Chapitre V- Retour en enfer

Ce qu'elle avait eu l'audace d'appeler une décision se révéla en réalité n'être qu'un éclair de folie pure et simple.

Eclair qui refusait pourtant de sortir de sa tête. Presque malgré elle, Helena continuait de peaufiner les détails de ce qui ne tarderait plus à devenir un plan bien réel.

Son père avait fini par ramener une nouvelle bouteille, mais il n'avait toujours pas essayé de l'ouvrir, les yeux rivés sur la photo. Helena la prit, l'ouvrit et laissa librement le liquide ambré couler dans sa gorge. L'homme à ses côtés ne releva même pas, mais l'avait-il seulement remarqué, plongé comme il l'était dans son monde ?

Le whiskey fit un bien fou à la jeune fille qui n'avait pas avalé une gorgée d'alcool depuis des lustres. La bouteille toujours en main, elle tenta de se souvenir de la dernière fois où une boisson vaguement alcoolisée s'était retrouvée dans sa main. En vain.

Cela faisait presque un an qu'elle ne s'était pas saoulée. Le moment lui semblait bien choisi pour recommencer. La bouteille atteint une nouvelle fois ses lèvres.

Cependant, l'alcool n'eut pas l'effet escompté : au lieu d'engourdir son esprit, il le rendit presque plus vif et continua de faire tourner en boucle cette idée, la nourrissant, l'amplifiant jusqu'à ce qu'il n'y ait plus qu'elle.

Au bout d'une heure, Helena commença à calculer les probabilités de réussite de son plan. Au bout de deux, elle commença à se poser la question si sa vieille voiture tiendrait le coup avant de se dire que ça vaudrait le coup d'essayer.

Finalement, au bout de trois heures, une fois la dernière gorgée d'alcool avalée, elle se décida. Assise sur le sofa miteux, à côté de son père à moitié évanoui à cause de la vodka, elle choisit.

Elle choisit de retrouver son frère. Et de le ramener à la maison.

Elle le ferait, pour sa mère, son père, son frère... Pour elle.

Elle se battrait.

Dans un dernier regard pour son père, elle se leva difficilement du canapé et se dirigea vers sa chambre, au premier étage. Une fois à l'intérieur, elle se dirigea vers son bureau en titubant. Tout en tentant de conserver un équilibre précaire, elle ouvrit le troisième tiroir à gauche en partant du bas et enfouit sa main sous le tas de devoirs non rendus et de stylos desséchés. Au bout de quelques secondes, elle finit enfin par trouver le tas de feuilles. Elle s'en empara rapidement. Fébrilement, elle commença à compter.

Elle n'avait absolument aucune idée de par où elle pourrait commencer ses recherches ou de combien de temps cette fugue était censée durer, mais elle se résolu à emporter la totalité de ses économies avec elle.

Elle attrapa une valise et y fourra tous les vêtements qu'elle put trouver. Puis elle ferma le sac avec un air déterminé. Elle allait redescendre, mais en passant devant la commode dans l'entrée de la chambre, elle fit tomber une boîte.

La boîte à bijou de sa mère.

Elle se pencha en avant pour la récupérer et se dirigea à pas lents vers le lit, sur lequel elle se laissa tomber lourdement. Elle ouvrit doucement la boîte et regarda les petits trésors de sa mère avec émerveillement, comme si c'était la première fois qu'elle les voyaient.

Pleins de bracelets, de boucles d'oreilles, de colliers, de bagues et tous les types de bijoux que l'on pouvaient s'imaginer. Elle caressa du bout des doigts chaque pierre, chaque boucle de chaque chaînes et chaque fermoir de chaque bracelet. Elle décida de garder les plus importants pour son voyage, comme un souvenir, une mémoire constante de sa mère, pour lui rappeler ses derniers mots..."Donne tout ce que tu as, mon ange, parce que de toute manière tu n'en sortiras pas vivante".

Méticuleusement, elle choisit. Son choix se porta rapidement sur plusieurs pièces: un bracelet en argent, serti d'une multitude de diamants, elle vit aussi une bague, un anneau très fin, discret, en or blanc, surmonté d'une étrange pierre noire ronde et polie qui avaient d'étranges reflets roses.

Elle prit les deux bijoux et décida de les garder pour elle, ensuite, elle en prit un dernier dans une petite boîte en velours rouge et le mit dans sa poche, attendant de l'utiliser au bon moment.

Elle prit le sac, puis se dirigea à nouveau vers le salon.

Son père n'avait pas bougé, il tenait toujours le cadre avec la photo d'eux quatre au Mexique dans ses mains et sa bouteille à lui était toujours par terre, vide jusqu'à la dernière goutte.

-Papa, murmura-t-elle.

L'homme releva sa tête presque chauve, le regard étrangement lucide et intelligent pour quelqu'un qui vient de boire toute une bouteille de vodka en quelques minutes.

-Qu'est-ce qu'il y a ma chérie?

-Papa, il faut qu'on parle...

-Bien sûr, viens là, dit-il en indiquant l'espace vide à côté de lui dans le sofa.

La jeune fille s'exécuta et s'installa tout près de son père.

-Je vais partir.

Trois mots. Qui suffirent à décomposer son père. Il avait fabriqué son monde autour de sa famille, et voilà que tous partaient, d'une manière ou d'une autre.

-Où çà?

-Je ne sais pas. Je vais avec Jessy, du moins je vais essayer.

Elle lui prit la main, tout doucement, et y fourra le dernier bijoux qu'elle avait prit.

Après tout, ces bijoux, elle pouvait bien en faire ce qu'elle voulait, ils lui appartenaient. Sa mère lui avait toujours dit que lorsqu'elle mourrait, tous ses bijoux et vêtements seraient à elle. C'est pourquoi elle avait mis dans son sac une grande partie des vêtements de cette femme qu'elle avait tant aimée.

Son père retourna sa main pour voir ce que sa fille venait d'y mettre, et suspendit son geste lorsqu'il se rendit compte de ce dont il s'agissait. Les larmes lui montèrent aux yeux et il ne put en retenir quelques une. Il prit le collier dans sa main et ouvrit le pendentif en forme de cercle au bout de la longue chaîne d'une main tremblante. A l'intérieur, on pouvait voir une photo de sa femme et une de lui pendant ses jeunes années. De chaque côté du pendentif étaient gravés leurs noms. James et Sysy. Il avait demandé Sysy en mariage avec ce pendentif, sachant qu'elle détestait les clichés et ne voulait pas s'encombrer avec une bague pour le restant de sa vie. Il se tourna vers sa fille, à présent en larmes.

-Il est à toi ma chérie.

-Non! Il est à toi à présent... En fait, je crois qu'il l'a toujours été... Moi j'ai gardé d'autres choses, ne t'en fais pas!

-Très bien, mais tiens ceci...

Il se pencha sur la petite commode à côté du canapé et ouvrit l'unique tiroir qu'elle comportait, il en sortit une boîte carrée, juste assez grande pour contenir un petit collier. C'était d'ailleurs le cas. Dans la petite boîte en cuir rouge, reposait une chaînette en argent, magnifique, ornée d'un pendentif en forme d'ailes. Quelques-unes étaient parsemées de minuscules diamants, ce qui faisait que le collier resplendissait aux reflets mourants du soleil. Helena l'effleura des doigts comme s'il s'agissait d'un morceau de cristal: fragile et si délicat que le moindre choc pouvait le briser.

-Il était à ta mère, elle l'aimait comme la prunelle de ses yeux, je crois que c'est sa grand-mère qui le lui a offert quand elle a eu 19 ans... Je voulais te le donner pour ton anniversaire, mais je pense que tu ne seras pas ici, alors... Et pour Jessy, tiens...

Il se retira une bague de l'annulaire droit et la tendit à sa fille. C'était une bague simple d'aspect, mais très belle si on l'observait de près: un anneau large, en argent, avec pour seul ornement, une petite pierre noire. Helena n'arriva pas à identifier de quelle matériau il s'agissait, mais il était magnifique.

Elle la saisit et se la mit à l'index en attendant de retrouver son petit frère.

-Bien.

Après ça, il ne parla plus.

***

Helena ne sût jamais si son père pleura après son départ, tout comme elle ne sût jamais quelles furent ses dernières pensées ou ses dernières paroles.

Elle ne saurait pas non plus que, lorsque trois mois, plus tard James Parsons se tirerait une balle dans la tête, il tiendrait dans sa main le dernier cadeau de sa fille ni que la dernière image qu'il aurait du monde serait celle d'une photo. Une photo qui montrait une famille heureuse.

***

Essayant de contenir ses larmes, la jeune fille alla dans la voiture et démarra en trombe l'esprit encore engourdi par l'alcool. Elle n'avait aucune idée de l'endroit où son petit frère avait pu se rendre mais le whiskey remplissait bien son office, aussi Helena ne s'en soucia guère. Elle se contenta d'appuyer sur l'accélérateur et d'aller droit vers la sortie de ce village que, elle le savait, elle ne reverrait jamais.

Au bout de quelques temps, il fut évident qu'elle ne pouvait plus conduire vu l'état d'ivresse dans lequel elle se trouvait. Elle résolut de s'arrêter pour la nuit mais l'urgence de la situation et la peur d'arriver trop tard pour sauver son frère la firent repartir une heure plus tard. Le soleil ne tarda plus à se coucher pour de bon et, bientôt, la route ne devînt plus qu'une allée sombre et remplie de ténèbres qui guidaient Helena à travers son destin, comme si le bitume froid savait d'avance que la jeune fille se dirigeait vers sa perte.

Helena n'avait toujours aucun indice sur la direction à prendre mais ses mains tournaient le volant de manière automatique. Elle passa plusieurs heures sur une autoroute avant de se perdre sur une route de campagne sans même se rendre compte qu'elle avait déjà emprunté ce chemin par le passé.

Et qu'il l'avait bel et bien menée à sa perte.

Ne faisant toujours pas attention à l'itinéraire, elle finit par se retrouver en bas d'un chemin de randonnée. N'ayant plus le choix, elle abandonna sa voiture, prit son sac et commença à marcher. Helena aurait voulu continuer à marcher jusqu'à avoir retrouvé son frère mais la fatigue et les restes de whiskey finirent par l'assommer au bout d'une heure à peine. Complètement exténuée, elle finit par se laisser glisser contre un rocher et s'endormit immédiatement.

***

Elle finit par se réveiller en plein milieu de l'après-midi. Eblouie par les rayons du soleil, elle mit quelques secondes à se souvenir des évènements de la veille. Helena voulut reprendre sa marche de suite mais, à peine avait-elle fait un pas qu'elle se rendit soudain compte qu'elle ne savait pas où elle allait. L'étourdissement qu'elle avait éprouvé la veille s'était évaporé et elle se retrouva en plein milieu de la montagne, perdue et en panique.

Comment faire?

Elle se posait la question lorsqu'un bruit de pas arriva jusqu'à elle. Complètement prise au dépourvu, elle n'eut pas le temps de se cacher, qu'une silhouette sortait de l'ombre pour révéler... Jessy!

Sans plus réfléchir elle se jeta dans les bras de son petit frère. Ce dernier, qui avait juste eu le temps de voir une bombe foncer sur lui, la repoussa instinctivement, et lorsqu'il vit qu'il ne s'agissait pas d'un dangereux prédateur, mais seulement de sa grande sœur, son réflexe ne fut pas non plus de l'enlacer mais de lancer un dur:

-Qu'est-ce que tu fiches ici ?

Surprise par la réaction de son frère, la jeune fille répondit simplement:

-Je suis venue te chercher...

L'adolescent senti un rire nerveux lui monter à la gorge et passer la barrière de ses lèvres.

-Tu m'écoute quand je te parle, ou quoi? Je t'ai dit à peine hier que je ne voulais pas mourir!

Helena s'attendait à tout sauf à ça. Qu'est-ce qui lui prenait tout à coup? Voulait-il vraiment partir pour ne jamais revenir?

La simple idée de ne plus voir son frère lui fit monter la bile à la bouche. Elle ne croyait pas à cette légende comme quoi les Marqués mourraient s'ils ne se présentaient pas, même s'il était clair que Jessy, lui, pensait qu'il s'agissait de la vérité à cause de la mort de son ami.

Jessy interrompit le fil de ses pensées.

-Et puis comment as-tu réussi à arriver ici avant moi?

-Je... Je ne sais pas... Je crois que...

Elle fut incapable de finir son semblant de phrase en se rendant compte qu'effectivement, elle n'avait absolument aucune idée de comment elle était arrivée jusqu'ici sans se remettre en cause une seule fois.

-Et toi ? Comment as-tu su qu'il fallait venir ici ? demanda-t-elle, de plus en plus perdue.

Silence. Elle leva la tête pour croiser le regard de son frère et se rendit compte qu'il arborait la même expression qu'elle-même avait dû avoir quelques secondes plus tôt. Parce que lui non plus ne savait pas pourquoi il était arrivé jusqu'ici et que lui, il n'avait pas bu.

Ils se regardèrent dans le blanc des yeux pendant plusieurs minutes, tentant de trouver une réponse à cette question qui flottait entre eux.

Finalement, toujours sans rien dire, Jessy se détourna et commença à inspecter les lieux, essayant de trouver une réponse dans ce qui l'entourait. Baissant les yeux vers ses chaussures, Helena le suivit, repassant la journée précédente en boucle dans sa tête. Elle suivait son frère sans même regarder où ils se dirigeaient aussi ne se rendit-elle pas compte qu'ils se trouvaient sur une falaise. Et, logiquement, elle ne se rendit pas non plus compte qu'elle se dirigeait droit vers le vide.

Le bras de Jessy autour de sa taille l'étouffa presque tant le choc fut soudain. Encore un pas et elle tombait.

C'est alors qu'elle s'en rendit compte. Elle était déjà venue ici. Un an auparavant, elle était venue sur cette même falaise et elle s'était tenu à cet endroit précis.

Se balançant entre le vide et la douleur.

Elle était venue pour mourir. Et elle avait réussi.

Quatre secondes pour mourir


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