- Non, vraiment, Élinor, je ne comprends pas.
- Tu ne comprends pas? Mais pourquoi je comprends, moi, alors?
- Je ne sais pas, je te dis. Peut être parce que je suis une Ellsmerienne.
- Excusez moi, dit le roi. Je ne comprends rien à ce que vous dites.
- C'est normal, nous parlons en français. Mais mon amie ne comprends pas du tout ce que vous dites. Elle ne parle pas le Volcusien.
- Très bien. Ramenez la.

Deux gardes au regard de braise (au sens propre comme au sens figuré), empoignent Lilli qui me regarde, les yeux grand ouverts.
Elle disparaît dans les couloirs tortueux du palais.

- Reprenons. Qui êtes vous?
- Euh... mon amie, qui viens de partir, se nomme Lilli Du Glacier. Elle a quinze ans, tout comme moi. Je m'appelle Élinor, Élinor de la Rivière.
- Et d'où venez vous?
- Du monde.

Hé bien oui, tactiquement je dis la vérité. Non parce que si je lui dis que je viens de France, un pays qui lui est totalement inconnu, il me prendra pour une folle. Et il aura bien raison.

- Très bien. Vous ne voulez pas me le dire. Peut être qu'avec un peu de torture vous serez plus précise?

Mmmmm... attendez, je réfléchis... Être torturée ou être prise pour une folle?
Désolé de vous décevoir, mais je ne suis pas très courageuse.

- Je viens de France. Je suis française.
- Vous venez... de l'autre côté du portail?
- Oui.

Ils ont vraiment tous des rires bizarres ici. D'abord la baleine et maintenant le corbeau! À quand la hyène?

- Désolé de vous décevoir, ma chère, mais vous n'êtes en aucun cas... Française. Aucune personne de l'autre monde ne parle notre langue.
- Il faut croire que si.
- Non. Il est impossible pour nous de traverser le portail, à moins de magie très puissante.
- Alors comment ai-je fais pour arriver en France, selon vous?
- À moins de magie très puissante, je viens de vous dire.
- Très bien. Alors d'après vous, qui suis-je? Comment ai-je fais pour arriver là bas? D'où est ce que je viens? Et qui sont mes parents? Vous pouvez y répondre, vous, peut être?
- Évidemment.
- Je... pardon?
- Je sais qui vous êtes, et d'où vous venez. Je viens de comprendre. Non, je ne vous le dirais pas. À vous de le découvrir...
Vous êtes libres. Mais je pense que vous devriez rester quelques temps au château, pour apprendre nos langues, nos coutumes, notre magie... mais vous êtes libre de partir.
- Quoi?!
- Je blague, évidemment.

J'adore son sens de l'humour.

- Je vais vous dire le peu que je sais sur vous.
Je ne sais pas exactement d'où vous venez, ni qui sont vos parents biologiques. Mais écoutez tout de même...

Il prit une grande inspiration, et commença son récit:

- Tout commença il y a quinze ans, pendant la bataille d'Ilfrania, alliance, dans le langage ancien. Pourquoi alliance? Car c'est durant cette bataille que, pour la première fois depuis la chute de l'Elfe Noir, les elfes du pays de l'eau et du feu combattirent ensemble face aux Skralls qui assaillèrent le palais. Je vous ai dit que je ne connais pas votre mère biologique. Mais je connais votre mère adoptive. Dame Arya. Un des meilleurs guerriers que je connaisse. Une femme redoutable au combat comme à la magie. Elle était aussi très intelligente et très courageuse.
Oui.
Était.
Dame Arya a disparue peu après qu'elle vous ait envoyé dans l'autre monde, vous et votre amie.

Mon sourire retomba d'un coup. Morte. La seule personne qui savait d'où je viens est morte.

- La bataille faisait rage. Les cadavres jonchaient le sol. Le sang éclaboussait les murs. Les hurlements de douleurs et de rage faisaient vibrer les carreaux des fenêtres.
Et puis, elle est apparue, lumière parmi les ténèbres, tenant un bébé dans ses bras. Un bébé aux yeux violets.
Ce bébé, c'était toi.
Elle avait le visage en sang, et une flèche était plantée dans son épaule. Mais elle n'avait d'yeux que pour la petite chose lovée dans ses bras.
Et elle te souriait. Et c'est grâce à ce sourire que nous avons gagné la bataille. Car au même moment les soldats Ellsmeriens se jettèrent à nos côté dans la mêlée. La lutte fut brève et tous les Skralls furent terrassés.
Ensuite, je ne sais pas vraiment ce qu'il c'est passé. Dame Arya est retournée à Ellsmère, je crois. Pendant trois mois vous avez vécu ensemble. Vous étiez heureuses. Tu ne pleurais jamais. Tu souriais toujours.
Je ne sais pas pourquoi elle a fait ça. Elle devait avoir ses raisons.
En tout cas elle l'a fait. Elle a traversé le portail, avec toi dans les bras. Puis elle est revenue. Seule.
Après, elle a été anéantie. Elle ne souriait plus, ne mangeait plus. Nous ne savions plus quoi faire.
Et elle a disparue.