Chapitre 10


La nuit noire avait englobé Hyrule, seule la lune éclairait à peine la citadelle et créait des ombres inquiétantes sur les murs. Le peuple dormait. Ou du moins, une grande partie. En effet, le même soir que les fiançailles de Link et Zelda, un petit groupe de Sheikahs menait une mission aux abords de la citadelle, là où se trouvaient quelques maisons isolées appartenant à de vieux domestiques du château : les cibles de ce meurtrier qui en avait après Link. Pahya s'était jointe à sa dizaine de semblables pour enquêter et débusquer l'organisation derrière tout ça. La nuit précédente, ils n'avaient rien trouvé mais dans la journée qui suivit, on leur avait rapporté la mort d'un soldat blond non loin du village reconstruit de Caroc. Pahya avait l'intuition que l'assassin reviendrait chercher des informations à la citadelle. Les ordres qu'elle donna aux autres Sheikahs furent clairs : se diviser pour guetter le moindre mouvement et alerter les autres s'ils avaient le moindre soupçon.

La nouvelle conseillère royale choisit de se percher sur le toit d'ardoise d'une des maisons en dehors des anciens remparts de la citadelle. Il n'y avait pas de route à proprement parler, juste un semblant de chemin de terre qui passait entre les différentes habitations. À vrai dire, Pahya ne savait pas à quoi s'attendre. Un homme ? Une femme ? Plusieurs personnes ? Elle plissa les yeux et s'accroupit pour mieux se dissimuler. Elle avait attaché son habituelle chevelure blanche en une longue natte dans le dos pour mieux la cacher des rayons de la lune et elle portait sur sa tête un chapeau conique en paille, caractéristique de son clan.

- Non, atte... ! hurla une voix avant de s'éteindre dans la nuit.

Pahya frissonna puis se retourna d'un coup vers la provenance du cri. Un cri d'effroi, cela ne faisait aucun doute. La jeune femme se releva d'un coup et courut vers la maison d'à côté avant d'escalader son toit, sans un bruit. Par Din, d'où cela venait-il ?! Pahya bondit de toiture en toiture en cherchant le moindre mouvement. Elle tiqua puis s'arrêta à contrecœur pour écouter le bruit environnant. Son regard glissa de droite à gauche, elle se retourna pour tenter de percer la profondeur de la nuit. Seule une désagréable odeur de sang frais l'atteignit et la fit grimacer. Elle n'était pas loin. L'assassin se trouvait encore dans les parages, elle le ressentait au fond d'elle-même. Guidée par l'odeur de la mort, la jeune femme se résigna à quitter les toits et revint au sol en se réceptionnant sans un bruit. À pas feutrés, elle courut vers le lieu où s'intensifiait l'odeur jusqu'à ce qu'elle découvre un corps gisant dans un coin. Son sang se glaça quand elle reconnut l'un des siens.

- Ort'ha ! s'affola-t-elle se précipitant vers sa semblable.

La conseillère royale tomba à genoux et reconnut, malgré l'obscurité, le faible éclat de la lune qui se reflétait dans le sang. La Sheikah, grièvement blessée, attrapa difficilement la manche de Pahya et parvint à articuler avec difficultés :

- J'ai... J'ai vu... un démon...

Ort'ha gémit de douleur et laissa sa tête retomber en arrière pour essayer de se fatiguer le moins possible. Pahya déchira un morceau de tissu de sa semblable puis l'appliqua sur la blessure ventrale en lui indiquant de presser le plus fort possible.

- Je vais chercher de l'aide. Tâche de calmer au mieux ton rythme cardiaque et de bouger le moins possible.

- Tu n'iras nulle part, prononça une voix lugubre dans son dos.

Pahya se releva d'un coup et tira ses deux dagues avant de faire face à une silhouette en plein centre du chemin. Surtout, il ne fallait pas que les habitants sortent de leur maison pour voir ce qu'il se passait. Sinon il leur en coûterait la vie...

- Qui es-tu ? aboya la Sheikah qui restait sur la défensive.

Son interlocuteur ne répondit pas. Il se contenta seulement de dégainer son épée et de se mettre en position de combat. Ses traits se tirèrent, elle ressentit tout le danger qui émanait de cet homme. Ses iris verts qui semblaient légèrement luire dans la nuit, tout comme cette marque rouge sur son bras dénudé... Ce n'était pas un Hylien.

- C'est donc toi qui assassines des innocents dans l'ombre, grogna Pahya en rabattant son chapeau dans son dos pour se préparer au combat. Réponds à ma question, étranger ! Est-ce que tu agis seul ?

Il fit tournoyer son épée dans le vide puis la pointa dans sa direction.

- Si ce n'était pas le cas, toi et tes petits camarades seraient déjà morts, rétorqua l'homme avant de se jeter vers elle.

En l'espace de quelques secondes, il traversa la quinzaine de mètres qui les séparaient et fendit l'air pour éventrer la jeune femme. Celle-ci bondit en arrière, les dents serrées à cause de la tension oppressante qui régnait, se réceptionna puis para un deuxième coup avec l'une de ses dagues. L'épée crissa contre le métal et glissa sur le côté, comme le désirait Pahya. De sa main libre, elle élança son bras en avant pour planter son autre dague dans la poitrine de son ennemi, mais celui-ci eut un vif mouvement de recul pour esquiver.

- Tu es agile, femme. Quelle cause guide tes armes ?

Son ton glacial prouva une fois de plus que cet adversaire était encore plus dangereux qu'elle ne le pensait. Pahya croisa ses mains devant elle pour présenter ses armes.

- Je me bats pour protéger le royaume des personnes aussi néfastes que vous, répondit-elle avec animosité.

- Ha ! se moqua l'homme avec amertume. Tu te bats pour une princesse qui se sert de ton peuple avec son père ? Vous, les Sheikahs, vous n'êtes qu'aveuglés par vos croyances et vos déesses.

Il se jeta sur elle et lui asséna un nouveau coup qu'elle tenta de bloquer avec ses dagues. Il ne lui laissa pas même le temps de réfléchir qu'il écrasa son pied dans l'abdomen de Pahya et l'envoya à terre dans un long râle de douleur.

- Vous n'êtes que des chiens dociles ! vociféra l'homme.

Il abattit une nouvelle fois son épée sur sa victime à terre qui roula sur le côté et évita de peu la lame assassine.

- Vous avez créé des machines qui apportent la mort partout où elles passent ! À cause de votre aveuglement, combien de personnes sont mortes ?!

Le meurtrier effectua une attaque de revers qui força Pahya à se relever d'un bond et à placer deux doigts relevés devant son visage. Elle disparut dans un tas de feuilles puis réapparut au-dessus de son adversaire qui releva aussitôt la tête et trancha l'air dans un arc de cercle. Les pupilles de Pahya se rétractèrent malgré l'obscurité puis, dans un élan instinctif, frappa de toutes ses forces dans l'épée ennemie pour se servir de son énergie et être propulsée en arrière. La main libre de l'homme se crispa, il la rapprocha de son visage et se courba tant il était rongé par la haine.

- Si vous n'aviez pas emmené ce foutu Hylien devant le roi, jamais tout cela ne serait arrivé... bougonna-t-il à travers une respiration sifflante.

- Jamais je ne te laisserai t'en prendre à Link ! lâcha Pahya en se jetant sur lui.

Elle l'attaqua à de multiples reprises, alternant entre ses deux dagues et forçant à chaque fois son ennemi à reculer. Ce dernier esquivait ou parait toutes ses tentatives de le blesser. Il décida soudainement de contre-attaquer mais Pahya disparut une nouvelle fois avant de réapparaître quelques mètres plus loin, saine et sauve.

- Oui, je me souviens, maintenant... Ce nom... Ce n'était qu'un mensonge !

Fou de rage, il projeta son épée qui vola vers Pahya et lui effleura l'épaule. Trop concentrée sur son esquive, elle ne fit pas attention à l'homme qui avait bondi sur elle et dont les mains meurtrières se refermaient sur son cou. Ses doigts glacés ses plantèrent dans sa peau et la firent basculer en arrière. Pahya poussa un cri de douleur et de peur quand elle comprit qu'il ne faudrait que quelques instants à ce dégénéré pour la tuer. L'homme l'étrangla de toutes ses forces en grognant telle une bête enragée.

- Tu vas mourir et rejoindre les miens ! hurla-t-il en serrant encore plus fort.

Sous lui, elle se débattait avec force mais il la bloquait trop pour qu'elle puisse tenter de s'en échapper. La téléportation à courte distance lui était impossible tant qu'elle ne pouvait pas placer l'une de ses mains devant elle. Une vive chaleur se propagea dans sa tête, sa vision se troubla un court instant, redevint normal puis tout devint flou alors que la peau de son visage s'embrasait à cause de la panique. À tâtons, elle chercha désespérément l'une de ses dagues qu'elle avait lâchées dans sa chute. D'un coup, elle perdit la sensation de ses membres et même du toucher. Elle n'entendait plus rien, ne voyait plus rien... Elle ne perçut même pas le corps de l'assassin qui tombait sur le côté après s'être reçu une flèche dans l'épaule puis dans la cuisse.

Les autres Sheikahs, inquiets de ne pas recevoir d'instructions après avoir entendu des éclats de voix, étaient enfin venus pour comprendre ce qu'il se passait. Deux d'entre eux lui avaient tiré dessus pour l'écarter de Pahya tandis que trois autres se précipitaient sur lui pour le mettre hors de combat. Malgré ses blessures, il parvint à s'enfuir sans demander son reste, conscient de ce qu'il l'attendait s'il ne déguerpissait pas sur-le-champ.

- Dame Pahya ! cria l'une des Sheikahs en la prenant par les bras. Dame Pahya, est-ce que vous m'entendez ?!

La petite-fille d'Impa ne répondit pas, son regard demeurerait vide et sans éclat.

oOo

Les jeunes fiancés étaient sur le chemin du retour pour le château. Ils échangeaient d'heureux souvenirs à propos de la fête et parlaient d'éventuels projets futurs. Mais en retrait, Iris ne voulait pas se joindre au reste du groupe pour le moment. Toutes ses pensées étaient accaparées par une seule question : Qui était Thomas ? Lui qui avait l'air d'un Hylien tout à fait ordinaire, sans histoire. Un détail devait lui échapper... Un détail qui la surpassait. Si Thomas leur voulait du mal, il aurait déjà pu agir maintes fois pour les nuire. Mais cela n'avait jamais été le cas, c'était un garçon bienveillant qui ne demandait pas grand-chose à part devenir soldat. Mais ses dons, Iris voulait en comprendre la nature.

- Ohé, du moulin ! la tira Léon de ses pensées en secouant sa main devant elle.

Elle sursauta et le regarda avec incompréhension.

- Tu rêvasses ou quoi ? s'inquiéta-t-il sérieusement. Le capitaine a ordonné qu'on passe au galop jusqu'à ce qu'on arrive sur la plaine d'Hyrule.

- Ah... Excuse-moi, j'étais perdue dans mes pensées.

Le regard de Thomas posé sur elle l'incommoda particulièrement ce jour-là. Elle détourna la tête, ce qui surprit son jeune camarade. Peu après, le groupe de cavaliers se lança au galop pour éviter de perdre trop de temps. Iris put noter l'excellente humeur de son capitaine et de la princesse qui ne prêtaient presque pas attention aux trois apprentis. La jeune fille était mitigée. Devait-elle parler de sa méfiance à son supérieur ? Oui, il le fallait. Une telle chose ne pouvait rester secrète plus longtemps. Une fois qu'ils seraient arrivés à la citadelle, elle demanderait à parler en privé avec Link pour tout lui expliquer.

Ce fut une heure et demie plus tard qu'ils franchirent enfin les portes du château et qu'ils regagnèrent les écuries pour laisser les chevaux s'y reposer. Link remercia les écuyers qui s'occupaient des braves bêtes, il finit par remarquer le regard insistant de sa jeune élève dont l'hésitation se voyait à travers ses mouvements.

- Iris, tu veux me parler ?

- Capitaine ! s'époumona un garde qui venait de l'aile ouest.

Face au héros et à la princesse, il s'agenouilla humblement mais ne tarda pas à délivrer son message :

- Capitaine, nous avons trouvé l'assassin qui agissait depuis plusieurs semaines !

- C'est une bonne cho...

- Cependant, Dame Pahya est... le coupa l'homme en reprenant son souffle. Le meurtrier l'a sauvagement étranglée...

Les deux élus des déesses se crispèrent à cause de cette terrible nouvelle.

- Elle a fait un arrêt cardiaque. Les membres de son clan ont réussi à la réanimer mais son état est très instable. Nous ne savons pas si... si elle s'en sortira.

- Emmenez-nous à elle ! ordonna Link avec empressement. Quant à vous trois, regagnez vos quartiers pour le moment !

Le chevalier se précipita dans le château, talonné par Zelda et le garde en question. Les apprentis se regardèrent, totalement déboussolés à cause de la situation. Dame Pahya avait été étranglée et se trouvait dans un état critique ? Iris jeta un regard discret à l'archer et fronça les sourcils quand elle le vit poser une main sur le haut de son bras, là où elle ne soupçonnait pas l'existence du tatouage en forme d'hibou.

Link entra en trombe dans l'infirmerie de la forteresse. À grands pas, il se dirigea vers la chambre indiquée par l'infirmière, celle où reposait Pahya pour le moment. Cette dernière avait de larges marques violettes et bleues autour du cou, témoignage de la violence de l'étranglement subi. Elle respirait avec peine dans son état d'inconscience, surveillée par l'une de ses semblables.

- Une autre Sheikah a été grièvement blessée lors de leur intervention cette nuit, les informa le garde. Malheureusement, elle n'a pas survécu à ses blessures. Nous avons fait prévenir Dame Impa, nous espérons qu'elle vienne bientôt.

Choquée, Zelda posa une main sur sa bouche et recula jusqu'à ce que son dos repose sur le mur glacial de la pièce. Elle le savait... C'était de sa faute, elle avait demandé à ce que le meurtrier soit retrouvé, et voilà ce qu'il en avait coûté. Une morte, peut-être bientôt deux...

- Qui est... l'homme qui a fait ça ? articula Link qui se faisait violence pour garder son sang-froid.

- D'après les témoignages des autres Sheikahs sur place, une marque rouge faiblement lumineuse se trouvait sur l'un de ses bras. Nous n'avons pas d'autres informations, mis à part qu'il s'agissait d'un épéiste et qu'il a été blessé par des flèches.

Une marque rouge ? Les traits de Link se crispèrent lorsqu'il se remémora cet homme qui les avait attaqués dans la forêt, ses apprentis et lui. Il fut parcouru par de désagréables frissons ; il avait fait face à l'homme qui le recherchait, un assassin particulièrement redoutable au vu de ce qu'il a fait endurer à Pahya.

- Nous devons déployer des hommes pour le retrouver, déclara le capitaine de la garde royale en se tournant vers Zelda. Je ne peux accepter qu'un tel meurtrier puisse parcourir librement le royaume en tuant des innocents sur son passage.

- Nous avons perdu toute trace de lui, Capitaine, avoua honteusement le garde. Nous avons suivi les taches de sang mais elles ont fini par s'estomper en direction de l'ouest.

Link resta silencieux, si bien que cela inquiéta d'autant plus la princesse qui ressentait toute la gravité de la situation. Il devait bien y avoir des éléments qui entraient dans l'enquête et qui permettaient de comprendre qui était et ce que voulait cet homme... Trois ans se sont écoulés depuis le retour des deux élus, alors pourquoi n'agir que maintenant ? Zelda fronça les sourcils, en plein dans sa réflexion. Oui, pourquoi n'agir que maintenant ? Tout allait bien, la vie à Hyrule ne faisait que s'améliorer depuis des mois. Alors que reprocher à Link ? Il y avait certainement une autre explication. Cet assassin n'était sans doute pas un Hylien, ni même un Hyrulien. Peut-être... venait-il d'arriver sur ces terres ? Mais cela n'expliquait toujours pas la cause de ses sombres desseins.

La jeune femme prit Link à part et le mena jusqu'au bureau vide de Pahya. Rien n'avait bougé, une pile de feuilles immaculées trônait toujours sur la table en bois massif, la chaise était correctement rangée sous la table, une ambiance paisible régnait dans la pièce. Zelda se posta près de la fenêtre et regarda la cour du château, bien plus bas.

- Impa devrait arriver bientôt, les Sheikahs présents lors des faits sont allés à Cocorico très tôt dans la matinée, prononça-t-elle d'une voix blanche. Voir sa petite-fille ainsi risque d'être un choc pour elle.

Le chevalier observa le visage blême de sa fiancée sans émettre le moindre mot. Tout cela le dépassait aussi, penser une seule seconde que Pahya avait failli être assassinée lui paraissait presque irréel.

- L'assassin ne doit pas être d'Hyrule, poursuivit Zelda sans lâcher du regard le monde extérieur. Posséder une marque lumineuse sur la peau, ce n'est pas humain...

- Ses yeux brillaient dans la pénombre, compléta Link.

Elle haussa les sourcils, surprise de l'apprendre et ne sachant comment Link pouvait être au courant. Il raconta une fois de plus cette nuit-là où Thomas avait été blessé. Cet homme dégageait une aura indéfinissable, elle ne pouvait être que ressentie pour être comprise. Tout ce que le chevalier pouvait affirmer, c'était le mal-être qu'il avait éprouvé en la présence de cet étranger. Dehors, Impa passa les portes des deuxièmes remparts, sur le dos d'un cheval à la robe marron et accompagnée par une douzaine de membres de son clan. Zelda intima un serviteur de faire monter la cheffe Sheikah jusqu'à son ancien bureau dès qu'elle le pourrait et de veiller à ce qu'elle ne soit pas incommodée. Pendant ce temps, la princesse prit place sur un fauteuil de velours et regarda Link faire les cent pas au beau milieu de la pièce. Tous deux étaient nerveux, cela allait sans dire. Avoir une situation hors de contrôle entre les mains n'avait strictement rien de rassurant, ils étaient confrontés à une réelle menace depuis la défaite de Ganon.

Une trentaine de minutes plus tard et après avoir été au chevet de sa petite-fille, Impa foula le sol du bureau et salua d'un air grave ses deux occupants. Les autres Sheikahs restèrent dans le couloir pour surveiller. L'ancienne magistrate croisa ses bras dans son dos, scruta les alentours avec fermeté puis s'avança jusqu'à la princesse qui restait muette.

- En tant que future reine, vous ne devez pas vous montrer aussi anxieuse, la sermonna Impa sans bouger. Il n'y a rien de pire pour le peuple et son armée qu'un roi ou une reine qui prend peur face à un tel incident.

- Incident ? répéta Link, outré par ce mot. Plusieurs personnes sont mortes, je n'appelle pas cela un incident !

La vieille femme tourna lentement la tête vers lui.

- Link, à côté des milliers de morts causées par la résurrection du Fléau, un assassin seul n'est qu'un grain de sable au sein d'une plage.

- Une femme a péri et Pahya a été étranglée, comment pouvez-vous prendre ça à la légère ?!

Elle plissa les yeux et lui adressa un regard froid qui agaça d'autant plus le Héros. Zelda se leva pour lui prendre la main et lui demander de se calmer afin de laisser Impa finir de parler.

- Toutes deux connaissaient les risques de cette mission, rétorqua la Sheikah en avançant de quelques pas dans le bureau. Ce qui leur est arrivé ne m'a pas laissée impassible. Grâce aux déesses, Pahya a pu s'en sortir et crois-moi, tu ne peux comprendre mon soulagement, elle qui est ma dernière famille avec Pru'ha...

Elle prononça son dernier mot dans un souffle, vraisemblablement affligée et très affectée. Impa reporta son attention sur la princesse.

- À l'heure actuelle, plusieurs possibilités s'offrent à vous pour les événements à venir. Bien sûr, vous pouvez envoyer l'armée hylienne à la recherche de cet homme, mais je pense que cela serait un peu excessif. Il n'a l'air d'en vouloir qu'à Link, je me trompe ?

La blonde hocha négativement la tête pour confirmer ce qu'elle disait.

- Vous pouvez toujours lui tendre un piège grossier en plaçant Link à découvert durant une courte période, mais cela risque d'être bien trop dangereux. Dans le cas où vous ne voudriez pas, laisser cet homme tuer n'est pas envisageable non plus. Il vous faut alors remonter au cœur de l'origine du problème : comprendre d'où il vient ainsi que ses motivations.

Les deux fiancés se regardèrent avec appréhension, ils se demandaient en silence quelle serait la meilleure solution pour résoudre cette affaire. Mais visiblement, Impa n'avait pas dit son dernier mot. Pour tracer le profil du meurtrier, elle demanda le peu d'informations qu'on avait sur lui. Link ne fit que lui répéter ce qu'on lui avait dit une fois partie du village Cocorico : c'était un épéiste plus vieux que Link, qui possédait une marque incandescente de couleur rouge. Et ce détail retint tout particulièrement l'attention d'Impa. Elle fit un rapprochement avec le motif sur le bras de Thomas, ce jeune garçon aux origines impensables. Elle se souvenait très bien de la nuit où il était resté dormir à cause de ses blessures. Impa avait profité de son lourd sommeil pour examiner de plus près son tatouage, et elle avait découvert avec stupeur que celui-ci émettait une faible lueur verte.

- Je me demande... si cet homme n'est pas un Soneau, dit-elle avec hésitation. Je n'ai aucune preuve concrète pour l'affirmer, mais je ne peux éloigner cette hypothèse.

- C'est impossible, ils ont disparu il y a dix mille ans après la victoire de la princesse et du Héros de cette époque, lui rappela Zelda qui tenait toujours Link. Ils ne peuvent pas revenir du jour au lendemain.

Revenir du jour au lendemain... se répéta-t-elle en s'immobilisant. Cet homme était justement apparu sans contexte précis, trois ans après la victoire contre le Fléau. S'il en voulait à Link depuis tout ce temps, il s'en serait pris à lui bien plus tôt. "À moins qu'il ne soit arrivé il y a peu..." Cela rejoignait ce qu'elle pensait juste avant l'arrivée d'Impa. Bon sang, que s'était-il passé récemment qui pourrait avoir un quelconque lien avec cette affaire ? La princesse repensa à toutes les réunions avec les représentants de chaque peuple à propos du commerce et des traités à l'étranger. Ils ne s'étaient pas attirés les foudres des pays limitrophes, et jamais Link n'avait été impliqué. Ce dernier restait quasiment tout le temps au château ou bien se rendait à Akkala. De ce fait, il ne voyageait pas et ne pouvait donc porter de préjudices à un étranger.

- Le temple de Firone.

Les deux femmes levèrent la tête vers le chevalier qui avait prononcé ce nom avec méfiance.

- Sa porte a été ouverte récemment, je l'avais constaté en examinant le sol à ses pieds, ajouta-t-il pour appuyer ses mots. Peut-être vient-il de là ?

- C'est impossible, Link, le contredit la princesse. Qui vivrait dans un temple ? Nous ne savons même pas ce qu'il renferme. Peut-être n'était-ce qu'un chasseur de trésor qui a trouvé le moyen d'ouvrir la porte.

Il fit non de la tête et ancra son regard dans le sien. Zelda put y lire cette détermination habituelle qu'elle connaissait si bien depuis tout ce temps.

- Si quelqu'un avait pu ouvrir le temple de l'extérieur et qu'il avait découvert le moindre trésor, je pense que nous aurions été mis au courant d'une manière ou d'une autre. Non, il doit y avoir... autre chose.

Cette simple idée le fit frémir. Quant à Impa, elle remarqua enfin qu'ils se tenaient la main avec un peu trop d'instance, une proximité qu'elle n'avait encore jamais vue et qui lui parut presque aberrante. Elle arqua les sourcils et les dévisagea pendant qu'ils parlaient du temple de Firone. Étrange manière de se parler, une touche de familiarité, une aise dans le langage... Et ces bagues ne pouvaient signifier une seule chose.

- Vous... Vous vous êtes fiancés ?

- C'est exact, lui apprit Link avec une impassibilité à toute épreuve.

- Ce n'est pas le moment ! s'indigna Zelda alors que son rythme cardiaque s'emballait. Je crois que la situation actuelle est bien trop grave pour en parler.

La jeune femme lâcha la main de son compagnon pendant qu'une certaine panique s'emparait d'elle. Quant à Impa, elle avait légèrement écarquillé les yeux mais un triste sourire s'était dessiné sur son visage.

- Je vois...

- Peu importe, répliqua Zelda. J'aimerais que l'on finisse cette affaire avant d'en parler ! Est-ce bien clair ?

Impa et Link opinèrent puis la princesse soupira avec discrétion. Maintenant, il fallait pallier un nouveau problème lié à celui de l'assassin : ouvrir la porte de ce fichu temple. Il semblait être la seule source de réponse. Mais que faire du meurtrier dans ce cas ? Il serait bien capable de les suivre... Mais peut-être était-ce l'unique moyen pour lui tendre un piège ? Zelda refusait cette idée. Elle dissocia cela en deux missions distinctes pour ne pas rendre la situation bien plus compliquée. Une réunion devait avoir lieu avec les autres représentants pour discuter d'une autre approche concernant l'assassin. Quant au temple, elle gèrerait son cas avec l'aide de Link et de son ancienne nourrice.

Pahya n'étant pas en mesure de les aider, ils devaient trouver quelque d'autre capable d'utiliser ce sort. Et cette personne s'avérait être Impa. Cependant, au vu de son âge... Zelda avait quelques doutes. Elle expliqua à sa nourrice le fond de ses pensées et voulut savoir si elle pouvait tout de même réaliser ce sortilège employé par les anciens moines sheikahs. Elle lui montra le manuscrit apporté par Link et laissé sur le bureau de Pahya.

- Assurément, je peux tenter de le faire, la rassura la vieille femme. Mais je ne garantis pas le résultat. Laissez-moi me pencher dessus ce soir, je vous donnerai une réponse demain. Mais en retour, je vous en prie...

Un voile de peine passa sur son visage.

- Veillez sur Pahya.

Le jeune couple le lui promit immédiatement. Eux aussi espéraient que Pahya se remette de l'attaque et n'ait pas de séquelles par la suite. Ils remercièrent Impa et l'accompagnèrent une fois de plus auprès de sa petite-fille encore inconsciente à l'infirmerie.

oOo

Après s'être attablée dans la grande salle à manger réservée aux soldats, Iris entamait son repas malgré l'absence de faim. Son assiette ne l'attirait pas, l'odeur n'avait rien d'alléchante, comme si tout était devenu fade à ses yeux. Depuis la veille au soir, un sentiment de malaise lui formait une boule dans le ventre et la privait de ses envies habituelles.

- On peut s'asseoir ? demanda Léon qui arriva à son tour.

- Oui, bien s...

Quand elle vit Thomas à ses côtés, l'Hylienne se tut et adopta un air fermé qui lui était peu commun. Elle poursuivit son repas dans un silence pesant qui mit mal à l'aise ses deux compagnons. Léon passa une main sur son crâne rasé court, manifestant une certaine gêne, tandis que le brun mâchait avec lenteur ce qu'il avait sous les yeux.

- Quelque chose ne va pas ? finit par demander le plus âgé des trois pour briser ce moment étrange.

Ni Thomas ni Iris ne répondit. Autour d'eux, les autres occupants de la salle mangeaient avec gaité et parlaient peut-être un peu trop fort par moments. Ce n'est pas ainsi que j'aurais des explications à mes interrogations, se dit la châtaine qui rivait son regard sur son couteau. Cependant, avec Léon à côté, il n'était pas sûr que Thomas veuille bien répondre. Il valait mieux tenter une approche camouflée et analyser avec attention les expressions faciales du jeune homme, celles-ci étant souvent très révélatrices.

- Ta mère n'était pas trop triste quand nous sommes partis, ce matin ? lui demanda-t-elle en feignant l'innocence. Je ne l'ai pas vue quand nous avons quitté Elimith.

Pris de court par cette question, il leva la tête, les sourcils un peu haussés, puis exprima un air gêné.

- C'est normal, elle est restée à la maison car elle était fatiguée, lui expliqua Thomas qui avait posé sa fourchette sur le bord de l'assiette. Elle aurait d'ailleurs aimé te parler.

- La fête a duré toute la journée, je pense qu'elle aurait largement eu le temps de venir me voir.

Il hocha négativement la tête.

- Non, jusqu'au soir, elle participait à la confection du repas final avec d'autres villageois. Elle n'a pu rejoindre les festivités qu'en début de soirée. Elle m'a dit qu'elle avait essayé de vous parler mais vous dansiez au seul moment où ma mère était libre.

- Ah oui, je crois que je me souviens, l'appuya Léon. Une femme est venue me voir après, mais elle ne s'est pas présentée. Elle m'a posé des questions sur notre formation ! Ta mère est brune aux yeux marron, de petite taille ?

Thomas le lui confirma et leur apprit même qu'elle se nommait Elina. De son côté, Iris ne savait plus quoi penser. Cette vieille dame était si sénile pour lui dire n'importe quoi ? En y repensant, elle sentait l'alcool à plein nez. Un vif sentiment de culpabilité tordit les entrailles de la châtaine qui attrapa ses mains et les cacha sous la table. Quelle idiote... Elle avait tellement paniqué que des pensées insensées avaient envahi son esprit. Pour autant, elle ne pouvait toujours pas expliquer l'origine des dons de son camarade. Soudain, le brun toussa plusieurs fois fortement et s'excusa brièvement face aux regards perdus des deux autres apprentis qui avaient sursauté. Léon ricana et tapota l'épaule de l'archer.

- Ça, c'est quelqu'un qui pense à toi, Thom's !

Ce dernier roula des yeux et repoussa ce rustre qui l'importunait sans cesse et sans raison. Iris soupira puis esquissa enfin un sourire avant de reprendre son repas. Son inquiétude n'avait plus lieu d'être, c'était le principal.

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