6. Au travail (3/3)
— C'est ton ventre qui vient de faire ce bruit ? s'écria Léna, en sursautant à cause d'un grondement sourd.
— Je t'ai dit que j'avais faim. Tu les as mis où, les sacs ?
Ben se releva péniblement, encore abattu par les décharges d'émotion qui l'avaient traversé au cours de l'heure précédente. Léna avait peut-être bien fait de le repousser finalement. Son cœur malade aurait brisé celui du jeune homme en s'arrêtant. Il pourrait se contenter d'une amitié fusionnelle. Il aimait s'en convaincre, en tout cas.
— Tiens, je t'ai pris des sushis.
Il lui tendit un plateau en plastique. Léna le dévisagea. Que voulait-il qu'elle fasse de cela ?
— Quoi ? marmonna Ben face à l'air étriqué de son « amie ».
— On pourrait peut-être prendre des assiettes, quand même, non ? critiqua-t-elle en grimaçant.
Ben haussa un sourcil. Il ne s'embarrassait pas de ce genre de considération, l'idée ne lui avait même pas traversé l'esprit, mais il attrapa le récipient en céramique noire que son amie lui tendit et l'observa répartir avec soin les rouleaux de riz et de poisson, de sorte à créer une symétrie. Seulement, elle n'avait qu'un maki au thon.
— T'es bien embêtée, maintenant, ricana Ben.
— Quelle idée de n'en prendre qu'un, aussi ! récrimina-t-elle.
Elle le fourra dans sa bouche et le fusilla du regard tandis qu'il se moquait d'elle. Les rôles s'inversèrent quand il tenta de coincer un california rolls entre ses baguettes.
— Tu ne voudrais pas prendre une fourchette avant d'étaler ton poisson sur le tapis ? rit-elle.
— C'est pas vrai, t'es pire que ma mère ! s'indigna-t-il.
La jeune femme s'arrêta de rire, incapable de savoir si cette information était bonne ou mauvaise pour elle, mais se dérida sous le regard moqueur de Ben. Alors, il devait bien s'entendre avec sa mère. Il en avait de la chance. Perdue dans ses pensées, elle resta figée de longues minutes, un sashimi de saumon coincé entre ses baguettes, à mi-chemin entre son assiette et sa bouche. Elle ne revint à la réalité qu'à l'instant où une grande main le lui arracha.
— Eh ! s'indigna-t-elle. Pourquoi voles-tu ma nourriture. Non, mais tu as déjà terminé ? Quelqu'un t'affame ?
— T'as qu'à pas manger aussi lentement, se défendit-il. C'était pour quoi que tu avais besoin d'aide au fait ?
— Tu es vraiment sûr de vouloir passer ta soirée comme ça ?
— On a quoi d'autre à faire de toute façon ? rétorqua-t-il en haussant les épaules.
La jeune femme termina sa dernière bouchée, récupéra la vaisselle sale et entraîna son ami avec elle dans son bureau. Ben regarda autour de lui. Cet appartement n'en finissait pas. Outre une pièce à vivre deux fois plus grande que son petit studio, il y avait un couloir qui menait à huit pièces. Ils entrèrent dans la dernière : un grand espace aux murs couverts d'étagères où s'entreposaient des centaines de pochettes et de cartons.
— Wow, c'est quoi tout ça ?
— Nos archives, soupira Léna. Mon père m'a demandé de chercher un contrat dont il a besoin, il m'a envoyé ces trois cartons, plus tout ce qui se trouve par terre.
— Qu'est-ce que je gagne, si je le retrouve ? lui demanda-t-il, d'un air malicieux.
— Ma reconnaissance éternelle et...
— Et ? insista-t-il.
— Je t'invite au restaurant. Tu auras droit d'y manger comme un ogre, c'est moi qui régale, rit-elle. Ben joua les offensés et lui jeta la première chose qu'il trouva autour de lui : le couvercle d'une boite en carton. Elle l'esquiva de justesse et le fusilla du regard.
— Bon, trêve de plaisanteries. Monsieur, votre mission, si vous l'acceptez : trouver un document qui se présente sous cette forme, lui expliqua-t-elle, d'une voix aussi neutre que possible, quelques fois perturbée par un gloussement. Il est au nom de Sergueï Brocovitch et...
— Sérieux, ton père s'appelle Sergueï ? éclata-t-il de rire. C'est une caricature, c'est pas possible.
— Vous n'êtes pas du tout concentré, jeune homme, le réprimanda-t-elle.
— Pardon, tu disais ? s'excusa-t-il, une main plaquée sur sa bouche, pour s'empêcher de rire.
— C'est le contrat de réservation d'un immeuble qu'il a acheté sur plan. On est en plein procès avec le constructeur et on a absolument besoin de trucs. C'était le projet « Aisance », à Clichy. Je t'en prie, trouve-le.
Ben hocha la tête. Il plaisanta encore quelques minutes, mais se plongea, lui aussi, dans les recherches. Près de deux heures plus tard, Léna poussa un cri de surprise. Elle le tenait entre ses mains. Le jeune homme esquissa un sourire content et tapa dans la main qu'elle lui tendait. Elle soupira de soulagement et se laissa tomber sur le parquet. Ben s'allongea près d'elle et l'attira contre lui pour qu'elle pose sa tête sur son épaule. C'était la première fois qu'il passait une soirée aussi longue avec elle. Une soirée riche en émotion et en déception, mais malgré tout, il avait passé un bon moment.
— Tu ne diras rien à Ilyes et Anis, hein ? Pour mon cœur.
Ben acquiesça. Cette fois-ci, il saurait tenir sa langue, même s'il avait toujours été du genre à parler trop vite et à révéler les secrets de tout le monde. Cela lui avait valu de nombreuses disputes avec son petit frère, quand ils étaient enfants.
— Et surtout, surtout pas à Matthias. Il pourrait s'en servir contre moi, ajouta-t-elle, les yeux plissés de soupçons.
— Matt est con, mais il va quand même pas essayer de te tuer, se moqua Ben. — Parfois, je me demande... Pourquoi vous êtes amis avec lui ? Il est toujours comme ça ? l'interrogea-t-elle, pensive.
— Nan, seulement avec toi, ricana-t-il. Enfin, avec toutes les femmes qui croisent son chemin. T'inquiète pas, c'est pas de ta faute. Je l'ai toujours connu comme ça. D'après Anis et Ilyes, c'est à cause d'une meuf qui l'a détruit. Il est dans une mauvaise passe, ça passera. Un jour, il arrêtera de t'agresser dès qu'il ouvre la bouche.
— J'attends de voir...
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