Chapitre 3.

Salem, dimanche 23 mai 2021
18h, vieil entrepôt abandonné

Les bras d'Alistair commencent à vraiment le faire souffrir. Tout son corps le tiraille dû à la position inconfortable qu'il subit depuis des heures. En même temps, les chasseurs ne l'ont pas installé pour qu'il se sente à son aise. Les décharges électriques qu'il reçoit toutes les minutes l'empêchent de guérir. Ses poignets sont lacérés à cause des sangles qui les retiennent. Son torse est parsemés d'entailles. La douleur lui fait tourner la tête, mais il ne déposera pas les armes.

Plutôt mourir tout de suite que d'admettre que ses blessures lui font un mal de chien. Il ricane de l'expression choisie. Un mal de chien, c'est assez ironique pour un loup-garou. Un mal de chien ! Il ne se savait pas aussi drôle. Il n'a jamais douté de son humour, comparé à Sidney. Sidney, son doux mari qui ne veut plus de lui.

Bizarrement, le souvenir qui lui revient en mémoire, ce n'est pas celui du jour de leur séparation. Ni celui où il a su que Sidney est son âme-soeur. Non, c'est celui où Sidney lui a avoué ses sentiments, il avait 15 ans et Alistair 17. Ils ont toujours eu conscience de leur lien, mais ils étaient si jeunes. Alistair étant plus vieux de 2 ans, il a laissé le temps à Sidney de venir vers lui, quand il serait prêt et assez mature pour se lancer dans une relation.

Il le revoit, ses joues rouges de gêne, alors qu'il savait bien avant de se confesser que son amour serait partagé. C'était un soir de pleine lune, la première qu'Alistair passerait en alpha affirmé, il était si stressé, il avait peur de perdre sa rationalité. Sidney l'a rassuré, pris dans ses bras, avant de lui souffler qu'il l'aimerait toujours, quoi qu'il arrive. Il a déposé un baiser timide sur ses lèvres, mais qui lui a donné le courage nécessaire d'affronter cette pleine lune. Le lendemain, ils ont échangé leur premier véritable baiser.

Ce jour a marqué le début de leur relation et à chaque pleine lune, Alistair y repense. C'est ce souvenir qui le maintient dans la réalité à l'heure actuelle. Depuis quand il n'a pas embrassé son mari ? Des semaines. Au moins, ses flash-back lui permettent de revivre ses moments. Il peut presque sentir les lèvres de Sidney sur les siennes. Ou alors il devient fou. Les chasseurs lui ont injecté un produit.

Un gars lui a posé des questions, pendant qu'un autre le torturait. Il n'a pas pu voir leurs visages à cause des cagoules qu'ils portaient, mais il s'est concentré sur leurs voix. Il pourrait les reconnaître n'importe où. Lorsque ses collègues l'auront libéré et qu'il aura retrouvé ses griffes, que ses enfoirés lui ont arrachées, il leur tranchera la gorge. Il a déjà mille scénarios pour les faire souffrir à leur tour. Son égo d'alpha va mettre du temps à oublier cette humiliation.

Il a confiance en ses collègues, ils le retrouveront. Peut-être même avec l'aide de Sidney, s'il compte un tant soit peu pour lui. Alistair ferme les yeux quand une autre décharge électrique le traverse, il sert les poings sous la douleur, mais refuse de crier pour l'exprimer. Son corps tremble. L'odeur de sa propre urine l'empêche de détecter un quelconque parfum. Parce qu'évidemment, ses bâtards de chasseurs ne l'ont pas laissé vider sa vessie, d'une autre façon que sur lui. Cette dégradation, leur donne un pouvoir de supériorité, qui est nécessaire. Mais bordel, sa fierté va avoir du mal à s'en remettre.

D'ailleurs, cela fait un moment que ses ravisseurs ne sont pas venus s'amuser avec lui. Il tend les oreilles afin de percevoir un bruit. Il doit puiser dans ses dernières forces pour réussir à se concentrer sur son ouïe. Il a l'impression d'entendre de l'agitation plus loin. Il lui semble reconnaître une voix familière, mais est-ce réel ou son imagination lui joue des tours ? Vu son état, il ne s'est pas s'il tient à ce que ses collègues le retrouvent. Bordel que ce sera embarrassant. Il n'est pas prêt de se porter volontaire pour une autre mission.

Finalement, il s'en fait plus pour sa fierté mise à mal que pour ses blessures qui elles, guériront d'un claquement de doigts. Il rigolerait presque de l'absurdité de ses pensées. Parfois, les alphas n'ont pas le sens des priorités.

Des coups de feu se mettent à résonner dans le hangar. Alistair relève la tête, aux aguets. Cette fois, il entend clairement crier. Il reconnaît les voix des membres de son unité. Ils ont fait vite pour le localiser, à moins que... Est-ce grâce à Sidney ? Peut-être que son mari a eu une vision et a aidé ses collègues, ce qui a accéléré la mission.

L'espoir lui redonne un regain d'énergie, suffisamment pour signaler sa position.

- Je suis là, dit-il d'une voix faible, mais il espère que l'ouïe développée de Gordon le repère.

Il répète cette phrase un peu plus forte, autant que le peut sa gorge sèche. Il a besoin d'un grand verre d'eau, non de deux et d'un énorme burger. À défaut de pouvoir être avec son mari. Sidney lui manque. Il ne demande pas grand-chose, juste de le serrer dans ses bras. Sidney est si petit, si frêle comparé à lui et à sa carrure de colosse. Alistair a toujours aimé cette différence de corpulence entre eux. Son instinct de protection s'en délecte. En fait, il sacrifierait un burger contre une étreinte de son mari. Son âme en a désespérément besoin.

Au moment où il va se morfondre un peu plus, la porte du local s'ouvre avec fracas. Un homme habillé de l'équipement spécial intervention de son unité pénètre dans la pièce, armé d'un fusil.

- Gordon, marmonne-t-il soulagé.

Il aurait reconnu son mentor dans n'importe quelle situation, celle actuelle ne déroge pas à la règle. Merci pour sa dignité, le chef est seul. Il avance vers lui, l'arme pointée vers le sol. Il sait que la pièce est vide.

- Ça va fiston ?, lui demande-t-il en retirant son casque de sa main libre.

- Super, j'ai passé un week-end parfait. Merci pour ses vacances gratuites, réplique Alistair pince-sans-rire.

- Désolé de l'écourter, mais il est temps de rentrer, annonce Gordon en commençant à détacher les liens et les électrodes.

- Franchement patron, je peux rester là encore un peu. Le service hôtellerie laisse à désirer, mais...

- Fils.

Le timbre autoritaire, mais affectueux à la fois, coupe net Alistair. Gordon n'est pas dupe et son odorat connaît la raison de ses réticences. Son regard n'a pas à se baisser pour le deviner. Alistair le supplie silencieusement de le laisser seul, de quitter les lieux avec les chasseurs, il se débrouillera pour rentrer. Il ne supportera pas de passer devant ses collègues, le pantalon tâché de pisse.

Ses plans tombent à l'eau lorsque ses bras sont libérés et qu'il s'écroule sur Gordon, sous le poids de son propre corps. Ses jambes ne le portent plus. Il ne réalise pas à quel point il est fatigué. S'il reste dans le hangar quelques jours et qu'il attend de guérir, c'est tout aussi bien.

- Même pas en rêve fiston, le met en garde Gordon, comme s'il pouvait lire ses pensées.

- Patron, me force pas à faire ça.

- Emily est là et elle sera la seule à venir. Laisse-la te mettre sur son foutu brancard.

C'est le moment d'être raisonnable. C'est soit il accepte de lui-même, soit Gordon utilise sa voix d'alpha suprême pour le faire capituler. Emily est ambulancière et loup-garou, c'est toujours elle qu'ils appellent lors d'une intervention. Leur amie infirmière a tout ce qu'il faut pour aider et accélérer leur guérison. Accessoirement, la seule en qui Alistair peut avoir confiance pour préserver le peu de dignité qui lui reste. Avec lucidité, il ne pourra pas se soigner seul.

- Juste Emily alors, cède-t-il à bout de forces.

- Oui.

Le chef appelle l'infirmière, qui attendait derrière la porte. Elle arrive en poussant son brancard. Sans perdre de temps, ils installent Alistair dessus. Il se laisse aller contre le matelas gonflable. Emily est déjà en train de lui faire un garrot afin de lui poser une perfusion.

- Ça va aller fiston, lui assure Gordon, plus pour lui que par conviction.

- Dis-moi que tu as eu tous ses fils de pute ?, demande-t-il la voix hachurée.

- Tous. Ils vont payer.

- Tant mieux. Je te jure Gordon, je vais les tuer.

- Ne bouge pas, lui ordonne Emily, alors qu'il s'agitait.

En une seconde, elle plante l'aiguille à l'intérieur de son coude, puis relie la tubulure à la poche d'hydratation. Elle enclenche tout de suite le débit. Elle passe ensuite une pommade sur les brûlures causées par les électrodes. Pendant ce temps, Gordon place une couverture de survie sur le bas de son corps et la coince sous ses jambes. Ainsi, son pantalon souillé est camouflé.

- Quand tu auras entièrement guéri, je te laisserais une heure avec eux.

- Merci patron, soupire Alistair. Ne parlez à personne que...

- Bien sûr que non. Tu n'avais pas à le préciser fiston.

Emily secoue la tête en signe de négation. Elle sort un flacon de son sac et pulvérise Alistair de parfum. L'odeur d'urine est totalement absorbée. Son honteux secret est camouflé et il va le rester. Son honneur est presque sauf. Il respire de plus en plus difficilement.

- Je vais les tuer, parvient-il à menacer.

- Reste tranquille que je te soigne, lui ordonne l'infirmière.

Il ferme les yeux et grimace de douleur, lorsque Emily palpe ses côtes cassées. Ses enfoirés de chasseur ont imbibé d'aconit toutes leurs armes. Ce qui affaiblit et retarde le processus de guérison. Le point faible ultime des loups-garous. Après son auscultation, Emily détermine qu'il faudra plusieurs potions et beaucoup de repos. Au vu de l'étendue des dégâts, surtout des brûlures, elle décide de poser une autre perfusion d'antalgique au cathéter. L'avantage des patients surnaturels, c'est qu'en général, ils récupèrent miraculeusement de leurs blessures.

- C'est bon, tu es en état d'être transporté, annonce Emily.

- Cassons-nous d'ici, réplique Gordon d'une voix tranchante.

Le chef récupère son arme, puis aide l'ambulancière à pousser le brancard. Alistair est soulagé de quitter cet endroit. Il n'a pas à feindre d'aller bien devant son patron et Emily. Maintenant, il n'a qu'une envie, s'allonger dans un lit confortable. Ce qu'il va faire incessamment sous peu. Ils vont à l'hôpital surnaturel de Salem. En réalité, le bâtiment se situe derrière celui réservé aux humains, mais dissimulé de leur vu. Grâce aux sorcières et à leurs sortilèges de camouflages. Le directeur est un elfe, créature spécialisée dans les soins.

Dès que le trio sort du hangar, Alistair plisse les yeux, à cause du soleil qui agresse sa rétine. Emily poursuit sa route jusqu'à l'ambulance. Cinq agents équipés protègent le véhicule. Tandis qu'ils arrivent, le coeur d'Alistair s'affole, ses narines frémissent lorsqu'une fragmente particulière lui parvient. Ce pourrait-il que... ? Il tourne la tête vers la provenance du parfum, mais tombe sur ses collègues.

- Ali !, hurle une voix qu'il reconnaîtrait entre mille.

Tel un mirage, il voit Sidney débarquer et courir vers lui. Malheureusement, il est arrêté par un agent qui l'empêche d'aller plus loin. Le shaman se débat, essaye d'échapper aux bras puisant qui le retient. Alistair regarde le blond, sans savoir quoi faire. Il ne s'attendait pas à le voir ici. Sa simple apparition suffit à le revigorer. Emily a stoppé son avancée et jette un coup d'oeil à Gordon, eux aussi incertain quant à la suite.

- Laisse-moi passer, s'égosille Sidney le visage rouge de colère. C'est mon mari ! J'ai le droit de le rejoindre, c'est mon mari.

Le coeur d'Alistair fait un bon dans sa poitrine à cette appellation. Seigneur, cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas entendu Sidney le dénommé ainsi. Il lance un regard suppliant à Gordon. Celui-ci finit par acquiescer.

- Laissez-le passer, ordonne-t-il.

À peine l'agent relâche la pression sur Sidney, qu'il court vers eux. Le blond se laisse tomber sur le torse d'Alistair et l'étreint tant bien que mal. Il pleure à chaudes larmes, mouillant sa peau. Le noiraud lève son bras gauche avec difficulté, mais y parvient et pose sa main sur le dos du shaman.

- Ali, couine-t-il.

- Ça va.

- Non ça ne va pas. Je suis désolé.

- Nous devons partir Sidney et emmener Alistair à l'hôpital, intervient Gordon d'un ton neutre.

- Je veux venir avec vous, s'exclame le blond en se redressant.

- Non, répond Ali, la gorge nouée. Ce n'est pas une bonne idée.

- Mais Ali, je...

- Non Sidney, tu ne viens pas.

Choqué par le refus de son mari, Sidney recule et le regarde les yeux exorbités. Alistair le fuit, il fait signe à Emily d'avancer. Gordon bloque le passage au blond. Une fois le brancard installé dans le véhicule, l'ambulancière s'excuse rapidement, avant de fermer les portes au nez d'un Sidney abattu. Cela détruit le loup-garou, mais il refuse qu'il le voit aussi faible, aussi dégradé.

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