Chapitre 16
Au pied du château, dans une cour au sud, Thomas tirait son cheval par la bride et le menait jusqu'aux deux élus des déesses qui discutaient de vive voix. La princesse portait ses vêtements de voyage tandis que Link revêtait son habituelle tenue de prodige qu'il affectionnait tant. Les claquements des sabots sur la pierre accompagnaient l'archer et lui donnaient le sentiment de partir pour longtemps. Après tout, il pourrait lui aussi en apprendre plus sur ses origines. Derrière lui, Léon le héla puis accourut dans sa direction, talonné par Iris.
- Quand est-ce que vous allez rentrer ? lui demanda le grand gaillard qui n'affichait pas son sourire coutumier.
- Sans doute dans le courant de la semaine. Nous allons visiter un endroit.
Léon se plaignit de ne pas être autorisé à venir, mais les ordres du capitaine demeuraient incontestables : lui et Iris devraient attendre leur retour sans poser de questions.
- Et l'assassin ? C'est dangereux de quitter la citadelle avec ce type dans les parages...
- Le capitaine m'en a parlé tout à l'heure. Des voyageurs l'auraient croisé et identifié sur le mont Hébra. Un groupe de Piafs s'est lancé à sa recherche. Si nous n'avions eu aucune information, le voyage aurait très certainement été annulé...
Cette nouvelle eut pour effet de rassurer un peu ses camarades.
- Dans ce cas, à bientôt, lui adressa la jeune fille en souriant.
- Oui, à bientôt, répondit-il sans émotion particulière.
Link appela justement son apprenti au même moment, coupant court à sa discussion avec ses deux camarades. Le brun les salua puis franchit le reste de la distance qui le séparait des deux élus. Ceux-ci lui donnèrent les dernières indications sur le voyage puis ils se mirent en route sans tarder. Pour la première fois, Thomas avait son propre cheval, même s'il appartenait à l'écurie du château. Au moins, il n'aurait pas à marcher des heures. Le trio quitta l'enceinte de la forteresse puis traversa la citadelle pourtant peu animée ce jour-là. Tout le monde devait travailler au vu de l'heure en cette matinée nuageuse. À cheval, les trois jeunes gens arriveraient en début de soirée à la forêt de Firone. Il leur faudrait dormir soit à la belle étoile, soit dans le relais le plus proche dans la mesure du possible. Mais alors qu'ils traversaient la place centrale, Thomas eut un sentiment de malaise créé par une source inconnue. Il se sentait observé parmi les rares passants dans la rue. Le brun scruta les alentours avec une attention poussée, presque maladive, mais ne remarqua rien d'anormal, ce qui le rendit d'autant plus nerveux. Peut-être n'y avait-il personne qui le suivait ? Quoi qu'il en soit, une forme d'instinct de survie l'avertissait d'une présence dangereuse dans le périmètre. Thomas éperonna légèrement sa monture pour qu'elle se rapproche du capitaine de la garde royale. Link reporta son attention sur lui :
- Comment va ton ancienne blessure ?
- La cicatrisation se poursuit, j'ai de moins en moins mal, répondit l'archer en dépit de sa voix nonchalante. Mais pour le moment, je ne peux pas utiliser des arcs trop grands.
Link l'approuva.
- Tu as raison. Il vaut mieux s'entraîner avec des arcs basiques et moins durs à bander qui solliciteront moins tes muscles ventraux. Néanmoins, je préfère que tu t'abstiennes d'exercice si tu as trop mal, plutôt que de te forcer.
Son apprenti ne désira pas poursuivre la conversation. Il montra seulement à son supérieur qu'il était d'accord puis il reprit sa surveillance jusqu'à la sortie de la citadelle. Rien de suspect n'éveilla ses soupçons alors Thomas se calma et devint plus serein. Leur traversée de la plaine d'Hyrule débuta, un très léger vent soulevait leurs cheveux et les rafraîchissait. Une atmosphère paisible régnait en maître, le royaume entier se montrait prospère malgré les événements récents. Haut dans le ciel, un groupe de Piafs patrouillait à la recherche du moindre individu douteux.
- Je me demande si nous avons pris assez de torches, énonça Zelda en regardant celles accrochées à la croupe de son cheval. Il n'y en a que huit.
- Ce sera suffisant, affirma le chevalier pour la rassurer. Si nous venons à en manquer, nous n'aurons qu'à faire demi-tour. Il n'est pas impossible que nous revenions une seconde fois.
Cette option s'envisageait tout aussi bien. Si le temple regorgeait de secrets et d'énigmes, jamais tous deux ne pourraient les déchiffrer en une seule fois. Le temps passa durant lequel le voyage se déroulait à merveille, il allait sans dire. Pourtant, lorsqu'ils furent à une lieue du plateau du Prélude, Zelda fut prise de vertiges ainsi que de maux de tête qui n'avaient rien à voir avec une quelconque migraine ou autre. Dans un premier temps, elle tâcha au mieux de le cacher. Puis, lorsqu'une vive fatigue s'empara d'elle, la jeune femme crut qu'elle tomberait de son cheval. Son état alerta Link qui décida aussitôt de s'arrêter pour comprendre ce qu'elle avait. Pendant que son apprenti gardait les chevaux, il guida Zelda jusqu'à un gros rocher où elle prit appui dessus sans délai.
- Tu es malade ? la questionna Link, préoccupé de la voir ainsi.
- Espérons que ce ne soit pas le cas. Pourtant, j'ai des sueurs froides et je me sens vidée de mes forces...
Link émit un faible soupir puis regarda en direction de la forteresse dont on apercevait les nombreuses tours.
- Tant pis, nous devrions rentrer.
La princesse posa hâtivement une main sur son avant-bras et le supplia du regard pour l'en dissuader.
- Non, attendons quelques minutes. S'il n'y a pas d'amélioration, alors nous rebrousserons chemin.
Link n'aimait pas cette idée même s'il s'y plia. Sous la demande de sa fiancée, il s'éloigna pour lui laisser un peu d'espace et alla trouver Thomas qui guettait les environs. L'archer fut étonné de voir son supérieur s'asseoir en tailleur à même le sol puis arracher quelques brins d'herbe.
- Capitaine ? se risqua-t-il en s'approchant.
- Ce n'est pas la première fois. Dès que la princesse ne se sent pas bien, je ne sais jamais comment l'aider. Si je possédais la moindre médecine sur moi, j'aurais tenté de la soulager...
Le brun voulait le rassurer en lui disant qu'il ne pouvait pas toujours être à la hauteur, mais il se trouva bien présomptueux d'avoir cette pensée envers son capitaine alors Thomas garda le silence. Du coin de l'œil, il aperçut une forme bleutée se cacher derrière un buisson. Intrigué, il plissa les yeux avant de discerner un rumy apeuré par leur présence. Sans brusquerie, l'archer tendit la main vers lui et sourit discrètement.
- Viens là, dit-il avec calme pour ne pas l'effrayer encore plus.
Le museau du petit être remua afin de le sentir de loin puis, avec précaution, commença à s'avancer malgré son hésitation et sa peur apparentes. Quant à Link, il observait la scène comme si elle était surréaliste. Jamais il n'avait vu de rumy venir à la rencontre de quelqu'un. D'habitude, ils fuyaient au moindre bruit... La délicatesse dont l'animal fit preuve pour venir humer les doigts du garçon le surprit tout d'abord. Thomas n'avait encore jamais touché de rumy, celui-ci dégageait une chaleur réconfortante.
- Comment est-ce possible ? murmura Link, stupéfait.
Thomas leva les yeux vers lui et perdit son sourire.
- Je l'ai appelé à moi avec bienveillance.
Son supérieur fronça les sourcils tant il trouvait cela hors du commun. À son tour, il fit les mêmes gestes que son apprenti pour pouvoir attirer le rumy vers lui. Cependant, l'être bleuté bondit en arrière puis se dissipa en une centaine d'éclats quelques mètres plus loin.
- Les rumys nous fuient. Je n'avais encore jamais vu quelqu'un en approcher un si près.
- Sans doute car ils sont mal compris par les Hyliens, supposa Thomas de nouveau mal à l'aise. J'entends si souvent dire qu'on leur tirerait dessus dans l'espoir de récolter des rubis. Il faut vraiment ne pas avoir de cœur pour commettre une telle chose.
Une once de colère se fit sentir dans sa voix. Link se souvint des rares fois il avait justement tiré une ou deux flèches sur eux pour vérifier si ces rumeurs s'avéraient correctes. Néanmoins, il ne l'avait fait que pendant sa quête de la reconstruction du royaume. Après cela, ses obligations lui prenaient tellement de temps qu'il ne pensait même plus à eux. Derrière les deux garçons, Zelda quittait le rocher pour venir les rejoindre et reprendre la route. Ses vertiges avaient disparu et ses forces revenaient peu à peu. Link lui redemanda une dernière fois si elle était certaine de vouloir continuer le voyage, ce à quoi sa compagne répondit qu'elle irait jusqu'au bout. Le blond s'y plia et tous les trois se remirent en route.
oOo
Alors que le ciel orangé du crépuscule englobait tout le royaume d'Hyrule, les cavaliers traversaient la forêt de Firone. Hélas, aucun relais ne se trouvait dans les environs donc ils durent se résigner à dormir à la belle étoile. Un feu de camp fut allumé, les chevaux attachés au même palmier tandis que trois tapis avaient été déposés à même le sol pour y dormir dessus. Link prépara le simple dîner qui se résumait à de la viande séchée et à quelques légumes frais transportables. Les ruines soneaux n'étaient plus très loin, sans doute deux petites heures de marche de leur campement. Dans cette région d'Hyrule, les nuits chaudes n'obligeaient pas les voyageurs à se couvrir de vêtements épais ou de couvertures. Mais l'humidité empêchait une bonne thermolyse donc il fallait boire souvent pour ne pas se déshydrater. Link remarqua toutefois que son apprenti ne buvait pas beaucoup.
L'heure de dormir fut venue. Thomas se coucha dans un coin et tourna le dos aux deux élus qui s'assirent côte à côte contre un tronc d'arbre. Link décida de rester éveillé pour monter la garde tandis que sa compagne laissait sa tête reposer sur son épaule afin de s'assoupir. Le blond observa la broche dans les cheveux de la princesse et eut un agréable pincement au cœur. Ce simple accessoire signifiait tant pour eux.
- Zelda, j'ai une question à te poser, chuchota-t-il pour ne pas déranger l'archer.
L'Hylienne entrouvrit les yeux pour écouter.
- Le jour où je t'ai offert la broche, je t'ai dit que j'étais aussi quelqu'un d'inaccessible. Du moins à l'époque. Alors... Quand est-ce que tu as compris ?
Zelda releva la tête vers lui et ancra son regard dans le sien, un sourire en coin.
- Ce n'est que maintenant que tu me le demandes ?
- Je n'y avais jamais vraiment pensé, donna-t-il comme seule excuse.
Elle se replongea dans ses souvenirs pour lui répondre. Quand avait-elle commencé à regarder Link différemment ? Zelda ne s'en souvenait pas avec exactitude, néanmoins elle n'avait pas oublié un jour en particulier.
- Un jour, tous les gardes royaux avaient été réunis dans la salle du trône. Le roi, mon père, devait vous donner des indications à propos de la nouvelle organisation interne du château.
Son cœur s'emballa un peu avant de reprendre :
- Je crois que tu te tenais au deuxième rang, tu avais le visage particulièrement fermé.
En effet, Link exprimait un air imperturbable, encore plus lors de ces réunions. Il portait toujours une attention poussée à ce que disait son souverain car le capitaine de la garde royale se devait de montrer l'exemple par la suite. C'est alors que Zelda mit une main devant sa bouche pour s'empêcher de rire avec embarras.
- Tu as fini par lever les yeux vers moi puisque j'étais à côté du trône. Tu as détourné le regard par pudeur, il me semble. Puis tu as osé me regarder une deuxième fois et un sourire s'est dessiné sur tes lèvres.
Ce souvenir lui apporta un peu de chaleur. Zelda souffla avec discrétion alors que le sommeil commençait déjà à s'emparer d'elle.
- Ce jour-là, j'ai été heureuse de constater que j'étais la source de ton sourire... J'ai eu un éclat de lucidité et j'ai pris pleinement conscience de mes sentiments pour toi.
Link jeta un coup d'œil vers son apprenti pour vérifier qu'il leur tournait bien le dos puis il passa un bras autour de la taille de sa fiancée pour la maintenir contre lui.
- Je ne m'attendais pas vraiment à cela, avoua-t-il avec embarras.
- Voyons, la vie n'est pas un conte de fée, le taquina Zelda. Certes, tu étais mon chevalier mais il n'était pas écrit que nous tomberions assurément amoureux l'un de l'autre.
Il l'approuva :
- Je suis bien d'accord. Quand je me suis lancé dans ma formation de chevalier, ce n'était pas pour te servir personnellement mais bien pour protéger le royaume. J'ai souvenir de tous ces Hyliens qui voulaient être ton chevalier servant. À cette époque, je trouvais cela dérisoire...
Le silence qui s'ensuivit lui fit aussitôt penser que sa damoiselle l'avait mal pris.
- Ne te méprends pas ! Être assigné à ta protection n'a jamais été un fardeau malgré les débuts difficiles.
- Je n'en doute pas, lui assura-t-elle sur un ton posé.
Zelda posa une main sur la joue du jeune homme puis lui fit tourner la tête de sorte qu'elle puisse l'embrasser avec douceur. Ils fermèrent les yeux pour s'adonner à cet instant qui leur paraissait hors du temps et qui leur permettait de se laisser aller tant qu'ils en avaient l'opportunité. Pareil à toutes les autres fois, leur rythme cardiaque s'emporta et une chaleur appréciable les enveloppa. De son côté, Thomas n'osait même pas bouger de peur de les importuner. Il regretta de ne pas s'être endormi au lieu d'écouter leur précédente conversation d'une oreille distraite. Qu'il s'agisse en plus des deux élus des déesses, il se sentait encore plus inconfortable. Le brun avait l'impression d'être de trop et souhaita à ce moment précis réapparaître au château par une quelconque magie. Finalement, il déglutit puis essaya de s'endormir tant bien que mal.
oOo
- Bon, nous y sommes, annonça Zelda face à la porte qu'ils ne connaissaient que trop bien à présent.
Le trio se posta devant le mur de pierre gravé, deux torches avaient été allumées tant qu'ils le pouvaient. Les deux blonds se tournèrent vers Thomas qui demanda :
- Que suis-je supposé faire ?
Link vint toucher la paroi rocheuse pour lui montrer.
- Tu dois poser ta main sur la porte.
Était-ce tout ? Le brun cacha sa surprise et s'exécuta sans broncher. Il n'était là que pour ce travail, pas pour discuter. Cependant, rien ne se produisit, aucun bruit ne se fit entendre. Zelda fut vraiment désappointée mais ne renonça pas pour autant.
- Est-ce que tu connais un peu la langue soneau ?
- Mon frère m'a un peu appris à la parler et à la lire, mais je ne comprends que peu de mots... Je ne suis pas sûr d'être d'une grande aide. Je vais quand même essayer, ajouta-t-il quand un voile de déception se vit sur le visage de la princesse.
Thomas garda sa main sur la paroi et réfléchit à ce qu'il allait dire. En effet, il était loin d'être bilingue, ses connaissances se limitaient aux verbes et aux noms communs les plus courants. Avec hésitation, il prononça quelques syllabes puis attendit, le cœur battant la chamade. Lentement, ils entendirent des pierres glisser l'une contre l'autre puis la porte s'ouvrit en suivant l'arc de cercle tracer au sol. Link ordonna de reculer et scruta avec méfiance la nouvelle cavité qui s'offrait à eux. Le noir se montra en premier puis ils virent peu à peu le sol se dessiner devant leurs pieds. Le chevalier avança prudemment puis mit sa torche en avant pour mieux voir. Une forte odeur de roche humide flottait et rendait l'air plus lourd. Au fil du temps, tous trois aperçurent de lointaines lueurs vertes parsemées çà et là qui s'apparentaient, en fait, à des gisements de gemmes nox. Émerveillée de découvrir une grotte et non une salle supplémentaire, Zelda avança de plusieurs pas tout en regardant autour d'elle. Devant, un très ancien et large escalier érodé menait à un niveau bien plus bas, perdu au milieu de cette immensité.
- Qu'est-ce que tu as dit ? demanda Link à son apprenti, lui aussi stupéfait par leur découverte.
- Je lui ai seulement demandé de s'ouvrir...
En avant, la princesse s'agitait de plus en plus et s'engagea dans l'escalier.
- Venez voir ! les appela-t-elle avec engouement.
Sur leur gauche se dressait une paroi rugueuse tandis qu'une vaste étendue d'obscurité se présentait sur leur droite et devant eux. Zelda descendit la soixantaine de marches et se dirigea vers de nouveaux bas-reliefs qu'elle avait aperçus. Cette fois-ci, ils étaient complets en dépit de la mousse qui les recouvrait par endroits.
- Fascinant, souffla la jeune femme en retirant tout ce qui cachait les gravures. Voilà donc la continuité de ce que l'on trouve dans le temple.
Thomas arriva près d'elle pour les examiner. Il vit plusieurs personnes représentées qui se regroupaient atour d'un même individu. Plus loin, on assistait à la chasse ou encore à des offrandes aux déesses. Visiblement, ce peuple était très pieux et à l'écoute de la nature. Zelda ne savait dater ce qu'elle analysait. Ces bas-reliefs devaient avoir plusieurs milliers d'années, cela ne faisait aucun doute. Mais appartenaient-ils à la période de l'avant-dernière incarnation de Ganon, soit il y avait dix mille ans ?
- Il y a une sorte de prémonition ici, déclara Link qui se tenait plus loin. C'est la même que celle dans la première pièce.
La princesse le rejoignit, intriguée.
- L'annonce de la venue au monde d'un enfant, compléta-t-elle avec curiosité. Peut-être l'une de nos précédentes incarnations ?
- Je ne peux pas l'affirmer mais c'est une hypothèse plausible. Ce qui signifierait que l'un d'eux est né dans la tribu soneau au vu des personnes représentées.
Zelda avança le long du mur. Sur une dizaine de mètres, plus rien n'était gravé, comme si l'arrivée de cet enfant avait chamboulé l'histoire même de ce peuple. Car plus loin, tout reprenait. Cependant, des dizaines et des dizaines de Gardiens apparaissaient ainsi que les Créatures Divines, entourant le peuple disparu à l'heure actuelle. Ce détail perturba les deux jeunes gens qui s'échangèrent un regard inquiet.
- On dirait qu'ils étaient les cibles des machines antiques, prononça Zelda en touchant la paroi fraîche.
- Ce n'est pas normal, elles avaient pour mission de se battre contre le Fléau.
- Il y avait sans doute une raison... Mais tout de même ! Retourner les Gardiens contre des Hyruliens, c'est ignoble...
Elle repensa une fois de plus à l'apparition de Ganon, cent ans plus tôt, ainsi qu'aux ravages causés par les machines corrompues. À toutes les personnes qui avaient péri devant elle sous les rayons destructeurs des Gardiens.
- Il est impensable que les Sheikahs aient pu leur demander de s'attaquer à ces pauvres personnes, décréta Zelda avec conviction. Nous manquons d'informations pour analyser cette scène.
Le visage de Link se rembrunit quand il pensa faire un rapprochement.
- Souviens-toi quand tu nous as montré la dernière occupation du temple. Les Soneaux étaient effrayés par quelque chose, leurs guerriers avaient été sévèrement blessés. À bien y réfléchir, leurs blessures me rappelles celles que j'ai eues il y a trois ans.
- Non, je ne peux pas y croire.
Zelda préférait le déni. À ses yeux, il était inconcevable qu'il y avait dix mille ans, les Gardiens se soient aussi pris à des personnes pour les tuer. Mais rien n'expliquait pourquoi ils avaient disparu du jour au lendemain. Et s'ils s'étaient réfugiés dans le temple puis qu'ils en étaient sortis plus tard avant de quitter le royaume ? Mais dans ce cas... Pourquoi ?
- Il y a marqué quelque chose ici, les avertit Thomas qui s'était accroupi pour mieux voir.
Les deux élus tournèrent la tête vers lui, prêts à entendre.
- Je ne comprends pas tout mais il est mention d'un « peuple gardien » et d'une « vérité ».
Ses yeux s'agrandirent légèrement lorsqu'il comprit.
- Soneau... Soneau signifie « peuple gardien » dans cette langue. Je peux aussi lire « Hylia » et « Ganon » mais le reste m'est inaccessible, je suis désolé.
- Ils avaient donc un réel lien avec ces deux entités, dit Zelda qui posa un doigt replié devant sa bouche.
Thomas se rapprocha de l'illustration du bébé annoncé et retira quelques parcelles de mousse sur les symboles soneaux. Il mit un certain temps à tenter de les décrypter.
- Il est dit ici que l'enfant gardien arrivera lors d'une lune ronde.
- Un enfant gardien ? répéta Link.
- Oui, ce mot se prononce « soran ».
« So- » signifierait gardien, « -neau » le peuple et « -ran » l'enfant. Il restait à savoir s'il s'agissait du précédent Link. Cela en avait tout l'air. Quant au chevalier, il poursuivit son avancée pour découvrir le reste des bas-reliefs. Cependant, lorsqu'il remarqua leur brusque interruption au niveau d'une gravure précise, il plissa les yeux et s'approcha davantage pour mieux voir. Comme si le sculpteur avait été arrêté dans son travail. Ou plutôt, il n'avait clairement pas arrêté par sa propre volonté au vu de la profonde entaille dans la roche qui descendait bien en-dessous du personnage qu'il gravait. L'histoire contée prenait fin à partir de ce moment précis.
- Il s'est passé quelque chose ici, affirma-t-il en observant la paroi avec attention. On dirait qu'une ou plusieurs personnes se sont interposées lors de la réalisation du bas-relief.
Sa main se posa contre un trou en forme de cône.
- Une pointe est venue creuser la roche. Croyez-moi, l'impact a dû être puissant pour laisser une telle trace. Soit le sculpteur a fui, soit il a été tué.
- Peut-être qu'il a aussi fait ça dans un excès de colère, supposa Thomas en venant voir. Difficile de croire qu'on puisse en vouloir à un simple artisan... À moins que ses idées soient en contradiction avec celles de son chef.
Voilà bien quelque chose qui attisa la curiosité de Zelda et qui s'ajouta à la liste de leurs questions non résolues. Quelque part près d'eux, ils pouvaient entendre l'écoulement d'une rivière souterraine. Zelda proposa de la suivre en espérant trouver de nouveaux indices au fur et à mesure qu'ils progressaient dans la cavité. Cette dernière s'élargissait de plus en plus et n'offrait que des gemmes nox en guise de décor. Il n'y avait aucun signe de vie récent, rien qui puisse laisser penser que des êtres humains habiteraient dans les parages. Bientôt, ils arrivèrent face à un nouvel escalier qui descendait encore d'un niveau. Son état était davantage dégradé par rapport au précédent.
- J'ai du mal à croire que nous soyons sous terre, avoua Zelda qui se sentait de plus en plus mal à l'aise. Cet endroit est immense, à l'image d'un royaume caché.
Link lui demanda si elle souhaitait toujours continuer à explorer, ce à quoi elle répondit par l'affirmative. Ils empruntèrent les marches larges et détériorées par le temps avant de se retrouver enfin face à de très anciennes ruines qui s'apparentaient à un village fait de cabanes de pierre. Bien que la grande majorité se soit écroulée, il restait quelques grosses statues semblables à celles de la forêt de Firone, ressemblant tantôt à un dragon, à un hibou ou bien à un sanglier.
- Ce lieu doit être abandonné depuis des siècles, soupira Zelda qui observait le reste du village soneau. Nous ne trouverons rien ici.
Tandis qu'elle poursuivait la visite, Link remarqua l'étrange immobilité de son apprenti. Il lui fit face et fut surpris de voir la pâleur de ses joues.
- Que se passe-t-il ? lui demanda le chevalier avec inquiétude.
Le brun haussa les épaules en signe d'incompréhension.
- Je ne sais pas... Une vive nostalgie m'a submergé.
Link posa une main sur son épaule pour lui apporter un peu de chaleur parmi cette atmosphère froide.
- Je le conçois. Ce sont tes ancêtres, après tout. Savoir que ce peuple a disparu m'affecte aussi. Mais les choses sont ce qu'elles sont, nous ne pouvons pas revenir en arrière.
Il vit l'archer déglutir et opiner en silence. Peut-être qu'une minorité de Soneaux avaient quitté le territoire d'Hyrule. Et les autres seraient morts... Les deux Hyliens se remirent en route sur les pas de Zelda. Durant plus d'une heure, ils marchèrent sans rien trouver, il n'y avait que cette rivière qui ne cessait de couler à leur côté sans les aider davantage. À croire que les secrets du temple ne se résumaient qu'à ses bas-reliefs au tout début du chemin ainsi qu'à ses ruines. Pourtant, cet endroit dégageait une aura peu commune, comme s'il renfermait quelque chose de féerique en son sein. Les gemmes nox renforçaient ce sentiment de par leur lueur douce et verte. Le calme régnait en maître, les trois aventuriers ne pouvaient que l'apprécier.
Bien plus tard, ils finirent par arriver devant un pont partiellement détruit sur les bords. Deux possibilités s'offraient à eux : continuer sur le chemin de gauche ou bien traverser la rivière qui se trouvait maintenant à une trentaine de mètres plus bas. Après concertation, ils décidèrent de traverser le pont puis de revenir en arrière au bout d'une centaine de mètres s'il ne menait à rien. Link en profita pour changer les torches avant que les anciennes ne s'éteignent. L'infrastructure soneau était impressionnante, assurément, et éveillait d'autant plus l'admiration que Zelda développait pour cette tribu. Ce n'était pas des barbares sauvages comme pouvaient montrer leurs tenues vues lors de la reconstitution de l'avant-dernière ouverture de la porte. Ils cachaient sans doute d'autres technologies enfouies sous le royaume d'Hyrule. Leur découverte ne pouvait être que plus palpitante.
Il s'avérait que le pont menait à un grand îlot entouré par la rivière. Loin devant eux, une spirale de lumière verte descendait vers un point précis peu visible dans l'obscurité. En l'apercevant, Thomas frémit et sentit ses poils se hérisser. Il n'aimait pas du tout cette nouvelle ambiance. Alors pourquoi les deux élus semblaient si calmes ?
- Il y a... quelque chose là-bas, articula faiblement le brun en pointant la spirale en question. Quelque chose de néfaste...
Link considéra ses paroles et se mit sur ses gardes.
- Tous les deux, restez ici, les intima-t-il avant de se diriger vers la source de lumière verte.
Des marches circulaires se dessinèrent devant lui, montant jusqu'à un autel bien plus haut. C'est alors que Link les remarqua enfin : des filets de corruption s'écoulaient d'un point imperceptible dans les ténèbres et venaient se jeter plus loin dans la rivière. Le Héros frissonna et dégaina son épée. Il regrettait de ne pas avoir la Lame Purificatrice au vu de la situation. Revoir cette substance maléfique ne présageait rien de bon, il le savait. Et en trouver ici était anormal. Zelda resta près du pont, non loin du bord de cette petite falaise qui surplombait la rivière. Elle s'inquiétait puisque son compagnon venait de tirer son épée du fourreau. Quant à l'archer, il préféra s'avancer prudemment quitte à ne pas obéir à l'ordre de son supérieur. S'il se produisait quoi que ce soit, Thomas voulait agir.
Link finit par discerner la silhouette d'un homme figé dans une position de chute en arrière. La spirale verte qui descendait vers lui correspondait à une main plantée dans sa poitrine pour le maintenir ainsi. Le blond serra les dents quand il comprit qu'un homme gerudo se tenait devant lui. Ou plutôt une momie... Sa peau avait bruni et séché pour venir se coller aux muscles, ce qui rendait le corps plus terrifiant qu'il ne l'était déjà.
- Par les déesses ! murmura Link en reculant de façon soudaine.
Les filets de corruption s'échappaient de cet homme. Était-il corrompu ou s'agissait-il... de la forme humaine de Ganon ? Cette explication dégouta Link qui n'osait même plus bouger. Que faire ? Il ne savait même pas pourquoi le corps était ici et dans cette position. Comme si la main le tenait scellé depuis des siècles, voire des millénaires. Alors que le Héros observait d'un œil mauvais l'homme gerudo, il ne distingua pas les tressaillements des doigts face à lui.
- Capitaine, je n'aime pas du tout ça, dit Thomas d'une voix tremblante.
Cette momie l'apeurait, il devait se l'avouer. Tout chez elle le poussait à vouloir quitter ce lieu au plus vite et rentrer à la citadelle. Son bras se mit tout à coup à brûler et le fit gémir. L'archer plaqua une main dessus et tira vers le bas le vêtement qui cachait son épaule. Son tatouage luisait bien plus fortement qu'à l'accoutumé et un pressentiment s'empara de lui, si mauvais qu'il eut l'impression que le temps s'arrêtait. D'un coup, la main lumineuse plongea vers Link comme si elle fuyait la momie et elle s'empara de son avant-bras avant de réduire en cendre le cuir et le tissu qui le recouvraient. Une colonne de corruption se forma aussitôt au-dessus du corps immobile de l'homme puis vint se fracasser contre la voute de la grotte, créant une violente secousse qui fit perdre l'équilibre à Zelda. Elle se rattrapa tant bien que mal grâce aux mouvements de ses bras mais perçut le sol qui se fissurait sous ses pieds. Une vague d'horreur s'empara d'elle lorsqu'elle prit conscience de l'ampleur du danger.
- Link ! hurla la jeune femme pendant qu'elle se précipitait vers lui.
Le sol céda tout à coup sous ses pieds et l'emporta avec elle dans un cri de peur.
- Princesse !! s'époumona Thomas quand elle sombra vers la rivière en contrebas.
À côté de lui, Link poussait un cri déchirant à cause de la douleur créée par la main qui tentait de fusionner avec lui. Le chevalier tomba à la renverse et se recroquevilla, poussant sans cesse des hurlements plaintifs. Thomas était dépassé par la situation : la princesse venait de disparaître et son supérieur hurlait à s'en déchirer la gorge. L'archer se précipita dans sa direction, il s'abaissa pour le prendre sous les épaules et le soulever. Devant lui, la momie se redressa avec lenteur et poussa un grognement lugubre qui pétrifia Thomas. Dans un mouvement saccadé, il releva la tête et son sang se glaça face à la monstruosité qui lui faisait face. Cela n'avait rien d'un homme, pas même l'apparence. Ce n'était qu'un amas de chairs séchées et dont les yeux de couleurs rouge et jaune perçaient tout à travers leur regard. À ses pieds, Link fut pris de spasmes et cessa tout cri, dévoré par une puissante magie qui dépassait largement ce que son corps pouvait accepter.
De manière machinale, la momie tendit une main vers les deux Hyliens puis un flot de corruption s'abattit sur eux. Thomas traça une ligne horizontale devant lui, dans un mouvement désespéré et instinctif, et une demi-sphère verte transparente apparut pour les protéger. La substance dévastatrice percuta le bouclier puis vint l'englober dans sa totalité. Pris de panique, la respiration du brun accéléra d'un coup, elle se fit de plus en plus sifflante au fur et à mesure qu'il saisissait l'ampleur de la situation. Cette chose... Si cette chose les touchait, ils étaient morts. Il ressentait tout le poids de la corruption au-dessus de sa tête, lui et son capitaine se trouvaient dans une prison plongée dans le noir et qui pouvait devenir leur tombeau d'un instant à l'autre. Le pire était que Thomas ne savait pas ce que la momie faisait. Était-elle proche ? Peut-être se tenait-elle maintenant à quelques centimètres, dans l'attente que sa proie cède ? Le jeune homme sentit des larmes de terreur lui monter aux yeux. Il ne voulait pas mourir... Pas dans de telles conditions... En ouvrant cette fichue porte, il aurait donc exposé les deux sauveurs du royaume à une mort certaine ?! Son bouclier se fissura et fit manquer un battement à son cœur. Et à ses pieds, Link ne bougeait plus, terrassé par ce qu'il venait d'absorber.
- Capitaine ! paniqua encore plus Thomas qui posait une main sur leur unique protection pour la maintenir au mieux.
Il fallait trouver une solution rapidement. Le brun se coucha d'un coup et rétrécit le plus possible son bouclier de sorte de mimer son propre effondrement, et par conséquent la mort de ceux qu'il protégeait. Dorénavant, ils étaient totalement écrasés. Thomas pouvait sentir des gouttes de corruption suinter juste derrière sa tête. Se taire, ne plus bouger... et prier les déesses de leur venir en aide. Il retint un sanglot pendant que ses forces lui échappaient à cause de la peur qui lui tordait le ventre. Tout lui parut si long. Depuis combien de minutes tentait-il de survivre ? Thomas avait perdu toute notion du temps. Et l'air commençait étrangement à manquer. Ils allaient étouffer.
Mollement, la corruption s'écoula de part et d'autre du bouclier pour finir par se dissiper complètement. Thomas relâcha d'un coup la pression et la protection transparente vola en éclats dans la foulée. Il se redressa aussitôt et inspira de grandes goulées d'air pour se calmer. La momie n'était plus là, il ne restait plus rien mis à part une large trainée de corruption sur le sol. L'archer poussa enfin un hurlement face au corps inerte de son supérieur. Il le tourna pour le mettre sur le dos puis l'attrapa par les épaules.
- Capitaine ! Restez avec moi !!
Il le sentait, le cœur du Héros allait s'arrêter d'un moment à l'autre. Son avant-bras luisait maintenant lui aussi d'une vive couleur verte qui semblait appartenir au peuple soneau. Instinctivement, Thomas lui prit la main droite et la plaqua contre son tatouage avant de se mordre pour réprimer un cri intense de douleur. Il tentait à son tour de s'imprégner de la magie qui rongeait le corps de Link. L'alléger de cette charge qu'il ne pouvait supporter, c'était la seule chose que Thomas pouvait faire. Mais même cela n'arrangea rien.
- Je ne vous laisserai pas partir ! déclara-t-il fermement malgré sa voix éteinte.
L'apprenti fit tournoyer sa main au-dessus de la tête de Link jusqu'à ce qu'une fine fumée bleutée apparaisse, encore rattachée à lui. Il n'était pas trop tard. En dépit de ses mains tremblantes, Thomas les positionna autour de la fumée puis mima de l'étaler de chaque côté de sa tête pour qu'elle regagne la place qui lui était due. Le brun fut soudainement éreinté, son regard se voila quelques secondes mais il se reprit sans plus tarder, les sens toujours en alerte.
- Vous allez vivre...
oOo
Dissimulé dans l'un des rares abris de la région d'Hébra, le meurtrier tant recherché soignait au mieux ses blessures par flèche. Ces derniers temps, il avait été dans l'incapacité la plus totale de poursuivre son but et de retrouver celui qui avait volé la vie de sa sœur en plus d'avoir brisé la sienne. Du haut de ses vingt-quatre ans, jamais il n'avait connu pareille peine, pareille rancœur, pareille haine... Assis sur l'unique tabouret de la pièce, le brun remettait des bandages autour de sa plaie à la cuisse. Fort heureusement, celle-ci ne s'était pas infectée. C'est alors que son bras droit se mit soudainement à brûler et lui arracha une plainte grave. Il lâcha son bandage et plaqua une main sur son membre douloureux en le fixant avec désarroi. Des frissons lui parcoururent l'échine et le paralysèrent un long instant, les yeux écarquillés. Le sceau gardien... Tout allait recommencer, une nouvelle tragédie verrait le jour.
Le brun quitta son tabouret puis boita jusqu'à la porte avant de l'ouvrir à la volée. Une puissante bourrasque transportant de gros flocons de neige vint s'engouffrer dans l'abri, ses cheveux ondulèrent de tous les côtés pendant qu'il regardait en direction de Firone. Un long instant s'écoula jusqu'à ce que l'homme retienne son souffle. Son cœur rata un battement, comme ce fameux jour où sa vie avait volé en éclats.
- Zelda !! hurla-t-il vers l'horizon, tel un appel qui se perdit dans l'immensité du paysage.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top