Chapitre 12 - Cadeau
Sur les coups de dix-sept heures, nous quittons la plage qui commence à se transformer pour la soirée avec une musique plus entraînante et des fêtards qui commencent à affluer. Je crois que c'est la première fois de ma vie que je passe une journée à ne rien faire, strictement rien.
Une fois revenus dans la fraîcheur agréable de la suite climatisée d'Olga, je me laisse tomber en arrière sur le lit moelleux :
- Je voudrais rester là pour toujours, à faire la fête et à claquer mon fric chez toi.
- N'exagère pas ! rétorque-t-elle. Je ne t'ai jamais fait payer !
- Encore mieux !
Soudain, son ton devient sérieux. Elle commence à se dire que j'en serais peut-être bien capable.
- Ne reste pas. Les hommes meurent trop tôt dans cette ville.
Je n'en ai rien à faire de mourir tôt tant que je peux être avec elle, mais elle continue sans me laisser le temps de la contredire :
- Et puis, au moment même où tu poserais tes bagages sur la côte, cette maison ne serait plus la mienne, mais la tienne.
- Non, je me défends en me redressant sur les coudes. C'est ta vie, je respecte ça.
- C'est ta nature, Jack, de vouloir prendre en charge les choses, me dit-elle doucement.
Je peux être parfait pour elle, j'en suis sûr. C'est le moment d'abattre toutes mes cartes pour la convaincre :
- Olga, j'ai quelque chose pour toi, dis-je en sortant de mon sac le petit paquet de la bijouterie.
Elle défait rapidement le nœud malgré la longueur de ses faux ongles, déballe l'écrin et reste muette en voyant le collier. J'attache autour de son cou la chaînette en or qui retient les trois roses ciselées de rubis et d'émeraudes. Elle regarde son reflet dans le miroir de la coiffeuse, ses doigts parcourant les pierres finement serties. Elle se retourne finalement vers moi.
- Je ne sais pas quoi te dire, Jack...
Son étonnement me fait sourire :
- Pour une fois que c'est toi.
- C'est très joli.
Elle m'embrasse d'un long baiser, une sensation parfaite de douceur coule dans mes veines, comme je n'en ai pas ressentie depuis trop longtemps. Mais quand je croise son regard, il porte une sorte de mélancolie que je ne m'explique pas. Plutôt que de me remercier, elle me reprend :
- Tu devrais garder ce genre de cadeau pour la femme que tu aimes.
- Mais Olga, je t'...
- Chut ! m'impose-t-elle en pressant un doigt sur mes lèvres. Tu te trompes. C'est un souvenir que tu aimes.
Je me mords la langue. J'ai failli le dire. Mais au fond de moi, je sens qu'elle a raison, tellement raison.
Soudain, des éclats de voix se font entendre dans le couloir. Olga s'écarte vivement de moi et se précipite hors de la suite. Un homme ventripotent au crâne dégarni avance vers elle à grandes enjambées, la figure rouge de colère, en traînant une des filles par le bras. Loreleï le poursuit sans oser lui tomber dessus :
- Monsieur, je vous demande de bien vouloir vous arrêter !
- Il suffit ! la fait taire Olga d'un ton autoritaire.
Le client s'immobilise à quelques mètres d'Olga. Toutes les prostituées inoccupées passent curieusement la tête par la porte de leur chambre. L'homme exubérant ne semble pas embarrassé le moins du monde de se donner en spectacle.
- Que se passe-t-il, monsieur Pascali ? lui demande Olga dans un sang-froid très professionnel. Vous avez un problème ?
- Oh que oui, très chère Madame ! Un gros problème ! J'ai réservé cette fille-là pour m'accompagner ce soir, répond-il en la brandissant devant lui comme s'il portait réclamation pour un appareil défectueux, mais elle ne fait pas grand-chose !
- Si vous voulez bien me suivre dans mon bureau, je suis certaine que nous allons trouver une solution à votre désagrément.
- Je suis très bien ici ! Il me semble vous avoir déjà démontré ma fidélité à votre maison, alors j'exige que mes demandes puissent être satisfaites !
- Monsieur, la liste exhaustive des prestations réalisables par chacune de mes employées est inscrite sur leur fiche descriptive. Avez-vous bien consulté les fiches avant votre réservation, pour choisir la fille qui vous conviendrait le mieux ?
- Je me fous de vos fiches ! Je veux celle-là ! s'emporte-t-il en secouant la jeune escort comme un prunier.
J'ai observé la scène depuis le début, en m'efforçant de rester en retrait, mais il dépasse les bornes. Je me plante derrière Olga, les bras croisés, en restant le plus calme possible :
- Lâche la fille.
Le petit gros cligne des yeux, stupéfait, et il me balance d'un air hautain :
- Non mais, vous êtes qui, vous ?
- Le mec qui va te coller son poing dans la gueule si tu ne la lâches pas immédiatement.
Il ne réagit pas assez vite à mon goût, alors je fais un pas décidé dans sa direction. Son visage passe du rouge colère au blanc trouille, et il libère la fille qui se réfugie près d'une de ses collègues. Il ne faut pas trois secondes avant que l'homme ne s'empourpre de nouveau en me pointant de l'index :
- Si vous croyez que je vais me laisser parler sur ce ton par un petit c...
Olga a la bonne idée de reprendre la situation en main en se précipitant au côté du client :
- Monsieur Pascali, allons dans mon bureau, à présent. J'ai un arrangement à vous proposer qui vous satisfera totalement, j'en suis sûre.
Mélia, tu viens avec nous, ajoute-t-elle d'un ton rêche à l'intention de la fille.
Quand Olga revient dans l'appartement, elle se plante devant moi avec une sévérité inhabituelle :
- Tu n'aurais pas dû intervenir.
- Jamais de ma vie je ne laisserai un homme maltraiter une femme devant moi sans réagir.
Elle agite ses mains en l'air, comme si ce que je venais de dire était totalement insensé.
- Pour l'amour de Dieu, Jack, assieds-toi un peu sur tes grands principes et contrôle-toi. Il ne lui a rien fait !
Sa virulence me déstabilise. Je ne veux pas de cette dispute. Mais là, elle a fondamentalement tort. J'essaie de me défendre :
- Tu l'as vu aussi bien que moi ! Si tu avais laissé Loreleï s'en occuper, je n'aurais pas bougé.
- Ce n'était pas à toi de décider. L'homme que tu as agressé est un client important et très régulier. Il a beaucoup de relations et je ne peux pas me permettre une mauvaise publicité de sa part.
Je tombe des nues. Il a malmené la fille, il était à deux doigts de m'insulter, et c'est moi le fautif ?
- Moi je l'ai agressé ? Je t'assure que si j'avais voulu l'agresser, ça se serait terminé autrement ! Il peut être aussi riche et puissant que tu veux, un connard reste un connard. Tu ne peux pas rendre tous les hommes meilleurs en couchant avec eux.
- Et toi, tu ne peux pas faire régner ta propre conception de la justice partout où tu passes ! crie-t-elle, des éclairs furieux dans les yeux.
Si elle me connaissait vraiment, elle saurait que la justice m'importe peu. Ce n'est pas une question de justice, c'est une question de bon sens.
- Avant, quand c'était toi que je défendais, ça n'avait pas l'air de te poser de problème.
- Ne compare pas ce qui n'est pas comparable, coupe-t-elle court. Tu ne faisais que suivre les ordres de Sergueï.
- Quand j'ai collé un pain à ce fils de pute qui t'a poussée le premier jour, je ne suivais les ordres de personne ! je m'emporte d'un ton accusateur.
Elle lève les yeux au ciel.
- Arrête de tout ramener systématiquement à cet épisode...
- Non, je n'arrête pas ! Parce que si je m'étais contrôlé comme tu dis, au lieu de frapper ce type, je ne serais pas ici avec toi. Et la seule certitude qu'il me reste aujourd'hui dans ma vie, c'est toi !
J'ai crié pour empêcher ma voix de trembler, et je m'en veux instantanément. Elle est la seule raison pour laquelle je me battrais sans hésitation. Tout le reste n'a fait que s'effriter au fil des années.
Elle se radoucit complètement, réalisant ce qu'elle est en train de me faire dire :
- Jack, excuse-moi, je...
- Non, toi, excuse-moi, je l'interromps en levant une main. D'avoir élevé la voix contre toi, d'abord. Et puis, d'avoir réagi trop vite, sans réfléchir aux conséquences. Je ne le ferai plus. Ton business, ta maison : tes règles.
Elle me regarde avec une expression plus grave, différente de celles que je lui connais.
- Ou peut-être que c'est moi qui ai la tête dans le guidon et que tu es dans le vrai. A force de vivre dans la même routine tous les jours, on peut en oublier les bases. Toi tu n'agis pas avec raison, tu agis avec ton cœur, me dit-elle en posant la main sur ma poitrine. Ne change pas. Quand les autres se perdent en hésitations, toi tu mènes l'action. Là où les autres abandonnent, toi tu gagnes.
Je détourne les yeux avec un soupir. Tous ses mots doux ne changent pas la réalité : nous n'avons rien à faire ensemble.
- J'ai compris ce que tu as voulu me dire tout à l'heure. Je partirai demain.
Une part de moi espère qu'elle va me demander de rester, au moins encore un peu, mais elle se contente de poser sur moi son regard envoûtant. Sa main effleure ma joue.
- Pour l'instant, on n'est pas demain, me dit-elle. Alors on sort, ce soir ?
Je ne veux pas passer le temps qui nous reste à penser aux adieux. Rien que l'idée de laisser retomber ce bonheur total a un goût amer.
- Oui, avec plaisir, je lui réponds en forçant un sourire pour repartir sur une note plus joyeuse.
- Allons dans une autre ville cette fois, plus loin sur la côte, si tu veux bien.
Elle n'a pas envie de croiser un autre Anton, moi non plus, alors j'acquiesce sans souci.
- Je vais aller prendre un bain frais maintenant, il fait si chaud aujourd'hui, me dit-elle ensuite.
Elle s'éclipse dans la salle de bains et je me laisse tomber dans le sofa moelleux. Pas la moindre brise ne vient agiter l'air lourd de cette fin d'après-midi. Même les oiseaux volent en rase-motte pour échapper à l'atmosphère électrique. Je me demande où j'ai trouvé le courage de décider de rentrer. Je n'ai pas vraiment le choix. Tout ce que je possède, tout ce que j'ai construit, est dans les Terres sauvages. J'y ai versé trop de sang et de sueur pour le céder à des vautours qui n'attendent que de me voir craquer. Mais comment résister à la luxure de la côte qui me tend les bras ? Sa chaleur torride qui promet l'argent facile me rend absurdes les journées passées à trimer du lever au coucher du soleil. Facile, mais immoral. Et puis, Radek est à ce jour ma seule connaissance parmi la mafia. Même si je l'apprécie, un homme qui craint pour sa vie est un homme qui n'est pas fiable.
Rester assis sans rien faire d'autre que cogiter m'insupporte, et j'ai envie de voir Olga. J'ai envie de la voir à chaque seconde de chaque journée. Alors je tourne la petite poignée dorée de la salle de bains sans demander la permission.
Étendue dans l'angle de la grande baignoire, elle se redresse avec une cambrure séductrice en m'entendant entrer.
- Rejoins-moi, fait-elle en posant nonchalamment ses bras sur le rebord.
Il ne faut pas me le dire deux fois. Elle est si belle sous cette lumière tamisée renvoyée à l'infini par les miroirs, qui fait briller ses cheveux mouillés retombant jusque sur la pointe de ses seins. Je ne perds pas de temps pour retirer tous mes vêtements, mon sexe déjà bandé avant même de défaire mon jean. Je grimpe dans son bain et c'est elle qui m'attire contre son corps en m'entourant de ses bras.
À califourchon au-dessus d'elle, je descends ma main sous la surface de l'eau pour trouver sa chatte épilée. Elle ouvre ses jambes pour accueillir mes doigts, me gratifiant d'un gémissement à chacun de mes mouvements. L'une de ses mains s'accroche à mon épaule et l'autre s'empare de mon sexe pour de délicieuses caresses. Elle n'a pas vraiment le comportement d'une fille qui voudrait se débarrasser de moi. Pourquoi est-ce qu'elle me jette ?
Je me cramponne au rebord de la baignoire pour garder une prise sûre et je me serre contre son corps, faisant clapoter l'eau entre nous, pour ne faire plus qu'un avec elle, couvrir sa peau de baisers, m'enivrer de son parfum entêtant. Je ne veux plus jamais être séparé d'elle.
Au bout d'un long moment à la savourer de ma bouche, je m'assieds dans le coin opposé et elle vient s'enfoncer sur moi avec un soupir de plaisir, ses cuisses grandes ouvertes. J'attrape ses hanches d'une main pour lui imprimer un mouvement à mon rythme. Au rythme de ses ondulations, des gouttelettes d'eau bruinent de ses cheveux, roulent sur ses seins, descendent le long de son ventre, épousent les courbes de sa taille.
Je n'avais jamais tenté de faire l'amour dans une baignoire, et je reconnais que ce n'était pas l'idée la plus judicieuse que j'ai eue. Je suis concentré pour ne pas glisser et chaque mouvement un peu trop brusque menace d'inonder le carrelage. Olga m'incite à adopter un rythme plus lent, plus langoureux, qui ne me déplaît pas tant que ça. La sentir remonter puis redescendre sur chaque centimètre de mon sexe dans une langueur plus adaptée à notre environnement aquatique est une sensation des plus agréables. Elle fait monter l'extase lentement, lentement, et les yeux rivés sur sa bouche rouge, je me laisse aller dans sa magie.
À la fin, elle se retire et s'assied entre mes jambes, le dos posé contre mon torse. Sous la surface, je prends ses mains dans les miennes :
- Ne m'oublie pas.
- Jamais, murmure-t-elle en réponse, ses lèvres tout près des miennes. Tu n'es pas quelqu'un qu'on peut zapper simplement en tournant la page, mais ça je crois que tu le sais déjà. Et coucher avec toi a un bon goût de "encore", ajoute-t-elle, mutine.
Je pose un baiser sur ses lèvres. Pourquoi la vie n'est-elle pas toujours aussi simple qu'en cet instant ?
Il faut tout de même que je la laisse terminer son bain, alors je sors de l'eau et enroule une serviette autour de ma taille, les cheveux dégoulinants.
- Bière fraîche ? je lui propose.
- Volontiers, répond-elle. Je te rejoins tout de suite.
Elle réapparait bientôt dans le salon, toute pomponnée, et s'adosse au minibar où j'ai servi les bières.
- On va changer d'ambiance pour ce soir, m'annonce-t-elle en s'approchant de moi. Je te propose un restaurant sur la plage, puis une promenade sur les dunes au clair de lune, continue-t-elle en remontant la main sous ma chemise à chaque évocation, et puis un bar dansant, au cœur de la pinède.
- Tout ce que tu voudras.
Elle peut bien m'emmener où cela lui chante, tant que je suis avec elle, ça me va. Elle éclate d'un rire léger :
- Ne réponds jamais ça à une femme !
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