25. La voie de la guérison


Allongée dans son lit d'hôpital, Léna regardait le plafond sans bouger. Il manquait une plaque et quelques câbles pendaient. Le bip régulier des machines lui martelaient les oreilles depuis près d'une semaine et ne tarderaient par à la rendre folle. La perfusion la grattait, mais elle ne pouvait se soulager, de peur de l'arracher. Une semaine qu'elle était là et elle n'en pouvait déjà plus. Les visites régulières de ses amis en journée et de Matthias avant et après le travail trompaient l'ennui, mais ne lui suffisaient plus.

La première fois que son petit-ami lui avait rendu visite, elle était encore quelque peu sonnée par les anti-douleurs. Il lui avait semblé fatigué, abattu même. Depuis, il retrouvait peu à peu le sourire. Chaque jour lui apportait un peu plus d'espoir. Allongé près d'elle dans le lit, malgré les réprimandes des infirmières qui passaient régulièrement s'assurer que tout allait bien, il faisait tourner la petite bague en or blanc qu'elle portait à l'annulaire droit. Perdu dans ses pensées, des images ravissantes s'exposaient à lui, comme s'il assistait à la projection du film de leur avenir. Des cartons s'entassaient dans son appartement, ils emménageaient ensemble, officiellement. Une musique résonnait derrière lui quand il la regardait s'avancer vers l'autel. Les babillements d'un enfant le faisaient sourire.

— À quoi tu penses ? l'interrogea Léna en le voyant sourire béatement.

— À toi.

— Ce que tu peux être niais, mon vieux, ricana Emilie qui venait d'entrer dans la chambre. Vous me donnez la gerbe, tous les deux.

Matthias leva les yeux au ciel. S'il y en avait un qui devait être dégoûté du couple de l'autre, c'était bien lui. Voir sa sœur roucouler avec l'un de ses meilleurs amis, il ne s'y faisait toujours pas.

— Tiens, je t'ai apporté tes fringues.

L'étudiante jeta un sac de voyage dans le coin de la pièce et se retourna vers les deux amoureux. Elle s'installa près du lit et les dévisagea un moment. Jamais elle n'avait été si heureuse de voir Léna sourire. Il fallait dire qu'à l'annonce de son malaise, et de la disparition de Matthias, Emilie était passée par tout un tourbillon d'émotions dévastatrices. Elle se voyait déjà pleurer son amie, puis son frère quelques semaines plus tard. Elle n'aurait pas supporté de le perdre, pas après avoir dû faire le deuil de Caly. Depuis que Léna était tirée d'affaire, Matthias reprenait vie.

— Quand est-ce que tu sors ? l'interrogea Emilie.

— La semaine prochaine, si tout va bien.

— Et après ? Ça se passe comment ? Genre dès que tu sors, tout redevient comme avant ?

— Oh non... Malheureusement. Je suis partie pour six mois de convalescence. Pour le moment, même marcher est une épreuve alors... Je vais devoir faire de la rééducation et j'aurai un tas d'examens à passer régulièrement. Sans compter les visites de contrôle pour le traitement. En gros, je pense passer plus de temps à l'hôpital que chez moi.

Matthias resserra ses doigts sur ceux de Léna. Ils n'avaient pas encore évoqué l'après et il ne s'attendait pas du tout à une sortie si compliquée. Dans son esprit léger, tout était plus simple. Il devait se rendre à l'évidence, les six prochains mois ne seraient pas une partie de plaisir.

Les premiers jours après son retour à la maison, Léna resta alitée la plupart du temps. Faire quelques mètres pour passer d'une pièce à l'autre lui semblaient demander bien trop d'énergie. Et malgré toute sa bonne volonté, bien qu'elle sache qu'il lui faudrait de nombreux mois pour retrouver toutes ses capacités, elle commençait à broyer du noir. Même prendre sa douche relevait du parcours du combattant. Matthias, de son côté, faisait tout ce qu'il pouvait pour l'aider. Il avait réussi à négocier avec son directeur de thèse pour repousser d'un an sa soutenance, ce qui lui laissait plus de temps à consacrer à Léna. Mais à force, lui aussi commençait à peiner.

Un mois, deux mois, trois mois. Les rendez-vous médicaux s'enchainaient de moins en moins. Pour la première fois depuis des semaines, Léna se sentit plus libre. Et elle décida de reprendre sa vie en main. Elle détestait la personne qu'elle était devenue avec cette longue convalescence. L'ennui l'avait rendue capricieuse, aigrie, fainéante. C'était tout le contraire de ce qu'elle était. Et puis, elle sentait bien que Matthias s'éloignait. À cause d'elle. Parce qu'elle lui faisait du mal. Il fallait qu'elle change, qu'elle se reprenne.

— Mais enfin, qu'est-ce que tu fais ? s'étonna Emilie, lorsqu'elle trouva Léna assise au milieu de son bureau, au milieu d'une pile de dossiers laissés trop longtemps à l'abandon. Tu dois te repo...

— Non. Finis le repos. Je suis en train de devenir folle. Et de rendre ton frère encore plus fou. J'ai besoin de reprendre le travail, de sortir et de voir du monde. Je n'en peux plus.

— Mais tu dois encore te reposer. Matt va me tuer s'il sait que je t'ai laissée bosser.

— Est-ce qu'il te tuerait si je te claquais dans les pattes ? demanda Léna, un sourcil haussé.

Emilie fit mine de réfléchir puis acquiesça, une moue peu convaincue sur les lèvres. Elle ne parvint pourtant pas à garder son sérieux plus longtemps et éclata de rire quand Léna la fusilla du regard, outrée qu'elle ait eu besoin d'autant de temps pour répondre.

— Eh bien, tu n'as qu'à considérer que je me jetterai par la fenêtre si je passe une seconde de plus allongée dans ce canapé plus qu'inconfortable devant les séries stupides de TF1. Je ne vais pas faire de folies, je veux juste me mettre à jour dans mes dossiers et passer quelques coups de fils. Je t'autorise à me surveiller et à me confisquer mon téléphone si tu trouves que j'abuse, proposa-t-elle finalement en tendant la main à sa belle-sœur.

— Allez tope-la ! s'exclama Emilie, enthousiaste.

L'étudiante jeta son sac sur le bureau, ou plutôt à côté du bureau, précipitant toute une pile de documents dans sa chute, sous l'œil effaré de Léna. Évidemment, il s'agissait de ceux qu'elle venait de trier. Emilie n'eut donc d'autre choix que de tout remettre en ordre. Elle fut étonnée de découvrir la femme d'affaire qui se cachait derrière l'air si fragile de la petite blonde. Elle ne l'avait encore jamais vue à l'œuvre jusqu'à présent. Ben avait raison : elle était redoutable. Elle enchainait les appels téléphoniques avec quelques clients ou son banquier, puis parlait russe ou anglais avec son père. La Léna d'antan était de retour. Il ne lui avait fallu que quelques minutes. Et quand Matthias rentra, trois heures plus tard, elle était plus en forme que jamais. Peut-être un peu trop même. Elle était moins prudente, plus exaltée.

— On va se promener ? Il faut que je marche une heure aujourd'hui, j'ai passé la journée à travailler, je...

— À travailler ? répéta Matt, les sourcils froncés. Léna, tu es censée te reposer, je te rappelle.

— Ce n'est rien, ne t'inquiète pas. Allez, viens, j'ai envie d'aller sur les bords de Seine. Ça me manque de marcher dans Paris. Tu te souviens quand on a commencé à se voir tous les deux ? On passait des heures à se balader. Un an... Ça passe vite, ajouta-t-elle, un sourire nostalgique illuminant son visage.

Matthias ne put résister plus longtemps et renfila son manteau. Léna accrochée à son bras, la tête appuyée sur son épaule, il déambulait entre les passants sur les quais de Seine. C'était une belle journée de février, le soleil brillait et donnait des airs de printemps à la ville qui retrouvait ses habitants sortis de leur hibernation. Une péniche remplie de touristes les dépassa. Un groupe de lycéens riait aux éclats tandis que l'un d'eux se relevait d'une chute spectaculaire. Son skate-board roula jusqu'aux pieds de Léna. Il courut vers elle et s'arrêta un instant pour s'excuser avant de repartir avec sa planche sous le bras. Un couple badinait, les pieds au-dessus de l'eau. Deux vieilles dames, assises sur un banc, jetaient des miettes aux pigeons. La vie sembla tout à coup si agréable. Comme si tout retrouvait un peu de couleurs. Le quotidien grisâtre de Matthias et Léna, miné par la convalescence interminable de cette dernière, se teintait à nouveau de petits plaisirs. Marcher main dans la main en était un. Embrasser Léna lorsqu'il s'arrêta au passage piéton en était un autre. Bien meilleur.

Ainsi, chaque jour, les deux amoureux retrouvaient un peu plus de leur amour. Chaque balade était prétexte à revivre leurs premiers instants. Quand d'une simple promenade, pour échapper à leurs familles respectives la veille de Noël, était née leur histoire. À la seule différence, que cette fois-ci, il n'y avait plus aucune peur. La vie de Léna n'était plus en danger et le cœur de Matthias n'était plus brisé. 

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