Chapitre 14


- Tu ne devrais pas jouer avec ça, tu risques de te brûler... lui fit remarquer Link tandis que sa jeune compagne se plaisait à manier une petite boule de feu autour d'elle.

    Ils marchaient depuis plus d'une heure et Zelda en profitait pour s'entraîner au maniement de cette nouvelle magie pour s'occuper. Pour le moment, elle ne pouvait qu'invoquer le Feu de Din et le diriger selon ses souhaits. Cependant, l'Hylien la voyait parfois manquer d'attention, ce qui pouvait finir par la blesser.

- Ne t'inquiète pas, je veille toujours à ne pas m'approcher trop près du feu. Quand je le regarde, je me sens envoutée... Pas toi ?

- Je parlerais plutôt de nervosité de mon côté.

   Zelda continua à faire virevolter la boule de feu autour d'elle, teintant d'un orange chaleureux les plantes qu'elle frôlait.

- Si quelqu'un te voyait...

   Elle cessa un instant de bouger sa main, immobilisant par la même occasion la boule de feu, puis elle la fit disparaître dans un soupir. Link avait raison, mieux valait ne pas se montrer suspect s'ils venaient à croiser le chemin d'autres Hyruliens. Au sein de la forêt dense, tous deux se contentèrent de rester silencieux pour mieux surveiller les alentours. Tôt ou tard, un groupe de soldats ou de chevaliers finirait bien par passer près d'eux alors toute précaution était bonne à prendre. Pourtant, les quelques bruits de la nature ne purent étouffer le son produit par le ventre de Link. Ce dernier posa une main dessus et grimaça en se courbant. Il n'avait pas mangé depuis la veille et la faim le tiraillait de plus en plus.

- Arrêtons-nous pour que tu puisses manger, conseilla Zelda qui s'arrêta au centre du chemin.

- Je n'ai aucune provision sur moi. Il me faut chasser si je veux espérer préparer un repas consistant.

- Pourquoi ne pas chercher des baies et des champignons en attendant une proie ?

    Cela le fit sourire, il se tourna vers la jeune fille et passa une main sur sa tête comme pour lui ébouriffer les cheveux. Ce geste lui rappelait ce qu'il faisait étant enfant ; une marque d'affection qu'il donnait parfois à ses amis. Zelda se laissa faire tandis que son cœur s'emballait un peu.

- Traquer une proie, ce n'est pas une mince affaire, lui redit-il tout en dissimulant son amusement. Cela peut demander des heures de patience. Et je doute que nous puissions en trouver dans ce coin de la forêt. Ce sentier est souvent emprunté, le petit gibier ne vient pas s'aventurer ici.

   Il retira sa main de ses cheveux pour s'emparer de son petit arc de chasse et leva ensuite les yeux vers la cime des arbres.

- Pour autant, je peux très bien reporter mon attention sur les oiseaux. Ce sont des proies plus accessibles bien que moins riches en chair. Si nous avançons silencieusement, ils ne fuiront pas et j'aurais plus de chance d'en toucher un.

- Compris, dit-elle sur un ton assuré. Pour ma part, je me charge de trouver des baies.

   Cela convint parfaitement à Link dont l'attention se reporta sur les branches au-dessus de leur tête. Il espérait attraper un ou deux pigeons pour leur permettre de manger suffisamment. Ce n'était pas l'oiseau le plus gros, certes, mais grâce à leur viande, ils pourraient tenir jusqu'au lendemain sans se soucier de la faim. Tant de souvenirs affluaient dans son esprit, il se remémorait ses moments de chasse pendant son enfance, l'excitation qu'il éprouvait, la satisfaction d'attraper sa proie puis de la montrer fièrement à ses parents. Son cœur se serra. Ses parents lui manquaient, c'était évident. Link se demandait s'il deviendrait père un jour. Pour le moment, il n'en avait aucune envie et ne se sentait pas prêt. Cette responsabilité le dépassait, il avait le sentiment de ne pas être assez mature et adulte pour ce rôle bien qu'il ait grandi plus vite que la moyenne à cause de tous les événements vécus. La guerre, les morts, les devoirs, tout cela l'avait forgé et lui avait bien vite retiré l'insouciance de l'enfance. De plus, le chevalier avait encore toute la vie devant lui, nul besoin de précipiter les choses.

   Le regard du blond glissa sur le côté puis il visa silencieusement une petite silhouette perchée sur une branche haute. Zelda l'observa avec une certaine admiration et put assister à son tir réussi de chasseur. Le pigeon chuta pendant que Link trottinait dans sa direction. Il joignit ses mains en guise de courte prière pour remercier les déesses et leur demander pardon, puis Link se releva et montra sa prise à la princesse qui le rejoignit. Ce n'était pas un gros oiseau, il possédait un plumage gris parsemé de quelques taches noires par endroits.

- J'espère qu'il n'aura pas trop souffert... s'inquiéta la jeune fille. Sa mort ne sera pas vaine.

- La flèche l'a tué sur le coup. Et je ne chasse pas pour le plaisir de tuer, sa... sa mort a un réel but.

   Gêné, il détourna le regard pour se soustraire à celui de sa jeune fiancée. Ce sujet pouvait être épineux pour certaines personnes alors il préférait ne pas trop s'aventurer sur le sentier du débat.

- Link, tu fuis mon regard...

- Non, se défendit-il.

La princesse plissa les yeux, peu convaincue.

- Vraiment ?

- Vraiment pas.

   Sa réponse n'arrangea pas la chose. Zelda le dévisagea pendant qu'ils reprenaient la route. Elle remarquait bien que son compagnon était habité par une profonde nostalgie mais aussi par la crainte d'être retrouvé par les chevaliers à la solde d'Oswald. L'Hylienne le comprenait parfaitement, elle aussi était en proie aux mêmes sentiments. De toute manière, ils ne resteraient pas bien longtemps ici. Impa les attendait, tout comme Pahya de façon indirecte. Zelda ramassa des champignons Enduro cachés derrière un large tronc d'arbre. Ils accompagneraient leur petit repas.

oOo

   Après trois quarts d'heure de marche, ils s'arrêtèrent loin des sentiers connus et prirent place au centre d'un petit espace dégagé. Link y monta un feu et, après avoir préparé la viande, il commença à y faire cuire les deux oiseaux au-dessus. Dans un silence appréciable, les deux compagnons observaient la cuisson. Ils avaient encore de la marge face aux soldats du château alors la fumée ne devrait pas les trahir pour le moment, surtout qu'il n'était pas rare que des voyageurs allument un feu pour une quelconque raison.

- Tu sais, depuis que nous nous sommes enfuis, j'ai un très mauvais pressentiment, avoua Zelda pour rompre le silence.

   Le blond tourna la tête vers elle, les sourcils légèrement haussés, tandis qu'elle tâchait de ne pas croiser son regard.

- Je ne saurais pas t'expliquer pourquoi je pense cela... J'ai des sueurs froides, parfois.

   Ceci alarma Link qui posa une main sur la fusée de son épée et scruta les environs. Il n'avait besoin de rien d'autre pour croire sa fiancée.

- En plus de cela, mon ventre se tord vraiment de manière désagréable, grimaça Zelda en pressant ses mains dessus.

- Un sortilège distant de ce fourbe d'Oswald ?

   Elle lui fit signe que non et se pencha en avant alors qu'un gémissement s'échappait de sa bouche. Inquiet, Link s'assit à côté d'elle pour la prendre par les épaules et la rapprocher.

- Tu es peut-être malade, supposa-t-il en la regardant avec appréhension. Ou peut-être es-tu trop nerveuse.

   Zelda inspira bruyamment pour calmer ses douleurs mais rien n'y fit. Elle pensa même que c'était dû à son corps réel mais un tel rapprochement lui paraissait improbable.

- Ce n'est pas un mal que j'ai déjà connu, ajouta-t-elle avec difficulté.

- Dis-moi ce que je peux faire pour t'aider...

   L'Hylienne lui agrippa le bras, les lèvres pincées, pendant qu'elle hochait la tête négativement.

- Je vais... attendre que la douleur passe.

   Link fut désolé de ne pas pouvoir l'aider. Il se contenta de lui tenir compagnie en restant à ses côtés, au moins pour lui apporter un peu de réconfort. Zelda se retenait de pleurer pour ne pas l'inquiéter plus, il le voyait bien. Et au fond, le prodige s'en voulut de ne pas avoir un quelconque moyen de la soulager. L'écoulement du temps leur parut long. Peu à peu, Zelda se détendit et eut de moins en moins mal. De son côté, la viande avait fini de cuir alors Link tendit à sa compagne l'une des branches qui soutenait l'un des pigeons cuits. Même si Zelda n'avait pas l'habitude de manger ainsi, elle ne fit pas d'histoire et complimenta son compagnon pour la cuisson réussie. Ils mangèrent les quelques champignons cueillis puis éteignirent le feu afin de ne pas dévoiler plus leur position.

- Tu es sûre de pouvoir encore marcher ? lui demanda Link qui replaçait correctement son carquois. Je ne voudrais pas que la douleur revienne ou empire.

- Au vu de la situation, il vaut mieux poursuivre la marche. Je prendrai mon mal en patience s'il le faut.

   Link la regarda avec appréhension, partagé entre le fait de continuer le voyage ou bien d'attendre encore pour être sûr que la douleur ne revienne plus. Cependant, face à la détermination de sa compagne, il se résigna et ils se remirent en route pour la forêt de Firone. Leur vigilance s'accrut un peu plus quand ils passèrent les Marécages et qu'ils virent un groupe de chevaliers au loin. Ils parcouraient Hyrule à cheval dans l'optique de retrouver au plus vite la princesse. Car à leurs yeux, elle avait été enlevée et cela représentait le crime le plus grave. Link en avait conscience. S'il venait à être capturé, sa mission dans ce monde factice prendrait aussitôt fin puisque la sentence qui lui était réservée n'était autre que la mort, ce que Zelda comptait elle aussi éviter à tout prix. Cachés derrière un vieux tronc d'arbre renversé, ils patientèrent jusqu'à ce que les cavaliers disparaissent puis ils continuèrent leur traversée. Dorénavant, ils devaient rejoindre les monts Géminés puis dévier vers le lac Hylia pour espérer atteindre la région de Firone. Et plus le temps passait, plus il devenait dangereux pour eux de s'exposer le jour.

   À certains endroits, Link se mettait sur le qui-vive avant de se calmer ; inconsciemment, il les avait assimilés à la position stratégique de Gardiens combattus durant sa quête. Même si à cette époque-là fictive, il n'y en avait pas encore, l'Hylien gardait quelques traces de ses plus grandes frayeurs. Si bien que Zelda lui demanda comment il avait fait face à un premier Gardien juste après son réveil.

- J'avais pour objectif d'activer la tour de la plaine d'Hyrule quand j'en ai croisé un pour la première fois, se remémora Link en regardant vers l'ouest. Il est arrivé par derrière pour me surprendre. Lorsque j'ai vu cette ombre immense se dresser devant moi, j'en ai eu la chair de poule.

Il esquissa un sourire embarrassé et offrit un regard timide à Zelda qui l'écoutait avec attention.

- En vérité, j'ai fui dès la première seconde où j'ai compris le danger. Je n'avais pas l'équipement adéquat pour me défendre et je ne pouvais pas me permettre de mourir.

- Mais ces machines courent à une vitesse effarante...

Un rire nerveux s'échappa du jeune garçon qui s'étira pour chasser le stress naissant.

- J'ai préféré me téléporter le plus loin possible, lui expliqua-t-il finalement. Aucune autre option ne semblait envisageable.

Zelda se montra pensive :

- Je n'y avais pas songé. Effectivement, cette option était judicieuse. À ta place, je n'aurais pas été en mesure de faire quoi que ce soit.

   Des bribes de souvenirs lui vinrent à l'esprit pour lui provoquer de désagréables frissons qui firent ralentir sa marche. Link remarqua bien vite ce changement d'attitude de sa part ainsi que son air rembrunit. Il aurait aimé que ces moments de noirceur ne la hantent pas, elle aussi, mais c'était impossible. Le blond lui prit la main en signe de son soutien et lui adressa ce même regard intense qu'il avait déjà montré par le passé. Celui qui voulait dire « Nous traverserons ces épreuves ensemble ». Car la reconstruction ne passait pas que par celle d'Hyrule. Elle devait se faire au niveau de leur propre personne au fil des ans. Et chacun se poussait à donner le meilleur de soi-même pour dépasser toutes les nouvelles épreuves.

   Ainsi, ils marchèrent plus d'une heure main dans la main, guettant les environs, puis se lâchèrent quand ils croisèrent des voyageurs sur leur route. À chaque fois, ils craignaient que ce soient des soldats déguisés mais il n'en était rien et leur tension retombait aussitôt. Finalement, en fin d'après-midi, ils aperçurent le pont du lac Hylia et s'autorisèrent une pause. Ils n'avaient plus qu'à le passer puis ils trouveraient un endroit caché où dormir. Seulement, plus les élus s'approchaient de la forêt de Firone, et donc du temple, plus Zelda percevait ce mauvais pressentiment. Peut-être se faisait-elle des idées ? Quoi qu'il en soit, elle se tenait prête à rompre le sortilège si la situation tournait à leur désavantage.

- Un Yiga, au bout du pont, prononça simplement Link quand ils arrivèrent devant l'immense infrastructure.

   Ils passèrent sous l'arche entourée par deux petites tours puis ils s'engagèrent sur le chemin de pierre. La princesse plissa les yeux pour mieux scruter l'horizon.

- Tu es sûr ? On dirait pourtant une simple voyageuse.

Link se crispa et porta discrètement sa main vers la fusée de sa courte épée.

- Ils possèdent tous la même allure. Ils miment d'être naturels mais si tu regardes bien...

   La voyageuse en question était immobile à une cinquantaine de mètres d'eux et observait un point éloigné. Par moments, elle regardait brièvement vers les deux Hyliens puis détournait la tête presque aussitôt.

- Tu vois ? Elle nous surveille, chuchota Link qui se prêta au jeu et fit semblant de ne rien avoir remarqué.

- Tu penses qu'elle nous a reconnus ? s'inquiéta sa jeune compagne dont la démarche se fit moins souple.

Il acquiesça.

- Oui. Tant que nous ne sommes pas hors de danger, reste près de moi.

   D'un pas soutenu, ils traversèrent les trois quarts du pont sans prêter attention à cette femme châtaine qui se montrait de moins en moins à son aise. Link se tenait prêt à agir à tout moment car la fourberie des Yigas n'avait d'égale que leur ténacité. L'ambiance se fit d'autant plus oppressante quand ils arrivèrent devant elle. L'Hylienne se tourna tout à coup vers eux et afficha un air déboussolé qui déstabilisa le jeune Héros sur le moment. Décidément, quelque chose n'allait pas.

- Bon... Bonjour, jeunes gens, commença-t-elle d'une voix tremblante et mal assurée. Pourriez-vous m'indiquer où...

   Link se demanda pourquoi elle témoignait autant de peur tout à coup. Le teint pâle de cette femme ne le confortait pas dans l'idée que les événements suivants se dérouleraient bien. Les lèvres de la châtaine se pincèrent puis elle voulut faire un pas en avant mais les deux enfants eurent un mouvement de recul, par pure méfiance.

- Je suis désolée ! Je ne voulais pas... Je vous en prie, pardonnez...

   Une silhouette apparut tout à coup derrière elle puis planta son petit sabre dans le cou de la voyageuse qui ne poussa aucune plainte. Seuls ses yeux presque exorbités marquèrent Zelda dont le cœur rata un battement. Immédiatement, elle perdit l'usage de ses jambes et resta figée sur place, à la fois à cause de l'horreur du meurtre et de l'épouvante créée par l'arrivée de ce sous-fifre. Link fut plus réactif et dégaina son épée après avoir pris son bouclier de bois pour se protéger. Sa posture défensive parut amuser le Yiga qui émit un faible gloussement en lâchant le corps inerte de l'Hylienne, cette femme qu'il avait forcée à coopérer avec lui.

- Qu'est-ce qu'un gosse pense faire contre...

    Il se tut quand Link se précipita vers lui, ce qui le surprit dans un premier temps. Le Yiga se jeta en arrière pour éviter la lame affûtée puis il disparut dans un nuage de feuilles. Le blond grimaça puis se décala d'un coup sur le côté afin d'éviter la chute de son ennemi. La serpe coupe-gorge heurta le sol dans un bruit métallique et peu agréable, le Yiga se tourna vers lui et réitéra son attaque plusieurs fois d'affilée pour déséquilibrer le jeune garçon. Link recula sur plusieurs mètres et jeta un coup d'œil à Zelda qui n'osait même pas bouger. Il souhaita que leur assaillant ne la prenne pas pour cible. Mais après tout, le Yiga devait sans doute savoir qu'il valait mieux l'éliminer lui pour avoir le champ libre avec Zelda. Pour autant, Link préférait mettre un terme rapidement à ce combat, au cas où des renforts surgiraient. Au moment où la serpe s'abattait sur lui, il l'écarta d'un coup de bouclier sur le côté et usa de ce temps de suspension pour planter son épée à travers le pied du Yiga qui hurla de douleur. L'Hylien le savait. Comme lors de sa quête...

C'était l'avenir d'Hyrule ou eux. C'était lui ou eux. C'était son avenir ou eux...

   Le cri sortit Zelda de sa torpeur, elle vit leur assaillant basculer en arrière puis s'écraser au sol dans une plainte étouffée. Link posa un pied sur son bras armé et y mit tout son poids pour le bloquer. Cette position glaça d'autant plus le sang de Zelda qui ne crut pas reconnaître son compagnon sur le moment. Jamais elle n'avait vu cette flamme d'animosité briller dans son regard. En tout cas, elle n'existait pas cent ans plus tôt et s'apparentait à une sorte d'instinct de survie développé au fil du temps. La princesse ne pensait pas que cette nouvelle vie après son réveil l'avait tant affecté pour que son style de combat change à ce point. Tout ce qu'elle voyait n'était que le fruit de ces nombreux mois à sillonner le royaume pour le libérer, au milieu d'un environnement hostile qui mettait en jeu la vie de chacun tous les jours. Link leva légèrement son épée à la verticale juste au-dessus de la poitrine du Yiga, prêt à lui ôter la vie de la même manière que son ennemi l'aurait fait pour lui.

- Ne le tue pas ! s'écria Zelda, ce qui le stoppa en plein mouvement.

   Perturbé dans son action, il lui jeta un étrange regard que l'Hylienne ne put décrypter tant il lui parut inhabituel. La lame qui lui entailla la joue fit hurler le garçon qui se jeta en arrière par réflexe pour éviter l'attaque défensive du Yiga qui tentait dorénavant de sauver sa peau. Ce dernier avait pris conscience de la dangerosité de son adversaire qui n'avait rien d'enfantin en lui. Quant à Link, il tenait sa main droite plaquée contre sa joue ensanglantée, son bouclier étant à terre. La souffrance qu'il ressentait lui troublait la vue et lui privait d'un des sens primordiaux pour se battre. Le Yiga vit là son ultime chance pour l'assassiner et mener à bien sa mission. Il se releva difficilement puis courut vers lui dans le but d'achever son travail. Zelda sentit ses poils se hérisser sur tout son corps. Dans un geste qu'elle pensait au ralenti, alors qu'il n'en était rien, elle plaça sa main devant elle et supplia la déesse Nayru de lui donner la force nécessaire pour sauver Link. D'un coup, une colonne d'eau s'éleva depuis le lac puis fendit vers le Yiga avant de se transformer en prison de glace. Une glace qui ressemblait à celle de la montagne de Lanelle et qui jamais n'aurait pu naturellement apparaître dans cette région d'Hyrule, encore moins en cette saison d'été.

   Sous le choc causé par cette magie, Zelda en resta sans voix tandis que le jeune prodige accourait vers elle puis il la tira vers le sud du pont. La princesse fixait l'homme emprisonné au milieu de la glace et qui était condamné à une fin certaine d'ici quelques minutes. La joue meurtrie, Link guida sa compagne en dehors du pont et se dirigea vers le premier bois qu'il eut en vue. Il ne cesserait de courir tant que tous deux ne seraient pas à l'abri. Quand ils furent suffisamment loin, les deux élus purent entendre des vagues d'exclamations émis par des soldats qui venaient à leur tour d'arriver sur le pont. Ils découvraient à la fois un Yiga mais aussi une forme de magie qui ne pouvait être que celle de la princesse en personne. Ils étaient près du but, la dauphine serait sauvée d'ici peu.

   À bout de force car trop peu endurant dans ce corps-là, Link s'arrêta devant un large trou creusé par le temps et les multiples averses. Il y sauta avec Zelda puis se plaqua contre la paroi avant de geindre à cause de sa blessure. De manière machinale, la princesse déchira un pan de sa robe puis le posa contre le visage du jeune garçon dont les traits se crispèrent aussitôt. De toute évidence, il saignait abondamment, témoignage d'une plaie profonde.

- Tu as eu de la chance que cette serpe ne soit pas entrée dans ta bouche, bredouilla Zelda à travers un regard presque vide. La blessure est sur l'os zygomatique...

   L'œil qui se trouvait juste au-dessus pleurait, ce qui mélangeait à la fois sang et larmes. Son cœur se serra alors que Link tâchait de ne pas croiser son regard.

- Link, tu allais tuer cet homme, se risqua Zelda qui éprouvait un certain malaise. J'ai du mal à accepter cette idée...

   Il serra un poing à cause de la douleur mais aussi à cause de cette colère qui refaisait surface depuis leur arrivée dans ce monde.

- Je voulais te protéger, articula-t-il avec difficultés. En quoi est-ce mal, dis-moi !

Zelda hoqueta face à la levée de son ton.

- Les Yigas tuent de sang-froid, peu importe qu'ils aient un bébé, un enfant ou un vieillard en face ! Ils sont tant endoctrinés par les idéaux de leur chef qu'ils sont prêts à se battre jusqu'au bout pour le bien de leur mission. Nous ne pouvons pas laisser de tels criminels vivre dans notre royaume. Cet homme allait payer les conséquences de ses actes.

   La bouche de la blonde s'entrouvrit, elle fronça les sourcils par indignation. Comment pouvait-il déclarer une telle chose ? Il le disait avec un sérieux et une froideur à en donner des frissons.

- Je ne te reconnais pas, souffla-t-elle. Il y a un siècle, tu te battais pour des valeurs bien différentes. Jamais tu n'aurais accepté de tuer un homme à terre...

   Link baissa la tête tout en compressant le morceau de tissu contre sa peau coupée. Dès qu'il avait vu cette Hylienne innocente se faire tuer sous ses yeux, ses émotions avaient pris les dessus sur sa raison. Face à de tels criminels, Link ne voulait pas respecter le code des chevaliers. Et pourtant, il s'évertuait à le faire en la mémoire de son père et de tous ses compagnons tombés au combat. Cependant, les suivre demeurait parfois bien difficile... Être chevalier était une épreuve perpétuelle. À ses côtés, Zelda percevait le trouble qui l'habitait, renforcé par leur présence dans ce passé recomposé. Avec une certaine retenue, elle poussa les cheveux de son jeune compagnon sur le côté puis posa une main sur sa joue indemne pour le forcer à l'observer. Son regard soulignait avec justesse sa réelle inquiétude pour lui.

- Celui que j'ai choisi d'épouser est un garçon juste et bon. Il a toujours eu conscience du prix de la vie ainsi que de la portée de chacun de ses actes. Link, ne laisse pas le passé te ronger et te changer de la sorte... Ganon n'a pas le droit de survivre à travers ta colère et tes remords.

La blonde jeta un bref coup d'œil sur le côté pendant qu'elle cherchait ses prochains mots.

- Et si malgré tout tu n'y arrives pas, alors pense à tous ceux que tu as perdus. Demande-toi... Est-ce que tu aurais pu faire face à ta famille ou tes amis en cachant cette part de noirceur en toi ?

   Link retint son souffle suite à cette question. Il comprenait ce que sa compagne voulait lui dire. S'il ne parvenait pas à trouver la force d'avance par lui-même, alors ses proches deviendraient une motivation supplémentaire. Link ne voulait pas montrer une facette biaisée de sa nature. Car celle-ci le blesserait autant qu'elle blesserait ceux qui le soutenaient. Sa quête de la libération d'Hyrule l'avait profondément marqué, il allait sans dire. Les multiples situations critiques vécues avaient créé chez lui une carapace défensive qu'il revêtait inconsciemment lors d'une situation qu'il jugeait hors de contrôle.

- Tu es l'unique famille qu'il me reste, murmura Link malgré la douleur accentuée quand il parlait.

   Zelda esquissa un sourire à la fois soulagé et touché puis vint coller son épaule contre la sienne avant de fermer les yeux.

- Je ne veux plus jamais te revoir dans cet état. Si un événement similaire devait se reproduire, tu n'aurais qu'à repenser à notre discussion.

   Pour réponse, il opina puis soupira. L'odeur du sang lui emplissait le nez et lui donnait un arrière-goût ferreux au fond de la gorge. Au-dessus de leur tête, la nuit commençait à plonger peu à peu le royaume dans l'obscurité et portait avec elle une vague de fraicheur qui fit frémir les deux enfants. Pour dormir, ils restèrent collés l'un à l'autre afin de se réchauffer. Ne parvenant pas à trouver le sommeil au bout de plusieurs heures à cause de sa plaie qui répandait une vive chaleur sous sa peau, Link se résigna à demeurer éveillé et il entreprit de veiller à ce que personne ne s'approche de leur cachette. Le moindre bruit paraissait suspect à ses yeux. Dans quelques heures, ils seraient de retour au château et feraient part à Impa des résultats de leur mission dans ce monde.

oOo

- Il n'y a personne, nous pouvons sortir, annonça Zelda qui zieutait les alentours du trou.

   Tous deux avaient vraiment faim, mais ils tentaient d'y faire abstraction encore un peu. Ils reprirent la route et entamèrent un trajet d'au moins deux heures à travers les bois qu'ils traversaient pour de dissimuler de tous. L'une des rares discussions qu'ils eurent revenait sur le combat de la veille et le comportement de Link. Ce dernier y avait longuement réfléchi et regrettait sincèrement d'avoir si mal agi. Un détail pourtant lui fit froncer les sourcils : la glace apparue pour emprisonner le Yiga. Les fortes émotions de Zelda lui avait fait oublier l'usage de ce pouvoir divin. Elle expliqua qu'elle avait pensé si fort à la déesse Nayru qu'une énergie d'un nouveau type avait afflué dans tout son corps. Quelque chose qu'elle n'avait pas maîtrisé sur le moment. Elle en conclut qu'il devait s'agir de l'amour de Nayru, un sort utilisé comme protection d'après les histoires racontées par sa mère du temps où elle vivait toujours. Link eut l'occasion de la remercier car elle lui avait sauvé la vie. Zelda goûtait enfin à ces dons injustement retirés par la succession de traumatismes vécus, bien qu'elle ne les aurait plus une fois revenue dans la réalité. En vérité, elle comptait les exploiter d'une certaine manière pour dévoiler les secrets du temple. La princesse ne savait pas si son idée fonctionnerait mais elle voulait tout de même essayer.

   Lorsqu'ils furent dans la forêt de Firone, ils durent se cacher à de nombreuses reprises à cause de groupes de soldats qui patrouillaient partout. Link n'avait aucune envie de les affronter, encore moins avec sa joue blessée qui avait gonflé pendant la nuit et lui provoquait des pics de douleur parfois intense. Mais bientôt, ils atteignirent le trajet menant au temple. Contrairement au monde réel, il n'avait pas été emprunté depuis des décennies et des décennies ici. Ce fait laissa la princesse perplexe. N'importe qui pourrait passer à côté de ce chemin laissé à l'abandon depuis des siècles sans se soucier une seule seconde de ce qu'il pouvait cacher à son bout. Comment Pru'ha avait-elle pu découvrir ce temple dans ce cas ? L'ancienne découverte de Link lui revint en tête : la porte avait été ouverte récemment. Quelqu'un était donc sorti du temple et avait dégagé le chemin pour quitter sa zone, ce qui expliquerait comment Pru'ha l'aurait trouvé. Zelda frémit. Elle sentait qu'une chose lui échappait et se montrait inexplicable. Ce temple n'avait rien d'ordinaire. Ce qu'il renfermait dépassait sans doute son imagination.

- Je vais libérer la voie, décréta Link en dégainant son épée.

   Il trancha les douzaines de lianes et de branches qui entravaient leur chemin et qui rendaient l'avancée impossible. Plus tous les deux s'approchaient du but, plus la nervosité se forma au sein de leur ventre. Comme s'ils pressentaient qu'ils auraient enfin des réponses. Ou du moins, des indices complémentaires.

- L'entrée est toujours la même, remarqua Zelda quand ils furent enfin au milieu du couloir creusé à même la roche même s'ils voyaient toujours le ciel.

   En effet, rien n'avait changé. Pour éclairer l'intérieur du temple, l'Hylienne invoqua le Feu de Din et se dirigea vers les murs qu'elle avait déjà déchiffrés la fois où ils étaient venus. Leur état de détérioration était visiblement le même. De son côté, Link inspecta le demi-cercle face à la porte de pierre et s'accroupit pour mieux voir. Ses yeux se plissèrent et son rythme cardiaque accéléra inévitablement. La magie d'Impa parvenait à recréer avec exactitude un tel lieu ? Impensable...

- À cette époque, la porte n'a jamais été ouverte, prononça-t-il avec méfiance.

- Nous pouvons donc penser qu'elle l'a été peu avant la découverte de Pru'ha.

Il la dévisagea.

- Je ne pourrais pas affirmer à quel moment précis.

- Mais dans ce cas, nous ne pouvons pas non plus être sûrs que ce soit lié à la présence de cet assassin à ta recherche.

- C'est vrai.

   Link reporta son attention sur la porte en question et adopta un air fermé. Maintenant, sa compagne allait devoir utiliser ses dons pour tenter de l'ouvrir. Peut-être que sa magie activerait un quelconque mécanisme ancestral ? Si tel était le cas et qu'ils pouvaient voir par la suite la conception de cette porte, ils trouveraient un moyen dans le présent pour la faire céder par la force. Mais cette option se montrait dangereuse car elle provoquerait certainement l'effondrement du temple sur lui-même et donc sa condamnation par la même occasion. Quand le garçon se retourna vers Zelda, il fut surpris de la voir méditer debout, les mains jointes et les paupières closes. L'envie le prit de lui demander la raison de sa prière mais il se retint ; Zelda désirait atteindre un but en procédant ainsi, alors il se devait de ne pas interférer. Pour patienter, il commença à se diriger vers une fresque pour l'observer.

   Une silhouette fantomatique et de couleur verte apparut soudainement devant lui et le fit sursauter. Link recula de plusieurs pas avant de tomber sur le coccyx en gémissant. Tout autour de lui, des dizaines et des dizaines de personnes couraient vers le fond du temple sans émettre le moindre son. Tous étaient vêtus de peaux de bête, d'os divers et possédaient d'étranges tatouages qui ressemblaient à ceux qu'il dessinait instinctivement lorsqu'il portait sa tenue de barbare. Dérouté, le blond regarda en direction de Zelda et la découvrit tout aussi chamboulée que lui. Elle ne pensait pas que son sort fonctionnerait, surtout dans ce monde.

- Link, j'ai... j'ai réussi... souffla-t-elle pendant qu'elle dévisageait tous ces inconnus qui se ruaient vers la porte.

   Une image virtuelle de celle-ci la montrait encore fermée. Link s'enquit de rejoindre sa fiancée et la prit par les épaules.

- Comment est-ce possible ?

Zelda papillonna des yeux.

- J'ai voulu adapter le miroir du passé avec ma magie divine, expliqua-t-elle machinalement. L'amour de Nayru... Certes, il permet de protéger mais c'est une magie qui s'utilise avec le cœur et qui interagit avec la mémoire. Et je l'ai utilisé en imaginant que nous étions dans le vrai temple, sinon il n'aurait jamais fonctionné dans cette réalité fictive... Regarde autour de toi, Link !

L'émerveillement se lut sur son visage pendant qu'elle admirait l'intérieur du temple.

- Cet endroit est imprégné de souvenirs et d'émotions puissantes. Il est l'héritage même du peuple soneau... Tu comprends, maintenant ?

   Il ne se montra pas aussi enthousiaste qu'elle. Toutes ces personnes qui couraient... Elles paraissaient fuir. Leurs mouvements témoignaient de leur épouvante. Il n'y avait qu'à voir les femmes qui tiraient leurs enfants ou bien les vieillards qui peinaient à avancer parmi l'affolement général. Et les hommes... Où étaient les hommes ?

- Ce souvenir n'est autre que le dernier jour où la porte a été ouverte.

   Zelda voulait répondre à son interrogation : pourquoi ce lieu avait-il cessé d'être fréquenté ? Les Soneaux se regroupaient tous devant le mur et semblaient implorer qu'on les laisse passer. Un groupe de quatre hommes arrivèrent et passèrent au travers de Link qui s'immobilisa face à l'un d'eux. Les silhouettes fantomatiques se tournèrent vers leurs congénères et leur pointèrent la porte. Les nouveaux arrivants, qui n'étaient autre que des guerriers, poussèrent leurs semblables sur le côté puis le plus jeune d'entre eux se positionna devant la porte et posa une main dessus. Tout comme ceux de son peuple, il portait un crâne de monstre sur sa tête et des peaux de bête.

- Link, est-ce qu'il ne s'agirait pas du Héros précédent ? demanda Zelda qui ne ratait rien de ce qu'il se produisait sous ses yeux.

   Le blond resta un moment silencieux, encore troublé par ce qu'il venait de voir. Pendant ce temps, les membres du clan soneau s'agitaient de plus en plus et jetaient des regards effarés derrière eux.

- Non, je... je ne pense pas, répondit-il finalement.

   La porte finit enfin par s'ouvrir et tous ces pauvres gens s'y engouffrèrent. Les quatre guerriers, dont le visage était tout aussi vague que celui de leurs semblables, veillaient à ce que tout le monde entre. Finalement, une quarantaine de guerriers soneaux arrivèrent à leur tour et parurent hurler quelque chose.

- Je crois que j'ai saisi la manière d'ouvrir la porte, prononça Zelda qui fit un pas en arrière. En vérité, les Hyliens en sont bien incapables. Ma magie ne nous aurait jamais aidés dans notre monde réel. Car pour activer le mécanisme... Il faut appartenir au clan soneau...

   Un voile de déception passa sur le visage de Link. Il y a deux semaines encore, il aurait été soulagé de ne pas pouvoir accéder à cette autre partie du temple. Et pourtant, dorénavant, le jeune prodige ressentait l'envie d'obtenir des réponses à ses nouvelles questions. Il s'approcha d'autant plus des silhouettes à moitié transparente pour mieux les examiner. Voilà donc la véritable apparence de ce peuple. Pourquoi avait-il disparu ? Pourquoi fuir dans le temple ? Quel était le combat de ces guerriers pour que certains soient couverts de sang ? Avaient-ils réellement disparu, il y avait dix mille ans ? D'un coup, le sort se dissipa et emporta avec lui les vestiges d'un ancien temps. Link, étonné, se tourna vers sa compagne et se pétrifia quand il la vit immobile devant un homme qui n'était autre qu'Oswald en personne. Il laissa tomber le corps inerte de Zelda puis laissa sa dague ensanglantée et empoisonnée s'égoutter sous le regard horrifié de Link.

- Ne t'inquiète pas, mon garçon. Tu vas bientôt la rejoindre !

   Le souffle coupé, Link observait sa compagne inanimée. Il ne fit même plus attention à Oswald qui se précipitait vers lui pour lui porter le coup de grâce. Car à cet instant précis, Link pensa mourir une fois de plus. Mais ce jour-là, ce n'était pas par plusieurs blessures physiques qu'ils avaient reçues. Il sentit ses forces comme aspirées vers l'arrière tandis que son esprit se laissait emporter par une brume semblable à celle connue quelques années plus tôt.


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