14. Des vacances pas très joyeuses (1/5)

Allongée en étoile de mer sur son lit, Léna fixait le plafond. Petite, elle adorait se lever tôt et courir sous l'immense sapin qui trônait dans le salon le matin de Noël. C'était toujours elle qui avait l'honneur de poser l'étoile dorée à sa cime. Cette année, il n'y avait pas d'arbre décoré, il n'y avait pas de cadeaux, pas de sourires. Un hurlement de sa mère la tira de ses souvenirs. La jeune femme se précipita hors de sa chambre et trouva son père assis dans le couloir, le regard vide. Catherine tremblait de tout son corps. Elle pointait la porte du doigt, elle pleurait. Un homme s'était introduit dans son lit. Elle n'avait pas reconnu son mari, qu'elle aimait tant. Léna tenta de la réconforter comme elle put, mais comme tous les jours depuis leur arrivée, Catherine la repoussa. 

Abattue, la jeune femme sortit en trainant les pieds, les larmes aux yeux. Son père n'avait pas bougé. Lorsqu'elle passa devant lui, il se redressa, secoua la tête pour se remettre les idées en place et partit, sans un mot. Le Russe n'était pas du genre à laisser transparaître quelconque émotion. Seule avec sa mère dans le grand appartement, Léna s'enferma dans sa salle de bain et se glissa dans la baignoire. La chaleur de l'eau apaisa ses muscles endoloris par la fatigue et la tristesse. La peau de son visage, bouffi de larme, se détendit sous la douceur du masque qu'elle y appliqua avec grand soin. Ce ne fut qu'après de longues minutes de silence et d'immobilité, que Léna se décida enfin à appeler son meilleur ami pour lui exposer la situation. Lui saurait la conseiller.

— Comment ça va ? lui demanda-t-il d'une voix rauque, encore ensommeillée.

— Pas très bien... C'est insupportable, gémit-elle. Et ça me fait un peu peur.

— Je suis désolé, souffla Ben. Est-ce que tu veux que je rentre ?

— Quoi ? Non, pas du tout ! Enfin, je veux dire, profite encore de ta famille et de ton sud. Ça va aller. Et puis, je ne suis pas toute seule non plus. Je vois Matthias cet après-midi, je crois que, lui aussi, a besoin de se changer les idées.

Ben se renfrogna un instant. Il eut la très désagréable impression que son absence lui portait préjudice. Elle trouvait refuge auprès de Matthias. Matthias ! Si on lui avait un jour dit que ces deux-là s'entendraient au point de passer des journées ensemble, il ne l'aurait pas cru. Il fut pourtant rassuré de savoir qu'elle n'était pas seule. Mais Matthias, tout de même !

— Ben, je te jure, ne t'inquiète pas pour moi. Et toi ? Tout se passe bien avec ton frère ?

— C'est pas la joie... Nina veut divorcer. J'arrive pas à comprendre pourquoi, ils étaient faits pour être ensemble et... Ça me fout un peu le cafard. J'ai quand même hâte de rentrer, mais je crois qu'il a besoin de moi.

Un silence lourd de leurs douleurs respectives traversa la conversation. Chacun de leur côté, les deux amis tentaient d'affronter leur dure réalité. Le monde n'était pas aussi beau qu'ils l'espéraient.

— Du coup tu vois Matt ? demanda Ben, innocemment.

— Oui. Ça me fera du bien de sortir de chez moi. J'attends juste que mon père rentre pour prendre le relai avec ma mère. Nous ne pouvons pas la laisser seule, ce serait trop risqué.

— Mais vous êtes potes, tous les deux, maintenant ?

Léna sourit. Ben ne parvenait toujours pas à comprendre cette amitié si soudaine. Elle non plus, à dire vrai, mais elle appréciait chaque jour un peu plus la compagnie de Matthias. La perspective de le retrouver après Noël lui avait permis de tenir toute la soirée et une partie de la matinée, mais plus les heures passaient, plus elle craignait de devoir annuler. Son père était parti sans lui donner la moindre indication sur son retour et il n'avait pas pris son téléphone. Elle était prisonnière de sa mère.

— Ma puce...

Catherine se faufila dans l'embrasure de la porte et rejoignit Léna sur son lit d'un pas mal assuré.

— Je dois te laisser, soupira Léna au téléphone. Tu me manques.

— Tu me manques aussi, bisous.

La jeune femme posa son portable près d'elle et se retourna vers sa mère. Catherine se pelotonna contre elle et appuya sa tête sur son épaule quand Léna la prit dans ses bras. C'était bien la première fois qu'elle la reconnaissait et se montrait si douce avec elle. Un murmure s'éleva, une douce mélodie qui lui rappela son enfance. Catherine chantonnait cette berceuse dont elle se souvenait, la seule qui lui trottait inlassablement dans la tête. Sa mère la lui chantait dans son enfance, elle en avait fait de même avec Jules et Léna, sans se préoccuper des paroles cruelles et tristes. Un marin partait en mer et n'en revenait jamais, laissant femme et enfant seuls sur terre. Léna ne s'y intéressa pas plus et se contenta d'écouter la voix chevrotante.

— Je suis désolée, ma fille, murmura-t-elle. Tu t'occuperas bien de ton père, quand je ne serai plus là. S'il te plait.

Léna hocha la tête et retint le sanglot qu'elle gardait depuis des heures. Les deux femmes restèrent silencieuses de longues minutes. Elles devaient en profiter tant que la quinquagénaire était lucide. Peut-être n'auraient-elles plus jamais l'occasion de se retrouver ainsi.

— J'espère que tu trouveras un homme qui t'aimeras comme ton père m'aime, lui chuchota Catherine. Un homme qui sera prêt à t'accompagner dans toutes les épreuves de la vie, jusqu'à la mort, qui continuera à t'aimer même quand tu ne seras plus rien, comme moi.

Léna ne répondit rien, la gorge trop nouée par l'émotion. Alors, elles restèrent ainsi enlacées durant de longues minutes. Et Catherine finit par se rendormir. Elle était épuisée depuis quelques semaines. Sa fille n'osa bouger, de peur de la réveiller et resta à ses côtés encore de longues heures.

Toujours dispo ?

La jeune femme soupira. Elle avait attendu ce message toute la matinée, mais Sergueï n'était pas encore rentré. Elle ne pouvait laisser Catherine seule. Elle fut alors contrainte d'annuler. Elle aurait pu repousser, mais à quand ? Et si Sergueï ne rentrait pas ? L'idée lui avait traversé l'esprit plus d'une fois. 

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