13. Et joyeux Noël... (4/4)
Une pluie fine s'abattit sur la ville à l'instant où Matthias se décidait à faire demi-tour pour gagner le quartier où il avait grandi. Il leva les yeux vers le ciel couvert. Aucune étoile. Seulement des nuages rendus jaunâtres par la lumière parasite de la cité lumière. Trempé, il arriva enfin devant l'immeuble à la façade décrépie et aux balcons faits d'immondes vitres teintées en orange. Il fut tenté de fuir et s'enfermer chez lui. Léna avait réussi à lui faire oublier ses craintes quelques heures, mais il devrait affronter son père seul. Il ne pouvait pas compter sur Émilie ou Andrea pour intervenir. Christophe avait une forte emprise sur elles. Elles n'osaient le contredire.
— En retard, comme toujours, attaqua Christophe lorsque Matthias franchit la porte d'entrée. Je ne sais même pas pourquoi je continue à espérer que tu deviennes responsable.
Le jeune homme serra les poings. Pas de vague. Il l'avait promis à sa mère. Il se contenterait de ne rien répondre, d'ignorer son père jusqu'au dessert. Matthias dut faire preuve d'une patience à toute épreuve pour ne pas lui écraser la tête dans son assiette à chaque bruit immonde de mastication qu'il produisait avec sa mâchoire carrée. Il dut combattre une envie brûlante de le frapper quand Christophe évoqua un vieux souvenir d'enfance.
— T'as jamais été capable de réfléchir de toute façon, cracha Christophe. T'es aussi con que ce connard qui te sert de père.
Émilie déglutit. Matthias se figea. Andrea baissa les yeux. Il se trouvait que Christophe n'était, en réalité, pas le géniteur de Matthias. Le jeune homme l'avait découvert la veille de ses seize ans, en fouillant le bureau de monsieur Desartes pour récupérer son portable confisqué. Il avait trouvé des lettres manuscrites. Une correspondance entre sa mère et un homme qu'il ne connaissait pas. Jérôme Nicolas, un ancien collègue d'Andrea. Ils y parlaient de Matthias et de sa sœur. Sa mère lui donnait des nouvelles d'eux, elle annonçait fièrement leurs premières dents, leurs premiers pas, leurs premiers mots... Elle lui disait qu'ils avaient ses yeux, qu'il lui manquait. C'était ainsi que Matthias avait compris que Christophe n'était pas son véritable père. Il avait alors mieux compris pourquoi celui qui l'avait élevé haïssait ces deux enfants issus de l'adultère. Depuis ce jour, Matthias ne faisait plus aucun effort. Il provoquait l'homme qui l'avait éduqué, ou qui avait fait semblant de le faire, jusqu'à le faire sortir de ses gonds et prendre un coup. Souvent, sa sœur le défendait, mais il détestait ça. Elle avait toujours été la cible privilégiée de Christophe : dévalorisation, violence, elle avait tout subi avant Matthias.
— Très bien, ça me rassure, répliqua Matt. Je préfère largement être aussi con que lui que descendre d'un fils de pute comme toi.
— Matthias ! s'indigna Andrea.
— Non, laisse-le parler, ricana Christophe. Continue, Matthias.
Les couverts du doctorant tombèrent sur la table dans un bruit fracassant. Les deux femmes de la famille retinrent leur souffle. Les deux hommes se toisèrent. Puis, n'y tenant plus, Matthias se leva, attrapa son manteau et s'apprêta à partir. Christophe lui barra le passage. Face à face, ils attendaient que l'un ou l'autre se décide à attaquer en premier. Matthias tenta de contourner son père. Il le repoussa. Matthias trébucha et tomba. Émilie retint un cri. La même scène s'était déroulé bien trop souvent. Christophe menaçait Matthias et finissait par le frapper. Souvent, sa sœur s'interposait et c'était elle qui saignait. Christophe écrasa son poing sur la mâchoire de son "fils" et lui assena un coup de pied.
— Casse-toi de là.
Andrea et Émilie ne bougèrent pas de leur chaise. Elles fermèrent les yeux pour ne pas voir Matthias grimacer de douleur en se relevant. Encore tremblant de rage, Matthias traversa la rue à grandes enjambées. Il ne croisa personne. Tous les Parisiens étaient au chaud, en famille. Ils devaient apprécier cette soirée de fête. Pas lui. Et ce ne fut qu'arrivé chez lui qu'il parvint à se calmer un peu. Le message qu'il lut sur son portable acheva de dissiper sa haine.
Tu as raison. Noël, ça craint.
Matthias soupira. La soirée n'avait donc pas été meilleure pour Léna. Le doigt en suspens au-dessus de l'écran, il hésita, puis finit par céder à la tentation.
— Allô ? couina Léna, d'une voix étranglée.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? marmonna Matthias, un paquet de petits pois surgelés appuyé sur le menton.
— Ma mère a refusé que je dine avec eux, gémit Léna. Elle m'a encore prise pour une domestique et... les domestiques n'ont pas le droit de manger avec elle. Mon père n'a pas osé la contredire parce que... ça l'aurait rendue triste et... Tu sais, je n'ai jamais vu un amour aussi profond entre deux êtres. Il ferait tout pour rendre ma mère heureuse et lui faire comprendre qu'elle a viré sa fille de table lui aurait fait trop de mal.
— Je suis désolé, lui murmura Matthias.
À cet instant, il aurait aimé être à ses côtés pour lui offrir un peu de réconfort.
— Comment s'est passé la soirée avec ta famille ? s'enquit Léna, en s'efforçant de retrouver une voix moins chevrotante.
— Mon père m'a frappé. Je me suis barré. Et ma mère et ma sœur doivent me détester. En soi, c'était une soirée normale dans la famille Desartes, ironisa-t-il. On se voit demain, hein ?
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