Chapitre 5.
Salem, lundi 24 mai 2021
14h30, hôpital surnaturel
Le docteur Fisher a quitté la chambre il y a dix minutes et depuis, c'est silence radio. Alistair est incapable de prononcer un mot, ce que respecte Riley. Les plaies du loup-garou sont à nouveau bandées et il a enfilé un tee-shirt. Avant que le médecin ne sorte, il lui a demandé de dire aux autres qu'il n'était pas prêt à recevoir de la visite. Ce qui explique que Gordon, ou Sidney, n'est pas déboulé.
Riley observe son meilleur ami, en se pinçant la lèvre. Alistair est allongé sur les coussins, les yeux fermés, mais il perçoit son coeur tiraillé. Tant pis, il ne peut pas se retenir plus longtemps.
- Tu as entendu ?, demande le phénix sans avoir à donner plus de précisions pour être compris.
- Mmh, marmonne Alistair. Je n'avais pas réalisé que j'étouffais mon mari.
- Ce n'est pas ce qu'a dit Sidney.
- Je sais, j'ai entendu ce qu'il a dit.
- Tu es en colère.
- Oui, parce qu'il ne me l'a pas dit.
Pourquoi Sidney ne lui a pas expliqué ce besoin, désespéré, de se trouver lui-même ? Il aurait compris et lui aurait laissé de l'espace. Il n'est pas vraiment énervé contre son mari, mais contre lui pour ne pas avoir su déceler le mal-être de Sidney. Qu'est-ce que ça fait de lui en tant qu'âme-soeur ? Sa priorité a toujours été le bonheur de sa moitié. Quand a-t-il perdu cet objectif de vue ? Peut-être qu'après toutes ces années, et cinq ans de mariage, il a pris leur couple pour acquis.
Sidney l'aime, Alistair n'en a jamais douté, mais l'entendre de sa bouche soulage son coeur meurtrit. La détresse de son mari lui fait de la peine.
- Vous devez parler sérieusement de tout ça, lui conseille Riley.
- Tu as raison. C'est juste que pour une fois, je ne comprends pas mon âme-soeur.
- Alors laisse-lui t'expliquer, ne laissez pas des non-dits gâcher votre histoire.
- Je sais, soupire Alistair.
- Je vais lui dire qu'il peut venir.
Le noiraud acquiesce, tandis que Riley se lève. Il ferme les yeux et tente de contrôler son rythme cardiaque. Avant de partir, son meilleur ami lui assure que tout va bien se passer. Il aimerait en être aussi certain, mais ça l'effraie de ne plus être sur la même longueur d'onde que Sidney. En parlant du loup, Alistair l'entend s'approcher de la chambre. Leurs coeurs et leurs âmes sont toujours connectés.
Il rouvre les paupières au moment où des coups sont frappés contre la porte. Il n'a pas le temps de répondre que Sidney pénètre dans la pièce. Le blond reste sur le seuil, les bras ballants, les yeux brillants de larmes qui ne demandent qu'à sortir. Les deux hommes se dévisagent de longues secondes. Alistair refuse de malmener son mari plus longtemps.
- Viens, lui dit-il en tendant sa main vers Sidney.
Celui-ci s'empresse de le rejoindre et de récupérer ses doigts dans les siens. Il s'assoit sur le lit, faisant fi de la chaise abandonnée par Riley. Sa respiration laborieuse, indique à Alistair qu'il retient ses pleurs. Ses yeux bleus sont translucides, tellement ils sont remplis d'eau. Son coeur pulse au rythme des émotions qui l'assaillent et se contre-disent, la tristesse de voir le noiraud dans ses états, de connaître ses blessures ainsi que le contexte dans lequel elles ont été infligées et le bonheur de l'avoir retrouvé.
- Je vais bien, tente-t-il de le rassurer.
- Mais tu as mal, ils t'ont fait du mal, lui rétorque Sidney.
Les dernières barrières du shaman s'effondrent. Il libère ses larmes en basculant sa tête sur l'épaule d'Alistair. Il s'accroche à sa main de toutes ses forces. Le loup-garou lève son bras gauche pour cajoler son dos. Il n'avait pas réalisé à quel point il avait besoin de voir et d'éteindre son mari, avant de l'avoir contre lui. Il se gorge de la présence de Sidney, grâce à elle, il retrouve un peu de vitalité. Assez pour faire remonter ses doigts dans les cheveux blonds.
- Je suis désolé, souffle Sidney.
- Ce n'est pas de ta faute.
- Si. J'ai été incapable de te protéger ou de t'aider. Je n'ai servi à rien.
- C'est faux, le contre Ali. Tu m'as aidé à tenir le coup là-bas. On ne peut pas se reposer tout le temps sur tes pouvoirs.
Après une grande inspiration, Sidney se redresse. Ali sèche ses larmes de son pouce, il laisse volontairement sa main sur la joue de son mari. Celui-ci ferme les yeux pour savourer la caresse, la tête penchée contre l'étreinte. Son visage est tiraillé par une culpabilité qui n'est pas la sienne.
Sidney, à l'instar de tous les shamans, est trop sensible. Il se préoccupe plus des autres que de lui-même, refuse de blesser les gens qu'il aime, quitte à souffrir à leur place. Il serait prêt à se sacrifier pour sauver quelqu'un. Sa priorité sera toujours les autres. Alistair réalise, en observant la fragilité de son mari, que ce fardeau peut être lourd à porter. Il commence à le comprendre.
- Parle-moi bébé, lui demande-t-il d'une voix douce, en retirant sa main.
Le blond le regarde avec un sourire où transparaît son chagrin. Après 28 ans de vie commune, Alistair mérite des explications claires et nettes. Avant aujourd'hui, ils n'avaient jamais eu de problèmes de communication. Qu'est-ce qui leur est arrivé bordel ?
- Je t'aime, murmure Sidney. N'en doutes jamais.
- Je sais et je t'aime aussi.
Alistair est ému par cette confession. Il est soulagé d'entendre ses mots de la bouche de son mari. Ça n'avait pas été le cas depuis mars. Pendant une fraction de seconde, Sidney semble aussi heureux que lui, puis la tristesse transforme ses traits. Alors à son tour, Ali décide d'être honnête.
- Je t'ai entendu tout à l'heure quand tu parlais avec Asa et Leighton, le prévient-il.
Sidney perd le peu de couleurs qui lui restent. Alistair le rassure en caressant sa main qu'il retient toujours prisonnière dans la sienne. Il n'a qu'une envie, c'est d'attirer Sidney contre lui et le garde à l'intérieur de ses bras. Cela fait une éternité qu'ils ne se sont pas embrassés et c'est en train de rendre fou le loup-garou. Malgré ce besoin qui lui brûle les entrailles, il se montre patient. C'est à lui de faire de Sidney sa priorité. D'une pression sur ses doigts et d'un sourire, il encourage son mari à poursuivre.
- Je n'ai jamais voulu te faire de la peine, dit le blond sincère. Tu es ce que j'ai de plus précieux au monde.
- Toi aussi, tu le sais.
- Oui, mais...
- Qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi tu as voulu faire une pause ?, lui demande Ali. Explique-moi.
- Pour les raisons que tu as entendues.
- Je t'étouffe ?
- Non !, s'empresse de répondre Sidney.
Ils étaient heureux ensemble et le blond n'a jamais laissé Ali penser le contraire. La vérité, c'est qu'il ne sait pas comment aider son mari dans sa quête de découverte de lui-même. Une lumière s'éclaire dans son esprit et les mots de Sidney prennent tous leur sens. Notamment la phrase, « j'ai fait ma vie en fonction de mon pouvoir de shaman ».
Un nouveau souvenir apparaît. Sidney choisissant ses matières, sous les conseils de son père, puis son cursus à la fac. Sous prétexte qu'il devait faire un métier où ses facultés seraient correctement exploitées et utiles. Dès sa deuxième année en médecine, alors qu'ils étaient tous les deux à Boston, ses parents l'ont orienté vers la profession de légiste. Sur le moment, Alistair était persuadé que Sidney était d'accord et satisfait de ce choix. Tout comme il l'était de venir dans le Massachusetts.
- Est-ce que tu regrettes d'être venu ici et d'être légiste ?, s'inquiète Alistair.
- Je ne sais pas. Quand tu m'as demandé si je voulais m'installer à Boston, j'ai accepté parce que tu rêvais d'entrer dans la police de Salem et c'était pour moi l'occasion de m'éloigner de mes parents. Donc non, je ne regrette pas que nous ayons déménagé.
- Et pour tes études ?
- Je ne sais pas, répète Sidney. Quand j'ai été accepté en fac de médecine, ils étaient si fiers, je ne voulais pas les décevoir.
- Au détriment de tes propres envies. Qu'est-ce que tu voulais faire ?
- Vous rendre heureux.
À l'époque, c'est tout ce qui préoccupait Sidney. Alistair réalise autre chose. Son mari n'a jamais pris le temps de se poser et il a besoin de le faire maintenant, à l'orée de ses 30 ans. Lui, il a toujours su ce qu'il voulait faire de sa vie, de son avenir. S'il se met deux secondes à la place de Sidney, il comprend que cela peut être frustrant. Qu'est-ce que cela fait, de regarder derrière soi et de se rendre compte que l'on mène une existence dictée par autrui ? Cela doit être fatiguant de vivre pour faire plaisir aux autres. Il ne vaut pas mieux que ses manipulateurs de beau-parents et ce ne sont pas les seuls à blâmer.
- Sidney, prononce Ali, le coeur brisé pour son homme.
- Parfois je me dis que même notre relation, on ne l'a pas choisi, le destin l'a fait pour nous.
- Le destin nous aide à savoir qui est la personne faite pour nous, explique-t-il calmement alors qu'il est blessé par les propos du blond.
- Je sais et je me suis toujours considéré comme chanceux de t'avoir rencontré dès ma naissance.
- Alors pourquoi tu sembles le regretter ?
- Je ne le regrette pas, affirme Sidney. Tout est confus dans ma tête.
Alistair commence à mieux comprendre son mari. La fin de ses études et son poste titulaire à la morgue, l'ont fait cogiter. Lorsque le shaman a appelé ses parents pour leur annoncer la nouvelle, ils ont dit une phrase qui l'a bouleversé : « c'est ce que nous voulions pour toi ». Cela a été le déclencheur de tout. Après ce jour, Sidney s'est questionné continuellement sur sa vie. Ali a été aussi aveugle ou avait-il juste des oeillères ?
Comme toujours, il peut lire en son mari et aujourd'hui, il voit réellement le problème. Sidney ne voulait pas qu'ils se séparent, mais en prenant cette décision, il lançait un appel à Ali, qu'il n'a pas su déchiffrer. Il signifiait « au secours, je suis perdu, aide-moi ». Ce n'est pas Sidney qui l'a laissé tomber, mais l'inverse. C'est lui l'égoïste du couple. Pourtant, Sidney lui a envoyé des signaux d'alerte, qu'il n'a pas su interpellé. Il a tout fait de travers.
Tant bien que mal, Alistair se redresse et avant que Sidney proteste, il l'enferme dans ses bras. Le blond se laisse aller, n'ayant aucune envie de lutter. Cette fois, Ali a les mots justes pour soutenir son mari.
- De quoi tu as besoin, là tout de suite ?, le questionne-t-il.
- Je ne sais pas Ali, je ne sais pas.
Sidney se remet à pleurer, la tête enfouie dans son cou. Faisant fi de la douleur, Alistair raffermit sa prise autour du shaman. Il est déboussolé, égaré dans ce flux de perspectives qui s'ouvre à lui, parce que pour une fois, il doit penser à ses désirs. À Alistair de trouver la meilleure façon de lui venir en aide sans l'asphyxier. Non, ils vont la trouver ensemble. Ils vont se soutenir mutuellement.
- Bébé, souffle-t-il et il sent Sidney trembler contre lui. Je veux que tu prennes le temps de réfléchir à cette question, d'accord ?
- Oui. Est-ce que je peux m'allonger contre toi ?, murmure le shaman timidement.
- Bien sûr.
Le monitoring s'affole, en écho à son rythme cardiaque, satané machine qui mesure son pouls. Cependant, ils l'ignorent tous les deux. Tant bien que mal, Alistair se décale afin que Sidney prenne place à ses côtés. Cela lui rappelle leur adolescence quand ils allaient chez l'un ou chez l'autre et leur lit une place. Le visage clair de son mari se colore de rouge, il n'a jamais pu cacher ses émotions. Il se couche sur le côté et pose sa tête sur l'épaule d'Alistair. Leurs doigts s'entrecroisent entre les corps.
Ils laissent le silence les envelopper. Sidney doit prendre le temps nécessaire pour répondre à la question d'Alistair. Le loup-garou reste donc immobile et patiente. Il profite de leur proximité, d'avoir la peau de Sidney contre la sienne. De longues minutes s'écoulent sans qu'aucuns mots ne soient échangés.
Puis enfin, le blond s'exprime d'une petite voix peu assurée.
- J'ai besoin de découvrir qui je suis, en dehors d'un shaman et ton mari.
Alistair retient la réponse qui lui vient en premier. Lui, il sait qui est son âme-soeur et n'a pas le moindre doute là-dessus, mais il va laisser Sidney répondre à cette question par lui-même. C'est pour cela qu'il réplique quelque chose de plus approprié.
- Sans moi pour t'influencer.
- C'est là où c'est compliqué, parce que je sais au fond de mon coeur que j'ai besoin de toi Ali. J'ai cru mourir pendant ces deux jours, pendant ces neuf semaines.
- Qu'est-ce que tu attends de moi alors ?, demande le noiraud confus.
- J'ai besoin de savoir que tu me soutiens et que tu ne m'en veux pas pour ce que je nous inflige.
- Je te soutiens sois-en sûr et je ne t'en veux plus autant qu'avant.
Tout en dans la nuance du terme utilisé. Il sourit à Sidney, appuyant ses paroles. Il lui en a voulu pour ne pas lui avoir dit ce qui lui pesait tant. Sidney pourra s'épanouir totalement, uniquement seul en ayant la certitude que son âme-soeur est derrière lui.
C'est avec un naturel déconcertant que leurs visages se rapprochent et que leurs lèvres entrent en contact. Ils soupirent de bien-être tous les deux. Leur premier baiser depuis leur séparation. Ils s'embrassent avec douceur, sans empressement, mais avec tout l'amour qu'ils éprouvent l'un pour l'autre.
Ali n'a connu que Sidney et inversement, jamais il ne l'a regretté et il sait que son mari non plus. Ils ne désirent pas faire des expériences avec d'autres hommes. Ce n'est pas l'un des problèmes de Sidney et c'est pourquoi Alistair accepte aussi facilement cet arrangement.
- Tout ce que je veux, c'est que tu sois heureux, lui annonce le loup-garou.
- Merci.
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