LXXII
/Quelques phrases du chap précédent #71~
Nous suivîmes alors tout ce beau monde dans une salle à part, pour y passer le reste de la soirée. Jeremy dans un silence presque morbide, refusant d'évoquer ce qu'il avait subi, et moi, noyée dans mes larmes et dans les flashbacks incessants qui m'empêchaient de reprendre mon calme.
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« Tu n'as rien oublié, sûre ?
-Maman, je n'avais rien apporté, je te rappelle. C'est toi qui m'as amené des affaires. »
Je m'étais mise à sourire avec ma mère. Elle avait toujours été comme ça, un peu tête en l'air. Comme moi.
« Où est Papa ?
-Il est déjà en bas. Il discute avec ton ami, le roux.
-Jeremy ? Il sort aussi aujourd'hui ?
-Non, il est là pour toi. Il nous a dit qu'il sortait dans une semaine.
-Une semaine... Alors il va mieux. »
Aujourd'hui, c'était le grand jour pour moi. Pour mes amis, et aussi ma famille. Après plus d'un mois et demi, je pouvais enfin sortir de cet hôpital et retrouver la « vie normale ».
Mes blessures étaient en partie toutes guéries. Ma jambe et mon bras plâtré étaient encore un peu fragiles, mais j'avais l'accord des médecins qui me suivaient pour pouvoir enfin sortir. Depuis mon arrivée ici, j'avais repris du poids et ma santé s'était beaucoup améliorée.
Mes nouvelles lunettes de vue sur le nez, j'observai une dernière fois ma chambre blanche avant de la quitter, avec un petit sac en main contenant les quelques affaires amenées par mes parents.
Dans les couloirs nets et propres, les gens nous regardaient tous avec de grands yeux. Des messes basses se faisaient plus nombreuses quand Nadia sortit de l'ascenseur au bout du couloir.
« Elie ! Eliiiiiie ! »
Elle me sauta dans les bras et je faillis tomber à la renverse. Nous rîmes ensemble avant de descendre au rez de chaussée. Là, un petit comité nous attendait. Des médecins et des agents de police essentiellement. Et bien sûr mon père et Jeremy.
Tous deux s'avancèrent plus près pour nous enlacer.
« Je suis content que tu puisses enfin sortir, Elie.
-Jeremy..., fis-je doucement en m'approchant.
-Alma est partie la semaine dernière, tu es la deuxième de nous quatre. Tu vas enfin pouvoir passer à autre chose.
-Ouais... C'est une bonne chose. Ma mère m'a dit pour toi... C'est génial, tu vas aussi sortir bientôt ! Et Milan ?
-Je vais rester le plus longtemps possible avec lui.
-Alors, prends bien soin de lui... »
Le jeune roux me serra un peu plus entre ses bras, laissant tomber ses béquilles.
« Elie », fit mon père en se rapprochant.
Jeremy ramassa ce qui lui appartenait et se recula, pour que mon père puisse prendre pleinement la parole.
« Ces messieurs de la police vont t'accompagner jusqu'à chez toi.
-Euh... Oui mais... Je...
-C'est une question de sécurité. Regarde dehors. »
Je m'avançai dans le hall d'entrée, personne ne rentrait. À l'extérieur, une foule noire de journalistes, appareils photos dans une main, caméras de télévisions dans l'autre. Le tout retenu par des policiers, bloquant l'entrée principale de l'hôpital.
« Mais... Qu'est-ce qu'ils font là ?
-A ton avis, rétorqua Nadia. Tu fais partie des survivants des centaines de kidnappings des Rôdeurs. C'est un fait divers à absolument couvrir.
-Les médias sont en boucle depuis des semaines sur vous, annonça un des policiers. Alors, comprenez bien que si vous sortez, ils vont vous tomber dessus pour vous lyncher de questions semblables.
-Alma a eu la même sortie triomphante quand elle est partie, déclara Jeremy. On va tous y avoir droit.
-Mais je n'ai pas envie de leur parler moi... Je...
-Ils vont tous faire pour vous faire parler. Nous allons donc procéder à une sortie rapide. Une voiture de police vous attend à la sortie de l'hôpital. Nous allons vous y escorter le plus rapidement possible, en empêchant au maximum les médias de vous approcher.
-Il y aura des photos, des tonnes de personnes vous appelant, reprit le premier policier. Mais ne répondez pas. Compris ?
-Je ne compte pas vraiment leur parler... C'est... C'est encore trop frais..., murmurais-je les larmes montant aux yeux.
-Elie... »
Nadia et Jeremy s'approchèrent pour me rassurer. Le roux pencha sa tête sur le côté et eut un sourire amical.
« Nous allons sortir en premier, déclara mon père. Notre voiture est gardée par d'autres agents. Nous allons ouvrir le chemin jusqu'à chez nous.
-Nous ?
-Nous vous emmenons chez vos parents pour quelques jours, le temps que vous vous remettiez sur pieds dans votre quotidien.
-D'accord. »
Je passais une main dans mes cheveux, un peu prise de court par toute cette organisation.
« Nous allons assurer votre protection pendant plusieurs semaines, voir plusieurs mois. Jusqu'au procès, plus exactement. Ne vous en faites pas, tout va bien se passer.
-Jusqu'au procès..., pensais-je en mordant ma lèvre inférieure.
-Tenez. »
Une policière me tendit une paire de lunettes de soleil et un sweat à capuche noir.
« Enfilez ceci.
-Merci. »
Ma paire de lunettes mise et le sweat par-dessus mon pull, je me sentais comme un appât. Toute l'attention allait être tournée vers moi, je détestais ça.
« Essayez de montrer le moins possible vos émotions, compris ?
-Oui.
-Bien. Restez ici. Dans cinq minutes, nous allons y aller. »
Les agents de police commençaient à ouvrir les portes et à discuter avec les autres policiers dehors, calmant les journalistes au passage qui s'excitaient à la vue de notre petit groupe dans le hall. Les flashs commençaient à crépiter alors que nous étions très éloignés.
Alors que je restais en retrait de l'entrée, je regardais des médecins au loin, dans un couloir peu éclairé. Ils parlaient entre eux, comme si ils disaient des choses que personne ne devait entendre. L'un d'eux passa vers moi après quelques secondes. Mon regard se posa sur lui. Quelque chose me dérangeait. Un tatouage dépassait légèrement de sa nuque.
Le médecin tenait des papiers en mains, qu'il posa sur un des bureaux des standardistes et discuta avec une femme.
En plissant les yeux, je vis une liste de noms. Certains barrés. Puis il se mit à parler fortement en croisant un médecin.
« Édouard, vous faites votre permanence demain soir !
-Compris, docteur ! A demain soir ».
J'eus alors un flash.
« ELIE !
-Heryk...
-Vous ne devriez pas être ici. »
Je me tins alors la tête violemment. Nadia me prit contre elle, et je me mis à pleurer. Je ne me souvenais presque de rien. Mais ces mots m'avaient marqué. Qu'est-ce qu'il s'était passé ? Et puis, où est-ce que j'étais ?
« Nous allons y aller. Vous êtes prête ? Mademoiselle Gliver ?
-Ça va... C'est rien... Pardon...
-On se revoit vite, okay ?, murmura Jeremy près de mon oreille.
-O-Oui... Prends soin de toi, et de Milan. »
Les agents de police se placèrent tout autour de moi. Mes parents étaient déjà partis devant et les voix à l'extérieur s'étaient élevées d'un seul coup.
Nous entamâmes des premiers pas. Puis nous passâmes les portes. Une bourrasque d'air glacial nous parvenait et me gela le bout du nez.
Bien camouflée sous mes vêtements, je faisais mine de ne rien entendre des journalistes qui hurlaient tout près de moi leurs questions, et des crépitements des appareils photos.
Mais la foule était si compacte, que nous avions du mal à avancer. Les policiers faisaient comme ils pouvaient et faisaient reculer les journalistes du mieux qu'ils étaient capables. Leur véhicule était loin. Trop loin pour que je puisse faire semblant de ne pas écouter ce que disaient les journalistes.
« Mademoiselle Gliver ? Comment vous sentez-vous ?
-Que s'est-il passé le jour de votre enlèvement ?
-Répondez ! Mademoiselle Gliver !
-Les Rôdeurs vous ont-ils fait du mal ?
-Combien étaient-ils ? Et où est leur repère ?
-Elie ! Elie Gliver, une question s'il vous plait ! »
J'aurais voulu leur lancer : « fermez vos gueules ! et laissez-moi tranquille », mais je me tus. A chaque question, je replongeais dans le cauchemar partiel que j'avais vécu, pendant près d'un an. Je ne voulais pas en parler. Je ne voulais plus. C'était déjà une torture d'expliquer les grandes lignes de notre séquestration à des gens plutôt de confiance comme les enquêteurs. Même avec Jeremy, Nadia ou mes parents, c'était dur.
Les larmes commencèrent à dégouliner le long de mon visage, mes mains serrèrent la capuche qui était sur ma tête, et ma bouche se déformait au fur et à mesure que nous traversions cette foule interminable de vautours journalistes.
« Ne montre rien, Elie... Ne montre rien..., me disais-je.
-DÉGAGEZ LE PASSAGE ! ELLE NE FERA AUCUNE DÉCLARATION ! LIBÉREZ LE CHEMIN ! »
Un des policiers me prie par l'épaule et me fourra dans une voiture de police. La porte claqua et les journalistes se ruèrent contre la voiture, essayant d'avoir au moins un mot de ma part.
Les yeux fermés, je m'efforçais d'effacer les images atroces qui se reprenaient formes dans mon esprit. Le véhicule blanc démarra en trombe et nous partîmes de l'hôpital. Nadia était à mes côtés. Je mis alors ma ceinture et retirai ma capuche, ainsi que mes lunettes. Sans pouvoir me retenir, je fondai en pleurs, mains contre le visage.
Mon amie passa sa main dans mon dos et tenta de me calmer. Mais la douleur était trop forte. J'avais une plaie qui n'avait pas été soignée. Tout au fond de moi. Elle était encore béante. Bien vive. Bien fraîche. Elle n'était pas prête à se refermer de si tôt.
Le paysage défilait à toute vitesse. Les larmes étaient sèches, et je m'étais enfin calmée.
Mon regard était vide, posé sur les arbres, au loin, dans les montagnes. Je réfléchissais. Au fond, les vraies victimes n'étaient peut-être pas celles que je croyais. Ces monstres étaient bien plus dangereux que ce que je pensais. Quand je pensais aux « monstres », je voulais dire ceux qui contrôlaient les Rôdeurs : les agents et surtout le « chef supérieur ». Les Rôdeurs étaient des pions. N'est-ce pas ?
Je ne voulais plus penser à tout cela. Je ne souhaitais plus revivre un tel calvaire. Quelque part, c'était une bonne chose qu'ils se soient rendus. Ils n'allaient plus faire de mal à personne. Cela me soulageait.
Maintenant, j'allais pouvoir vivre comme une jeune adulte. Une vraie jeune femme. Continuer mes études, trouver un travail et passer du bon temps. Être libre de faire ce que j'ai envie. Mais je savais qu'avant, j'allais devoir laisser ma blessure invisible me faire du mal et me torturer. J'allais devoir faire face à ce qu'il s'était passé et replonger dans l'horreur. Juste pour un certain temps. Le procès allait bientôt avoir lieu, des interviews allaient se faire, des témoignages allaient être pris en compte. Il allait me falloir du temps pour pouvoir penser ma lésion, pour pouvoir vivre enfin, et surtout, pour pouvoir tourner la page. Sans oublier. Oui, sans oublier.
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N°72~ chapitre dernier
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