II - La Mère déçue
I
J'ai longtemps vécu : mille vies et une seule
Pour parvenir à toi. J'ai vu les premiers
Fourmillements du monde. Je suis son aïeule
Aux traits de pierre inchangés. J'ai vu les lauriers-
Roses couvrir la Terre comme des linceuls.
J'ai trop longtemps vécu dans l'ombre de mes ombres.
J'ai erré dans la nuit, fantôme des esprits
Que j'avais enfantés ; mes fils dont le nombre
Dépasse enfin celui de mes années. Je prie
Pour qu'un jour mon âme sorte de la nuit sombre.
II
Témoin de cent mille ans aux traits hiératiques
D'une mère déçue mais qui ne juge pas,
J'ai vu mes fils dans l'exaltation mystique
Se perdre et oublier leur authentique foi ;
Délaisser le Vrai pour l'angoisse liturgique.
Les hommes ont abaissé les idoles qu'eux-mêmes
Avaient érigées dans des temps plus reculés.
Les hommes ont bafoué les serments qu'ils essaiment :
Des mots perdus au vent qui sagement se tait
Sans blâmer les parjures qui murmuraient « Je t'aime ».
Les hommes ont oublié leur Mère véritable
Qu'ils ont remplacée par une face sévère
Qui les juge et les blâme et leur promet le Diable
Pour le péché d'aimer l'existence sur Terre
Sans lever les yeux vers un Ciel inatteignable.
III
Parvenue à toi du fin fond de la nuit
J'abandonne la Mère, je laisse la Déesse ;
Dans ce corps mortel, mes devoirs que je fuis
Ne me rappelleront pas, mon rôle enfin cesse.
Je ne veux plus que toi dont le sourire luit.
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