11. Dernier métro (1/2)
Les épaules voûtées, la tête basse, Léna sortait du cabinet de son cardiologue. Les résultats de ses derniers examens n'étaient pas encourageants. Le docteur Cadeau restait pourtant optimiste. D'après lui, les chercheurs travaillaient sur un traitement par greffe de moelle osseuse. Plusieurs tests cliniques étaient en cours aux États-Unis et en Angleterre. Il espérait que sa patiente en bénéficierait avant qu'il ne soit trop tard. La jeune femme, de son côté, n'y croyait pas. Elle essayait de garder espoir coûte que coûte depuis sa sortie de l'hôpital, mais elle le savait : elle avait déjà eu droit à une seconde chance. Elle n'en aurait pas de troisième.
La petite blonde entra dans le métro bondé. Elle aurait pu prendre un taxi, mais elle n'avait aucune envie de se retrouver seule avec un chauffeur indiscret. La foule des transports ne lui plaisait pas plus, mais elle avait le mérite de voyager dans l'indifférence la plus totale. Tout pouvait se passer dans ces rames puantes et étouffantes, personne n'interviendrait. Les gens détourneraient même sûrement le regard. Alors ils n'avaient que faire d'une femme à l'air triste, recroquevillée sur un strapontin poisseux.
À l'instant où l'alarme signalait la fermeture des portes, un homme sauta à l'intérieur et la bouscula. Il marmonna quelques excuses et s'adossa au siège voisin sans lui prêter la moindre attention. Le souffle court, il sortit un livre écorné à la couverture déchirée et se laissa glisser sur l'assise. Ce ne fut qu'au premier arrêt brutal qu'il releva les yeux de sa lecture pour les fixer sur la jeune femme qui l'avait effleuré. Il fronça aussitôt les sourcils. Elle était bien la dernière personne qu'il s'attendait à trouver dans un métro.
— Léna ? s'étonna-t-il.
La petite blonde releva la tête et esquissa un sourire timide. Elle l'avait reconnu à l'instant où il était entré, mais elle n'avait osé pas lui parler. Après tout, ils n'étaient pas amis. Et puis, elle craignait devoir se justifier quant à son état.
— Est-ce que ça va ?
Léna haussa les épaules. Elle aurait dû être habituée aux mauvaises nouvelles, mais, à chaque fois, le coup de massue l'ébranlait un peu plus. Elle fuit le regard scrutateur de Matthias, qui la dévisageait sans aucune gêne. Des cernes profonds creusaient son visage fin, ses paupières gonflées témoignaient des larmes versées, tout comme son rouge à lèvres étalé au coin de sa bouche. Qu'avait-il pu se passer ? Étonnamment, il se surprit à s'inquiéter pour elle. Peut-être parce qu'il savait que Ben tenait à elle ?
Le métro redémarra, elle se cramponna à la barre fixée sur la paroie contre laquelle elle était appuyée. Matthias l'examina encore. Le métro s'arrêta encore brusquement. Elle manqua de tomber de son siège, rattrapée in extremis par Matthias.
— T'es sûre que ça va ?
La petite blonde ne répondit rien. Ses yeux clairs se perdirent dans le vide. La voix grave de son médecin, d'ordinaire si rassurante, tournait en boucle dans son esprit, telle un vieux disque rayé. Il avait changé son traitement pour freiner les effets de la maladie. Jusqu'à quand pourraient-ils les ralentir ? Elle se battait depuis si longtemps... On lui avait laissé entendre qu'elle aurait cette belle et longue vie qu'elle rêvait après sa transplantation. Mais elle n'y aurait peut-être pas droit finalement. Si les tests cliniques n'étaient pas concluants, tout s'arrêterait. Brutalement.
— Eh, Léna, la retint Matthias quand elle se leva pour sortir.
Elle se traina dans les couloirs, le doctorant sur ses talons. Elle ne lui avait toujours pas répondu, mais il n'en avait pas besoin pour comprendre qu'elle n'allait pas bien. Les escaliers lui furent fatals. Le souffle lui manqua au milieu. Matthias ne réfléchit pas plus longtemps. Par instinct, il passa un bras sous le sien et l'entraina doucement avec lui, comme il l'aurait fait avec sa grand mère.
— Tu devrais t'asseoir un peu, enfin je sais pas... lui conseilla-t-il, en arrivant devant le bar où ils passaient de nombreuses soirées. Ou manger un truc, ou... Enfin...
Léna acquiesça quand sa vue se troubla. Le sol se dérobait sous ses pieds à chaque pas. Jamais elle ne pourrait rentrer chez elle dans cet état. Elle se laissa trainer dans le petit café et s'assit lentement sur le fauteuil en cuir que Matthias lui indiquait. Il s'installa face à elle et jeta son sac sur la table, sans quitter la petite blonde des yeux. Elle soupira, la main posée sur sa poitrine. Une larme roula sur sa joue. Elle l'essuya aussitôt. Léna détestait faire preuve de faiblesse, ce n'était pas dans sa nature de se laisser abattre, mais parfois...
— Messieurs, dames, qu'est-ce qui vous ferait plaisir ? s'exclama le serveur, d'une voix enjouée.
— Un thé et un café, commanda Matthias.
Mal à l'aise, il sortit quelques copies de son sac et se plongea dans ses corrections, non sans jeter quelques coups d'oeils furtifs à la petite blonde. Elle se battait toujours avec ses larmes, de plus en plus énervée contre elle-même. Ses lèvres rosées tremblotaient à chaque sanglot qu'elle retenait. Il ne parvint pas à détacher son regard d'elle, malgré la gêne qu'il ressentait à l'épier dans cet instant de faiblesse. Elle cachait ses joues humides derrière un livre sorti de son sac. Il n'était pas dupe. Un moment, Matthias s'égara dans ses pensées. Comment faisait-elle pour avoir un livre aussi immaculé ? Les siens étaient dans un état pitoyable. Mais après tout, lui les aimait comme ça. Au premier coup d'oeil, on pouvait deviner la vie qu'ils avaient vécu à ses côtés. Lu, relus et re-relus, aucun ouvrage ne sortait indemne de ses mains maladroites. Il se fustigea quand il pensa que les membres de son entourage subissaient le même traitement. Il abimait tout ce qui l'entourait.
Le serveur se planta devant eux et posa deux tasses sur la table, coupant court à cette comparaison douteuse. Il tendit naturellement le ticket de caisse à Matthias, qui dut le tenir hors de portée de Léna pour qu'elle ne paye pas, encore une fois, toutes les consommations.
— Tenez, râla-t-elle en tendant un billet de dix euros au serveur.
Matthias roula des yeux.
— T'es vraiment super chiante, tu le sais ? grogna-t-il, avant de se raviser face à sa réaction. C'est bon, le prends pas mal. Si t'es assez en forme pour me taper sur le système, c'est que ça va mieux.
Il se mordit la langue. Pourquoi disait-il ça ? Ces agressions permanentes l'agaçaient lui-même, mais c'était plus fort que lui.
— Je vais y aller, soupira Léna.
— Mais non ! Pars pas... Je suis désolé. J'aurais pas dû dire ça, c'est que...
Il bredouilla. "C'est que quoi ? Tu m'intrigues. Je sais pas comment me comporter avec toi. J'ai pas eu d'amie depuis dix ans. Je suis censé te dire quoi après t'avoir détestée pendant deux mois ?" Aucun mot intelligible ne sortit de sa bouche. Il battit en retraite et se camouffla derrière ses interrogations.
— Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Pourquoi tu pleures ? T'es pas obligée de me le dire, se reprit-il, lorsqu'il remarqua ses traits figés de stupeur, de peur, ou de colère, il n'en savait rien.
Léna renifla, essuya ses joues et soupira. Matthias se renfrogna. Sa curiosité ne serait pas satisfaite. Il retourna à ses corrections, mais sa question l'obsédait et il ne parvenait pas à se concentrer. Les arguments de son étudiant n'avaient plus aucun sens. Les mots devenaient flous. Léna attirait perpétuellement son regard. Il lui fallait une réponse. Son stylo tourna entre ses doigts, il mordilla sa lèvre, tapota sur la table dans l'espoir de se distraire. Rien à faire. Il devait savoir. Pourquoi ? Aucune idée. Par indiscrétion sûrement. Certainement pas par inquiétude !
— Qu'est-ce que tu enseignes ? l'interrogea-t-elle, pour détourner son attention.
— De la géographie, en gros. Je suis spécialisé en urbanisme.
— Je comprends mieux ton point de vue sur les personnes dans mon genre.
— Comment ça ? demanda-t-il, plein d'incompréhension.
— Tu trouves que je suis une pourrie, que je participe à la spéculation immobilière et que c'est donc de ma faute si Paris devient une ville inaccessible, le cita-t-elle au mot près, retrouvant un semblant d'énergie et de hargne, comme lors d'un rendez-vous client.
— Ouais, t'as bien résumé l'idée, admit-il.
Léna hocha la tête. Le silence retomba, plus pesant que jamais. Ils se dévisagèrent durant ce qui leur parut une éternité. Léna rompit la joute en premier. Le sachet de thé flottant dans l'eau bouillante lui parut soudain fascinant. De petits filets cuivrés s'en échappaient lorsqu'elle le secouait doucement et, bientôt, l'odeur délicate du thé noir lui arracha un soupir et un sourire.
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