Léna boutonna son chemisier en hâte. Ses doigts fins effleurèrent sa longue cicatrice, sur son sternum. Elle se figea et observa son reflet dans le miroir. La fatigue l'avait clouée au lit durant deux jours. Elle tournait en rond. Elle fut donc ravie de retrouver une activité lorsque son père lui proposa de se joindre à lui pour sa visite de contrôle dans l'immeuble de l'avenue Villiers.
— Вы готовы ? s'enquit son père, en entrant dans sa chambre.
La petite blonde rentra son chemisier dans sa jupe et le rejoignit d'un pas déterminé. Plus aucune douleur ne l'empêchait d'être à nouveau Léna Brocovitch, la femme d'affaires impitoyable qui faisait la fierté de son père. Il lui avait proposé de se joindre à elle pour s'assurer qu'elle ne referait pas les mêmes erreurs. C'était du moins l'argument qu'il lui avait servi. En réalité, le Russe prenait conscience de la fragilité de sa fille et voulait nouer des liens plus étroits avec elle. Mais après tant d'années à la fuir, à ignorer sa maladie, il ne savait que faire. Leur collaboration étroite lui apparaissait comme le moyen le plus simple de lui accorder plus d'attention.
— Es-tu sûre de pouvoir te rendre là-bas ?
— Otец, soupira-t-elle. Je vous assure que je me sens mieux. Ben se joindra à nous, je dîne avec lui ensuite.
— Très bien, j'aimerais lui parler, conclut-il, sans attendre de réponse.
Quand leur berline allemande - avec chauffeur - se gara devant l'immeuble, Ben trépignait d'impatience et maugréait dans sa barbe. La fin novembre avait de quoi entamer sa bonne humeur avec son ciel gris, chargé de nuages sombres. Une légère bruine humidifiait la ville depuis des jours. Le matin, quand il allait courir dans le parc voisin, un voile opaque de brouillard flottait dans les rues. Il détestait cette période. Mais ce jour en particulier le rendait plus irascible que jamais. Depuis cinq ans, le 23 novembre rimait avec Matthias et galère. Il n'avait encore reçu aucun appel. C'était bon signe. Mais il était encore tôt. Il pouvait être dérangé à tout moment et devait se tenir prêt.
— Ça gèle, râla-t-il, quand, enfin, Léna embrassa sa joue.
Sergueï le salua cordialement. Ils se toisèrent tous deux une seconde. Avec sa carrure athlétique et son flegme naturel, Ben se laissait rarement intimider, mais l'homme d'affaires lui inspirait une crainte irrationnelle. Il avait la désagréable sensation de voir tout le mépris qu'il lui portait dans son regard perçant.
— Ben, c'est ça ? demanda Sergueï, son accent russe le rendant plus effrayant encore.
— Benjamin, en réalité, bredouilla-t-il.
Le Russe l'écarta de Léna, une main posée sur son épaule.
— Ma fille a l'air de tenir à vous. Elle vous a mis au courant ? Pour son...
— Oui, je sais tout.
— Est-ce que vous êtes prêt à affronter ça ?
— Je ne l'abandonnerai pas, assura Ben d'un air fier.
"Pas comme vous", pensa-t-il. Léna lui avait raconté son enfance et l'absence douloureuse de ses parents lors de ses opérations, lors du décès de Jules, à sa sortie de l'hôpital. L'ego de Ben regonfla. Finalement, il valait mieux que lui.
— Merci de vous être occupé d'elle. Ça me rassure de savoir qu'elle n'est pas seule, ici.
Sergueï lui serra de nouveau la main, moins brutalement que la première fois. Ben crut même percevoir ce qui s'apparentait à un sourire, vraiment très discret, sur ce visage toujours aussi sévère. Plus détendus, les deux hommes rejoignirent Léna dans le bâtiment. En pleine discussion avec le chef de chantier. Elle reculait à chaque fois qu'il se rapprochait en lui adressant des rictus mielleux. Malinovski blémit en voyant Ben et Sergueï se poster près d'elle. Comme deux gardes du corps, ils croisèrent les bras d'un même mouvement, dévisageant avec dédain le Polonais. Ce dernier bredouilla quelques excuses pour le retard sur le chantier. Sergueï ne se laissa pas amadouer. Il lui rappela les conditions de son contrat et lista tous les défauts qu'il repérait de son œil expert.
— Ton père est flippant, murmura Ben à Léna quand ils se retrouvèrent loin des deux autres.
— Tu t'en es bien sorti.
— Comment tu sais ?
— Il a souri. Il ne sourit jamais, expliqua Léna comme si c'était évident. Tu as une petite mine, ça ne va pas ?
Les lèvres pincées, Léna détailla les traits tirés de son ami. Elle avait l'habitude de voir de profonds cernes souligner ses yeux noirs, mais cette fois-ci c'était tout son visage qui souffrait du manque de sommeil.
— J'ai passé les deux derniers jours à surveiller Matt. Je l'ai laissé à Ilyes cet aprem, mais je devrai sûrement y retourner ce soir.
— Il n'est pas un peu grand pour avoir besoin d'un baby-sitter ? se moqua Léna.
Ben pouffa de rire. Le mot était peut-être mal choisi, mais il résumait bien sa relation avec Matthias quand le 23 novembre arrivait. Ses trois amis, et parfois sa petite sœur, se soutenaient pour assurer sa sécurité, car le danger rôdait partout pour lui. Oh, il ne risquait pas de croiser la route d'un ennemi qui aurait voulu sa mort, l'ennemi, c'était lui.
— Léna ? l'appela Sergueï. Que penses-tu des nouveaux plans ?
La jeune femme s'approcha de la table et parcourut à nouveau les feuilles. Elle les connaissait par cœur tant elle les avait étudié avant de les approuver. Malinovski tenta de donner son avis. Léna lui coupa la parole. Elle était là en représentation. Elle devait démontrer ses talents à son père. Elle lui expliqua alors toutes les modifications opérées et pourquoi elles étaient essentielles. Sergueï acquiesçait. Malinovski palissait à vue d'œil. Jamais ils n'achèveraient la construction dans les temps. Il essaya de les prévenir, mais les associés n'en eurent que faire.
— Le gros œuvre doit être terminé d'ici un an. Vous n'avez qu'à augmenter le nombre d'ouvriers. Nous devons impérativement pouvoir entamer les démarches de mise en vente des appartements l'année prochaine, conclut Léna.
— Oh, j'allais oublier, termina Sergueï. Si vous touchez à un seul cheveu de ma fille, Ты пожалеешь об этом, хорошо?
Malinovski acquiesça anxieusement et laissa les trois visiteurs quitter seuls l'immeuble tant il tremblait. Sergueï félicita Léna, rassuré de retrouver son professionnalisme à toute épreuve. Ben, les suivit sans un mot.
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