Chapitre 1 - Journal intime

La garce ! Oser venir me cracher à la figure sa vingtaine pas encore révolue ! Dans ma propre maison !

Pardon, cher Ami. Je ne t'ai même pas salué tellement cette pseudo journaliste m'a mise hors de moi. Tu l'aurais vue, débarquer ici, avec l'insolence de sa jeunesse, dans son style décontracté veste en jean - baskets. Pas une once de maquillage autour de ses yeux bleus, pour
quoi faire ? Pour cacher quelles rides ?

Elle voulait tout savoir, elle a demandé des détails, je lui en ai servis de bien croustillants. Qu'elle aille écrire tout cela dans son livre si elle l'ose, ou bien qu'elle aille pleurer toutes les larmes de son corps. Ou même qu'elle aille au Diable, je m'en moque.

J'aurais pu la faire jeter dehors, mais la curiosité m'a piquée. A la seconde où elle a prononcé le nom de Jack, une vague d'émotions a submergé mon cœur, et m'a replongée dans cette drôle d'époque où mon destin était lié à Sergueï.

Je donnerais tant pour savoir ce qu'il est advenu de Sergueï. Je repense à son visage avec ses petites rides au coin des yeux, ses mains tatouées jusque sur les doigts, je le revois jouir dans ce lit grinçant qu'il me promettait chaque fois de changer rapidement, et je l'entends encore rire.
Oh, ce rire qui se moquait de tout, qui devait agacer jusqu'à la Mort elle-même. Je veux croire les optimistes, je veux croire qu'il est vivant quelque part, à l'abri. Où que tu sois, Sergueï, j'espère que tu es heureux et je t'envoie tous mes baisers.

Mais en me remémorant tous ces souvenirs, j'ai également pensé à Jack, et cela je ne m'y attendais pas. Je me rappelle bien de lui, dix-sept ans n'ont pas suffi à effacer les détails de ma mémoire.

Je me souviens qu'il avait une force en lui qui lui permettait de garder son cap sans jamais dévier. Je me souviens que j'aurais mis ma vie entre ses mains sans l'ombre d'un doute malgré son jeune âge. Je me souviens même de sa façon de fumer ses cigarettes, assis tout seul dans un coin de la salle, son regard sombre fixé sur moi pendant que je servais les clients.

Cette bécasse m'a demandé si je voudrais le revoir. Je lui ai affirmé que non, bien évidemment, quelle idée folle ! Mais je m'interroge. Crois-tu qu'il se rappelle de moi ? Au fond de moi, j'ai très envie de voir l'homme qu'il est devenu.

J'entends l'angelot perché sur mon épaule qui me dit "Ne fais pas ça, chérie, tu vas te faire du mal", et de l'autre côté, son homologue diabolique aux yeux noirs comme le gouffre
infernal, aussi noirs que ceux de Jack, qui me murmure en tirant distraitement sur sa queue fourchue "Qui ne tente rien, n'a rien."

J'ai 45 ans, cher Ami. Puis-je encore être sa perfection ?

Il est tard, mais je vais lui écrire. Et je vais donner la lettre à Loreleï cette nuit même, sinon demain, à la lumière du jour qui dissipe les rêves, je risquerais de changer d'avis.

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