9. 23 novembre (2/4)

La mâchoire contractée, le poing serré sur son portable, il relut trois fois le message d'Ilyes. Matthias était parti. Et il n'avait aucune nouvelle. Ben savait bien que son meilleur ami l'appellerait à un moment ou un autre, plein de détresse, mais plus l'appel à l'aide tardait à arriver, plus la soirée se profilait mal. Ben était le seul qui parvenait à calmer les angoisses parasites de Matthias. Sa brutalité, mêlée de bienveillance, lui permettait de revenir à la réalité. Ben remplissait cette mission brillamment depuis qu'il le connaissait.

— Je dois aller au tribunal, les informa Sergueï. Ne rentre pas trop tard. Ben, ce fut un plaisir.

Le jeune homme resta bouche bée. Il ne pouvait pas vraiment en dire de même. Sergueï l'intimidait toujours autant, si ce n'était plus encore. Les menaces russes qu'il avait envoyé au Polonais étaient un message à son intention également. S'il faisait un pas de travers, Sergueï ne manquerait pas de le lui faire regretter.

— Il est bizarre, en ce moment, remarqua Léna quand son père fut remonté dans sa berline. Que t'a-t-il dit ?

— Hein ? Ben revint à la réalité, abandonnant la tempête de son esprit. Euh... il m'a remercié d'être là pour toi.

— Qu'est-ce qui lui arrive ? se demanda Léna en mordillant l'intérieur de ses joues.

Ben haussa les épaules. Peut-être que Sergueï se rendait seulement compte qu'il avait été un piètre père et modèle pour sa fille. Peut-être avait-il peur pour elle, aussi.

— T'es impressionnante, remarqua Ben lorsqu'ils se mirent en route pour son appartement.

— Impressionnante ?

— T'es presque aussi flippante que ton père, en fait. Remarque, il l'a mérité, ce connard de polak. J'ai quand même eu bien envie de lui péter la gueule. Sérieux, t'as vu comme il te matait ce connard ? Faut lui crever les yeux !

La petite blonde éclata de rire et le bouscula doucement. Ben s'affala dans son canapé. Il tendit le bras pour attraper, du bout des doigts, un livre qu'il voulait lui prêter. Ils en avaient parlé quelques jours plus tôt et il avait été surpris d'apprendre qu'elle ne l'ait encore jamais lu. D'après lui, 1984 était un roman d'anticipation que tout le monde devait connaitre. Léna ne s'y était jamais vraiment intéressée, préférant de loin ses vieux classiques et - elle n'oserait jamais l'admettre, même sous la torture - quelques romances dégoulinantes de bons sentiments.

— Tu les passes quand, tes examens ? l'interrogea Ben alors qu'elle feuilletait l'ouvrage.

— Demain. Je ne pourrai pas vous rejoindre au Petit Dupleix. Je pense que le test d'effort va m'achever, soupira-t-elle, lassée par avance de se soumettre une nouvelle fois aux études de ses médecins.

— Je peux t'accompagner si tu veux, ce sera peut-être plus prudent pour le retour ?

— Mon père a pris sa journée. Ben, tu es sûre que ça va ? s'inquiéta-t-elle quand il lorgna une nouvelle fois son téléphone, dans l'espoir qu'Ilyes ait retrouvé Matthias. Qu'est-ce qu'il se passe ?

— C'est rien... Enfin si... Je suis jamais très serein le 23 novembre.

— Pourquoi particulièrement à cette date ?

Ben soupira. Matthias le tuerait probablement de ses mains s'il l'entendait, mais il avait besoin de se confier sur cette situation qui pesait chaque année un peu plus lourd sur ses épaules pourtant solides. Il lui raconta alors toute l'histoire. Du jour où il avait rencontré Matthias et Emilie - sa petite sœur - dans un bar, cinq ans plus tôt, jusqu'à leur dernière soirée. Sept ans plus tôt, jour pour jour, Calypso était partie après une violente dispute. Matthias ne s'en remettait pas et sombrait tous les ans dans la dépression à l'approche de cette date. Ben ne savait pas qui était cette femme, il ne connaissait pas le contenu de cette dispute.

— Pourquoi c'est à toi qu'incombe cette tâche ? l'interrogea Léna, pensive. Anis et Ilyes ont l'air de connaitre cette Caly, eux aussi, ils seraient peut-être plus...

— Justement parce qu'ils la connaissent et que c'est déjà pas facile pour eux de se dire qu'encore une année complète est passée sans qu'elle se manifeste. Gérer Matt quand il est en crise, c'est... compliqué. Je connais bien ça, mon frère en a fait quelques-unes quand il a perdu son fils.

— Je suis désolée, murmura Léna.

Elle pressa doucement sa main et lui adressa une moue chagrine. Ben haussa les épaules. C'était une question d'habitude. Pourtant, cette fois-ci, il était en compagnie de Léna et pas de Matthias, il ne pouvait s'empêcher d'en être soulagé, même si l'inquiétude l'envahissait de plus en plus.

— Je le connais, soupira Ben. Je sais qu'il est capable de faire quelque chose de... stupide.

— Et tu ne sais pas du tout où il pourrait être ?

— Y a des dizaines d'endroits où il pourrait s'être planqué pour picoler. Il me faudrait des heures pour le retrouver.

— Je peux t'aider si tu veux. À nous quatre, nous devrions finir par mettre la main sur lui.

Ben se perdit quelques secondes dans des plans d'attaque. Il se voyait déjà rameuter une équipe de recherches, chacun quadrillant un quartier donné. Mais ça n'avait pas de sens. Il ne pouvait pas envoyer Léna visiter les bars mal famés dans lesquels Matt étanchait sûrement sa soif à ce moment-même. Pas seule, en tout cas. Pas du tout même ! Elle se remettait à peine de son malaise, elle ne pouvait pas parcourir tout Paris à pied. Pourtant, elle insista tant qu'il se résolut à contacter Anis et Ilyes.

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