore Omi n'avait entendu parler d'un tel endroit avec des personnes possédant de telles caractéristiques physiques. Peut-être était-elle une ennemie blessée par une tribu alliée ? Par les déesses, si cela s'avérait juste... La doyenne du village serra les pans de sa robe raccommodée, les lèvres pincées. Pour une espionne, Zelda n'en avait pas le physique... Ni même celui d'une guerrière.
Dehors, des exclamations agacées se firent entendre, des éclats de voix autoritaires voire agressifs qui secouèrent les deux femmes et les tirèrent de leurs pensées. Méfiante, Omi quitta son tabouret puis alla ouvrir la porte malgré son hésitation. Ce qu'elle vit lui arracha un cri de peur et de mauvaise stupéfaction : Ren tenait par le bras Lasya, qui avait le nez en sang, ainsi qu'un autre enfant du village qui avait certainement deux ou trois Éclosions de plus. À son tour, Zelda se leva et accourut à l'extérieur afin de mieux comprendre la situation. Voir sa petite sœur dans cet état lui fit un nouveau choc et la poussa à la rejoindre.
- Lasya ! s'inquiéta-t-elle en s'abaissant à son niveau.
L'enfant détourna le regard, elle tentait de s'échapper de l'emprise de sa cheffe, sans succès. Quant à l'autre enfant, il ne bougeait pas mais il lui offrait un regard méprisant.
- Ces deux-là se sont battus jusqu'au sang, lui annonça Ren sur un ton clairement énervé. Je n'avais jamais vu ça de ma vie. Jamais ! Et pourtant, des imbéciles qui se battaient pour un rien, j'en ai connu !
- Il m'a traitée de métamorphe ! se défendit Lasya. J'en ai marre qu'on me le dise tout le temps ! J'ai un prénom, c'est Lasya !
- Tu mens, répliqua l'autre qui n'en démordait pas.
Leur cheffe les écarta une énième fois, elle les sermonna encore plus durement avant de renvoyer l'autre enfant chez lui. Après tout, elle n'avait pas de temps à perdre avec des inepties pareilles, d'autres tâches plus importantes l'attendaient. De son côté, Zelda vérifiait l'état du nez de la fillette et s'assurait que le sang ne coulait pas de manière trop abondante. C'était bien la première fois qu'elle voyait Lasya ainsi ; savoir qu'elle venait de se battre l'affectait tout particulièrement et la laissait dans un sentiment d'incompréhension vis-à-vis de la situation. Sur sa droite, un guerrier accourut vers leur petit groupe, affichant un air grave, puis il s'adressa directement à sa cheffe :
- Ren, un messager du village voisin est là. Il dit que c'est urgent.
La Soneau émit un soupir bruyant pendant qu'elle posait une main sur son front. Encore le village d'Eorin ? Décidemment, il passait son temps à les embêter avec des broutilles inutiles. Ren prit congé d'Omi puis elle marcha d'un pas rapide et assuré vers les portes du village, là où l'attendait ce fameux messager. Elle constata qu'il ne s'agissait que d'un jeune homme taillé pour la course mais pas pour le combat. Ce n'était pas la même personne que les autres fois, et ce détail n'échappa pas à la guerrière.
- Qu'est-ce que tu veux ? lui demanda-t-elle froidement à cause des événements précédents. Parle, je n'ai pas tout mon temps à t'accorder.
Le jeune homme, en plus de reprendre son souffle, se montra impressionné et intimidé par une femme d'une carrure aussi imposante que la sienne. Mieux valait choisir ses mots avec soin pour ne pas passer de vie à trépas en un instant.
- C'est Morlag, commença le messager malgré sa respiration saccadée. Mon chef m'a demandé de te transmettre des nouvelles, avec tout le respect qu'il te doit.
- Passons les bonnes manières, bon sang ! Où est le messager habituel ? Lui, il ne passait pas par quatre chemins.
Le visage du jeune homme laissa transparaître un embarras et un mal-être profonds.
- Justement... Il a été tué récemment. Morlag a découvert un groupe étranger à Delteha. Ses membres n'appartiennent à aucune tribu connue.
- Comment ?!
Elle regarda derrière son épaule afin d'observer Zelda. Y avait-il un quelconque lien avec son arrivée ?
- Oui, mais... Ces créatures ne sont pas humaines... Elles sont recouvertes par la chose et déambulent sur les routes.
Recouverte par la chose ? Ren se le répéta tandis que des frissons lui parcouraient l'échine. Quelle horreur... Un groupe d'humains serait tombé dedans jusqu'à en devenir fou ?
- Ce sont eux qui ont tué notre ancien messager, poursuivit le jeune homme qui baissa tristement la tête. Ils... Ils l'ont sauvagement assassiné... Morlag s'inquiète car on ne connait pas leur motivation ni même leur clan d'origine. Mais ils ont beau être recouvert de la chose, on dirait... qu'ils recherchaient quelqu'un.
Cette nouvelle s'abattit sur les épaules de la guerrière. Elle ne sut exactement pourquoi, cependant, elle pressentait que cela ne présageait rien de bon pour l'avenir. Tous ceux recouverts par la chose devaient être tués pour que leurs souffrances soient abrégées. Mais dans ce récit, quelque chose manquait. Ou plutôt, ne collait pas. Même souillés, ceux touchés par la corruption restaient tout de même identifiables. Alors ne pas réussir à reconnaître leur tribu inquiétait fortement Ren. Le messager expliqua que Morlag, son chef, prévoyait d'envoyer un groupe de guerriers afin d'espionner ces étrangers et de déterminer leurs capacités. Par la même occasion, il sollicitait le soutien de Ren car il était question de la sécurité de leur village respectif. Malgré leurs quelques différends, ils restaient alliés et se devaient de s'entraider dans ce genre de situation.
- Il y a... une dernière chose, ajouta le messager qui ne souhaitait que rentrer chez lui pour être sauf. Ce groupe évolue lentement dans Delteha, il est probable qu'il n'arrive pas encore à Altoz, mais cela ne saurait tarder.
- Merci, je vais en tenir compte. Dis à Morlag que je lui enverrai quelques-uns de mes compagnons pour l'épauler dans son enquête.
Il la remercia puis s'en alla en courant. Le visage de Ren se rembrunit, elle était manifestement crispée. Toute nouveauté lui déplaisait. Depuis l'arrivée de Zelda, des phénomènes inhabituels se produisaient : un tremblement de terre, l'apparition d'un groupe inconnu qui n'hésitait pas à tuer, sans oublier la chose qui avait recommencé à s'étendre depuis les dernières secousses. La guerrière tourna les talons puis se dirigea vers sa hutte pour vaquer à ses occupations les plus importantes. Sur son chemin, elle jeta un regard discret à la blonde qui essuyait le nez de Lasya. Il lui tardait qu'elle retrouve sa mémoire pour leur donner des explications. La raison de Ren la priait de rester méfiante vis-à-vis de l'étrangère, mais étrangement, son cœur lui intimait l'inverse. Lors de leur rencontre, elle avait senti cette présence singulière qui habitait Zelda. Il y avait là quelque chose presque divin qui fit tiquer la cheffe tant elle se trouva absurde sur le moment. Elle avait parlé de cette impression à Voseth mais celui-ci ne ressentait rien de particulier chez leur hôte. Une nouvelle hypothèse germa dans l'esprit de Ren : était-ce une impression en lien avec ses origines soneaux ? Elle papillonna des yeux afin de chasser ses fabulations. Garder la tête sur les épaules et rester lucide, voilà des choses auxquelles elle devrait se tenir au lieu d'imaginer des inepties. Ren s'éloigna pendant que l'Hylienne raccompagnait Lasya chez elle.
oOo
Zelda ne put estimer la durée du temps qui s'écoula après ces quelques incidents. Elle avait essayé de comprendre pourquoi grand nombre des enfants du village se moquaient de Lasya, mais cette dernière éludait toujours le sujet ou préférait s'abriter dans un mutisme protecteur. La blonde n'insistait jamais car elle savait que les explications viendraient lorsque la fillette se sentirait prête à lui en parler. Quant à la vie au village, elle demeurait la même, à l'exception près que la corruption gagnait lentement en territoire et s'approchait peu à peu des premières cabanes d'Altoz.
Cette fois-là, Zelda parcourait la petite place centrale en direction de la sortie du village. Elle avait prévenu Omi qu'elle irait s'entraîner à l'arc dans le bois composé de troncs secs et très anciens. Il s'y trouvait notamment des fleurs aux pétales luminescents qui rendaient l'atmosphère paisible et agréable. En somme, un endroit permettant d'être seul avec soi-même et de réfléchir. L'envie avait poussé Zelda à y aller. Sur son chemin, elle remarqua un jeune couple qui s'embrassait à l'abri des regards. Aussitôt, l'Hylienne détourna le regard par gêne et pudeur puis accéléra le pas de manière involontaire. Sa propre réaction l'étonna, particulièrement les battements de son cœur bien plus forts qu'à l'accoutumée. Un sentiment chaleureux naquit dans sa poitrine, ou plutôt refit surface avec une longue durée d'absence. Il avait quelque chose de protecteur et de réconfortant... Zelda posa deux doigts sur ses lèvres puis esquissa un sourire qu'elle effaça dans la foulée. Bon sang, que lui prenait-il ? Elle agissait sans le vouloir, son corps parlait par lui-même. Avait-elle... déjà embrassé quelqu'un ? Cette simple question fit encore augmenter son rythme cardiaque. La réponse était positive, de toute évidence. Dans ce cas-là, une autre interrogation en découlait : la personne qu'elle avait à ses côtés avant sa perte de mémoire était-elle celle qui créait ce sentiment en son sein ?
Une fois de plus, son corps répondit à sa place à travers l'échauffement de ses joues et un pincement au cœur. L'espoir ne devint que plus fort : oui, il y avait bien quelqu'un qu'elle attendait. Mais où ? La cherchait-on ? Delteha était immense, d'après Omi. Comment être sûre que l'on pourrait la trouver à Altoz ? Son emprise se raffermit sur l'arc qu'elle tenait dans sa main droite. Pour le moment, Zelda ne pouvait qu'attendre. La mémoire lui faisant défaut, elle se perdrait dans ce royaume souterrain et se ferait aisément tuer par les Krassens qu'elle ne connaissait que trop peu. Mais bientôt... Bientôt, tous ses souvenirs reviendraient ! La jeune femme serait en mesure de quitter cet endroit pour retrouver cet être cher qui manquait à sa vie.
Zelda quitta le village puis se rendit dans le petit bois en question. Là-bas, entourée par les arbres morts, elle prit place sur un rocher puis s'assit un instant pour profiter de ce lieu beau et singulier, éclairé par la lueur des quelques fleurs silencio qui poussaient ici. Lors de l'Éclosion, elles seraient bien plus nombreuses et compteraient parmi elle des princesses de la sérénité ; des fleurs splendides aux yeux d'Omi et anciennement très rares. L'Hylienne repensa alors à ses précédentes réactions concernant ses sentiments enfouis. Elle avait le cœur léger, jusqu'à ce qu'un détail la fasse froncer les sourcils. Son visage se rembrunit tandis que son regard se portait sur la voûte. Un élément la dérangeait... Lasya avait bien dit qu'avant son amnésie, elle venait à Altoz de temps en temps, non ? Apparemment, Zelda se serait montrée très discrète sur sa vie, ne racontant presque jamais ses aventures. Mais... cela parut presque improbable à ses yeux. Pourquoi cacher sa vie aux uniques membres de sa famille ? Elle avait bien dû leur parler de ses rencontres, de ses découvertes... Dans l'un de ses souvenirs, Zelda se voyait montrer quelque chose à ce grand homme barbu vu pendant son hallucination. Elle l'avait appelé « Père », cependant rien ne collait. Car tous deux se trouvaient dans un lieu fortifié. Un... château, si sa mémoire ne la trompait pas. D'après les dires d'Omi, Zelda aurait connu ses parents. Ce qui signifiait que, au vu du lieu dans son souvenir d'enfance, ils n'habitaient pas à Altoz. Car oui, elle devait avoir six ou sept ans dans sa vision.
« Ans »... Encore un mot qui n'existait pas dans le langage des habitants du village. Un doute profond et blessant s'installa chez Zelda. Voilà d'où provenait cet autre mal-être depuis qu'elle était ici : comme si elle n'appartenait pas au clan. La blonde connaissait des mots inconnus des autres, ses traits physiques se montraient atypiques. Elle déglutit. L'explication la plus plausible serait qu'on lui mentirait depuis le début sur ses origines. Mais dans ce cas, pourquoi la garder à Altoz ? Qu'est-ce qui pouvait lui affirmer qu'elle ne serait pas en fait une « prisonnière » ?
- Non, je vais trop loin... murmura-t-elle en baissant la tête.
Cette conversation qu'elle avait surprise entre Lasya et sa grand-mère attestait du fait qu'elle serait bien arrivée à Altoz par hasard. Zelda posa une main contre son front avant de maudire son amnésie qui l'empêchait de comprendre. Il y avait à la fois trop d'éléments et pas assez. La dernière solution restait de tout mettre au clair avec sa prétendue grand-mère. Zelda se releva puis revint vers le village. Tant pis pour son entraînement, son besoin de réponses prenait le dessus. Son pas soutenu la conduisit rapidement à Altoz où elle passa entre les premières cabanes qui s'offraient à elle. Mais au moment d'arriver à la place centrale, elle vit un groupe formé devant la hutte de Ren. Par réflexe, Zelda se cacha derrière un mur de pierre puis tendit l'oreille. Elle avait un mauvais pressentiment, son instinct de survie s'était éveillé pour la mettre en sécurité. Avec la plus grande des précautions, elle passa sa tête sur le côté et inspecta les hommes et femmes en question. Ils étaient tous du village et créaient un demi-cercle autour de Ren et d'une femme que l'Hylienne ne connaissait pas. L'inconnue possédait une chevelure blanche commune des peuples de Delteha mais ses habits contrastaient totalement : elle portait un jaque et un pantalon sombres, une longue et fine épée sanglée à sa ceinture ainsi qu'une demi-cape qui recouvrait sa poitrine et tout son dos. Dans son attitude, Zelda comprit parfaitement qu'elle défiait la cheffe d'Altoz.
- Je t'ai dit de quitter ce village, grogna Ren qui croisait les bras en lui adressant un regard dur. On n'aime pas les étrangers ici.
- J'ai besoin d'obtenir des informations, répliqua gravement son interlocutrice.
- Nous n'avons rien à te dire alors va-t'en ! Ou tu goûteras de ma hache.
L'épéiste ricana avec amertume pendant qu'elle dévisageait la guerrière de manière condescendante.
- Si tu savais à qui tu as affaire, tu me lècherais les pieds, femme. Mais il semblerait que les Soneaux ne soit plus un peuple très docile.
Ren s'empara d'un coup de sa hache puis se précipita vers celle qui venait de l'humilier afin de lui couper la gorge. Mais l'un de ses amis proches s'interposa et tira la cheffe d'un coup en arrière pour l'empêcher de commettre l'irréparable.
- Ren, arrête ! Nous ne savons pas quelles répercussions peuvent entraîner sa mort, alors agis de façon réfléchie !
- Ton cabot n'a pas tort, reprit l'étrangère. Si tu oses porter la main sur moi, sois certaine que ton village sera rasé peu après.
Son sourire narquois engendra une colère encore plus noire chez la cheffe qui la foudroya du regard avant de jeter son arme au sol. Sa hache se planta dans la terre mais resta tout de même à sa portée.
- Je te conseille de ne pas m'énerver encore plus. Les dernières personnes qui m'ont mise hors de moi ont péri dans la douleur.
L'épéiste haussa les sourcils puis posa une main sur sa hanche en affichant un air ennuyé.
- Pitoyable intimidation, mais soit. Je vais en tenir rigueur. Passons maintenant aux choses sérieuses.
- Je ne répondrai pas à tes interrogations tant que je ne connaitrai pas ton identité, rétorqua froidement Ren qui recula d'un pas.
Son interlocutrice soupira. Les humains des souterrains étaient encore plus stupides qu'à la surface. Ces millénaires passés sous terre avaient visiblement affecté les capacités intellectuelles de toute leur descendance. Voir une telle primitivité avait de quoi dégoûter le disciple de Ganondorf.
- Je me nomme Caï de Deraim. Dis-moi si tu connais cette femme.
L'épéiste attrapa un objet à sa ceinture puis le montra à Ren qui se figea de stupeur. Quant à Zelda, son souffle se coupa quand elle reconnut la tablette sheikah. Du moins, ce qui y ressemblait le plus car ce n'était pas celle qu'elle avait connue. Oui... Elle se souvenait d'avoir effectué des recherches dessus afin de mieux connaître les Gardiens. Mais dans quel but ? Ici, selon Voseth, tout le monde les craignait. Mais dans ses souvenirs, Zelda les voyait comme une aide précieuse.
- Par tous les esprits ! s'exclama Ren face à la photo qui lui était présentée. Par quel miracle peut-il y avoir un monde miniature dans cette chose ?
- C'est un cliché, pauvre idiote, siffla Caï dont l'impatience commençait à prendre le dessus. Ce que tu vois n'est qu'un souvenir figé dans le temps et conservé dans cette tablette. Alors, as-tu déjà vu cette femme ? Ou quelqu'un par ici la connaîtrait ?
La cheffe plissa les yeux afin de mieux dévisager cette nouvelle inconnue qu'on lui présentait. Ses cheveux blonds lui rappelaient ceux de Zelda, tout comme le bleu de ses vêtements. Elles avaient même un vague air de ressemblance, à bien y réfléchir. Mais Ren n'était pas naïve. Cette Caï ne lui inspirait pas confiance, elle dégageait une aura néfaste. Ses intentions étaient clairement malintentionnées. Et quand il s'agissait de la protection des membres de son village, Ren se montrait intransigeante. Dans son dos, ses compagnons s'observèrent avec inquiétude. Ils préférèrent se taire et laisser leur cheffe parler.
- Je n'avais encore jamais vu une telle chevelure, mentit Ren en reportant son attention sur l'épéiste. Vous ne trouverez personne à Delteha avec un physique pareil.
- Je n'en suis pas si sûre. Mais peut-être que son nom sera plus parlant. Cette femme s'appelle Zelda.
Les deux guerrières se toisèrent sans osciller. Ren faisait surtout preuve d'un sang-froid remarquable pour ne rien laisser paraître. Elle commençait à croire que la situation actuelle de Zelda était sans doute due à cette étrangère. La cheffe se tourna puis demanda à ses compagnons s'ils connaissaient une dénommée Zelda, mais tout le monde feignit de ne rien savoir.
- Voilà qui règle le problème, trancha Ren en reprenant en main le manche de sa hache. Maintenant, dégage de là.
Caï la dévisagea mauvaisement, elle manifestait une méfiance vis-à-vis des paroles de ces stupides villageois. Mais puisque tous s'accordaient à dire qu'ils ne reconnaissaient ni le visage ni le nom de sa proie, elle finit par soupirer puis replacer la tablette à sa ceinture.
- Soit, je n'ai fait que perdre mon temps. Mais si j'apprends que cette femme est cachée dans ce village, il ne faudra pas m'en vouloir. Je m'assurerai personnellement des représailles qui retomberont sur vous.
Elle afficha un sourire presque inoffensif qui fit frissonner Ren. Cette... Cette inconnue représentait clairement un danger pour les siens. Caï tourna les talons avant de s'arrêter face à la hutte du Sorcier. Ce dernier ne l'avait pas quittée puisqu'il était en train de dormir, donc il n'avait pas connaissance de la visite inattendue du disciple de Ganondorf. L'épéiste afficha un air dégoûté puis elle s'en alla définitivement, suivie par le regard des membres du village. L'air rembruni de Ren avait de quoi inquiéter les siens ; ceux-ci attendaient qu'elle prenne la parole pour les rassurer. Hélas, ce fut tout le contraire :
- Renforcez les gardes autour du village, ordonna-t-elle en leur faisant face. Je n'aime pas ce qu'il se passe depuis quelques temps. Cette femme transpire le Mal, des esprits néfastes l'habitent.
- Mais... La personne qu'elle recherchait...
Presque en même temps, ils tournèrent la tête vers Zelda qui s'approchait discrètement, le cœur battant la chamade. La blonde ne savait si elle devait rester en retrait. Mais le signe d'appel que lui adressa Ren l'incita à les rejoindre.
- Est-ce que tu as déjà vu cette femme ? lui demanda la guerrière d'une voix grave.
- Non... répondit Zelda avec nonchalance.
- Tu es sûre ? Même pas un pressentiment ? Une intuition ?
Elle en était certaine et le fit savoir. Jamais l'Hylienne n'avait vu cette Caï. Toutefois, toutes deux connaissaient la tablette sheikah ainsi que son utilité. Cette épéiste venait du même endroit que Zelda, ses habits et son langage ne trompaient pas.
- Quand je l'ai vue, une peur étrange m'a tordu le ventre, avoua finalement la jeune femme qui rivait ses yeux au sol. Pourtant, je suis persuadée de ne l'avoir jamais rencontrée avant d'arriver ici.
Ren souffla de manière bruyante.
- Bon, nous ne sommes pas plus avancés. Et cette chose qu'elle m'a montrée, tu l'as déjà vue quelque part ?
Zelda le lui confirma en lui donnant même le nom de l'objet : la tablette sheikah. Pour le moment, elle ne pouvait en dire plus car les souvenirs liés avec cette relique demeuraient flous. Néanmoins, elle se rappelait avoir mené des recherches dessus bien qu'elle n'en donna pas les détails. Tant que rien n'était clair, mieux valait tout garder pour soi.
- Si tu es vraiment celle que cette guerrière recherche, tu devras rester dans le village jusqu'à récupération complète de ta mémoire, décréta Ren en scrutant les alentours. Tu seras en sécurité à Altoz.
- Je... Je comprends.
La jeune femme baissa légèrement la tête puis s'en alla retrouver Omi. Elle lui poserait ses questions quand ses doutes deviendraient plus conséquents. D'ici peu, Zelda sentait que les souvenirs de son enfance lui reviendraient à la mémoire. Et alors, ses soupçons seraient fondés ou non. Quant à Ren, elle fit disperser les siens dans son village sauf son ami proche qui l'avait retenue quelques instants plus tôt : Yatim. Celui-ci attendit que sa cheffe lui expose ce qu'elle comptait lui dire.
- J'aimerais que tu suives cette Caï. Je veux savoir où elle se rend et si elle a des compagnons. Mais fais bien attention, elle te tuerait facilement si tu venais à être découvert.
Yatim, un homme de son âge et assez imposant par sa morphologie, posa une main sur son épaule et lui fit un signe de tête dans le but de la rassurer.
- N'aie crainte, je vais prendre un phauce avec moi pour te tenir au courant. Je te ferai part de mon avancée.
- Entendu, mais reste tout de même prudent.
Dans la foulée, le guerrier décrocha une petite flûte de sa ceinture, la porta à sa bouche puis joua une succession de trois notes aiguës. Ainsi, il appela le phauce qu'il avait domestiqué, une sorte de volatile au corps de rongeur et au pelage gris. Il possédait notamment une fine queue de plus en plus touffue vers sa distalité. Ces animaux s'avéraient être des messagers de choix lors des longs voyages entrepris, cependant ils ne pouvaient délivrer qu'un petit morceau de parchemin enroulé à cause de leur taille restreinte. Les messagers humains restaient donc une meilleure option quand il s'agissait d'informer, par exemple, un village voisin et allié d'un quelconque problème. Afin de voyager sans encombrement, Yatim sangla sa hache dans son dos après avoir pris quelques provisions pour la route. Il salua une dernière fois son amie puis quitta le village sans plus tarder. Il suivrait les empruntes de sa proie pour la retrouver puis sa mission commencerait. Quand l'homme fut hors de son champ de vision, Ren souffla pour expulser toute la pression emmagasinée.
Des gouttes provenant de la voûte tombèrent quelques mètres devant elle et attirèrent son attention. Il n'était pas rare que l'eau de la surface traverse les sols et s'égoutte dans Delteha, même si Ren et les siens ne connaissaient pas l'origine de ce phénomène. Mais ce qui venait de tomber devant elle... Cela n'avait rien à voir. La cheffe faisait face à une substance visqueuse, noire et rouge, qui n'était autre que la chose elle-même.
- Qu'est-ce que...
Elle leva la tête dans le but d'analyser la voûte malgré sa hauteur. Elle ne vit aucun filet de corruption en couler. Mais alors... D'où venaient ces gouttes ? La roche aurait donc retenue le reste de la chose ? Ren plissa les yeux. Oui, depuis quelques temps, un changement avait lieu. Mais elle le savait, il n'avait rien de bon. Et encore une fois, son attention se reporta sur Zelda. Un physique atypique, une arrivée soudaine, une blessure, la croissance de la chose et maintenant, une guerrière malveillante qui la recherchait. Peut-être n'y avait-il aucun lien... Il ne manquerait plus que le retour de ces satanés monstres de fer pour couronner le tout.
oOo
Peu après ces événements et son travail habituel, Zelda alla dormir aux côtés de Lasya dans la cabane. L'épuisement s'était emparé de la jeune femme dont le corps manquait cruellement de soleil pour son bon métabolisme. Malheureusement, pour le moment, elle n'en avait pas conscience. Le peu de nourriture n'aidait pas non plus, elle perdait du poids et s'affaiblissait d'autant plus en conséquence. De son côté, Omi assistait à ces changements sans en comprendre la cause. Car à Altoz, les habitants étaient tous maigres sauf les guerriers qui avaient le droit de manger à leur faim pour protéger le clan. Aux yeux de la grand-mère, Zelda acquérait la morphologie des petites gens selon la volonté des esprits.
Sur la paillasse, elle vit la blonde bouger un peu dans son sommeil ; elle rêvait sans doute. Pour une fois que ce n'était pas des cauchemars... Omi afficha un air désolé sur son visage. Elle ne savait combien de temps il lui restait avant de devoir avouer tous ses mensonges à Zelda. L'Éclosion s'approchait de plus en plus.
- Link... souffla l'Hylienne dans son sommeil.
La doyenne d'Altoz se figea. N'était-ce pas... la première fois que sa protégée n'hurlait pas ce prénom ? Il y avait comme un appel à travers sa voix, une forme d'espérance et de tristesse enfouie au fond d'elle-même. Et si... Et si, avec Lasya, elles se trompaient lourdement au sujet de cet inconnu ? Omi avait discuté avec Ren peu après le passage de Caï. Peut-être était-ce cette guerrière qui traquait Zelda et avait provoqué sa chute dans la Rivière des Tourments. Mais dans ce cas-là, qui était ce Link ? Pourquoi crier son prénom avec effroi dans ses songes ? Certaines pièces commençaient à s'assemblaient dans l'esprit de la vieille femme. Son hôte lui avait parlé... de l'impression d'une personne qui se trouvait près d'elle, notamment quand les Krassens avaient traversé le village.
- Pourquoi prendre ce sujet autant à cœur ? se demanda Omi d'une petite voix. Nous aurons pourtant des réponses bien assez tôt.
Elle quitta le tabouret sur lequel elle était assise avant de se diriger vers sa propre paillasse. Mais sur le chemin, un vertige lui arracha un grognement et la força à se tenir au bord de la table, au centre de la cabane.
- Je... Je ne me fais plus toute jeune, moi... Omi Kalia devrait faire plus attention.
Un sourire se dessina sur ses lèvres quand elle prononça son véritable prénom. Puisqu'elle était la doyenne, tout le monde pouvait l'appeler Omi, sa véritable identité avait fini par s'éteindre peu à peu. Seul son cher Isoa l'appellerait encore Kalia s'il vivait toujours à Altoz. Mais ce vieux crouteux avait préféré l'ermitage pour une raison incompréhensible. La vieille femme souffla du nez avec agacement. Le jour où tous deux se reverraient, elle lui ferait passer un sale quart d'heure.
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