Chapitre 2 : Le trou du lapin
nda : Hey ! Voyez, j'ai réussi à être à l'heure ! Je dois avouer que le timing fut un peu serré, je ne m'attendais pas à écrire autant. J'espère que ce chapitre vous plaira !
Fun fact : "Apastan" signifie "refuge" en arménien car le fondateur de la ville est originaire de ce pays. Raphaël (que vous découvrirez dans ce chapitre) est un de ses descendants.
***
Neuf heures venaient juste de sonner quand Alix se présenta aux laboratoires Kerbereau. Une réceptionniste examina ses papiers avant de lui indiquer la direction à prendre. Le garçon s'engouffra dans les couloirs blancs à l'odeur aseptisée. L'étrange sensation de malaise que lui provoquait l'établissement lui rappela un vieux souvenir de son enfance, jusque-là enfoui dans sa mémoire.
Il devait avoir cinq, peut-être six ans. Il s'était battu contre des garçons de sa classe, il ne se souvenait même plus pourquoi. Sans doute une banale querelle de maternelle. Toujours était-il que l'un des gamins en face lui avait fracturé le nez. Il se rappelait bien de la douleur, mais surtout de l'humiliation qu'il avait ressentie. On l'avait conduit à l'hôpital. Oui, tout lui revenait à présent. Les aveuglantes lumières blanches, le sourire rassurant du docteur, le regard inquiet de sa mère.
Il serra les poings en la voyant, tentant aussitôt de chasser le souvenir. Il n'avait pas besoin d'elle. La preuve, elle lui était plus utile morte puisqu'il avait pu avoir la chance de participer à ce programme. Il eut un sourire satisfait. Un sourire haineux. Un sourire pour cacher sa peine.
Il arriva devant une porte à deux battants qu'il poussa avec conviction. Une nouvelle vie s'offrait à lui, il profiterait de chaque seconde. Seulement cinq personnes étaient déjà arrivées. Une jeune fille lisait un livre, assise sur une chaise, ses longs cheveux châtains lui tombant devant les yeux. Les quatre autres discutaient de tout et de rien au centre de la pièce. Trois garçons et une fille. Tous se tournèrent vers lui à son arrivée.
- Alix ! Content de te voir ici ! Viens je vais te présenter.
Le blondinet leva les yeux au ciel. Gregory le regardait avec insistance pour qu'il vienne se joindre à la discussion.
- Je constate que tu as réussi toi aussi, dit Alix par politesse.
- Tu vois, je te l'avais dit, se contenta de rétorquer l'autre en haussant les épaules.
Alix ignora son insupportable arrogance et reporta son attention vers les autres jeunes. Ils semblaient sympathiques et le garçon prit le temps de les observer en détail alors que Gregory les désignait un par un. Raphaël, Marc, Pénélope.
La jeune fille lui attrapa la main, ses yeux bleus pétillant d'enthousiasme.
- Je suis vraiment contente de faire ta connaissance Alix !
Les deux autres approuvèrent, sans toutefois y mettre autant de conviction. L'adolescente semblait sincère, et surtout plutôt extravertie. Un véritable papillon social en somme. Elle devait être populaire dans son collège, et elle était plutôt jolie en plus, avec son teint bronzé typique des populations orientales. Elle devait avoir des origines indiennes.
Au cours de la matinée, les neuf autres participants arrivèrent, parfois seuls, parfois deux par deux. Que des gens qu'Alix ne connaissait pas. Il fut surpris de voir entrer la jeune asiatique qui était dans son groupe au test physique : elle n'avait quasiment réussi aucune épreuve. Il était midi quand la dernière arriva, en courant. Elle poussa les deux battants, essoufflée.
- Je suis encore arrivée la dernière... marmonna-t-elle après avoir compté le nombre de personnes présentes dans la pièce.
Néanmoins, elle semblait habituée à être en retard. Si Alix n'avait pas vraiment fait attention aux autres orphelins qui étaient arrivés dans sa salle, il s'attarda sur la retardataire. Son apparence était effectivement... déroutante. C'était une jeune fille d'environ un mètre soixante, au teint très pâle. Mais ce qui était étonnant chez elle, c'étaient ses cheveux blancs comme la neige et ses yeux rouges rubis.
Le blond aux iris océaniques n'avait jamais vu une personne arborer de telles couleurs. Cette fille devait probablement aimer se faire remarquer pour avoir teint ses cheveux en blanc et avoir mis des lentilles rouges. Mais peut-être était-ce un style particulier après tout. Il n'était pas là pour juger les choix des autres.
Elle dut remarquer qu'il la fixait car elle le foudroya du regard, aussi détourna-t-il les yeux, gêné. Comme s'ils avaient été prévenus que tous les participants étaient arrivés, quatre scientifiques facilement reconnaissables à leur blouse blanche entrèrent dans la salle. Parmi eux, Alix reconnut les trois qui avaient discouru lors des tests. La quatrième en revanche, une jeune fille d'une vingtaine d'années à la longue chevelure rousse, lui était totalement inconnue.
- Mes chers enfants, je suis ravi de voir que personne ne manque à l'appel ! s'exclama William Kerbereau après s'être raclé la gorge. Bienvenue, aux laboratoires Kerbereau, ici vous serez logés et nourris en échange de votre participation au programme.
Une main se leva et un garçon au port de tête altier osa poser la question qui brûlait les lèvres de tous les autres :
- Allez-vous enfin nous dire en quoi consiste ce programme ?
Il avait parlé d'un ton calme, traduisant son caractère noble et sérieux. Il fixait de ses prunelles grenat le directeur de l'établissement. Celui-ci eut un sourire discret avant de répondre :
- Ne vous inquiétez pas à ce propos, vous le saurez bien assez tôt. L'important pour le moment, c'est que vous preniez vos marques ici. Vous êtes libres jusqu'à la fin de la journée, Sally va vous conduire dans vos quartiers. Profitez-en pour faire connaissance.
Sur ces mots, il se retira, accompagné des deux autres scientifiques, laissant l'inconnue avec eux. Elle leur sourit, leur indiquant de prendre leurs affaires et de la suivre. Les quinze adolescents s'engagèrent à sa suite dans les couloirs blancs. Certains commençaient déjà à discuter de tout et de rien. Alix accéléra le pas afin de cheminer aux côtés de la jeune femme.
- Vous vous appelez Sally, j'imagine.
- Sally Bureau en effet. Je suis la nièce de William, mon nom de famille en est un dérivé. Tu sais, ne lui en voulez pas trop de ne pas tout vous dire, il est un peu stressé, expliqua-t-elle d'une voix douce. Moi aussi ça m'effraie, c'est un projet d'une telle ampleur ! Pour l'instant, détendez-vous et n'y pensez pas trop. Mon oncle ne veut pas vous brusquer.
Le garçon blond hocha la tête et lui sourit en retour. La rousse les conduit à travers quelques couloirs jusqu'à arriver à une cour extérieure. Ils la suivirent jusqu'à un bâtiment qui semblait totalement neuf. Alix se rappela que plusieurs de ses collègues avaient travaillé à la construction d'un bloc pour les laboratoires Kerbereau. Il devait s'agir de celui-ci.
Ils pénétrèrent dans un grand hall de forme circulaire. Il y avait un épais tapis au sol, recouvrant le parquet sombre sur une grande surface. La pièce était largement éclairée par de grandes fenêtres couvertes par de fins rideaux gris. Sally entreprit de leur faire visiter.
- Le bâtiment est divisé en deux ailes. Du côté droit, il y a le réfectoire. Les repas sont servis à midi et demi et à dix-neuf heures trente. Le petit-déjeuner est mis à disposition chaque jour à partir de sept heures et demie.
La salle de restauration n'était pas très grande, il y avait quelques tables et quinze chaises mises à leur disposition. Les cuisines étaient tout aussi petites, et deux cantinières s'y affairaient, préparant le déjeuner du jour. Ils quittèrent l'aile droite pour se rendre en face.
C'était une pièce de taille moyenne que la scientifique leur présenta comme étant une salle de repos. Il y avait plusieurs sofas à l'apparence confortable, une table de billard, un jeu de fléchettes, quelques tables et une grande étagère avec des jeux de société.
- L'étage est séparé en deux parties, expliquait la rouquine en montant les escaliers. L'aile droite est réservée aux filles, la gauche aux garçons. Vous serez regroupés par chambrées de quatre - dont une de trois pour les filles. Il y a deux salles de bain, une dans chaque aile. Bien, annonça-t-elle en frappant une fois dans ses mains, je vais vous laisser regagner vos chambres, vos noms sont écrits sur les portes. Vous n'avez pas de couvre-feu particulier, essayez simplement de ne pas vous coucher trop tard.
Elle leur adressa un grand sourire chaleureux, leur rappelant que le repas serait servi dès qu'ils auraient déposé leurs affaires dans leur nouveau lieu de vie.
- Oh, une dernière chose très importante ! s'exclama-t-elle soudain.
Elle plongea sa main dans sa poche et en sortit un petit paquet de cartes à jouer. Il n'y en avait que quinze, toutes des cartes de cœur. Elle les mélangea méthodiquement et leur tendit, face retournée.
- Prenez-en tous une et gardez-la précieusement. Cette carte est un pass, il vous permettra d'ouvrir les différentes portes du laboratoire. Interdiction d'échanger, de toute façon je saurai ce que vous piochez.
Chacun leur tour, les quinze orphelins piochèrent une carte en murmurant des interrogations, s'extasiant ou se plaignant du résultat. Alix s'avança et prit une des dernières. Il la regarda attentivement. Un seul cœur stylisé au centre. L'as.
Sa carte en main, Alix se dirigea vers les chambres afin d'y déposer sa valise. Plus la journée avançait, plus le nombre de questions embrouillant son esprit augmentait. Le design de la petite carte électronique l'intriguait. Pourquoi l'avoir fait à l'effigie d'un jeu de carte ? Les autres membres du personnel semblaient n'en posséder qu'une entièrement blanche.
Ses pensées se dissipèrent lorsqu'il arriva devant la porte de la première chambre. Un petit panonceau était accroché sur la porte. On pouvait y lire les noms suivants :
« Ambroise Von Nacht - Gregory Everdeen - Marc Anderson - Thomas Juillet »
Ne voyant son nom écrit nul part, Alix laissa ses pas le mener à la seconde porte qui devait par conséquent être sa chambre. Il s'attarda quelques secondes sur l'écriteau afin de connaître les noms de ses camarades de chambrée.
« Edgar Duponton - Raphaël Hosier - Octavio Tempermann - Alix Wilkerson »
Il fut légèrement soulagé de ne pas se retrouver avec Gregory. Il ne le détestait pas vraiment, il le trouvait même plutôt sympathique par moments, mais il avait tout de même tendance à lui taper sur les nerfs.
Il poussa la porte de la chambre. C'était une pièce assez large comportant deux lits superposés, une grande fenêtre aux épais rideaux gris, des murs tapissés, deux armoires et quatre petits bureaux de bois sombre. Ses trois colocataires avaient déjà investi les lieux, rangeant leurs affaires dans les armoires.
Alix posa son sac sur le sommier restant, placé en bas à droite. Il rangerait plus tard, pour l'instant il avait faim. À peine quitta-t-il la pièce que le garçon qui dormait au-dessus de lui le rejoignit.
C'était un jeune homme du même âge que lui, un peu plus petit, avec des cheveux roux et une peau constellée de taches de rousseur. Il abordait un grand sourire franc.
- Salut ! Toi c'est Alix c'est ça ? On peut manger ensemble ? Moi je m'appelle Edgar.
Ses propos étaient désordonnés, une simple suite de questions et d'affirmations sans lien particulier entre elles, comme s'il n'avait pas pris le temps de mettre en ordre ses idées avant d'ouvrir la bouche.
Malgré l'empressement de ses paroles, le rouquin semblait être plutôt calme et posé. Ayant visiblement remarqué la surprise d'Alix, il se reprit.
- Excuse, j'ai tendance à m'emporter un peu quand je rencontre quelqu'un, expliqua-t-il en se frottant l'arrière du crâne.
- Non t'inquiète pas, le rassura le blond. J'avais personne avec qui manger donc pourquoi pas.
L'autre sembla soulagé de ne pas s'être fait jeté. Ils se dirigèrent ensemble vers la salle de restauration. Une bonne odeur se dégageait du self et les estomacs grondaient. Les deux garçons se munirent d'un plateau et de couverts afin d'être servis par les cantinières. Steak purée au menu du jour. Pour certains c'était un repas banal, mais pour la plupart c'était bien meilleur que leurs déjeuners habituels.
Ils choisirent une table de quatre et s'y installèrent. Alix se sentit tout de suite en confiance avec Edgar. Le roux aux yeux céruléens s'intéressait à lui sans pour autant lui demander tous les détails personnels de sa vie. Il avait la voix fluette d'un enfant qui n'avait pas encore mué, ce qui amusa le blondin.
Vers la fin du repas, Edgar sortit la carte qu'il avait pioché plus tôt et la posa sur la table. Un sept de cœur.
- T'as eu quoi toi ?
- L'as, répondit Alix.
- C'est la carte la plus forte, s'extasia son nouvel ami.
- Ça dépend des jeux, précisa-t-il en haussant les épaules. De toute façon, ce n'est pas comme si leur design était vraiment important.
Edgar hocha la tête. Il avoua cependant que cette mascarade de pioche et de programme l'intriguait plus qu'il ne l'aurait voulu. Une espèce de pressentiment demeurait en lui.
Si Alix ne savait pas non plus quoi en penser, il garda le silence. Les scientifiques avaient laissé bien trop de questions sans réponses à son goût.
Ils quittèrent l'environnement bruyant de la cantine pour se diriger vers la salle de repos. Ils pensaient s'y trouver seuls mais lorsqu'ils ouvrirent la porte, ils découvrirent une enfant plongée dans un livre. Elle semblait jeune, de longs cheveux noirs cachaient en partie son visage. Elle ne devait pas avoir plus de quatorze ans.
Elle releva à peine la tête lorsqu'ils pénétrèrent dans la pièce. Alix alla s'installer dans le canapé le plus proche. Il s'attendait à ce qu'Edgar fasse de même mais celui-ci se dirigea immédiatement vers la jeune lectrice.
- Tu lis quoi ?
- Alice aux pays des merveilles, soupira-t-elle, visiblement contrariée d'avoir été dérangée.
Le titre du livre fit resurgir des souvenirs enfouis au plus profond d'Alix. Il avait étudié en partie ce livre alors qu'il n'était qu'en primaire et en avait fait une de ses histoires favorites. Sa mère avait l'habitude de lui en lire un chapitre chaque soir. Il tenta de chasser au plus vite l'image de sa génitrice mais le souvenir ne s'en alla pas, restant imprimé sous ses paupières comme une image rémanente.
- Mon Père me le lisait quand j'étais petit, enchaîna le rouquin, n'ayant visiblement pas conscience qu'il la gênait. Tu t'appelles comment ?
- Crystal de Rochefort, soupira l'enfant avant d'ordonner d'un air las. Peux-tu me laisser lire maintenant ?
Elle avait parlé d'un ton calme et froid, mais si autoritaire à la fois. Un ton auquel on se sentait comme obligé d'obéir. Avant qu'Edgar puisse répondre quoique ce soit, elle se replongea dans sa lecture. Le rouquin, comprenant visiblement enfin son erreur, s'éloigna d'elle et vint rejoindre Alix sur le sofa.
- J'aime beaucoup l'univers d'Alice, murmura le garçon blond, afin de ne pas déranger l'enfant une fois de plus. J'adorais m'imaginer suivre le lapin blanc et vivre les mêmes aventures.
- Alice, Alix, c'est similaire, sourit Edgar. Moi aussi j'aimais bien quand mon Père faisait une lecture pour les plus petits.
- Tu avais beaucoup de frères et sœurs ? Comment ont-ils fait quand tes parents sont morts ?
Conscient qu'il venait peut-être de rappeler des mauvais souvenirs à son ami, il s'excusa aussitôt. Mais l'autre rit de bon cœur.
- J'étais dans un orphelinat religieux, je n'ai jamais connu mes parents. J'imagine qu'ils n'avaient pas les moyens de me garder.
Ce genre d'histoires n'étaient pas si rares de nos jours. Si l'humanité avait perdu beaucoup de ses effectifs, les ressources étaient très limitées dans l'unique petite zone encore vivable sur le globe. Personne n'en parlait mais tous savaient que si le nombre d'humains continuait de s'accroître comme le souhaitait le gouvernement, les vivres viendraient à manquer. Plusieurs expéditions avaient été envoyées afin d'évaluer les conditions de vie hors de la zone vivable, mais aucune n'en était jamais revenue. Les scientifiques estiment que le taux de radiations est encore trop fort.
Le manque de ressources causait la constante augmentation du taux de pauvreté et les orphelins étaient toujours plus nombreux. Alix eut une pensée pour tout ceux qui avaient échoué au test. Que devenaient-ils ? Réussissaient-ils à s'en sortir ?
La porte s'ouvrit en grand et il sursauta. Deux filles entrèrent. La première était plutôt grande, les cheveux bruns ondulés et la peau légèrement bronzée. Dans ses yeux marron clair brillait une confiance en soi aveuglante. Elle était suivie de près par la jeune japonaise aux cheveux noirs qu'Alix avait rencontré au test physique. Elle lui adressa un petit salut.
- Qu'y a-t-il d'intéressant ici ? s'exclama la brune. On s'ennuie à mourir dans le coin.
Crystal la foudroya du regard, courroucée par cette nouvelle gêneuse.
- Si tu pouvais baisser d'un ton, des gens lisent ici, fit remarquer Alix.
Son intervention sembla ne pas du tout plaire à l'autre qui s'avança et lui colla sa carte devant les yeux. Alix loucha sur la figure féminine qui y était représentée.
- Je suis la reine ici, je fais ce que je veux.
Le blondinet vit du coin de l'œil Crystal rouler des yeux puis quitter la salle de repos, comptant probablement continuer son livre dans sa chambre, au calme. Alix allait répliquer une réponse cinglante à l'autre mais quelqu'un le fit à sa place.
- Si tu accordes autant d'importance à un dessin, alors tu es probablement la plus stupide ici.
La brune fit volte-face pour lancer un regard haineux au garçon qui venait de l'insulter. Un jeune homme aux cheveux platine, probablement le plus âgé de tous les participants. Il la regardait de haut, sans la dédaigner pour autant.
- Ça sent la bagarre, murmura d'une voix dans laquelle perçait l'intérêt Gregory qui venait de rentrer dans le salon.
Ne souhaitant pas qu'une rixe éclate alors qu'ils venaient d'arriver, Alix s'interposa entre les deux jeunes.
- Arrêtez ! C'est inutile de se disputer pour quelque chose d'aussi puéril ! On va tous vivre ici pendant un temps indéterminé, quel intérêt de créer des tensions ? S'il vous plaît, oubliez ce différend.
- Je ne comptais pas me battre, répondit le plus grand en haussant les épaules.
L'autre se contenta de renifler avec dédain et d'aller s'asseoir sur un canapé plus éloigné avec la petite asiatique. Le blond aux yeux bleus soupira. Il craignait que les deux belligérants se liguent contre lui, ou quelque chose du genre. Cela s'était plutôt bien passé au final. Il retourna s'asseoir aux côtés d'Edgar qui le félicita.
Le calme était revenu dans la pièce. Les deux filles discutaient avec Pénélope qui tentait visiblement de faire ami-ami avec tout le monde. Edgar et Alix se racontaient des anecdotes sur leurs vies respectives. Gregory faisait une partie d'échecs avec le grand aux cheveux platine : il avait apparemment trouvé quelqu'un d'autre à embêter, pour le plus grand plaisir d'Alix. Par la fenêtre, il aperçut un jeune homme baraqué à la peau noire qui faisait un footing. Nulle trace des autres orphelins, ils étaient probablement retournés à leurs chambres respectives.
Le soir vint à toute allure. Après le repas, Alix retourna à sa chambre, toujours en compagnie d'Edgar. Il appréciait beaucoup le garçon de deux mois son cadet, avec qui il partageait de nombreux points communs. Il se sentait moins seul, il avait quelqu'un qu'il considérait comme un ami et sur qui il pourrait compter durant le programme.
Durant le repas, les cartes avaient été sur toutes les lèvres. S'il n'avait pas vraiment prêté attention aux dires des autres, il avait entendu Gregory dire qu'il avait le neuf de cœur. Il ne s'était pas attardé sur les autres, il ne connaissait même pas leurs noms pour la plupart. Il y remédierait demain, pour l'instant il était exténué.
Les deux garçons entrèrent dans la chambre. Leur deux colocataires vaquaient à leurs occupations. Raphaël jouait avec un porte-clés, allongé sur son lit en hauteur, tandis qu'Octavio - Alix en avait déduit qu'il se prénommait ainsi au vu du panneau sur la porte - écrivait dans un petit carnet, assis sur un des bureaux.
Alix sortit une tenue de nuit de sa valise et l'enfila. Il irait se doucher demain matin, avant le petit-déjeuner. Il retint un bâillement et s'allongea sur le matelas, fixant les lattes au-dessus de lui, laissant son regard courir le long des rainures du bois. Du coin de son champ de vision, il vit Edgar se pencher par-dessus la barrière de son lit.
- Octavio, c'est bien ça ? demanda le rouquin tandis que celui à qui il s'adressait se retournait d'un air interloqué. Tu possèdes la carte du roi n'est-ce pas ?
L'orphelin aux yeux grenat eut l'air surpris.
- Comment le sais-tu ?
- C'est simple, ta carte dépasse de ta poche. On voit clairement le K qui précise qu'il s'agit de la figure du roi.
Ce n'était pas Edgar mais l'autre garçon, alors allongé dans son lit, qui avait répondu. Le rouquin hochait la tête, démontrant qu'ils avaient eu le même raisonnement. Raphaël se redressa en position assise et sortit sa propre carte : un quatre de cœur.
- Finalement, pourquoi se cacher ? Ce n'est qu'une carte. Je ne sais pas pourquoi certains s'acharnent à dissimuler la leur, leur design n'a aucune importance.
Alix acquiesça. Il était on ne peut plus d'accord avec l'adolescent aux cheveux décolorés méchés de bleu.
- Je ne me cachais pas, répondit Octavio d'un ton posé. J'ai juste été surpris. Plus j'y réfléchis, plus j'ai l'impression que ce laboratoire cherche à nous embrouiller l'esprit. On ne nous donne aucune information sur ce qu'on est venus faire ici, on nous octroie d'étranges cartes sans plus d'explication, il y a quelque chose qui se trame dans notre dos et je n'aime pas trop ça.
Alix arrivait à peu de choses près à la même conclusion. William Kerbereau et ses trois collègues préparaient quelque chose, sans leur en souffler le moindre mot. Pourtant, une intuition lui disait que ce serait eux, les acteurs principaux de ce projet secret.
- Enfin, il est trop tard pour se prendre la tête, conclut celui aux cheveux de jais en baillant. Bonne nuit.
Sur ces mots, il quitta son bureau avant de s'emmitoufler sous sa couverture et leur tourner le dos. Alix fit de même, obligeant son cerveau à oublier ses pensées noires afin de se reposer.
~¤~
Une sonnerie retentit dans tout le bâtiment, faisant bondir Alix hors du sommeil. Le cœur battant, il se redressa et lança un regard à ses camarades de chambrée qui venaient de subir le même réveil. Il croisa le regard hagard de Raphaël, puis les yeux ensommeillés d'Edgar qui se penchait une fois de plus par-dessus la barrière, et enfin les prunelles à demi-closes d'Octavio.
- Qu'est-ce que c'est que ça ? marmonna ce dernier en remettant un peu d'ordre dans ses cheveux ébène.
Une voix mécanique, probablement enregistrée, leur répondit en un grésillement insupportable.
- Tous les membres du programme sont priés d'être présents d'ici une demi-heure dans la cour centrale. Veuillez prendre votre petit-déjeuner avant de vous rendre au lieu demandé.
Les quatre garçons échangèrent un regard interloqué avant de s'activer en quatrième vitesse. Alix attrapa quelques affaires propres et se dirigea vers les douches. Lorsqu'il entra, Marc lui lança un bonjour enjoué malgré l'heure matinale. Il lui sourit avant de se déshabiller et de tourner le robinet déclenchant la douche. L'eau, d'abord froide, lui fit l'effet d'un coup de fouet. Il attendit précautionneusement que la température augmente avant de se risquer tout entier.
Il se sentit aussitôt revivre. Le liquide brûlant coulant le long de son corps, se déversant sur sa peau pour la nettoyer de toute impureté, lui faisait un bien fou. Il attrapa un des savons mis à disposition et se frictionna. Le produit dégageait une vague odeur de noix de coco.
Quand il sortit enfin, propre et habillé, il sursauta en voyant l'heure. Il n'avait plus qu'une dizaine de minutes pour manger. Il se précipita vers le réfectoire, manqua de buter dans une jeune fille aux longs cheveux châtains, attrapa un croissant ainsi qu'un verre de jus d'orange, et partit s'asseoir à côté d'Edgar. Le rouquin était en pleine conversation avec une jeune fille à la peau bronzée. Elle semblait se détendre au fil de la conversation.
- Tu en as mis du temps, le réprimanda le garçon. Je te présente Flore, elle est très sympa.
- Enchanté, la salua Alix entre deux bouchées.
Elle lui adressa un petit signe de tête. C'était une belle jeune fille. Ses yeux bruns étincelaient d'optimisme et ses boucles brunes coupées au carré tressautaient lorsqu'elle bougeait la tête. Si on ne pouvait pas vraiment dire qu'elle soit grosse, elle n'était pas mince pour autant. Mais cette corpulence un peu plus élevée que la moyenne la rendait plus réelle aux yeux d'Alix, plus humaine que les mannequins des vieux prospectus de l'ancien temps.
- Je n'ai presque pas dormi de la nuit, expliquait-elle. Crystal a peur du noir, une véritable phobie. Du coup on a dormi avec une veilleuse mais la lumière me gênait, j'ai quasiment pas fermé l'œil.
Un nouveau signal sonore retentit et le blondin manqua de s'étouffer avec son jus de fruit. Il était temps de se rendre dans la cour. Les orphelins encore présents se levèrent et sortirent dehors d'un même pas, laissant le soin aux cantinières de débarrasser. Les quinze jeunes réunis dans la cour n'eurent pas à attendre plus d'une minute avant de voir apparaître William suivi de son assistante Djena. Les deux scientifiques se placèrent face aux adolescents et le directeur du laboratoire se racla la gorge avant d'annoncer d'une voix vive :
- Bonjour à tous ! J'espère que vous avez bien dormi. Aujourd'hui, l'entraînement commence !
La foule se répandit aussitôt en murmures. Un entraînement ? Quel genre d'entraînement ? Y avait-il un lien avec ce programme dont ils ignoraient tout ? Alix vit Djena leur faire signe de la suivre et il s'avança en même temps que les autres. La jeune femme au teint typique des ethnies du Nord de l'Afrique les conduisit vers le gymnase où ils avaient passé le test. Alors qu'ils cheminaient dans la cour, Alix laissa son regard dériver vers les immeubles qui surplombaient Apastan. Que serait-il arrivé s'il avait décidé de ne pas passer ce concours ? Probablement serait-il resté chez lui, seul, à lire des livres, aller au chantier et boire des sodas avec Jean.
Pour beaucoup d'orphelins, ce programme avait été une porte de sortie, une façon de fuir la misère de la rue, d'avoir enfin un toit et de quoi se nourrir convenablement. Pour lui, ç'avait simplement été un moyen d'échapper à la monotonie du quotidien. Se sentir comme le personnage principal d'une histoire.
~¤~
Si Alix avait trouvé l'entraînement éprouvant durant la première semaine, c'était encore pire ce matin. Chaque jour, à l'aube, l'alarme sonnait, et le calvaire commençait une demi-heure après. Course à pied, renforcement musculaire, sports de combat, tout y passait. L'après-midi n'offrait aucun repos non plus. Au contraire, ils étudiaient par groupes de quatre dans des salles prévues pour, ou à la bibliothèque. Le corps du blondin était fourbu de courbatures, et son cerveau surchargé d'informations. Les cours étaient condensés, comme si les scientifiques essayaient de faire rentrer tout le savoir de l'humanité dans leurs têtes.
Même pour Alix, qui était déjà en plutôt bonne condition physique, les entraînements étaient éprouvants. Lorsqu'il apercevait à quel point Crystal, Flore ou Tsubaki - il avait appris que la jeune japonaise se nommait ainsi - souffraient lors des cours d'éducation physique, il avait mal pour elles. Edgar, bien qu'il soit quelque peu meilleur, subissait presque tout autant. Le soir, il se couchait tôt et dormait mal, peinant à trouver une position confortable.
Le garçon tourna le robinet de la douche et se détendit aussitôt. L'eau coulant sur ses muscles endoloris lui fit oublier l'espace de quelques minutes les courbatures. Il ferma les yeux et savoura cette sensation bienfaitrice. Le grondement de son estomac le rappela à la réalité et il se rhabilla en vitesse afin d'aller manger.
Edgar l'attendait dans le couloir. Son visage d'ordinaire si enjoué, s'était quelque peu assombri à cause de la fatigue. Il avait de grosses cernes sous les yeux, leur couleur bleutée se mélangeant à ses tâches de rousseur. Les deux garçons se rendirent au self, prirent chacun un plateau et se servirent chichement en purée.
- Je n'ai pas envie de travailler ! Mon cerveau fait une surcharge d'informations, se plaignait Raphaël à Octavio alors qu'ils les rejoignaient
Celui aux cheveux noirs émit un petit rire. Alix s'assit à côté de lui en poussant un long soupir :
- Raph' n'a pas tort. Sport le matin, études l'après-midi, c'est exténuant.
- J'ai entendu Djena dire qu'on aurait un travail différent aujourd'hui, remarqua Edgar.
- Du travail reste du travail, répondit Raphaël en haussant les épaules. Sérieux, qu'est-ce qu'ils veulent faire de nous ? On court, on étudie, mais on a toujours aucun but précis !
Les trois autres se turent. C'est vrai, qu'est-ce qui pouvait bien se tramer dans ce laboratoire ? Qu'est-ce que les scientifiques attendaient d'eux ?
- Si ça se trouve, ils veulent faire de nous des cobayes ! s'écria Tsubaki depuis la table voisine.
- Ne sois pas stupide, ils ne s'embêteraient pas à nous faire cours si c'était le cas, rétorqua Julia.
Les deux jeunes filles traînaient tout le temps ensemble depuis qu'elles s'étaient rencontrées. La présence de celle aux origines espagnoles semblait rassurer Tsubaki qui ne la quittait pas d'une semelle, restant systématiquement dans son ombre. Julia ne l'avouerait probablement pas, mais elle appréciait réellement la nippone.
- Mais si c'est le cas, il faut qu'on s'échappe ! insista la japonaise.
- Inutile, j'ai déjà essayé, la porte d'entrée ne s'ouvre pas avec nos cartes, nous n'avons pas ce genre d'autorisation.
C'était Luna qui avait parlé, la jeune fille à l'étrange style - peau claire, cheveux blancs et yeux rouge sang. Elle intriguait toujours autant Alix qui se demandait qu'est-ce qui avait bien pu la pousser à arborer de telles couleurs.
- Pourquoi imaginer toujours le pire ? finit par demander Ambroise - le plus âgé de tous, celui avec qui Gregory passait tout son temps - d'une voix calme. Nous sommes logés et nourris, ils entretiennent notre corps et nous instruisent. Il n'y a pas de quoi s'inquiéter.
- Peut-être qu'ils veulent faire de nous des explorateurs... finit par dire Octavio.
Sa remarque fit l'effet d'une bombe. Dès lors, les conversations reprirent toutes, emplissant la salle d'un brouhaha incompréhensible. Pour certains, être explorateur était un honneur. Pour d'autres, au contraire, il s'agissait d'une condamnation à mort. Cependant, les propos d'Octavio faisaient sens : les pionniers se devaient d'être en parfaite condition physique et d'avoir des connaissances dans de nombreux domaines afin d'être parés à toute éventualité. Leurs cours quotidiens allaient en ce sens.
L'heure des études arriva plus vite que prévu et les adolescents quittèrent le self, continuant de disserter sur leur avenir en ce lieu. Les salles de classe se trouvaient dans un bâtiment à part, derrière les terrains d'entraînement. Un large édifice sans étage contenant quatre salles à tableau blanc. Leurs cours étaient assurés par le quatuor de scientifiques qui s'occupaient du programme. Ils changeaient de professeur et de groupe chaque jour.
Alix s'approcha de l'emploi du temps. Aujourd'hui, ce serait Sally qui serait son professeur. Il aurait cours avec Luna, Ambroise et Zelda. Cette dernière était celle avec qui il avait le moins parlé. Elle était généralement seule et semblait se sentir mal-à-l'aise en présence des autres. Une fois, Alix avait essayé de lui parler, mais elle avait piqué un fard et s'était cachée dans ses longs cheveux châtains en essayant de bégayer une réponse. Sentant son malaise, le blondin avait fini par renoncer.
Les quatre élèves entrèrent dans la salle dont la disposition peu habituelle frappa Alix. Au lieu d'être séparées comme à leur habitude, les tables étaient collées entre elles au centre de la pièce. Il lança un regard interrogatif vers Sally qui lui sourit. Aujourd'hui, le cours serait différent.
Ils s'installèrent en îlot et se tournèrent vers la rouquine. Celle-ci écrivit en grand au tableau "Travail de groupe". C'était la première fois qu'ils avaient à coopérer dans le domaine des études. Ils pratiquaient les sports d'équipe deux fois par semaine, mais ça, c'était nouveau. Aussitôt, Ambroise demanda en quoi cela consisterait.
- C'est très simple ! s'exclama-t-elle en sortant une petite balle orange de la poche de sa blouse. Vous devez réussir à faire que cette balle arrive dans le gobelet rouge du coin sud, depuis le coin opposé. Et ce sans la toucher en dehors du cercle.
Un verre en plastique rouge était effectivement fixé au sol dans un coin de la pièce, et un cerceau avait été placé du côté opposé.
- Vous avez quartier libre, du moment que la balle va du point A au point B sans que vous ne la touchiez. Les autres groupes ont reçu la même consigne. Vous avez une heure.
Et sur ses paroles, elle s'assit à son bureau. Le bruit caractéristique d'un chronomètre se fit entendre. D'un même mouvement, les quatre jeunes se levèrent. Ambroise prit la balle et fit ce que toute personne sensée ferait : il la lança vers le gobelet. Raté ! Et de loin ! Alix essaya à son tour, suivit de Zelda. Encore et toujours à côté. Le récipient était bien trop loin pour qu'ils puissent le viser précisément.
Ambroise fit signe à Luna d'essayer. Celle-ci refusa poliment mais comme il insistait, elle finit par prendre la balle et la lancer. Son tir était encore pire que les autres, clairement pas dans la bonne direction.
- Je n'ai pas une bonne vue, grommela-t-elle.
- Tu ne devrais pas porter de lentilles alors, ça abîme la vue, fit remarquer Alix.
- Je ne porte pas de lentilles de contact ! hoqueta l'autre.
Ça, le blondin n'y croyait pas. Les yeux rouges, ça n'existait pas. Néanmoins, il se tut, préférant se concentrer sur l'exercice. Il reporta son regard vers Zelda qui essayait une fois de plus de lancer la balle vers le contenant, sans succès.
La persévérance était peut-être la clé. Cependant, au bout d'une vingtaine de minutes d'essais infructueux, ils finirent par abandonner l'idée de lancer la balle. Leur précision n'était pas assez élevée, et à moins d'un coup de chance, ils pourraient très bien y passer des jours. Or ce n'était pas le but. Le temps défilait bien vite.
Du coin de l'œil, il surveillait Sally. Celle-ci les regardait attentivement, jetant parfois un coup d'œil au chronomètre qu'elle tenait en main. Alix ferma les yeux afin de se concentrer. Lancer la balle n'était vraisemblablement pas la solution. Ce devait être autre chose, quelque chose de plus complexe, de plus créatif. Il lança un regard vers ses coéquipiers. Luna faisait des ronds dans la pièce tandis que Zelda fixait le gobelet, cherchant probablement un axe de lancer plus fructueux. Ambroise quant à lui lui désigna le bureau de la scientifique d'un mouvement oculaire.
Un tas de feuilles haut de bien trente centimètres était posé sur la table qu'occupait Sally, à côté d'un rouleau d'adhésif. Il s'avança vers les deux objets de sa convoitise.
- Je peux ? demanda-t-il.
L'autre haussa les épaules. C'était visiblement un oui. Après tout, n'avait-elle pas dit qu'ils avaient champ libre ? Il souleva l'énorme tas de feuilles et le posa près de ses camarades, apportant également le ruban adhésif. Une idée venait de germer dans son esprit. Il expliqua son plan aux trois autres qui l'approuvèrent aussitôt.
Ils se mirent au travail, pliant les feuilles et les collant ensemble de manière à former petit à petit une rampe assez longue pour traverser la pièce. Ils s'étaient répartis les tâches en binôme. Luna travaillait vite et bien, pliant les feuilles qu'Alix collait ensuite avec précision et rapidité. La gouttière prit vite forme.
Empilant tables et chaises ensemble, les quatre élèves firent en sorte de donner à leur rampe assez d'inclinaison pour que la balle puisse rouler d'un bout à l'autre de la pièce sans problème. Leur installation fin prête, Ambroise qui était le plus grand se chargea de lâcher la balle orangée dans la gouttière de papier.
Tous suivirent le trajet de l'objet rond, qui poursuivait sa course avec lenteur, avec attention, espérant en silence que l'installation de fortune tienne le coup. Le poing serré sur son collier porte-bonheur, Alix regardait avec appréhension. Il devait leur rester à peine cinq minutes, ils n'auraient pas le temps de tout reconstruire si par malheur ça cassait.
- Je crois en tes talents de bricoleur, en tant qu'ancien travailleur de chantier, lui murmura Zelda en déformant sa bouche en ce qui semblait être un sourire.
Clock ! La balle avait atteint le gobelet. En plein dans le mille ! Alors que les adolescents se réjouissaient, Sally arrêta le chronomètre et les rejoignit en évitant soigneusement la rampe de papier.
- Bravo ! les applaudit-elle. Quel superbe travail d'équipe, exactement ce que j'attendais de vous. Vous avez mis très exactement 54 minutes et 12 secondes.
- Vous vouliez qu'on construise une rampe ? demanda Luna.
- Une rampe ou autre chose, cela importait peu. Il fallait juste que vous coopériez. Allez, les cours de la journée sont terminés, vous pouvez sortir.
Les orphelins rejoignirent le couloir, contents d'eux-même. Dehors, Alix repéra aussitôt Edgar qui avait visiblement terminé également avec son groupe. Tous deux, ils dissertèrent sur la manière dont ils avaient résolu le problème.
- C'est Pénélope qui a réussi à la mettre, lui expliqua le rouquin. Sa précision de lancer est incroyable. Moi et Gregory, nous avons pris les mesures, ensuite, Marc a calculé avec précision l'angle et la puissance à mettre et elle s'est exécutée à la perfection !
Alix lui relata la construction de la rampe en détail. Un troisième groupe sortit d'une des salles et les conversations reprirent de plus belle. Malheureusement, le dernier groupe n'avait pu finir à temps et les quatre jeunes qui le composaient grommelaient, se faisant des reproches les uns les autres.
Alors qu'il retournait vers le bâtiment principal, Alix entendit une voix l'interpeller. Il fit signe à Edgar qu'il le rejoindrait et se tourna vers la source de cet appel. C'était Luna. La jeune fille s'arrêta à sa hauteur.
- Je ne porte pas de lentilles, dit-elle d'un ton calme. J'ai une maladie qui rend les yeux rouges et les cheveux blancs, voilà tout. À cause de ça, j'ai une mauvaise vue et je suis sensible au soleil. Je vois bien que depuis le début tu me juges du regard alors maintenant tu sais.
- Je suis désolé ! hoqueta Alix. Je pensais que tu te donnais juste un style...
- C'est pas grave, je peux comprendre ta réaction. C'est une maladie rare que les gens ne connaissent plus de nos jours, lui répondit-elle avec un sourire franc.
Alix lui sourit en retour et ils se serrèrent la main, signe que cette méprise était déjà oubliée.
~¤~
Alix réprima un bâillement. Il avait passé une bonne partie de l'après-midi à jouer aux cartes avec Edgar. Ils avaient fait deux batailles, puis Ambroise et Flore s'étaient joints à eux pour une belote. Après avoir beaucoup insisté, ils avaient réussi à convaincre Luna, Crystal et Thomas - un grand garçon à la peau noire et aux cheveux tressés - de les rejoindre afin de faire un rami.
- C'est pas possible que je perde encore, il y a forcément de la triche ! s'énervait Thomas qui n'avait juste pas de chance.
- Peut-être que tu es juste nul, répondit Gregory qui se contentait de regarder la partie en cours.
Visiblement mauvais perdant, le noir lança ses cartes au milieu de la table avec colère et décida de quitter la pièce pour aller calmer ses nerfs. Les six autres, qui étaient restés interdits, finirent par exploser de rire. Les larmes aux yeux, Alix peina à retrouver sa respiration. Il releva la tête et plongea un instant son regard dans les yeux d'Ambroise face à lui dont il avait découvert l'hétérochromie - l'un était d'un vert bien plus foncé que l'autre, une différence légère mais vraiment très belle. Le garçon aux cheveux platine lui adressa un sourire franc.
- J'ai envie de voir la rampe que vous avez construite, dit soudain Gregory en se levant. Qui m'accompagne ?
- Je viens, déclara Ambroise en se mettant debout à son tour.
- J'ai envie de voir moi aussi, annonça Crystal d'une petite voix.
- J'y vais aussi, ça va me promener, dit Alix.
Les trois autres refusèrent. Ils allaient faire un autre jeu de carte en attendant. Les quatre orphelins quittèrent la pièce et se dirigèrent vers le bâtiment scolaire. C'était la fin d'après-midi, il devait être aux alentours de dix-huit heures. Le ciel avait revêtu des teintes crépusculaires, roses et orangées.
La porte de l'édifice était évidemment fermée mais Crystal la dévérouilla avec sa carte - un cinq de cœur - puisqu'ils avaient l'autorisation d'accéder à ce bâtiment. Ils pénétrèrent dans la classe et constatèrent avec déception que la rampe avait été retirée et la salle nettoyée. Crystal semblait être la plus désappointée, affichant un air très déçu.
- On est venus ici pour rien, grogna Gregory.
- Moi qui voulais voir si ça ressemblait aux toboggans que je construisais pour mes figurines, se lamenta la jeune fille.
Alix rentra alors dans la pièce et commença à faire des grands gestes, tentant de matérialiser la gouttière construite plus tôt dans la journée.
- Ça allait de ici à là ! Et c'était aussi haut que moi ! Là on lâchait la balle et elle devait aller tout là-bas ! La rampe faisait à peu près cette inclinaison, expliquait-il en battant des bras et faisant des allers-retours dans la pièce.
Les yeux bleu glacé de Crystal s'illuminèrent et Gregory émit une onomatopée impressionnée. Il croisa le regard approbateur d'Ambroise et sentit la joie lui monter à la tête. Dans un accès de nostalgie, il revit sa vie d'avant, sa vie ennuyante et banale. Il était vraiment heureux d'avoir rejoint le programme.
Les quatre jeunes décidèrent de rentrer au dortoir. Gregory proposa qu'ils passent par le bâtiment scientifique qui faisait la liaison avec le gymnase, un raccourci pour rentrer en somme. L'endroit était plongé dans le noir, rendant l'atmosphère lugubre. La faible lumière d'une pièce d'où provenaient des voix étouffées les aidait à trouver leur chemin.
La curiosité est un vilain défaut. Néanmoins, il leur fut impossible de résister à la tentation d'aller écouter la conversation. Trois des quatre scientifiques qui les supervisaient étaient en train de discuter. Djena, Sally et William.
- C'est trop tôt, ils ne sont pas prêts ! s'exclamait Sally.
- Peut-être, mais nous n'avons pas le temps d'attendre plus, répondit son oncle.
- William a raison. Et puis, j'ai confiance en les choix qu'il a fait, je suis sûre qu'ils sont plus que prêts, relativisa Djena.
Sally regarda ses deux supérieurs, puis murmura :
- J'ai peur, je ne veux pas vous quitter...
- Ça va aller, tu verras, lui sourit William en la prenant dans ses bras.
Les quatre orphelins qui les épiaient échangèrent un regard. De quoi pouvaient-ils bien parler ? Crystal tira soudain Alix par la manche. Des bruits de pas approchaient, sûrement Bertrand Vallières, le quatrième scientifique, qui rejoignait ses collègues. Ils détalèrent en vitesse avant que celui-ci ne puisse les surprendre.
- De quoi parlaient-ils à votre avis ? demanda Gregory, essoufflé, une fois qu'ils eurent atteint l'extérieur.
- Aucune idée, répondit Alix en secouant la tête.
- Vous croyez qu'ils veulent vraiment faire de nous des explorateurs ? demanda Crystal d'une voix inquiète.
Ambroise lui répondit en haussant les épaules.
- N'en parlons pas aux autres pour le moment. Cela ne ferait que semer la panique, déclara le plus grand.
Les trois autres opinèrent du chef, se fiant à l'avis de leur aîné. Alix décida cependant de relater l'évènement à Edgar ce soir, dans leur chambre. Le garçon était calme et réfléchi, il saurait peut-être deviner de quoi il en retournait.
Ils regagnèrent l'édifice qui leur servait de lieu de vie sans un bruit, chacun essayant de trier les questions qui ne cessaient d'affluer dans leurs esprits. Ils rejoignirent leurs amis dans le salon et firent quelques parties de cartes jusqu'à l'heure du repas.
Le réfectoire dégageait une fois de plus une bonne odeur de nourriture. L'estomac d'Alix gargouillait alors qu'il se servait en pâtes bolognaise. Il s'assit près d'Edgar qui lui racontait comment il avait bluffé afin de gagner la partie qu'ils avaient manquée, alors partis voir la rampe. William Kerbereau débarqua soudain dans le self, suivi de Djena, une petite boîte à la main. Il frappa quelques coups sur le mur afin d'obtenir le silence et l'attention de tous.
- Mes très chers enfants ! Je vous annonce que demain sera une journée difficile et probablement pleine de surprises et d'émotions. Par conséquent, j'ai apporté de quoi vous donner un peu d'énergie. Il s'agit de cachets de vitamine, cependant leur effet est un peu à retardement alors je préfère que vous les preniez ce soir.
Suite à sa déclaration, qui provoqua un grand bruit dans la salle, son assistante passa leur distribuer une vitamine à chacun. Alix examina la chose. C'était un petit cachet blanchâtre et poudreux, le genre de médicament qui fondait quasi instantanément sur la langue. Impossible de faire semblant de l'avaler en somme.
- Prenez-le avant de manger, sinon vous aurez mal au ventre, préconisa la scientifique.
- Arrête de te prendre la tête, lui murmura Edgar, ce n'est quand même pas du poison. Hop, hop, le petit lapin blanc qui disparait dans le trou.
Et sur ces mots, il avala son cachet. Alix haussa les épaules et mit la présupposée vitamine dans sa bouche. Le goût médicamenteux était affreux. Il n'avait jamais aimé les cachets. Il se dépêcha de prendre une grosse fourchette de pâtes afin de chasser la saveur amère.
Il venait de finir son assiette quand il entendit un grand bruit. Il se retourna, paniqué, et constata que Tsubaki s'était écroulée. Un autre son inquiétant se fit entendre et il vit Raphaël tomber la tête la première dans son assiette pas encore vide. Tout autour de lui, ses camarades s'évanouissaient. Lui-même, il avait la tête lourde. Il lança un dernier regard affolé vers Edgar avant de choir à son tour.
~¤~
C'est une plaine verdoyante qui s'étend à perte de vue. C'est une forêt aux plantes surdimensionnées qui s'élève si haut qu'on voit à peine la cime des arbres. C'est un royaume grandiose aux habitants parfois étranges qui gouverne ces terres luxuriantes.
C'est le jeu. Le jeu qui commence.
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