15. En boîte (2/3)

Tous se levèrent, suivis, à contrecœur, par les deux acolytes. Sur le chemin vers la boite de nuit, Aurélien passa à l'offensive, mais Matthias calma aussitôt ses ardeurs en attirant Léna vers lui. Un bras posé sur ses épaules frêles, il jouait nonchalamment avec une mèche de cheveux qui s'échappait de son chignon. Leur débat était déjà loin derrière eux quand ils se retrouvèrent dans la file d'attente pour entrer dans la discothèque. Quelque peu éméché, Matthias avait oublié ses craintes et ses doutes. Il serrait Léna dans ses bras, elle s'appuyait contre lui à chaque frisson, qu'elle mettait sur le dos de la fraicheur de la nuit. Elle caressait distraitement son bras, tentant de garder son calme malgré les battements fous de son cœur. Mais les lèvres de Matthias effleurant sa joue, parfois sa mâchoire ou son cou, quand il lui parlait, lui compliquaient la tâche.

Lorsqu'ils entrèrent, les basses, la foule de fumeurs ivres et suants qui s'agglutinaient dans la boite de nuit achevèrent de la faire chavirer. Étourdie par l'agitation autour d'elle, Léna lâcha brusquement la main de Matthias. L'air était irrespirable. Tout l'oppressait. La honte plus encore. Elle avait tenu cinq minutes. Cinq minutes et elle sentait déjà le malaise poindre. Elle tenta de se frayer un chemin entre les fêtards. Ils la bousculaient, sans avoir conscience de ce qui se jouait en elle. Une femme, chancelante, renversa son verre sur sa robe et lui cria que tout était de sa faute. Léna recula et changea de direction. Tout tournait. Où était la sortie ? Elle ne la voyait plus. Sa vue se troubla quand on la poussa, par inadvertance. Son cœur s'emballa au rythme effréné des 120bpm. L'air ne lui parvenait plus. Léna vacilla. Elle se rattrapa au bras d'un homme près d'elle. Il le passa sur ses hanches et l'entraina avec lui. Elle se débattit. Elle aurait voulu crier, mais personne ne l'aurait entendue. Et puis, elle n'en avait plus la force. Alors, elle se laissa traîner dans la salle, terrifiée à l'idée de ce qu'il pourrait se passer. Tout à coup, l'air frais des rues parisiennes frappa son visage étouffé de chaleur. Elle put enfin respirer. Et elle se retrouva assise par terre, contre un mur.

- Léna, souffla l'homme.

La petite blonde plissa les yeux et distingua la forme floue d'un visage connu, rassurant. Des cheveux bruns en bataille, qui retombaient sur un front hâlé ; des yeux noisette, emplis d'inquiétude ; des lèvres fines surmontées d'une moustache noire peu épaisse. Matthias. À l'instant où elle avait lâché sa main, il avait compris qu'elle devait sortir. Il s'était précipité à son secours, mais les danseurs et autres gens ivres l'avaient ralentis dans sa course contre la montre.

- Léna, eh !

Il claqua des doigts devant ses yeux. Un vigile les rejoignit.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? Elle a trop bu ? s'inquiéta-t-il.

- Nan, c'est... Putain, Léna !

Il tenta encore d'attirer son attention, mais les battements frénétiques de son cœur l'empêchaient de voir ce qui se passait autour d'elle. Le vide de l'inconscience l'attirait. Elle n'allait pas tarder à sombrer. Et le vigile ne cessait de poser des questions à Matthias, incapable de lui répondre. Que devait-il faire ? Appeler les pompiers ? Elle serait hospitalisée, pourtant il savait qu'elle ne voulait pas retourner à l'hôpital. Mais c'était toujours mieux que de la perdre là, sur le trottoir.

Putain, réfléchis... Ses médicaments !

Matthias attrapa le sac à main accroché à son épaule. Il fouilla, sans rien trouver. Paniqué, il le vida sur le bitume, sous l'œil intrigué des passants. La boite noire était là. Il la reconnut aussitôt. Elle trainait toujours dans la cuisine ou sur la table basse quand ils passaient leurs soirées ensemble. La dernière fois que Léna avait fait un malaise, Ben lui en avait donné et ça avait fonctionné.

- Combien il t'en faut ? lui demanda-t-il. Oh Léna, faut que tu me répondes, là. Combien de cachets ? C'est lesquels ?

- Deux, haleta Léna, en pointant une case du pilulier.

- T'es sûre que ça va suffir ? Je devrais peut-être appeler les secours ?

- Non, c'est bon, souffla Léna.

Matthias attrapa les pilules et les glissa entre les dents de la jeune femme. Pelotonnée contre le mur, elle ferma les yeux un instant. Matthias n'en fut que plus effrayé.

- S'te plait, reste avec moi, lui murmura-t-il.

Léna hocha la tête. Elle rouvrit les yeux et se concentra sur ceux de Matthias quand il posa ses deux mains sur ses joues. Elle prit une profonde inspiration, expira, encore et encore. Peu à peu, sa poitrine sembla s'ouvrir et laisser ses poumons se gonfler d'air, son cœur battre sans être comprimé.

- Merci, murmura-t-elle.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

- Je... c'était une mauvaise idée de venir ici, bredouilla-t-elle. La musique et...

- Pourquoi tu me l'as pas dit ?

- Je ne voulais pas gâcher ta soirée, rougit-elle.

Matthias esquissa un sourire timide.

- Dis pas n'importe quoi. On n'était pas obligé de venir ici, on aurait pu rester au bar tous les deux, ou... ou aller ailleurs. T'es sûre que t'as pas besoin d'aller à l'hôpital ? Ça va aller ?

Léna acquiesça de nouveau. La fraîcheur de la nuit s'engouffrait dans sa gorge et apaisait la brûlure de son cœur. Matthias soupira et embrassa son front avant de l'enlacer.

- Je te raccompagne chez toi.

Il lui tendit la main pour l'aider à se relever et l'enveloppa de ses bras, tandis qu'il commandait un taxi sur son portable. La tête appuyée sur son torse, Léna ferma les yeux et prêta plus attention aux battements réguliers et rapides qui y résonnaient. Peut-être était-ce la peur qui peinait à se dissiper ? Elle resserra les bras sur la taille du jeune homme et caressa doucement son dos, soulagée d'être avec lui.

- Je trouve pas de taxi, grommela-t-il. Ils sont tous pris, ou alors ça me met qu'ils arrivent dans vingt minutes.

D'ordinaire, Léna n'en aurait eu que faire, ils auraient patienté jusqu'à l'arrivée de la voiture en discutant, mais elle se sentait épuisée par son malaise. Elle n'avait qu'une hâte : rentrer chez elle. Alors, quand il lui proposa de prendre le métro, elle accepta aussitôt et le suivit d'un pas lent. Matthias lui jetait de temps à autre quelques coups d'œil inquiets, elle le rassurait en effleurant sa main du bout des doigts, alors il les lia aux siens, sans plus oser la regarder. Ils s'engouffrèrent main dans la main dans le métro et s'assirent sur deux sièges vides, côte à côte. La jeune femme fixait leurs doigts noués, quand Matt se pencha vers elle. Il reposa son menton sur son épaule. Ses lèvres effleurèrent la joue de la jolie blonde.

- Ça gâche pas ma soirée...

Léna fronça les sourcils et se tourna vers lui, sans comprendre.

- De me retrouver seul avec toi, ça gâche pas ma soirée, au contraire, lui susurra-t-il. On aurait même dû se barrer plus tôt.

La jeune femme esquissa un sourire discret. Une vague de chaleur se répandit dans sa poitrine et fit battre son cœur un peu plus vite. Elle étouffait. Pourtant, la compression de son cœur n'avait rien de désagréable, cette fois-ci. Matthias caressait toujours le dos de sa main, ses lèvres frôlaient toujours sa peau à la moindre secousse. Son parfum ambré, mélangé à celui des quelques verres de whisky qu'il avait bu, ne fit qu'alimenter le brouillard qui planait dans son esprit.

- Est-ce que ça va mieux ? l'interrogea-t-il, en reculant pour mieux la voir.

Léna opina du chef, sans oser relever les yeux vers lui. Une nouvelle mèche blonde s'échappa de son chignon et retomba sur son nez. Elle la chassa d'un souffle et reporta ses yeux bleus sur leurs mains liées. Depuis qu'elle connaissait Matthias, il y avait une tension entre eux. Elle s'était d'abord manifestée par de la colère et de la haine, mais depuis qu'ils avaient fait la paix, elle n'avait pas disparu pour autant. Au contraire, elle s'était renforcée au cours de la semaine qu'ils avaient passée ensemble. Elle endossait juste une autre forme, bien plus agréable.

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