14. Jules et Jim (4/5)
Lorsqu'ils se retrouvèrent tous deux dans le petit salon, Matthias eut l'impression d'être plus maladroit que jamais. Il n'avait aucune idée de ce qu'il devait faire. Comme s'il ne savait plus parler, plus bouger, plus respirer non plus. La gorge sèche, il toussota. Léna s'était débarrassée de son manteau et pelotonnée dans le canapé, le sourire aux lèvres. Elle observait Matthias ramasser les nombreuses feuilles qui trainaient sur le sofa, la table et le tapis. Le silence les écrasait de nouveau. Toujours, ils alternaient entre de longues discussions passionnées et un calme lourd et oppressant.
— Matthias ?
— Hmm ? marmonna-t-il, en se laissant tomber près d'elle.
— Tu ne parleras à personne de ce qu'il s'est passé chez moi ? S'il te plait.
— Bien sûr, souffla-t-il.
— N'en parle pas à Ben non plus, s'il te plait.
— C'est entre toi et moi, lui assura Matthias.
Il hésita une seconde, puis il attira doucement la jeune femme dans ses bras. Elle se laissa mollement tomber sur son épaule, en silence, apaisée. Les deux amis restèrent figés durant de longues minutes, sans un bruit. Matthias caressait doucement le cou, la joue de Léna. Ses doigts glissèrent sur son épaule, sa clavicule, sa cicatrice. Il frissonna. Il la détestait, cette marque de faiblesse, synonyme de mort. Sous sa main, il sentait les battements irréguliers de ce cœur malade. Il le détestait d'être si faible.
— On le regarde, ce film ? proposa Léna.
— T'as raison, il est tant de te cultiver !
Matthias se débattit avec sa télévision durant quelques minutes, maugréant de plus belle à chaque fois qu'il échouait à lancer la vidéo, mais finit par pousser un cri de victoire quand, enfin, la voix suave de Jeanne Moreau retentit. Il rejoignit Léna qui, déjà, semblait fascinée par plein d'amour et de dureté. Quand il l'eut rejointe sur le canapé, elle se rapprocha de lui et se glissa sous son bras. Matthias frissonna. Ses doigts s'emmêlèrent dans les cheveux blonds comme les blés. Il y resta coincé durant tout le film, de peur de tirer trop fort en tentant de s'extirper du piège. Ça n'était pas pour lui déplaire. Chaque mouvement que la jeune femme faisait lui procurait une caresse sur le dos de la main. Léna soupira. La douceur du moment lui fit le plus grand bien. À l'écran, la voiture s'engageai sur le pont de pierres qui se terminait au milieu du fleuve. Matthias savait ce qu'il se passerait, il attendait la réaction de Léna quand la voiture chuterait, entrainant la mort de Jim. Elle sursauta, libérant la main de Matthias de ses cheveux. Les yeux exorbités, elle se tourna vers lui, une main plaquée sur sa bouche.
— C'est ignoble ! s'offusqua-t-elle.
— Je t'avais dit que l'histoire était tragique.
— Oui, mais je ne m'attendais pas à une telle fin !
Matthias lui adressa un rictus moqueur, quoiqu'un brin attendri. Léna l'intriguait toujours un peu plus à mesure qu'il apprenait à la connaitre. D'abord, elle lui avait semblé froide et impitoyable quand elle parlait affaires, puis d'une douceur merveilleuse quand elle comprenait sa douleur sans trop en faire. La candeur mélancolique qui se dégageait d'elle à cet instant l'étonna. Léna était d'ordinaire bien plus cynique. Elle connaissait la mort, vivait avec elle, même. Alors pourquoi s'indignait-elle tant de cette fin tragique ?
— Tu as aimé ? l'interrogea Matt quand elle se fut enfin remise du choc.
Léna s'affala de nouveau contre lui et haussa les épaules. Elle avait apprécié le travail cinématographique, la voix off pressante et neutre qui apportait une touche de fatalité à l'histoire. Mais justement, l'histoire, elle ne l'avait pas aimée.
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas, elle m'a dérangée. Et cette fin... mon dieu, cette fin. Je ne m'en remettrai jamais, ajouta-t-elle d'un ton dramatique, avant de pouffer de rire.
La discussion passionnée qui s'en suivit, passant du cinéma à la musique, en passant par les livres, fut interrompue par l'habituelle sonnerie de téléphone de Léna. Elle n'avait plus le choix, elle devait rentrer chez elle et affronter de nouveau ses parents. Au moins, Matthias lui avait permis de leur échapper quelques heures. Il avait été la bouffée d'oxygène dont elle avait terriblement besoin.
— Ça va aller ? s'inquiéta-t-il, sur le pas de la porte.
— Oui, ne t'inquiète pas. De toute façon, ma mère doit déjà dormir à cette heure.
La jeune femme enlaça Matthias une dernière fois, embrassa sa joue et repartit le cœur lourd. Dans le couloir, elle croisa Émilie, qui rentrait à peine. Elles papotèrent toutes deux quelques minutes, l'alarme de Léna sonna de nouveau, alors elles se saluèrent et partir chacune de leur côté.
— Il ne t'a vraiment pas loupé, remarqua Émilie en bousculant son frère pour entrer. Pourquoi tu l'as cherché comme ça ? Tu savais bien que ça finirait mal.
— Pourquoi tu m'accuses, moi, alors que c'est lui qui m'a pété la gueule ! se défendit Matthias.
Émilie leva les yeux au ciel. Depuis toujours, elle se retrouvait entre son père et son frère, elle consolait sa mère quand les deux hommes de la famille s'écharpaient. Il ne fallait pas s'y tromper, elle détestait son père, mais elle en voulait aussi beaucoup à Matthias qui ne faisait rien pour empêcher que les repas de famille dégénèrent.
— Comment va Maman ? bredouilla Matthias.
— Mal, à ton avis. Vous faites chier, putain ! T'aurais dû venir la voir, aujourd'hui, au lieu de fricoter avec Léna, ajouta-t-elle avec un sourire en coin.
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