Chapitre 2.

Salem, dimanche 23 mai 2021
16, commissariat de police

Absolument rien n'aurait pu empêcher Sidney de rejoindre le commissariat. Par chance sa meilleure amie, Noelle, est une sorcière et a pu exaucer son voeu d'un claquement de doigts. Il déboule dans le hall tel un possédé, le coeur battant à toute rompe. Par malheur, ce n'est pas Denise à l'accueil, mais son collègue. Son arrivée ne passe pas inaperçue, tout le monde le regarde, mais il s'en contre-fiche. Il s'accoude au comptoir, les yeux fous.

- Le chef Lane est là ?, demande-t-il paniqué. C'est important, je dois aller à l'unité 1, c'est... je... il faut que...

- Tout va bien doc ?, s'inquiète son vis-à-vis. Tu as été appelé sur une scène de crime ? Pourtant tu n'es pas de garde.

- Non !, hurle-t-il en colère que le flic ne saisisse pas l'urgence. Je dois voir Alistair, tout de suite.

- Heu..., bégaye l'autre homme en jetant un coup d'oeil à Noelle.

- Ouvre cette fichue porte merde !

Le shaman fait claquer son poing sur le comptoir, faisant sursauter tout le monde à cause du bruit de l'impact qui résonne. Sidney, habituellement calme et doux, se transforme en bête furieuse, le visage rouge. Même la main de Noelle sur son épaule, ne le calme pas. Dans sa fureur, il ne remarque pas Gordon passé la porte du hall d'entrée. Grâce à son ouïe surdéveloppée d'alpha suprême, il a entendu le shaman.

- Sidney, l'appelle-t-il.

Le concerné tourne la tête vers le commandant. Comme si voir le policier brise les dernières défenses du shaman, il se précipite vers lui, les yeux bordés de larmes. Il agrippe sa veste et le serre de toutes ses forces.

- Gordon, où est Ali ?, le questionne-t-il, les yeux exorbités par la peur.

- En mission, il...

- Rappelle-le, s'écrie-t-il. Je t'en supplie Gordon rappelle Ali et fais-le revenir.

- Je ne peux pas Sidney, lui répond l'agent, patiemment, d'une voix tendre. Il est en mission d'infiltration, je ne peux pas le joindre.

- Non, non. Il doit rentrer, il...

La fin de la phrase meurt dans un sanglot difficilement contrôlé. Une larme coule le long de sa joue. Gordon attrape ses épaules et le conduit dans un coin plus discret, tout le monde a les yeux sur le shaman. Le regard du flic et de la sorcière se croise, elle secoue la tête, dépitée. Rien ne calmera le blond.

Comprenant le message silencieux, Gordon entraîne Sidney dans le service de l'unité 1, spécialisée dans les enquêtes surnaturelles, Noelle sur les talons. La détresse du shaman pourrait lui faire dire des choses que personne ne doit entendre. Arrivé à son bureau, le flic le fait s'asseoir sur une chaise. Cette fois, il pleure pour de bons. Les battements effrénés de son coeur résonne dans sa tête, il est tordu par l'angoisse. Il a l'impression, en fait non, il suffoque vraiment. Sa poitrine le fait souffrir comme jamais. Il est en train de mourir.

Son état attise la peine et la compassion de Gordon. Après tout, le lieutenant Helling est son protégé. Le couple que forme le shaman et le loup-garou est une aubaine pour leur monde. Quelque chose qui doit perdurer. Il ne sait pas ce qu'il s'est passé entre les deux hommes, mais cela doit s'arranger, pour leur propre bien. Ils perdent les pédales depuis leur séparation.

- Sidney, tu dois avoir confiance en Alistair, c'est un excellent flic, il va réussir, tente Gordon en posant une main rassurante sur son épaule.

Un hoquet s'échappe de la bouche du blond. Il ne doute pas des compétences de son mari, au contraire, Ali est plus que doué dans son boulot. De tous les agents, pourquoi il a fallu que ce soit Alistair ? Et pourquoi personne ne l'a prévenu, mêmes pas les esprits, avant qu'il ne soit trop tard ? Pourquoi ont-ils lancé la mission aussi rapidement ?

Ce sont toutes ces questions qu'il pose à Gordon, la voix brisée par le chagrin. Parce que oui, Alistair va réussir, mais à quel prix. Gordon détourne ses interrogations, essayant de minimiser les risques.

- Arrête !, hurle-t-il au commandant. Ce n'est pas toi qui as vu ton mari se faire torturer, c'est moi ! Je sais comment nous allons le retrouver.

La jambe de Sidney tressaute, les images de ses visions empoissonnent son esprit. Ali, les bras pendus à des menottes, le torse strié de coupures, le visage tuméfié, les décharges électriques, le blessant encore et encore. Les chasseurs prenant plaisir à le faire souffrir. Ce qu'est en train de subir son mari est de sa faute. Il n'était pas là, ne l'a pas protégé. C'était son rôle et il a échoué.

C'est le destin qui se retourne contre lui et le puni pour avoir abandonné son âme-soeur. Mais c'est lui qui aurait dû subir les conséquences de ses actes et non Alistair.

- Pourquoi vous ne m'avez pas demandé de l'aide ?, demande-t-il. J'aurais pu empêcher ça et Ali serait avec nous.

- Parce que ne pouvons pas compter sur tes visions pour cette enquête. Le procureur veut des preuves concrètes, explique Gordon, un air désolé sur le visage.

- Des preuves que j'aurais pu lui fournir sans envoyer mon mari à l'abattoir.

- Non Sidney, cette fois, tes visions et les esprits n'étaient pas suffisant. Ça ne me plaît pas plus qu'à toi de savoir Alistair entre les mains de ses malades.

Malgré la peur qui lui broie les entrailles, Sidney comprend le procureur. Il n'y a que des preuves matérielles que le tribunal pourra voir, qui permettront d'arrêter le groupe. Il ne peut pas se pointer devant la cour, même si elle est composée de créatures surnaturelles, avec pour seul élément de preuves ses visions. Car à part un autre shaman, il n'y a aucun moyen de les vérifier. De plus, le Conseil veut des procès réalistes, qui se déroulent de la même façon que ceux des humains. En étant objectif, Sidney comprend l'importance et les enjeux, mais il aurait préféré qu'un autre qu'Ali s'en charge.

Il n'était pas là quand son mari est parti, en revanche, il est là maintenant. Il peut encore le sauver. S'ils vont le libérer aujourd'hui, ils peuvent limiter les souffrances d'Ali. Il aura eu le temps de récolter des preuves et ils prendront les chasseurs sur le fait, ce qui aggravera leur cas.

Lorsque Sidney a identifié l'un des chasseurs durant une autopsie, Riley l'a localisé. La veille, Ali a donc délibérément montré son identité de loup-garou à l'homme. En moins de deux heures, il a été capturé. Ses meurtriers sont prudents, ils portent des cagoules, où même leurs yeux restent difficiles à déterminer.

- Comment vous comptez aller le chercher ?, s'inquiète-t-il. Vous savez au moins où il est ?

- La vérité, c'est que je comptais sur toi pour me le dire. Parce que non Sidney, je n'ai pas la moindre foutue idée de l'endroit où il est.

Abasourdi, Sidney ouvre la bouche les yeux écarquillés. Naïvement, il pensait qu'ils avaient le lieu où est prisonnier Ali, que Riley avait posé un traceur sur lui. Il n'en est rien. Le loup-garou est parti à l'aveuglette. Comment a-t-il pu être aussi inconscient ? Si le shaman n'était pas autant angoissé, il serait presque en colère contre son mari et contre tous les responsables de son enlèvement.

Gordon pour avoir accepté qu'il se porte volontaire. Riley pour ne pas l'avoir retenu et lui faire entendre raison. Ses collègues, dont aucun ne s'est proposé à sa place. Les esprits, pour l'avoir prévenu au dernier moment.

- Tu te fou de moi ?, s'exclame-t-il. Tu me tiens à l'écart, ne me prévient pas que mon mari met sa vie en danger, mais dès que tu as besoin de moi, tu te rappelles que j'existe.

- Je savais que les esprits te préviendraient et oui, c'est lâche d'avoir attendu qu'ils fassent mon job à ma place, mais à ma défense, tu l'as quitté, il n'a pas à te rendre des comptes et encore moins sur son travail.

- Je ne l'ai pas quitté, nous faisons une pause !

- Une pause qui l'a conduit là où il est aujourd'hui, réplique Gordon en haussant le ton. Ce choix que tu as fait l'a bousillé.

Sidney le sait, il n'a pas besoin que Gordon lui dise. Il a brisé le coeur de son âme-soeur. Dès qu'il croise les yeux d'Alistair, il y lit toute sa peine. Il cache sa tête dans ses mains et laisse libre cours à ses larmes. S'apitoyer ne va pas faire revenir, ni libérer Ali. L'inquiétude qu'il ressent, il la partage avec Gordon, ce qui leur fait perdre les pédales à tous les deux. Ils doivent se recentrer sur l'essentiel.

C'est avec cette pensée qu'il redresse le menton. Il essuie ses joues et renifle. Il va se montrer fort pour Alistair. Il n'est pas trop tard pour rattraper ses erreurs.

- Laisse-moi juste le temps d'interroger les esprits, prévient Sidney. Une équipe d'intervention est déjà prévue ?

- Oui, ils sont dans la salle d'opération, ils n'attendent que mon signal.

- Bien, qu'ils se tiennent prêt.

Sidney ferme les yeux et crée une bulle hermétique afin de se couper du monde extérieur, pour entrer en contact avec les défunts. Il pénètre dans un univers entre la vie et la mort. Là où il rencontre les esprits, où il peut les chercher s'ils n'arpentent pas le monde des vivants. Il trouve les ancêtres d'Ali, qui le regardent fâchés. Ils ne peuvent qu'être en colère. Ses propres aïeuls l'observent en secouant la tête. Il n'a pas le temps de faire amende honorable, de toute façon, les esprits ne croient pas aux belles paroles, mais aux actions.

Il leur explique donc ce qu'il attend d'eux. C'est l'arrière-arrière-grand-mère d'Ali qui lui répond et lui montre. Sidney mémorise tout ce qu'il voit, jusqu'au moindre détail. Ses mains s'agitent. Noelle accourt vers lui, puis lui glisse un stylo entre ses mains ainsi qu'une feuille. Il reproduit le bâtiment sur le papier, avant d'écrire l'adresse.

- Sauve mon petit-fils, lui conjure la vieille femme.

- Oui, je...

- Ramène-le, c'est tout ce qui importe.

Le spectre de l'ancienne alpha disparaît. Sidney rompt le lien avec l'au-delà, puis rouvre les paupières, émergeant de sa transe. Noelle est en face de lui, tandis que Gordon donne des ordres à travers un téléphone. Le croquis est toujours sur la table. Le lieu est un entrepôt abandonné. Quelques minutes plus tard, Riley fait son apparition, un ordinateur portable sur les bras. Il l'ignore superbement. Sidney commence à se lever, dans le but de les aider, mais sa meilleure amie le retient à l'aide d'une main sur son torse. Il devine sans mal les mots silencieux qu'elle lui adresse :  « laisse-les faire, c'est à eux de jouer maintenant. Tu as fait ta part du boulot ».

Alors docilement, le shaman se rassoit. Il observe les deux hommes évoluer dans la pièce. Riley branche son ordi à l'écran plat du service.

- J'ai les plans du bâtiment, comme ça, je vais pouvoir guider les agents pendant qu'ils cherchent Ali, explique-t-il en tapant sur son clavier.

Sidney réalise que l'informaticien s'adresse à lui, même s'il ne le regarde pas. L'opération de sauvetage se met en place. Gordon rejoint la salle d'opération, il est hors de question qu'il reste ici en attendant le retour de son protégé. Il veut être celui qui passera les menottes à ses enfoirés. Personne n'ira lui reprocher s'il en égorge deux ou trois au passage. 

Impuissant, Sidney regarde l'unité d'intervention quitter le commissariat. Il aurait aimé les accompagner et être celui qui trouve Ali le premier. Serrer son mari dans ses bras, lui demander pardon, le supplier de le pardonner. Au lieu de ça, il doit rester sur le carreau et suivre le déroulement à travers les haut-parleurs des micros. Il se sent inutile et c'est frustrant. Sans le soutien de Noelle, il s'effondrerait.

Pour ne pas déranger Riley, le blond reste sur sa chaise, le regard fixé sur l'écran. Il parvient à déterminer la pièce exacte où est retenu Alistair. Il se précipite sur le plan affiché.

- C'est celle-là, s'écrie-t-il en posant son doigt sur la pièce en question.

Riley transmet l'information Gordon. Le légiste s'immobilise devant l'écran. Il commence à se ronger les ongles, une mauvaise habitude lorsqu'il est stressé. Son esprit est tourné vers son mari. Bientôt, il sera libéré. Les images de l'état d'Ali monopolisent ses pensées. Il ne se rend pas compte qu'il pleure à nouveau. Noelle place une main derrière son dos, mais garde le silence. Le phénix à beau détester le shaman pour ce qu'il a fait à son meilleur ami, il n'aime pas le voir aussi mal.

- Sidney, l'appelle-t-il doucement, ce à quoi le concerné se tourne. Ils vont le ramener d'accord, tout ira bien. Il est solide.

- Je sais qu'ils vont le ramener, mais c'est l'état dans lequel il va revenir qui m'inquiète.

- Il va guérir, assure une fois de plus le brun.

- Ça ne m'aide pas de le savoir.

Certes, les blessures d'Ali vont disparaître en quelques heures, mais qu'en est-il du mental ?

    Tiens bon mon amour, répète-t-il mentalement.

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