Chapitre 10 - Nightclub
Quand je rentre dans la maison, c'est Francesca qui m'accueille. Loreleï surveille discrètement depuis un coin de la pièce.
- Ta patronne est revenue ? je demande gentiment à ma jolie brune.
- Oui, elle est chez elle, tu veux que je t'emmène la voir ?
- Non, c'est bon, je vais trouver le chemin, je réplique avec enthousiasme en montant déjà les escaliers.
Loreleï m'emboîte le pas :
- Je vous accompagne.
Ça me rassure qu'elle fasse bien son travail en suivant ceux qui vont voir Olga. En arrivant devant la porte, Loreleï frappe à ma place. Quand Olga ouvre, un large sourire me vient aux lèvres et je l'embrasse comme si je rentrais chez moi à la fin de la journée. Je sais bien que c'est une illusion, mais j'ignore combien de temps ça va durer, alors je prends tout ce que je peux maintenant.
Par rapport à ce midi, elle a changé de tenue, comme elle le fait un nombre incalculable de fois par jour selon l'occasion, elle a mis une longue robe bleu nuit avec un décolleté plongeant.
Nous descendons boire un apéritif au bar de la maison. Olga nous installe dans un des angles du salon, pour éviter tant que possible d'être dérangée par les clients qui ont toujours quelque chose à dire à la patronne.
C'est Francesca qui nous sert, vêtue d'un short en jean très court et d'une brassière à franges qui chatouillent mon bras quand elle se penche pour poser les verres sur la table. Elle m'adresse un clin d'œil aguicheur. Olga me fixe avec un sourire amusé, moi je ne sais plus trop qui je dois regarder. Olga la remet à sa place d'un ton autoritaire :
- Va t'occuper de l'accueil des clients, et dis à Irina de te remplacer au service.
- Oui, Madame, répond Francesca en s'exécutant.
- Tu sors avec moi ce soir ? me demande Olga.
- Oui, bien sûr.
- On va aller au nightclub de Marius. S'il est là, je te le présenterai, c'est quelqu'un d'intéressant.
Nous dînons dans la villa, puis nous sortons déambuler dans les allées de la roseraie. La journée, elle est accessible aux clients et aux filles, propice à faire connaissance avec son atmosphère secrète, mais dès que la nuit tombe, elle redevient privée. Les boutons repliés n'étalent plus au soleil leurs beaux atours, mais ils exhalent un parfum plus subtil. Je comprends ce qu'Olga trouve à ces fleurs. Elles lui vont si bien. Belles de jour, et sensuelles sous les rayons de la lune, portant leurs couleurs avec grâce, mais aussi avec ardeur, dressant audacieusement la tête derrière leur barrière piquante.
Elle retire ses chaussures à talons et s'assied sur la balancelle en repliant ses jambes.
- Cela parait être une évidence, que le Paradis soit un jardin, dit-elle en contemplant les massifs aux camaïeux de couleurs chaudes.
- Tes roses sont très belles.
Mes yeux sont plus fixés sur elle que sur les fleurs.
- Ont-elles le choix ? questionne-t-elle. Ainsi prisonnières de leurs massifs, eux-mêmes enfermés par le péristyle, soigneusement taillées, nourries, arrosées par mes soins ?
Viens voir, ajoute-t-elle en se laissant glisser de la balancelle.
Elle ramasse ses sandales par la bride et poursuit nu-pieds sur les pavés. Je la suis à travers la cour intérieure, puis par la petite porte qui mène sur le parking. Elle reste sur le seuil pour ne pas marcher sur les graviers coupants. Pour abriter chaque client de la curiosité des autres, les spacieuses places de parking individuelles sont délimitées par des buissons, qui s'entremêlent en lançant leurs branches les uns vers les autres de façon assez désordonnée. J'ai garé le pick-up dans un de ces emplacements tout à l'heure, mais je n'avais pas remarqué que les haies étaient garnies de fleurs rosées.
- Tu sais ce que c'est ? m'interroge-t-elle en les désignant.
- Des rosiers sauvages, je lui réponds avec un sourire, en comprenant où elle veut en venir.
- On ne leur prête pas attention, au premier abord. Pourtant, ils sentent tout aussi bon, et leurs épines piquent tout autant. Mais ils sont libres.
Le choix d'Olga pour cette soirée s'est finalement porté sur une petite robe noire parsemée de fines paillettes argentées, avec des escarpins noirs eux aussi. Même moi, j'ai fait un effort en démêlant soigneusement mes cheveux pour les nouer en catogan. Une veste en cuir par-dessus ma chemise aux manches retroussées pour parer à la fraicheur de la nuit, et j'attrape mes clefs de voiture.
- Magda va nous conduire, me dit Olga.
Je n'ai pas l'habitude d'avoir un chauffeur, mais j'obéis et je repose mes clefs.
- Tu pourrais laisser ton arme ici, si ça ne te dérange pas ?
- Non, pas de problème.
- Loreleï, porte cela au coffre s'il te plaît.
Sa garde du corps apparait instantanément derrière Olga, comme par magie. Je me demande à quel point elle nous surveille. Je retire le chargeur du pistolet pour les lui remettre tous les deux.
Magda nous arrête devant un grand club près du port de plaisance. Beaucoup de monde patiente déjà à l'entrée, mais Olga contourne la foule pour se diriger directement vers le videur :
- Bonsoir Michael, le salue-t-elle. Est-ce que Marius est là ?
- Non Madame, pas ce soir. Il est absent pour quelques jours, répond-il en nous faisant entrer.
Olga fait la moue en avançant vers le vestiaire. Puis, un escalier en colimaçon nous mène vers l'espace de danse dans une vaste salle, entouré de salons privés plus intimes à l'écart du volume de la musique. Je n'ai pas mis les pieds dans une boîte de nuit depuis que j'ai quitté la côte, mais celle-ci est largement plus chic que les nightclubs miteux un peu glauques dans lesquels je zonais à Teneria.
- Tu veux boire un verre ? je propose à Olga avec enthousiasme.
- Oui ! crie-t-elle pour couvrir le bruit ambiant en m'entrainant vers le bar.
Mais nous n'avons pas le temps d'y parvenir, une voix en provenance d'une table VIP l'interpelle :
- Olga !
- Merde... jure-t-elle dans un murmure en crispant ses doigts sur les miens.
Elle se retourne vers le trouble-fête et marche vers lui en feignant un sourire radieux :
- Anton ! Quelle surprise ! Je ne savais pas que tu fréquentais encore ce club, ça fait une éternité que je ne t'ai pas vu ici.
L'Anton en question est un homme bien portant, plus âgé qu'Olga, assis au centre d'une banquette molletonnée, entouré d'une jeune femme blonde et d'un autre couple, et qui ne daigne même pas se lever pour saluer Olga.
- Eh bien, je me renouvelle, tu vois, lui répond-il en ouvrant grand les bras en un geste exubérant. Nouveau poulain ? lui demande-t-il en me désignant d'un geste dédaigneux du menton, comme si je ne l'entendais pas. Tu les prends au berceau maintenant ?
- Jack, je te présente Anton, me dit-elle en levant discrètement les yeux au ciel pour me dissuader de réagir au quart de tour. Anton, voici Jack, complète-t-elle.
Elle tient ma main très fort dans la sienne, au cas où l'idée de mettre une droite à cet abruti arrogant me traverse l'esprit. Il ne me tend pas la main, tant mieux, car je ne l'aurais pas serrée. Il se sent obligé de présenter ses amis à son tour :
- La sublime Tatiana, dit-il en serrant exagérément sa jolie femme blonde contre lui. Pavel et Natalia.
Ce couple qui l'accompagne parait mieux assorti, cheveux bruns soignés et une certaine classe. Natalia nous salue de loin, continuant à se balancer doucement au rythme de la musique, une main sur les genoux de son conjoint. Pavel nous tend une main paresseuse du fond de son canapé.
- Prenez donc un verre avec nous, insiste Anton, comme ça, nous ferons connaissance avec notre nouvel ami Jack.
- Tu es un amour, Anton, réplique Olga en affichant toujours un masque enjoué, mais nous avons d'autres plans pour la soirée.
Elle essaie de se débarrasser de lui, mais moi, je n'ai pas l'intention de le laisser s'en sortir avec ses tirades d'amuseur de galerie. Je ne peux pas m'empêcher de me demander s'il couche avec Olga, et une jalousie instinctive refuse de chasser cette image de ma tête. Je vais le remettre à sa place.
- Mais non, buvons un verre, puisque vous offrez la tournée, lui dis-je directement.
- Seulement si vous offrez la deuxième, se défend-il habilement.
- Seulement si je vous apprécie, dis-je avec un sourire ambigu en prenant place avec Olga sur la banquette libre.
- Alors, champagne, puisque nous avons un invité !
La serveuse lui apporte une bouteille quasi instantanément.
- Dites-nous tout, Jack, me lance Anton. Qu'est-ce que vous faites dans la vie ?
- J'ai des terres dans le centre du continent.
- Qu'est-ce que ça fait de vous, alors ? Un fermier ? s'esclaffe-t-il, faisant rigoler les deux femmes.
- Plutôt un aventurier, je rétorque en les ignorant.
- C'est vrai qu'il n'y a rien là-bas, tout est à construire, relève plus justement le dénommé Pavel. J'ai un petit cousin qui est parti chercher fortune dans les terres du centre lui aussi.
Je leur raconte alors les terres vierges où toutes les routes sont à tracer, les forêts impénétrables, les rivières sauvages pas encore canalisées.
- Attendez, s'interroge soudain Tatiana, comment faites-vous pour le confort ? Vous voulez dire qu'il n'y a pas d'électricité ?
- Il n'y en avait pas au début, mais on a construit des éoliennes et un barrage hydroélectrique, je lui explique patiemment.
Olga faillit s'étouffer avec sa boisson quand la jolie blonde me demande très sérieusement comment fonctionne un barrage hydro-électronique. Anton et Pavel ont terminé leur coupe, passons aux choses sérieuses, je commande une bonne bouteille de whisky.
- Et pour ces dames ?
- Nous allons rester au champagne, merci, me dit Natalia en souriant.
- Le whisky m'ira très bien, déclare Olga.
- Et qu'est-ce qui vous amène sur la côte ? Les affaires ? appuie Anton
- Non, des raisons personnelles.
- Vous dites que vous êtes un aventurier, dit Natalia. Vous devez donc avoir des aventures palpitantes à nous raconter.
Je me lance alors dans des récits épiques dont je suis le héros, des histoires de chasses à l'ours et de chevaux sauvages, de grandes crues et d'hivers rigoureux, de guérillas tactiques et d'espionnage mystérieux, de constructions périlleuses et d'extractions minières dangereuses.
La mâchoire crispée, Anton n'a pas l'air ravi de me laisser faire le spectacle, mais les autres m'écoutent avec attention, alors il se résigne à me laisser parler.
La femme d'Anton me fixe avec des yeux pétillants par-dessus les bulles de son champagne :
- Vous devez avoir une vie passionnante.
La bouteille de whisky m'a coûté cher, mais certaines choses n'ont pas de prix, comme le regard meurtrier qu'Anton me décoche à ce moment-là.
- Et moi, je suis épuisée de ma journée, exagère finalement Olga.
Je saisis son coup de main au vol :
- Merci pour le bon champagne, et pour la conversation, dis-je en me levant, sans oublier un clin d'œil provocateur pour la belle Tatiana. On va vous laisser poursuivre votre soirée, c'est l'heure de rentrer pour nous.
Olga prend le bras que je lui tends, et contrairement à notre arrivée, cette fois tout le monde se salue avec une politesse presque sympathique. La poignée de main d'Anton est tout de même plus écrasante que cordiale, pour bien me faire comprendre que je marche sur ses plates-bandes. Je retiens un regard noir quand il se penche plus que nécessaire dans le cou d'Olga pour lui faire la bise, lui chuchotant au passage quelques mots à l'oreille que je ne comprends pas, mais qui la font sourire.
En sortant, Olga n'appelle pas tout de suite Magda, elle me propose de marcher le long du port qui jouxte la boîte de nuit. J'ai besoin d'un peu de calme, elle l'a pressenti. Tous les bateaux sont amarrés à cette heure tardive. Des lumières et de la musique proviennent encore de quelques yachts où la fête bat son plein. Mais au fur et à mesure qu'on avance le long de la jetée, on n'entend plus que le clapotis des vagues à la lueur des étoiles.
- C'était la vérité, tout ce que tu leur as raconté ? me demande Olga tout en marchant.
- Quasiment, oui, je bougonne en haussant les épaules.
J'ai enjolivé deux ou trois évènements, pour rendre mon histoire soit plus intéressante, mais tous les faits sont bien réels.
- Je suis désolée pour cette soirée, me dit-elle simplement.
Je me radoucis. Ce n'était pas de sa faute si cette virée nocturne en duo avait pris une mauvaise tournure.
- Ne t'en fais pas. J'ai l'habitude des paniers de crabes, cette ville n'en a pas le monopole.
- Quoi qu'il en soit, tu as fait des progrès en diplomatie depuis que je t'ai rencontré, répond-elle avec un sourire amusé.
Si je suis resté stoïque, c'est parce que les attaques étaient dirigées contre moi. Le moindre mot déplacé envers Olga, et mon attitude aurait été radicalement différente.
- Anton est dans l'immobilier, explique-t-elle. Il est l'un des plus gros investisseurs de la côte. Je le connais depuis plusieurs années, il n'a pas été très heureux en amour. Tu as visé juste dans son point faible. Il se choisit toujours de très jolies jeunes femmes, qui sont attirées par le bling-bling, mais qui finissent souvent par le quitter pour des hommes plus jeunes. Moins riches, mais plus excitants que lui. Il est venu quelques fois se perdre dans ma maison, entre deux aventures amoureuses qui avaient mal tourné.
Le ton affectueux qu'elle utilise pour parler d'Anton m'agace au plus haut point.
- Ne prends pas en pitié des mecs comme lui.
- Ce n'est pas ce que je fais ! proteste-t-elle.
Je hausse les sourcils, pas convaincu. Elle croit devoir soigner les maux de tous les hommes.
- Si, c'est ce que tu fais.
- Ce n'est pas parce qu'il est riche qu'il est heureux.
Le bonheur du grand ponte de l'immobilier me passe totalement par-dessus la tête. Parce que maintenant, j'en ai la certitude :
- Il baise avec toi.
Olga s'arrête net, et se plante devant moi, les yeux dans les yeux.
- Merde, Jack, je t'en prie ! S'il te prend l'envie d'assassiner tous ceux qui baisent avec moi, tu vas te retrouver avec la moitié de la ville sur les bras.
Je sais. Mais ce type-là me parait être un bon début.
- J'aurais préféré que tu fasses connaissance avec Marius enchaîne-t-elle en reprenant la balade. Tu te serais entendu avec lui. Ce club n'est pas son seul business, il a une boîte de films érotiques. C'est un très bon ami, avec qui j'ai l'habitude de travailler. On se réoriente souvent entre nous des filles qui cherchent un travail. Certaines s'imaginent actrices pour le côté paillettes, mais l'univers du showbiz ne convient pas à tout le monde. S'il reçoit en entretien des filles qui ont une certaine classe, de la conversation et un bon sens du relationnel, il me les envoie directement. A l'inverse, il arrive que des filles postulent chez moi, mais qu'elles manquent de finesse d'esprit. Dans ce cas, je les expédie à Marius. Et il ne baise qu'avec ses actrices, ajoute-t-elle avec un regard entendu.
La brise salée de la nuit détache des mèches de son chignon lâche, et les fait virevolter dans sa nuque, autour de ses yeux, sur ses lèvres. Je voudrais faire disparaitre tous les Anton et les Marius, et même Radek. Je voudrais qu'elle m'appartienne. Mais les roses seraient elles si belles, si elles n'avaient pas d'épines ?
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