Bâton Rouge, dimanche 27 juin 2021
11H30, maison de Virginia

Les téléportations rendent Sidney étourdi à tous les coups. Il serre la main d'Ali dans la sienne, ce qui l'empêche de trop vaciller, ça et la présence de Noelle à sa droite. La sorcière appuie sur la sonnette, tout sourire. Sidney, aussi, ressent une certaine euphorie en ce jour un peu particulier. C'est la première réunion du clan, où ils seront tous là, au complet. Les trois dernières, Ali n'était pas là.

- Salut !, s'exclame joyeusement la cheffe en ouvrant la porte.

- Salut, répond le loup-garou.

- Tonton Ali !, s'écrie la voix de Zoey, derrière sa mère.

La petite fille pousse un autre cri et traverse la distance qui les sépare à toute vitesse. Ali a juste le temps de lâcher la main de Sidney, que la jeune sorcière fonce sur lui. Il s'agenouille et la réceptionne. Bientôt, c'est Hailey, la fille d'Alena, qui demande à aller dans ses bras. Muni des deux fillettes, il rentre à l'intérieur. Sidney les regarde en secouant la tête, amusé.

Au salon, il retrouve les Geller, qu'il salut avec joie. Son mari est toujours bloqué par les sorcières. Sidney rigole, moqueur, mais attendri.

- Au moins, maintenant, elles vont lâcher mon mari, souligne Asa en observant le loup-garou.

- Mais elles vont s'accaparer le mien, soupire-t-il.

- Désolé, intervient Alena en le serrant contre elle.

Le reste du clan vient à sa rencontre. Il a presque mal à la mâchoire à force de sourire autant. Le mois dernier était tellement intense, qu'à part le jour de la visite des sorcières chez eux, ils n'ont pas revu les hommes du clan. Bien entendu, ils ont pris des nouvelles, se sont eût au téléphone. Il a l'impression d'être de retour à la maison après une langue absence. Ce qui est un peu le cas.

Rapidement, il est traîné à l'extérieur de la maison, une bière dans les mains. Sa famille le questionne sur son travail, son état d'esprit. Il se sent apaisé, son coeur est dépourvu de toute ombre. Voir son mari s'amuser avec ses nièces le comble de bonheur et l'emplit d'amour. Niall vient à la rescousse d'Alistair, suivi de Cedric, qui viennent récupérer leurs filles.

Les choses se mettent naturellement en place, comme lors de chaque réunion, les hommes s'occupent du barbecue. Sidney a à peine le temps d'embrasser son époux, qu'il est réquisitionné. Il adore sa famille, ils agissent avec naturel, personne ne fait de commentaires sur leur séparation, ni leur réconciliation.

Au milieu de ce brouhaha incessant, des rires des enfants qui courent, il parvient à trouver un coin tranquille, où est Leighton.

- Les filles ont finalement libéré ton mari, lui dit le sorcier à voix basse.

- Oui, ricane Sidney. Et la minute d'après leurs pères me l'ont volé. Je ne peux pas lutter.

Leighton rigole discrètement, le visage à moitié camouflé par son verre de thé glacé. Malgré son introduction au sein du clan, la timidité du sorcier est encore présente. Par automatisme, il cherche du soutien auprès de son âme-soeur. Attiré comme un aimant, Asa pivote et leurs regards se croisent. Sidney est aux premières loges pour admirer la puissance du lien d'âme-soeur. L'expression de Leighton s'éblouit grâce au sourire d'Asa.

C'est magnifique à constater. Sidney sait que son visage est similaire lorsque Ali le regarde. Il est sincèrement heureux pour Leighton et Asa, tous les deux le méritent.

- Tout va bien pour vous ?, demande-t-il au sorcier quand les époux Geller cessent leur contact.

- Je vis un rêve éveillé, avoue le brun, les joues rouges de gêne. Asa est juste fantastique avec moi. C'est tout bonnement merveilleux.

- Je suis content pour vous, répète-t-il. Tant mieux.

- Et toi, ça va ? On t'a beaucoup posé la question aujourd'hui, excuse-moi.

- Ce ne me dérange pas, le rassure Sidney en souriant. Moi aussi, je vis un rêve éveillé pour reprendre tes mots. Désolé, encore, de ne pas vous avoir dit pour notre union avec Ali, dès notre rencontre.

- Ne t'inquiète pas pour cela, nous ne vous en voulons point. Au vu des circonstances, c'est normal. Nous comprenons.

Sidney remercie le sorcier. Vu qu'ils habitent dans la même ville, ils se voient plusieurs fois par semaine. La culpabilité d'avoir passé sous silence son mariage à des gens à qui il essayait de gagner la confiance, le fait s'excuser à chaque fois. Inlassablement, Leighton lui offre la même réponse. À ce moment-là de sa vie, c'était juste trop dur d'avouer qu'Alistair et lui étaient en pause.

Ne souhaitant pas ternir la bonne ambiance, ni aborder de sujet douloureux, Sidney dévie la conversation. Le sujet vient de lui-même lorsque Phoebe apparaît dans leur champ de vision.

- Vous avez trouvé une solution pour cet été ?, interroge-t-il, ce qui fait soupirer Leighton.

- Non, c'est toujours une impasse, répond le sorcier en devinant à quoi il fait référence. Phoebe refuse d'aller chez ses grands-parents et eux, ils insistent et menacent de contacter le tribunal, ce qui a pour effet inverse et la braque encore plus. Asa ne sait pas quoi faire.

Finalement, ce n'était pas le sujet à lancer. La famille d'Asa, paternelle ou maternelle, est loin d'être aimante et de le soutenir. Ses grands-parents se liguent contre lui pour obtenir la garde de Phoebe, même si la justice a déjà statué là-dessus et en faveur d'Asa. Ils souhaitent déposer de nouvelles demandes, depuis qu'ils ont appris pour le mariage de leur petit-fils avec homme. Ce qu'ils oublient, c'est que Phoebe est en âge de décider et surtout, le procureur du comté est un ami. Un seul coup de fil a suffi à protéger les Geller. Un autre pourrait forcer les importuns à abandonner une bonne fois pour toutes. On ne touche pas à la famille.

- Asa a peur que s'il accepte que Phoebe reste à la maison, ils l'atteintent en justice, poursuit Leighton. Je ne pense pas que cela marchera, mais il a peur et Phoebe est très en colère contre eux.

- Normal, lâche Sidney scandalisé par l'entêtement de ces gens. Il n'a rien à craindre.

- C'est ce que je n'arrête pas de lui dire.

- Je lui redirais alors, propose-t-il.

- Merci. C'est en train de le rendre fou.

- Décidément, nos familles biologiques craignent.

- Tu as parlé à ton père ?, s'intéresse Leighton.

- Pas encore. La semaine prochaine.

Durant quinze jours, il a repoussé l'échéance, il ne peut plus le faire. C'est le dernier chemin vers sa guérison. Maintenant, il a la force nécessaire pour confronter son géniteur. Il n'a pas besoin de consulter les esprits pour savoir que ça ne se passera pas très bien. Avec son père, il ne peut qu'être déçu. Il ne veut pas y penser aujourd'hui.

Aujourd'hui, c'est une magnifique journée, entourée des gens qu'il aime et qui l'aime. Son père n'a rien à faire dans ce tableau. Mais Peter et les grands-parents d'Asa pourraient se tenir la main et donner des cours sur comment emmerder sa descendance. En ajoutant Swann, ils peuvent monter un club.

Ses pensées sont interrompues par la vision de son mari qui marche vers eux, suivit par celui de Leighton. Les deux hommes leurs tendent une assiette en souriant, et eux, comme deux amoureux transis, ils les dévorent des yeux. Le barbecue étant prêt, tout le monde est invité à s'asseoir autour de la grande table. Sidney s'installe à gauche d'Alistair, tandis que les Geller se mettent à droite du loup-garou.

Virginia, qui préside l'assemblée, se lève, son verre en main. Le fameux discours de la cheffe.

- Merci à tous d'être venus, commence-t-elle. Voir le clan réuni, me comble de joie. En ce jour particulier, je voudrais que nous célébrions l'amour et le bonheur d'être entouré des gens qui comptent le plus pour nous.

Sous la table, Sidney entrelace ses doigts avec ceux d'Ali et les serre. Il bascule sa tête dans le creux de la nuque de son mari. La personne la plus importante de sa vie. Les mots de Virginia leurs sont dirigés, mais aucun membre ne les regarde. En réponse, ils lèvent tous leurs verres et le repas débute. Il dure plusieurs heures. Après la dégustation des desserts, apportés par Leighton, chacun vaque à ses occupations.

C'est pour cela qu'il se retrouve avec Noelle, à boire un thé, pendant que son mari fait un puzzle avec Zoey. Les autres sorcières sont avec Leighton dans la bibliothèque. Phoebe apprend à danser à Hailey et Ellen, sous le regard du seul bébé du groupe, Leah, allongée dans son transat. Le reste des hommes sont partis avec Jewel se promener dehors.

- J'ai trouvé une pièce tonton, s'exclame Zoey, fière d'elle.

- Super ma puce, mets la, lui répond Ali.

Zoey a toujours idolâtré Alistair, elle l'adore. Le coeur de Sidney est mis à rude épreuve à chaque fois qu'il les voit interagir ensemble. Ali est si doué avec les enfants. Sa nature d'alpha le pousse à les protéger, à prendre soin d'eux. Les plus jeunes d'une meute sont précieux, ils sont leur avenir. Même si voir son âme-soeur jouer avec sa nièce est la chose la plus mignonne qu'il contemple, cela lui pince la poitrine. Il ne pourra jamais offrir de meute biologique à son mari. Ils ne peuvent pas avoir d'enfants de leur propre sang.

C'est quelque chose qui affecte Sidney jour après jour, dont il ne pourra jamais faire le deuil. Lui aussi, il aimerait agrandir leur famille, voir Ali tenir leur bébé. Il se sent prêt à le faire. Avant, il avait la pensée égoïste et cruelle de ne pas vouloir partager l'amour de son âme-soeur et que s'ils ne pouvaient pas avoir d'enfants biologiques, alors cela ne servait à rien. Il ne peut pas priver son mari de ça.

Comme s'il sentait les tourments de Sidney, Ali relève la tête vers lui. Le shaman sourit afin de le rassurer, mais ses yeux parlent à sa place. Ses talents de loup-garou lui permettent d'entendre les doutes et les tracas de son coeur. Par chance, Zoey détourne son attention. À son tour, il pivote vers Noelle.

- Tu ne vas pas avec les filles ?, demande-t-il à la femme.

- Non, je préfère rester avec mon meilleur ami, mais si tu veux que je parte, dis-le, réplique Noelle en amorçant un mouvement pour se lever.

- Pas du tout !, s'exclame Sidney en la retenant.

La sorcière se rassoit en rigolant, taquiner le shaman est l'une de ses passions. Il est content qu'elle soit là. La présence d'Ali les retient de parler à coeur ouvert. Ce qui arrange Sidney, car il ne veut pas aborder sa dépression. Elle n'a pas pointé le bout de son nez depuis plus de deux semaines. Ce n'est pas pour autant qu'il saute de joie et qu'elle a disparu.

- J'ai rencontré quelqu'un, avoue-t-elle à voix basse.

Sidney gesticule sur le canapé, mal à l'aise. Ali lui lance un coup d'oeil discret. Ils le savaient déjà, mais souhaitaient attendre que Noelle leur en parle de vive voix.

- Tu étais au courant, devine-t-elle. Je ne suis pas étonnée.

- Alors qu'est-ce qui te gêne ?, questionne Sidney soucieux.

- Ce n'est pas mon âme-soeur, je le sais et pourtant il me plaît et je... peut-être qu'un jour, il rencontrera la sienne et moi le mien.

- Noelle, soupire le shaman en comprenant le dilemme de son amie. Ne passe pas à côté d'une belle histoire à cause d'une crainte qui pourrait ne jamais se produire.

Il a énormément de peine pour Noelle, car elle fait partie des personnes qui ne rencontreront jamais leur âme-soeur. En vérité, cela est plus fréquent que Sidney le voudrait. Ça n'empêche pas certains couples d'être heureux, d'avoir des enfants, de vieillir ensemble. Grace et Nathan ne sont pas liés par le destin et pourtant, ils se sont mariés et ont eu une fille. Ils sont un bon exemple. Mais l'envie de connaître ce lien d'amour inégalable est là et compréhensif. Cela fait mal à Sidney de savoir que sa meilleure amie ne le connaîtra pas.

- Je sais bien, répond Noelle en soufflant. J'ai eu une pensée un peu bête, mais je me suis dis que j'aimerais qu'il soit mon âme-soeur.

- Ce n'est pas bête, la contre Sidney. Russell est un homme bien, laisse-lui sa chance.

- Si un shaman me conseille de foncer, c'est que je dois le faire.

- Exactement. Tu lui plaît aussi, ne t'inquiète pas.

Le sourire éclatant de Noelle vaut tout l'or du monde et Sidney a hâte de rencontrer celui qui fait pétiller les yeux de sa meilleure amie. Il n'a pas le droit d'avouer clairement à Noelle la façon dont son couple va évoluer et son déroulement. En revanche, ce qu'il peut faire, c'est lui dire de se lancer dans cette relation. Une façon détournée d'exprimer la vérité.

- Tonton, l'appelle Zoey en tirant sur son jean. On a fini le puzzle avec tonton Ali.

Sidney admire le travail de son mari et de la jeune sorcière en la félicitant. Zoey lui réclame un câlin, qu'il lui accorde sans avoir besoin de réfléchir.

- Et moi, je n'ai pas le droit à un câlin ? J'ai bossé aussi, se plaint Ali au-dessus d'eux.

- Parce que toi, tu peux faire des câlins à tonton Sidney quand tu veux, pas moi, réplique Zoey en serrant le bassin du shaman.

- On accepte quand même tonton Ali avec nous ? Après il va être triste.

- Bon d'accord.

Alistair plonge sur eux et les encercle tous les deux dans ses bras puissants. Ils finissent allongés sur le canapé, Ali sur le dos, Sidney sur le flanc à sa droite contre son corps et Zoey entre les deux hommes, riant aux éclats. Noelle prend une photo, assise sur le fauteuil d'en face. Bien à l'abri entre ses deux oncles préférés, la sorcière leur racontent ses déboires à l'école. Ils l'écoutent avec attention.

Sidney penche la tête sur l'épaule d'Ali et laisse la voix de Zoey le bercer. Ces moments de pures tendresses lui ont manqué. Il aimerait pouvoir arrêter le temps ou de le remonter afin de revivre cette scène indéfiniment. Sa famille est primordiale pour lui, mais il apprécie d'être en petit comité. Il étouffe moins.

Lorsque Zoey finit son récit, elle quitte le canapé et entraîne Noelle par la main sur la piste de danse improvisée. Ali caresse le dos de Sidney. Une béatitude enveloppe le shaman. À l'abri des curieuses, il se redresse un peu puis embrasse son mari.

- Merci d'être resté auprès de moi, chuchote-t-il contre l'oreille d'Ali.

- Je n'avais pas envie d'être séparé de toi.

- Moi non plus. Je t'aime.

Ali pose un baiser rapide sur ses lèvres, avant de lui sourire. La période d'accalmie prend fin à l'instant même où les hommes rentrent de leur balade. Le couple se ré-installe correctement sur le canapé, ou moment où les sorcières et Leighton reviennent de la bibliothèque.

Quand les Helling franchissent le seuil de leur appartement, Sidney est exténué. Le retour des réunions le met toujours dans cet état. Il trouve le courage suffisant pour aller se doucher. Une fois propre, il s'écroule dans le lit, mais lutte à garder les paupières ouvertes. Il ne veut pas s'endormir sans Ali à ses côtés.

- Je suis crevé, exhale le loup-garou en se couchant à son tour.

- Moi aussi, mais le bonheur de cette journée prend le dessus.

- C'est vrai que c'était bien de retrouver le clan entier au même endroit, pas juste les avoir au téléphone.

Sidney a une moue contrite et honteuse. C'est de sa faute si Alistair a été privé des rassemblements durant deux mois. Son mari ne le laisse pas se morfondre, il l'attire dans ses bras et embrasse son front. Sidney ne doit plus penser à cette période. Il ferme les yeux, apaisé par la présence d'Ali. Il s'est fait la promesse de savourer chaque minute de sa vie, de chaque instant avec son âme-soeur.

- On doit être en forme demain, lui rappelle le noiraud d'une voix douce.

- Hum, marmonne Sidney.

Seigneur, lui aussi, a hâte d'être en vacances. Malheureusement, ils n'y auront pas le droit cet été. Il ne s'attarde pas sur ce désagrément futile et sombre dans le sommeil.